Les trois jours du Spoutnik; ou, « Radio-Moscou admet que le chien tournant autour de la terre dans le satellite ne reviendra jamais » : Laïka, Spoutnik 2 et la presse quotidienne du Québec, partie 1
C’est avec une certaine trépidation que votre humble serviteur aborde le sujet de cette semaine, ami(e) lectrice ou lecteur. J’éprouve en effet un certain inconfort à l’idée d’aborder un sujet lié à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) alors que le pays successeur de cette dangereuse dictature, une autre dangereuse dictature, la Russie poutinienne, poursuit une guerre injustifiée et injustifiable contre l’Ukraine. Khay zhyve, vil’na Ukraïna!
Votre humble serviteur aimerait aborder cette semaine un aspect de la course à l’espace soviéto-américaine, un élément crucial de l’histoire de la Guerre froide (Bonjour, EG, EP et VW!). Plus particulièrement, j’aimerais aborder cet aspect par le biais d’articles destinés au segment majeur de la population de ce qui peut être décrit comme une société occidentale périphérique.
Plus précisément, cette édition de notre incroyaable blogue / bulletin / machin se penchera sur la façon dont les quotidiens de langue française de Montréal, Québec, et Québec, Québec, traitent le lancement de Spoutnik 2 et de Laïka, le premier être vivant autre qu’un microorganisme à être placé en orbite autour de notre planète.
En 1957, le Québec est une société industrialisée quoique très profondément conservatrice dirigée par un premier ministre autoritaire (autocratique??) et autonomiste / nationaliste, Maurice Le Noblet Duplessis, un individu peu partisan du syndicalisme, sécularisme, progressisme, modernisme, libéralisme, etc. L’église catholique, apostolique et romaine, elle-même peu adepte du libéralisme, modernisme, progressisme, sécularisme, etc., contrôle les systèmes de santé, éducation et aide sociale qui desservent la majorité francophone (environ 82 %) de la population québécoise. Le règne de Duplessis (1936-39 et 1944-59), intolérant à la dissidence et de plus en plus entaché de clientélisme, favoritisme et populisme, un trio de ismes que Duplessis semble aimer, sans parler de la corruption, est souvent décrit comme la Grande noirceur.
Duplessis, si vous avez vraiment besoin de le savoir, est mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis janvier 2018, mais revenons au sujet à l’étude.
Et oui, vous m’avez eu. La photographie au début de cet article ne provient pas réellement du numéro du 13 novembre 1957 d’un quotidien publié à Washington, District de Columbia, The Evening Star. Nenni. Elle est issue du numéro de février 1958 du mensuel américain Astronautics, plus précisément d’un article intitulé, en traduction, « Vie dans le Spoutnik » d’un biologiste soviétique, un certain P. Isakov. La photo se trouve sur la page 38 si vous ne me croyez pas. J’ai choisi de l’utiliser parce que, eh bien, elle a une meilleure apparence. Que ne ferais-je pas pour vous, ami(e) lectrice ou lecteur?
La triste histoire de Spoutnik 2, ou Prosteyshiy Sputnik 2 (Satellite le plus simple 2), commence peu après le lancement de Spoutnik 1, le 4 octobre 1957. Réalisant à quel point le lancement de ce premier satellite artificiel a accru la réputation de l’URSS et du communisme, Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev ordonne à l’ingénieur Sergueï Pavlovitch Korolev de lancer un second satellite avant les cérémonies entourant le 40ème anniversaire de la révolution russe de 1917 qui, rappelons-le, débute le 7 novembre 1917. Ce lancement, martèle le premier secrétaire du Kommunistítcheskaïa Pártiïa Soviétskogo Soyoúza, démontrerait encore une fois la supériorité de la technologie soviétique et partant, de son régime politique.
Korolev est sidéré mais l’échec n’est pas une option.
Ce diktat khrouchtchevien semble être officialisé le 12 octobre.
Et non, je ne vous dirai pas quand Khrouchtchev, un autre pas bon, est mentionné dans notre vous savez quoi. Le père du programme spatial soviétique, quant à lui, est mentionné à plusieurs reprises depuis juillet 2018, mais revenons de nouveau à notre récit.
