« Jamais le pétrole ne tuera l’électricité, surtout si celle-ci est défendue par un Kriéger. » Louis Antoine Jules Tony Kriéger et ses automobiles électriques, dont certains des premiers véhicules hybrides de la planète Terre, partie 4
Bienvenue à bord, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur ose espérer que les 3 premières parties de notre examen de la carrière de l’ingénieur / homme d’affaires français Louis Antoine Jules Tony Kriéger vous ont plu. J’ai le même espoir en ce qui concerne la 4ème et dernière.
Comme vous pouvez l’imaginer, Kriéger continue de présenter à l’étranger les réalisations de Compagnie parisienne des voitures électriques. Un de ses omnibus hybrides effectue la navette entre deux sites bien connus de Berlin, empire allemand, et le site de l’Internationale Motorwagen-Ausstellung qui se tient en février 1906, par exemple. Le camion hybride muni d’un puissant projecteur mentionné dans la 3ème partie de cet article se trouve dans le kiosque de la firme. Il y attire les regards de nombreux officiers de la Deutsches Heer.
Un des omnibus hybrides Kriéger de la société de transport en commun Allgemeine Berliner Omnibus Actien Gesellschaft, Berlin, empire allemand. F. Drouin. « Automobiles – La voiture pétroléo-électrique, système Kriéger. » Le Génie civil, 1er juin 1907, 65.
Ces efforts portent fruits. De fait, au plus tard en 1906, la Compagnie parisienne des voitures électriques obtient une commande d’une société de transport en commun de Berlin, Allgemeine Berliner Omnibus Actien Gesellschaft, touchant à un certain nombre d’omnibus hybrides à 2 étages. Une autre firme berlinoise, un opérateur de fiacres cette fois, commande également un certain nombre de véhicules électriques ou hybrides. Votre humble serviteur se demande toutefois si ces véhicules sont fabriqués en France ou dans l’empire allemand. Le savez-vous, ami(e) lectrice aux connaissances encyclopédiques?
Début décembre 1906, alors que le personnel de Kriéger s’affaire à préparer le kiosque de la firme au Salon de l’automobile, du cycle et des sports, celui-ci revient de Torino / Turin, Italie, au volant d’un véhicule hybride. L’homme d’affaires avait franchi ce trajet d’environ 775 kilomètres (environ 480 milles) en 2 jours et demi. Le président français, Clément Armand Fallières, le félicite pour personnellement lors de son passage au dit salon. Traverser les Alpes en décembre, dans une automobile sans système de chauffage, il faut le faire quand même.
Et non, votre serviteur ne sait pas si Kriéger avait conduit ce véhicule hybride de Paris à Turin, ce qui signifierait qu’il avait en fait parcouru une distance d’environ 1 550 kilomètres (965 milles).
Comme vous vous en doutez, Kriéger place le véhicule qu’il vient de conduire dans le dit kiosque de la Compagnie parisienne des voitures électriques, et ce aussi rapidement qu’il le peut.
Et oui, Fallières est bel et bien mentionné dans des numéros de mars 2022 et août 2023 de notre époustouflant blogue / bulletin / machin.
Parlant (tapant?) de l’Italie, croiriez-vous que le kiosque de la Compagnie parisienne des voitures électriques occupe la place d’honneur à l’Esposizione Internazionale di Automobili qui se tient à Turin, en février et mars 1907? Si je peux me permettre de citer le titre d’une chanson de 1985 (!) du duo britannique Eurythmics, traduit ici bien sûr, est-ce que je vous mentirais?
Et oui, encore, le véhicule hybride récemment conduit par Kriéger entre Turin et Paris, France, occupe la place d’honneur de la place d’honneur. Il attire de très nombreux regards.
Kriéger conduit-il encore ce véhicule de Paris à Turin, puis vers Paris, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecture facétieuse / facétieux? Je n’en ai aucune idée.
Mais ce n’est pas tout.
En mai 1907, la Compagnie parisienne des voitures électriques remporte la grande médaille d’or décernée lors du Pervaya Mezhdunarodnaya Vystavka Avtomobiley, Dvigateley, Velosipedov i Sporta, en d’autres mots le premier salon international des automobiles, des moteurs, des bicyclettes et des sports, qui se tient à Sankt-Peterbúrg / Saint-Pétersbourg, empire russe.
La Compagnie parisienne des voitures électriques subit toutefois un dur coup en mars 1907. Sa maison-mère, la Société française pour l’industrie et les mines, est en effet dissoute. Un puissant groupe financier français prend peu après le contrôle du constructeur automobile et de la Société des garages Kriéger et Brasier.
Un des fiacres hybrides de grand tourisme Kriéger de la Compagnie parisienne des taxautos électriques. Anon., « La décennale du Salon de l’automobile. » Le Sport universel illustré, 1er décembre 1907, 810.
Sur une note plus positive, un nouveau modèle de fiacre hybride très réussi est présent en nombre croissant à Paris à partir de l’automne 1907. Ces véhicules appartiennent à la Compagnie parisienne des taxautos électriques, une firme créée à cette fin par la Compagnie parisienne des voitures électriques ou son nouveau propriétaire, je pense. Croiriez-vous que la nouvelle firme commande non moins de 150 véhicules? Et non, votre humble serviteur ne sait pas s’ils entrent tous en service.
Un fiacre hybride de grand tourisme identique à celui que vous venez de voir peut être loué pour toute une journée et effectuer un parcours de 200 kilomètres (environ 125 milles) pour la modique somme de 100 francs, un montant qui correspond à une peu moins de 700 $ en devises de 2024.
Et non, ami(e) lectrice ou lecteur gastronome, je doute fort qu’un panier de pique-nique bien garni soit inclus dans ces frais. Désolé, Yogi l’ours. Le conducteur, ou wattman, en tenue irréprochable, lui, l’est.
Permettez-moi de souligner que la grande simplicité des véhicules hybrides Kriéger, une simplicité exemplifiée par l’absence d’embrayage, boîte de vitesse et autres machins, élimine les risques de dommages associés à ces ensembles trop souvent endommagés par des conducteurs inexpérimentés ou imprudents.
Il est à noter que la Compagnie parisienne des voitures électriques fabrique quelques ambulances hybrides en 1907.
Pour la 10ème édition du Salon de l’automobile, du cycle et des sports qui se tient en novembre et décembre 1907, la Compagnie parisienne des voitures électriques met le paquet. Pas moins de 12 véhicules électriques et hybrides, du fiacre au camion et à l’omnibus, sont en exposition sur les deux sites.
La firme participe également à l’Internationale Automobil-Ausstellung qui se tient à Berlin en décembre 1907, mais plus modestement il faut l’avouer. Ceci étant dit (tapé?), des véhicules électriques ou hybrides Kriéger sont bel et bien présents dans la capitale de l’empire allemand.
À ma grande surprise, votre humble serviteur doit avouer ne pas avoir trouvé beaucoup de traces des activités de la Compagnie parisienne des voitures électriques tout au long de 1908. De fait, je n’ai pas trouvé la moindre trace d’une participation au Salon de l’automobile, du cycle et des sports qui se tient en novembre et décembre 1908. Je ne plaisante pas. Cette absence est pour le moins curieuse, ou pas.
Voyez-vous, la Compagnie parisienne des voitures électriques est entrée en liquidation judiciaire en février 1908. Des actifs de la firme sont apparemment vendus au cours des mois suivants.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, la participation massive de la firme au Salon de l’automobile, du cycle et des sports tenu en novembre et décembre 1907 peut être une tentative désespérée et, en fin de compte, infructueuse visant à générer des ventes.
Incidemment, la Compagnie parisienne des taxautos électriques semble également faire faillite en 1908.
Ce qui est curieux, c’est que 3 camions Kriéger, des véhicules hybrides je pense, participent au Concours de véhicules industriels organisé par l’Automobile-Club de France, sous le patronage du ministère de la Guerre, un concours qui se tient en octobre et novembre 1909. Ces 3 véhicules sont disqualifiés pour diverses raisons plus ou moins graves.
Quoi qu’il en soit, la disparition de la Compagnie parisienne des voitures électriques s’explique largement par l’irrésistible popularité du moteur à essence et par ce que quelques observateurs appellent une crise dans l’industrie automobile française, une crise causée par la multiplication incontrôlée des fabricants, souvent mal financés ou mal gérés – ou les deux. Remarquez, la dissolution de sa société mère, la Société française pour l’industrie et les mines, en 1907, n’a pas aidé non plus.
Des problèmes mécaniques affligeant les coûteux véhicules de la Compagnie parisienne des taxautos électriques peuvent être le dernier clou dans le cercueil de la Compagnie parisienne des voitures électriques.