Si un successeur à Spoutnik 1 est déjà en cours de fabrication, Korolev sait fort bien que ce vaisseau spatial sophistiqué ne serait pas prêt à être lancé au début de novembre. De fait, Spoutnik 3 n’est placé en orbite qu’en mai 1958.
Korolev et son équipe commencent par conséquent à travailler sur un satellite moins sophistiqué, et ce à vitesse grand V. Conscient de l’importance d’accroître l’impact médiatique de leur projet, ils décident rapidement de tirer profit d’un programme de vols suborbitaux lancé en 1951. Le dit programme a pour objectif de vérifier si le vol dans l’espace avec des êtres humains est possible. Les passagers des fusées utilisées pour ces vols sont des chiens.
Et oui, leur retour au sol est prévu, grâce à un système de parachute. Suite à un écrasement lors du second vol, en juillet 1951, dans lequel périssent Desik et Lisa, les premières victimes de la course à l’espace, un Korolev fort affecté demande qu’un système d’éjection d’urgence soit placé à bord des fusées.
Pour une raison ou une autre (manque de temps?), le passager canin du second satellite soviétique ne disposerait pas de tels systèmes de récupération. Les concepteurs de la capsule de ce passager peuvent, je répète peuvent, avoir empoisonné la dernière portion de nourriture de sa mangeoire automatique afin de mettre fin à sa vie rapidement et sans douleurs, lui évitant ainsi de mourir de soif ou de manque d’oxygène.
Ce cosmonaute canin est un chien femelle trouvée (en 1957?) dans les rues de Moscou. Les scientifiques soviétiques préfèrent en effet utiliser des chiens errants qui, selon eux, ont appris à endurer des conditions de froid et faim extrêmes. Ils utilisent par ailleurs des chiens femelles pour des raisons de docilité et parce qu’il est peut-être plus facile de concevoir le système de récupération des déchets solides et liquides pour un chien femelle que pour un chien mâle.
Ce qui me rappelle 2 lignes de dialogues du film de science-fiction horrifiant quelque peu décevant de 1995 Espèces / La Mutante, un film dont l’intrigue implique un groupe de scientifiques et agents gouvernementaux américains essayant de retrouver une hybride extraterrestre-humaine belle à mourir que les premiers ont créé dans un laboratoire très secret, et ce avant qu’elle n’ait un coït avec un Home sapiens mâle et produise des bébés qui pourraient finir par anéantir l’humanité.
Personnage 1 - Nous avons décidé de la rendre femelle afin qu’elle soit plus docile et contrôlable.
Personnage 2 - Plus docile et contrôlable, hein? Vous ne sortez pas souvent, vous autres.
Soit dit en passant, le rôle de l’hybride est tenu par la mannequin canadienne belle à mourir et trop souvent nue Natasha Tonya Henstridge, mais je digresse.
Le personnel qui assure la formation des chiens femelles du programme soviétique donne apparemment plus d’un nom à l’animal assigné à Spoutnik 2 après un sérieux processus d’élimination, soit Joutchka, Kudryavka et Limontchik. C’est toutefois sous le nom de Laïka que cet animal devient connu de par le monde.
Une fusée soviétique place Spoutnik 2 en orbite le 3 novembre 1957, heure locale – et le 2 novembre, heure d’Ottawa, Ontario. La nouvelle fait l’effet d’une bombe de par le monde, et ce même si des médias soviétiques mentionnent la mise en orbite d’un chien depuis un certain temps – quelques semaines peut-être. Mieux encore, ils révèlent le nom de ce cosmonaute canin, soit Kudryavka, avant même la fin octobre. Croiriez-vous que, fin octobre, début novembre, le radiodiffuseur d’état soviétique Radio Moskva diffuse ses aboiements?
Et oui, désormais conscient de l’intérêt du grand public pour les chose de l’espace, le gouvernement soviétique entend bien presser ce citron jusqu’au dernier pépin.
Cela étant dit (tapé?), il ne semble pas s’être départi de son penchant pour les demi-vérités et mensonges. L’annonceur de Radio Moskva affirme en effet que Kudryavka a participé avec succès à quelques vols suborbitaux, ce qui est archi faux. Reste à savoir si le toutou que l’annonceur peut avoir rencontré dans le laboratoire où se déroule sa formation est véritablement Kudryavka.