Pendant leur brève existence (1895-1908), les firmes dans lesquelles Kriéger joue un rôle crucial semblent produire de 800 à 1 500 véhicules, je pense. Les détenteurs de licence peuvent, je répète peuvent, en produire un tantinet plus (2 000?).
Plusieurs de ces véhicules français et étrangers roulent encore vers la fin des années 1920. Un fiacre produit en France mais livré à une firme britannique roule en fait encore en 1934. Une lecture de son odomètre révèle qu’il avait parcouru plus de 200 000 kilomètres (plus de 125 000 milles), autrement dit 5 fois la circonférence de la Terre à l’équateur. Wah!
Votre humble serviteur a peu d’informations sur les activités de Kriéger entre la fin des années 1900 et le début des années 1920. Désolé. Il devient toutefois le président fondateur du Syndicat des Constructeurs de Véhicules électriques de France, en 1923.
Kriéger est par ailleurs directeur du laboratoire central de la Compagnie française Thomson-Houston en 1924. La date d’arrivée à ce poste au sein de cette filiale de General Electric Company, un géant américain mentionné dans la première partie de cet article, m’est malheureusement inconnue.
Une fourgonnette de livraison électrique inscrite aux Essais contrôlés de véhicules à traction électrique par accumulateurs de septembre et octobre 1923 par la Société anonyme des automobiles électriques Kriéger, Paris, France. Charles Dantin, « Automobiles – Les Essais contrôlés de véhicules à traction électrique par accumulateurs (25 septembre-10 octobre 1923). » Le Génie civil, 29 décembre 1923, 637.
Souhaitant encourager l’application de l’électricité à des véhicules automobiles, l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions, de même que l’Union des syndicats de l’électricité et l’Automobile-Club de France, organisent des Essais contrôlés de véhicules à traction électrique par accumulateurs en septembre et octobre 1923.
La Société anonyme des automobiles électriques Kriéger, je pense, y inscrit 3 véhicules, 1 coupé et 2 fourgonnettes de livraison. La dizaine d’autres participants semblent inscrire des véhicules commerciaux, camions ou fourgonnettes.
Les véhicules soumis par Kriéger se comportent fort bien, soit dit en passant. Cela n’avait rien de surprenant. Deux d’entre eux avaient parcouru de 4 à 6 000 kilomètres environ (de 2 500 à 3 750 milles environ) avant la compétition. Le troisième avait environ 30 000 kilomètres (plus de 18 600 milles) sous le capot, le tout effectué par non moins de 7 conducteurs différents.
Et il va de soi que la Société anonyme des automobiles électriques Kriéger, une firme de petite envergure selon toute vraisemblance, avait vendu quelques véhicules à des firmes et / ou particuliers.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions est en effet mentionné dans des numéros d’octobre 2023 et de mai 2024 de notre stupéfiant blogue, bulletin et machin.
Et non, je ne sais pas quand la Société anonyme des automobiles électriques Kriéger voit le jour. Désolé.
Souhaitant encore encourager cette même application de l’électricité à des véhicules automobiles, le trio d’organismes mentionné plus haut organise un Concours des véhicules électriques qui se tient en octobre 1924. La Société anonyme des automobiles électriques Kriéger y inscrit 3 véhicules, une torpédo et 2 fourgonnettes de livraison, faisant appel au même châssis.
Et voici une des fourgonnettes en question…
Une des 2 fourgonnettes de livraison électriques inscrite au Concours des véhicules électriques d’octobre 1924 par la Société anonyme des automobiles électriques Kriéger, Paris, France. Anon., « Nouveautés, curiosités, nouvelles – Le Concours de Bellevue des véhicules électriques. » Omnia, décembre 1924, 620.
Une photographie de la torpédo se trouvait au début de la 4ème partie de cet article.
Incidemment, cette torpédo est une automobile décapotable à 2 places.
Là encore, les fourgonnettes qui participent au Concours des véhicules électriques d’octobre 1924 se comportent fort bien. Préparé un tantinet à la hâte, la torpédo éprouve quelques petits pépins.
L’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions a peut-être à l’esprit le fait que la France doit importer des grandes quantités de pétrole pour faire rouler son parc routier. Ce pétrole coûte fort cher et nuit à la balance des paiements, et ce même si le prix de ce carburant ne se compare en rien à celui que la ou le contribuable typique doit payer en 2024.