Autre exemple de pressage de citron avant que je ne l’oublie. À Rome, Italie, le quotidien officiel du Partito Comunista Italiano, l’Unita, publie une photographie d’un des chiens de l’espace soviétiques au tout début de novembre. Ce portrait de Linda accompagne un texte selon lequel un satellite transportant au moins un chien va être lancé le 5 novembre. Soit dit en passant, Linda effectue un vol suborbital en juin 1955. Sa compagne, Rita, ne survit malheureusement pas à cette expérience, mais revenons à Spoutnik 2 et Kudryavka / Laïka.
Soit dit en passant, la propagande soviétique adore souligner que Spoutnik 2 est un tantinet plus lourd que Spoutnik 1. Il fait en effet osciller la balance à environ 508 kilogrammes (environ 1 121 livres), contre environ 84 kilogrammes (environ 184 livres) pour son prédécesseur.
Mieux encore, l’étage principal de la fusée peut, je répète peut, demeurer attaché à Spoutnik 2, ce qui n’était pas prévu, ce qui revient à dire que l’URSS parvient à placer en orbite un objet pesant environ 7 800 kilogrammes (environ 17 200 livres) qui fait environ 34 mètres (environ 112 pieds) de long.
À l’époque, les Etats-Unis n’ont pas encore placé en orbite ne serait-ce qu’un pamplemousse. (Bonjour, EP!) Humiliation mur à mur. Désolé.
Et ce n’est pas tout. Nenni. Loin de là. Le 4 novembre, divers quotidiens québécois rapportent l’entrée en service, le jour précédent, d’un géant des airs, le plus gros « aérobus » au monde, le Tupolev Tu-114 Rossiya, un mastodonte (Bonjour, chanceuse EP qui est allée en Nouvelle-Écosse!) quadrimoteur turbopropulsé pouvant transporter jusqu’à 220 passagères et passagers.
Cette annonce est en fait un mensonge éhonté. Le prototype du Tu-114 n’effectue en effet son premier vol que vers la mi-novembre 1957. Pis encore, cet avion de ligne destiné au transporteur aérien soviétique, Aeroflot, n’entre en service qu’avril 1961.
En guise de comparaison, les bien plus rapides avions de ligne à réaction américains Boeing Modèle 707 et Douglas DC-8 entrent en service en octobre 1958 et septembre 1959. Ces deux classiques de la Guerre froide sont fabriqués à environ 1 420 exemplaires, comparé à un peu plus de… 30 exemplaires pour le Tu-114.
Incidemment, les pilotes et équipages d’Aeroflot commencent à exploiter le premier avion de ligne à réaction soviétique, le second avion de ligne à réaction opérationnel au monde au fait, le Tupolev Tu-104, en septembre 1956. Environ seulement 200 de ces aéronefs sujets aux accidents, mortels dans la plupart des cas, entrent en service, mais revenons à Spoutnik 2.
Voyons à quoi ressemblent des gros titres qui se retrouvent en première page de quotidiens du Québec publiés à Montréal et Québec le 4 novembre :
Le Soleil de Québec : « Fusée russe en route vers la Lune? »
La Presse de Montréal : « Le Spoutnik II poursuit sa course »
Le Devoir de Montréal : « Confirmant de façon décisive son avance sur le plan scientifique, l’URSS lance un deuxième satellite »
Si La Patrie de Montréal place elle aussi son article sur Spoutnik 2 en première page, un article intitulé « Le hold-up de St-Cuthbert éclairci – La haute taille d’un bandit mène à 4 arrestations » tient une place aussi importante que « ’Frisée’ se porte bien à bord du spoutnik II. » Cela étant dit (tapé?), deux photographies d’un chien femelle identifié comme étant la dite Frisée, affirme le quotidien, accompagnent le dit texte.
Les voici.
Deux chiens femelles du programme spatial soviétique. Anon., « ’Frisée’ se porte bien à bord du spoutnik II. » La Patrie, 4 novembre 1957, 1.