Quoi qu’il en soit, ce coût élevé des importations de pétrole acquiert une importante un tant soit peu plus grande suite à la crise financière / monétaire et politique qui secoue la France au printemps 1926.
C’est au moment où ce printemps prend fin, soit en juin 1926, que se tient un Concours des véhicules électriques à accumulateurs organisé par, vous l’aurez deviné, l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions.
La voiture taxi inscrite au Concours des véhicules électriques à accumulateurs de juin 1926 par la Société anonyme des automobiles Peugeot, Paris, France. Anon., « Échos et variétés. » Omnia, août 1926, 156.
Cette fois-ci, c’est par le biais de la Société anonyme des automobiles Peugeot que Kriéger participe à cette compétition. Ce dernier vend en effet des droits à sa technologie à cette importante firme française, et ce à une date indéterminée.
De fait, le bruit courant dès octobre 1924 que la Société anonyme des automobiles Peugeot a l’intention de placer quelques voitures taxis électriques dans les rues, boulevards et avenues de Paris en 1925, on est en droit de se demander si ces droits sont accordés dès l’automne 1924.
Quoiqu’il en soit, la direction de la Société anonyme des automobiles Peugeot inscrit 3 véhicules électriques au concours de 1926 : une voiture de tourisme, une fourgonnette de livraison et une voiture taxi.
Ces trois véhicules fonctionnent à merveille. De fait, ils arrivent en tête de classement. La voiture taxi, par exemple, s’avère capable de parcourir environ 192 kilomètres (environ 119 milles) à environ 23 kilomètres/heure (environ 14 milles/heure).
Vous me direz que ces performances n’ont rien de renversantes et c’est bien vrai, mais le fait est que, de l’avis de divers commentateurs de l’époque, les rues, boulevards et avenues de Paris seraient à ce point achalandés avant longtemps que toute tentative d’aller un tantinet rapidement s’avérerait futile.
Oserai-je soulever ici l’incongruité de posséder, en 2024, une SSC North America Tuatara, une Hennessey Special Vehicles Venom F5 ou une Bugatti Chiron Supersport 300+, des voitures de sport hyper puissantes capables de foncer à plus de 482.7808175 kilomètres/heure (plus de 300 milles/heure) sur une bonne route bien droite, lorsque la vitesse maximale sur une autoroute est de 110, voire 100 kilomètres/heure (environ 68 et 62 milles/heure)? Et que dire des vitesses moyennes en plein centre-ville, et…
Je ne comprends rien à l’état d’esprit d’un Homo sapiens mâle hyper riche, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez bien raison, mais nous digressons.
Avant que je ne l’oublie, les premières voitures taxis électriques Peugeot roulent apparemment au plus tard en juin 1925. Elles ne sont cependant peut-être pas produites en grand nombre.
Je dois par ailleurs avouer ne pas avoir la moindre idée de ce que Kriéger fait entre le milieu des années 1920 et la fin des années 1930. Et non, je ne sais pas quand la Société anonyme des automobiles électriques Kriéger disparaît. Désolé. Encore.
Une autre phase de la carrière de Kriéger commence toutefois vers juillet 1940.
Comme vous le savez, en juin, la France croule sous les coups de boutoirs de l’Allemagne national socialiste. Une descente en enfer commence qui va se poursuivre, pour de nombreuses Françaises et Français, jusqu’en 1945. Alors que les *******, désolé, alors que l’occupant s’accapare de plus en plus de ressources de toutes sortes, les populations civiles doivent survivre de leur mieux.
L’essence ne tarde pas à se faire rare, ce qui limite considérablement le nombre de véhicules privés placés à la disposition des populations urbaines, bien minoritaires à cette époque, qui ont les moyens de se payer une automobile. Si je peux me permettre de citer, hors contexte évidemment, le clown clochard philosophe québécois Sol, joué magistralement par son créateur, le regretté Marc Favreau, quoi faire, quoi faire?
Certaines personnes ne tardent pas à proposer l’utilisation de dispositifs remorqués ou portés par une automobile permettant de transformer du bois ou charbon de bois en gaz combustible, des types de dispositifs connus sous le nom de gazogène.
D’autres personnes vont plus loin encore. Elles proposent l’utilisation de véhicules légers, dits vélomobiles / vélocars / cyclecars / automouches, munis de pédales et / ou d’un moteur auxiliaire.