Pour répondre à la question qui commence à ricocher dans votre petite caboche, le terme Frisée est dérivé du susmentionné mot russe Kudryavka, qui signifie petite frisée.
Il est à noter que La Patrie offre à son lectorat une photographie de membres du personnel de la Glavnaya Astronomicheskaya Observatoriya Akademii Nauk SSSR, autrement dit du principal observatoire astronomique de l’académie des sciences de l’URSS, près de Leningrad. Ayant trouvé ailleurs une version de meilleure qualité de la dite photographie, votre humble serviteur a choisi de l’offrir à votre plus grand plaisir.
Il n’y a pas de quoi.
Membres du personnel de la Glavnaya Astronomicheskaya Observatoriya Akademii Nauk SSSR occupés à observer Spoutnik 2, Pulkovo, URSS. Anon., « Sputnik II through Russian eyes. » Astronautics, janvier 1958, 49.
L’Action catholique de Québec, quant à elle, place son article sur Spoutnik 2, « Après des chiens, des gorilles seraient lancés dans l’espace, » en première page en compagnie d’un texte intitulé « De nouvelles concessions fiscales aux provinces? »
Montréal-Matin de… Montréal fait cavalier seul en publiant son article en page 3 : « Les savants espèrent le ramener sur notre planète – Un chien tourne autour de la terre à bord d’un nouveau satellite russe ! » Ce quotidien préfère en effet placer en première page un sujet un peu plus local : « Tragique incendie – 2 morts, rue Stanley. »
Si votre humble serviteur n’a pas l’intention de passer en revue tous les articles sur Spoutnik 2 et Laïka parus dans la presse québécoise, permettez-moi de noter, par ordre alphabétique, les titres de ceux qui paraissent en première page d’un important quotidien montréalais, La Presse, le 4 novembre :
« Une autre défaite de l’Occident »
« La chienne Laïka toujours vivante »
« Comparaison des deux satellites soviétiques »
« Fusée partie vers la Lune? »
« Nécessité de repenser nos valeurs, déclare l’hon. L. B. Pearson »
« Le satellite, acquisition pour le monde »
« Le signal de Spoutnik no 2 entendu hier »
« Le Spoutnik II en Amérique du Nord »
« Spoutnik II visible à Toronto demain matin »
« Urgence de reviser [sic] le programme de défense aux E.-Unis »
« Volontaires refusés par les Soviets »
Maintenant, qui est le L. B. Pearson mentionné il y a quelques secondes? L’ancien secrétaire d’état aux Affaires extérieures du Canada (1948-57), ancien président de l’Assemblée générale des Nations unies (1952-53) et lauréat du Prix Nobel de la paix (1957) Lester Bowles « Mike » Pearson, un gentilhomme mentionné quelques / plusieurs fois dans notre blogue / bulletin / machin depuis juin 2019, vous dites (tapez?). Très bien. Maintenant continuons.
Le quotidien offre par ailleurs à son lectorat 3 photographies. L’une d’entre elles ne montrant qu’un enregistrement des signaux radio envoyés par Spoutnik 1 et Spoutnik 2, j’ai cru bon de ne pas vous la présenter.
Il n’y a pas de quoi.
Voici les deux autres.
Séance de photographie lors d’une conférence de presse au cours de laquelle les autorités soviétiques présentent quelques chiens de l’espace, Moscou. Anon. « Le Spoutnik II poursuit sa course. » La Presse, 4 novembre 1957, 1.
Dessin montrant les trajectoires des satellites soviétiques Spoutnik 1 et Spoutnik 2. Il s’agit en fait d’une version partiellement francisée d’un dessin créé par l’agence de presse américaine Associated Press Incorporated. Anon., « Le parcours des deux satellites artificiels. » La Presse, 4 novembre 1957, 1.
Oh, et il y a un tout petit article, en bas de cette première page, dans La Presse du 4 novembre, intitulé « Insectes dans un satellite des E.-U. » Pour autant que votre humble serviteur puisse le dire, le contenu de cet article s’avère inexact. Les petits arthropodes ne sont pas au menu du programme spatial américain en 1957-58 mais ils pourraient être au vôtre, littéralement, avant trop, trop longtemps. Bon appétit. Désolé.