D’autres encore proposent l’utilisation de véhicules électriques.
Charles Emmanuel Mildé, patron de Charles Mildé Fils & Compagnie, une firme importante liée de près à l’électrification de Paris à partir des années 1880, s’allie ainsi à Kriéger dès juillet 1940 afin de créer de tels véhicules. Ils semblent mettre sur pied une petite firme, la Société Mildé-Kriéger peut-être.
Croiriez-vous que Charles Mildé, le père de Mildé et fondateur de la firme familiale, avait également fondé la Société des automobiles Mildé & Compagnie en 1897 afin de produire des véhicules électriques? Cette production prend apparemment fin vers 1909 (voitures de tourisme) et 1914 (véhicules utilitaires), mais je digresse.
Mildé et Kriéger ont la sagesse de ne pas se lancer dans la mise au point de véhicules entièrement nouveaux. Ils s’allient à Gilbert Baudot, le patron d’un carrossier français, la Compagnie française des automobiles Corre ‘La Licorne,’ dont les voitures de tourisme et fourgonnettes de livraison à pistons sont déjà bien connues.
De fait, il semble bien que ce soit Baudot qui contacte Mildé et Kriéger, et ce afin de mettre au point une version électrique de sa La Licorne A 163, un coupé / demi-berline à 4 places de taille modérée. Ces derniers acceptent de le dépanner, à condition que le nouveau véhicule porte leurs noms.
Ai-je besoin de vous rappeler qu’un carrossier comme la Compagnie française des automobiles Corre ‘La Licorne’ fabrique des véhicules prêts à rouler à partir de châssis et moteurs produits par d’autres firmes? Non? Fort bien. Continuons.
Une fourgonnette de livraison électrique Mildé-Kriéger (type La Licorne) typique. Charles Faroux, « L’électricité reine du trafic urbain – Deux grands noms : Mildé… Kriéger. » L’Auto, 24 et 25 décembre 1941, non paginé.
Un coupé / demi-berline Mildé-Kriéger (type La Licorne) Type AEK typique. Anon., « Automobiles – Les véhicules électriques à accumulateurs. » Le Génie civil, 24 et 31 mai 1941, 205.
Le premier véhicule électrique Mildé-Kriéger quitte les ateliers d’un fabricant d’équipement électrique, Le Conducteur électrique blindé incombustible Société anonyme, je pense, et ce dès novembre. Si, novembre 1940. Votre humble serviteur n’est toutefois pas en mesure de dire s’il s’agit d’une fourgonnette de livraison ou de la version électrique de l’A 163, un coupé / demi-berline dite Type AEK.
Et non, le terme blindé qui se trouve au paragraphe précédent n’a rien à voir avec les véhicules blindés. Il fait référence à la protection donnée à un conducteur électrique.
Quoiqu’il en soit, Mildé, Kriéger et Baudot semblent avoir pas mal de difficultés à produire en série leurs véhicules. Ces difficultés ne semblent toutefois pas être liées aux exactions de l’occupant allemand. Nenni. Les bâtons placés dans les roues des trois hommes découlent en fait de l’indifférence de l’administration française. Remarquez, cette administration peut fort bien se trouver confrontée à une pénurie de matières premières, plomb et cuivre, destinées aux accumulateurs et dynamos.
Un autre problème potentiel tient à la nécessité de disposer d’un nombre suffisant de transformateurs externes et fixes à la fois lourds et encombrants, destinés aux bornes de recharge, je pense.
Quoi qu’il en soit, Mildé, Kriéger et Baudot ne semblent compléter que 100 à 125 Type AEK entre novembre 1940 (?) et juillet 1942, ce qui est bien peu. Ces véhicules circulent toutefois à Paris et dans d’autres grandes villes de France.
Passionné(e) d’automobile comme vous l’êtes, ami(e) lectrice ou lecteur, vous serez sans doute ravi(e) d’apprendre que cette automobile peut atteindre environ 40 kilomètres/heure (environ 25 milles/heure) et parcourir une distance d’environ 100 kilomètres (environ 60 milles), à une vitesse moins élevée bien sûr. Rien de bien impressionnant, je l’admets volontiers, mais suffisant pour la conduite urbaine.
Le hic, c’est que la Type AEK coute environ 70 % (!) plus cher que l’A 163, soit 42 500 francs en 1941, une somme qui correspond à environ 28 750 $ en devises de 2024. Une somme qui correspond à environ 5.5 années de salaire d’un ouvrier agricole français logé et nourri, ou près de 10 années de salaire d’une bonne à tout faire française logée et nourrie. Double wah!