Et oui, certains des articles qui touchent à Spoutnik 2 sont parfois un peu difficile à… avaler. Désolé. Un ancien signaleur de la United States Army demeurant à Saint-Laurent, Québec, non loin de Montréal, prétend par exemple avoir capté les signaux du satellite à 2 reprises au cours de la soirée du 3 novembre, et ce à l’aide d’un téléviseur à peine modifié. Je ne plaisante pas. À chaque reprise, il téléphone à une station de radio locale et place le combiné près du hautparleur du dit téléviseur pour que des employés de cette station soient en mesure d’entendre le signal du satellite.
Basil Goldman dans sa résidence avec son téléviseur, Saint-Laurent, Québec. Anon. « Dans le 'Spoutnik' - Le message de 'Spoutnik II' capté à St-Laurent. » Montréal Matin, 5 novembre 1957, 15.
Un petit oiseau me dit que cette personne s’appelle Basil Goldman. Ce résident de Saint-Laurent affirme en effet être parvenu à régler son téléviseur de manière à pouvoir capter les signaux émis par Spoutnik 2.
Dans un tout autre ordre d’idée, il est à noter qu’un des 4 éditoriaux parus dans La Presse du 4 novembre s’intitule « Un autre satellite est créé. » Son auteur note évidemment la présence de Laïka dans l’espace interplanétaire, un « prélude aux voyages entrepris par des hommes, quelque jour, dans ces régions soustraites presque totalement jusqu’ici aux connaissances humaines. »
Et oui, le mot hommes laisse de côté plus de la moitié de la population humaine de la planète Terre. N’est-il pas (tristement?) amusant de voir que des Homo sapiens mâles se considèrent comme le paramètre par défaut de notre espèce?
S’il est vrai que la science ne connaît pas de frontières et que la valeur de la réussite soviétique est à noter, « il est regrettable, pour le prestige des États-Unis, qu’ils aient été devancés dans ce domaine des recherches. » Pis encore, « le lancement des deux satellites soviétiques présuppose des connaissances qui peuvent être utilisées pour la fabrication de projectiles balistiques. » Les pays occidentaux ont certes à s’inquiéter des progrès accomplis par l’URSS.
Oserai-je mentionner que l’URSS a certes à s’inquiéter des progrès accomplis par les États-Unis en matière de projectiles balistiques, de missiles balistiques intercontinentaux plus précisément? Après tout, si le missile Korolev 8K71 / R-7 Semyorka entre en service en 1959, le Convair SM-65 Atlas américain entre en service en… 1959. Trop controversé, vous dites, bienveillant(e) ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez probablement raison. Je n’oserai donc pas.
Poursuivant sa pensée, l’éditorialiste note que ces progrès en matière de projectiles balistiques ont provoqué une amorce de revirement de la politique américain en matière de recherche scientifique. Le gouvernement américain songerait en effet à échanger des informations avec des pays amis / alliés, abandonnant ainsi son isolationnisme. L’éditorialiste conclut son texte en se demandant si un tel échange d’informations, amorcé plus tôt, aurait permis aux États-Unis d’éviter la perte de prestige causée par les lancements des satellites soviétiques.
De fait, James Geoffrey « Geoff » Notman, président de Canadair Limited de Cartierville, Québec, et président de la Air Industries and Transport Association of Canada, affirme à Québec, Québec, le 4 novembre, lors de la réunion annuelle de cette association, que les satellites soviétiques présentent un défi à la technologie occidentale et, plus encore, à la suffisance des pays occidentaux qui n’ont certes plus le monopole en matière de haute technologie.
Et oui, Canadair, une des plus importantes avionneries canadiennes de la période de la Guerre froide, est mentionné à moult reprises dans notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis belle lurette, depuis février 2018 en fait.
Le plus important quotidien de Québec, Le Soleil, quant à lui, aborde l’aspect canin de la mise en orbite de Spoutnik 2. Un article paru en première page le 4 novembre s’intitule en effet « Le sort imposé à Frisée ne scandalise pas les vétérinaires de Québec. » Un vétérinaire de Lévis, Québec, Édouard Roy, par exemple, souligne que « Le chien demeure le cobaye de la médecine et il est logique que la science l’ait employé pour confronter sa résistance, la plus près de celle de l’être humain. »
Votre humble serviteur doit avouer être surpris par un tel commentaire. J’aurais cru qu’un chimpanzé aurait fait mieux l’affaire. De fait, c’est à de tels cousins de Homo sapiens que le programme spatial américain fait appel pour vérifier si le vol dans l’espace avec des êtres humains est possible.
Le président de la Toronto Humane Society de… Toronto, Ontario, Fraser Grant, semble partager l’opinion de Roy et du quotidien québécois. En autant que le confort, la nutrition et la survie de l’animal soient assurées, « Il n’appartient pas aux sociétés de protection des animaux d’empêcher des recherches aussi vitales et aussi importantes sur les voyages dans l’espace. »
Cette opinion n’est certes pas partagée par tout le monde. Un article publié dans Le Soleil souligne en effet qu’une organisation britannique, la National Canine Defence League, adresse une lettre à l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS au Royaume-Uni, Iakov Aleksandrovitch Malik. Il n’y a pas de raison justifiant l’envoi d’un chien dans l’espace, affirme la ligue.
Sa direction demande en fait aux amies et amis des chiens du monde entier d’observer une minute de silence quotidienne en signe de sympathie avec le chien femelle soviétique.
Le 4 novembre, le premier secrétaire de l’ambassade de l’URSS accueille des représentant(e)s de la National Canine Defence League, mais pas les 2 boxeurs qui les escortent. Des boxeurs, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Si, si, une paire de boxeurs – et nous ne parlons pas (tapons pas?) de sous-vêtements ici. Je suis aussi perplexe que vous, mais revenons à notre histoire.
Youri Ivanovitch Modine indique aux représentant(e)s de la National Canine Defence League que le vol dans l’espace de Laïka a pour objectif de vérifier si le vol dans l’espace avec des êtres humains est possible, et…
Vous semblez soudainement bien agitée, ami(e) lectrice ou lecteur. Le nom de Modine vous dit quelque chose? Il devrait. Au début des années 1950, cet agent des tristement célèbres Ministerstvo Gosudarstvennoy Bezopasnosti SSSR (MGB) et Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti (KGB) est le contrôleur d’agent de 5 (ou 4?) traitres britanniques qui fournissent alors des informations confidentielles / secrètes / ultrasecrètes à l’URSS, soit Anthony Frederick Blunt, Guy Francis de Moncy Burgess, John Cairncross (?), Donald Duart Maclean et Harold Adrian Russell « Kim » Philby.
Croiriez-vous que c’est par les bons offices de Modine que Burgess et Maclean déguerpissent vers l’URSS, en 1951, peu avant que ceux-ci ne soient arrêtés?
Et non, je ne vous dirai pas quand les MGB et KGB sont mentionnés dans notre vous savez quoi.
Et oui, la American Society for the Prevention of Cruelty to Animals (ASPCA) dénonce elle-aussi l’envoi dans l’espace de Laïka. De fait, le United States Department of State doit faire parvenir des lettres de protestations de la ASPCA au gouvernement soviétique.
Un court texte publié en première page du quotidien montréalais Le Devoir intitulé « Pauvre toutou » mentionne tant la réaction de la National Canine Defence League que celle de la ASPCA. Des textes parus dans un autre quotidien de la métropole du Canada, La Patrie, les mentionnent également.
Ni l’un ni l’autre de ces groupes de protections des animaux sait que Laïka va périr dans l’espace, d’autant plus que, pour citer le titre d’un article paru dans Le Soleil, « Les Russes tenteront de ramener la chienne vivante sur la terre. »
Avant que je ne l’oublie, Le Devoir offre par ailleurs à son lectorat une version légèrement tronquée d’une photographie d’origine soviétique pour accompagner son édition du 4 novembre. La version non tronquée de la dite photographie paraît en première page de L’Action catholique. La voici…
Un chien femelle décrit comme étant Laïka peu après de son retour d’un vol suborbital. Anon., « Expérience russe. » L’Action catholique, 4 novembre 1957, 1.