Remarquez, une personne qui parcourt au fil des mois une distance d’environ 38 000 kilomètres (environ 23 500 milles) aurait économisé environ 13 300 francs en achats d’essence, à condition bien sûr qu’elle ou il ait pu en trouver. Et oui, ces 13 300 francs correspond à environ 9 000 $ en devises de 2024. De telles économies expliquent en bonne partie pourquoi de nombreuses Type AEK sont utilisées à Paris comme voitures taxis.
Mildé, Kriéger et Baudot supervisent par ailleurs la production d’un certain nombre de fourgonnettes de livraison électriques de Type WEK en 1942, des véhicules qui utilisent fort possiblement le châssis utilisé par la fourgonnette de livraison mentionnée plus haut. La pénurie de métaux cognant de plus en plus fort, les carrosseries de ces véhicules sont entièrement en bois. Ces carrosseries sortent apparemment des ateliers du grand carrossier parisien Henri Albert Maurice Chapron.
La susmentionnée mention de juillet 1942 en tant que date de fin la production de la Type AEK est significative. C’est en effet à ce moment-là que le Militärbefehlshaber in Frankreich, en d’autres mots le haut-commandement militaire allemand en France, ordonne au gouvernement xénophobe / traditionaliste / nationaliste / fantoche / collaborationniste / autoritaire / antisémite de Vichy d’interdire la production de véhicules électriques.
Les raisons derrière cet arrêt sont multiples : pénuries de plomb, cuivre et aluminium pour les accumulateurs, dynamos et carrosseries d’une part et coupures de courant à gogo d’autre part. Il va de soi que ces pénuries et coupures de courant découlent de l’occupation d’une bonne partie du territoire français par l’Allemagne national-socialiste.
Et oui, la production des fourgonnettes de livraison Mildé-Kriéger prend vraisemblablement fin en juillet 1942.
La fin de la production des véhicules électriques Mildé-Kriéger n’entraîne évidemment pas leur disparation des rues de diverses villes françaises. De fait, la fourgonnette de livraison standard semble être disponible sur le marché, en fort petit nombre, au moins jusqu’en 1948, comme l’indique la publicité suivante.
Publicité de la Société anonyme General Engineering de Liège, Belgique, concernant la vente de fourgonnettes de livraison Mildé-Kriéger. Anon., « Société anonyme General Engineering. » Englebert Magazine, janvier-février 1948, non paginé.
La Société Mildé-Kriéger peut avoir un véhicule en montre au Salon de l’automobile et du cycle de 1947, qui se tient en octobre et novembre. Compte tenu des nombreuses pénuries auxquelles la France est confrontée à l’époque, la direction peut avoir espéré que ses fourgonnettes électriques trouveraient des clients. Ces espoirs se révèlent finalement sans fondement, avec pour résultat que la Société Mildé-Kriéger fait discrètement faillite.
Quoi qu’il en soit, Kriéger accède au poste d’ingénieur conseil à la Société générale de constructions électriques et mécaniques au plus tard en juillet 1945. Il peut, je répète peut, devenir par la suite chef de facto du laboratoire central de ce géant industriel français alors mieux connu sous le nom d’Alsthom.
Alsthom, un géant connu en 2024 sous le nom d’Alstom Société anonyme.
Si, si, Alstom sans H. Alstom, la multinationale française qui produit le Citadis Spirit utilisé par OC Transpo, l’organisme chargé des transports urbains à Ottawa, Ontario.
Le Citadis Spirit est un véhicule léger sur rail dont l’utilisation, depuis septembre 2019, n’a certes pas été sans douleurs, ce machin, ainsi que les voies ferrées, tunnels et caténaires posant parfois problème, mais je digresse.
Kriéger décède à Paris en mai 1951, un peu avant son 83ème anniversaire.
Et c’est tout pour aujourd’hui. Je ne peux qu’espérer que vous avez aimé la promenade.
De fait, je vous prie d’excuser la longueur excessive de ce texte. Comme Tam Elbrun, un spécialiste betazoïde des premiers contacts et délégué de la Fédération des planètes unies, peut-être... que je me suis trop impliqué avec mon sujet, avec son histoire. Cela m’arrive. (Bonjour, EP et EG!)