Une autre photographie d’origine soviétique paraît quant à elle dans Montréal-Matin.
Un chien femelle décrit comme étant Laïka portant une sorte de scaphandre. Anon., « Un chien tourne autour de la terre à bord d’un nouveau satellite russe! » Montréal-Matin, 4 novembre 1957, 3.
Les deux chiens femelles décrits comme étant Laïka semblent en fait être d’autres membres de l’équipe de chiens de l’espace soviétiques.
Vous avez vu cette photographie il y a quelques instants, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Eh bien, je suppose que vous avez raison. Désolé pour ça. Ou pas.
Une assez longue digression si vous me le permettez. Le 3 novembre, Montréal-Matin publie un texte concernant le renvoie de ses fonctions d’un certain Youri Sergueïevitch Khlebtsevitch, ex-président d’un comité technique sur le guidage de fusées par le moyen de signaux radio et de télévision.
Quelle est la faute, oserai-je dire (taper?) le péché original, commis par ce chercheur actif au paradis du prolétariat, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Khlebtsevitch a supervisé la production d’un dessin animé, apparemment présenté en URSS et à l’étranger, qui montre une mission spatiale vers la Lune qui inclut l’alunissage en douceur d’une sonde qui porte un petit véhicule d’exploration radiocommandé depuis la Terre.
Remarquez, Khlebtsevitch publie par ailleurs un article dans un numéro de 1956 de Tekhnika-Molodezhi, un magazine de science / technologie populaire destiné à la jeunesse publié depuis 1933, et un autre, en 1957, dans un numéro de Znaniye- Sila, un magazine de vulgarisation scientifique publié depuis 1926. L’un ou l’autre de ces articles peuvent, je répète peuvent, aborder ce concept.
Un article publié en 1957 dans Komsomol’skaïa Pravda, le quotidien officiel de la Vsessoïouzny Leninski Kommounistitseski Soïouz Molodioji, l’organisation de la jeunesse du Kommunistítcheskaïa Pártiïa Soviétskogo Soyoúza, aborde le dit concept on ne peut plus clairement, si ce n’est que brièvement. Khlebtsevitch y suggère que l’alunissage d’un tel véhicule pourrait avoir lieu entre 1965 et 1971.
Cette idée, jugée fantastique en 1957, d’où le limogeage de son auteur, ressemble en fait étrangement à la mission qui voit la sonde soviétique Luna 17 se poser en douceur sur la Lune en… septembre 1970. Celle-ci ayant déployé une double rampe, un petit véhicule d’exploration radiocommandé depuis la Terre commence à se déplacer sur la Lune – une première mondiale.
Conçu pour fonctionner pendant environ 90 jours, Lunokhod 1 tient le coup pendant plus de 300 jours, soit jusqu’en septembre 1971, après avoir parcouru une distance d’environ 10.55 kilomètres (6.55 milles), après avoir effectué 25 analyses de sol lunaire, et après avoir pris plus de 20 000 images de télévision et plus de 200 panoramas à haute résolution.
Khlebtsevitch décède malheureusement en 1966, l’année pendant laquelle le concept préliminaire du Lunokhod est approuvé. Il a à peine 60 ans environ. Il y a fort à parier qu’il n’a pas la moindre idée de ce qui se prépare, ce qui est bien dommage.
Votre humble serviteur va en fait ajouter à votre déception en concluant par la présente la première partie de cet article sur Laïka et Spoutnik 2.
Et oui, vous avez parfaitement raison, des journalistes contactent l’astronome fédéral du Canada, un gentilhomme mentionné dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2020, afin d’obtenir son opinion. « Je ne sais pas si nous devrions être surpris de quoi que ce soit maintenant, affirme Carlyle Smith Beals, en traduction. J’en doute. » Cela étant dit (tapé?), il affirme être un tantinet surpris par la date du lancement. Beals et plusieurs autres s’attendaient à ce que le satellite soviétique soit placé en orbite lors du 40ème anniversaire de la révolution russe de 1917 qui, rappelons-le, débute le 7 novembre, et non pas le 3 novembre.
À la revoyure.