« Lector, si monumentum requiris, circumspice. » – En souvenir de Robert William « Bob » Bradford (1923-2023), partie 1
C’est avec une profonde tristesse que je débute ce numéro de notre blogue. En effet, j’avais espéré que l’individu remarquable au cœur de celui-ci aurait pu lire cette commémoration de son 100ème anniversaire – et suggérer une ou deux améliorations dans son style inimitable et très courtois. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.
Robert William « Bob » Bradford et son frère jumeau James « Jim » Bradford sont nés à Toronto, Ontario, le 17 décembre 1923, vingt ans jour pour jour après le premier vol soutenu et contrôlé d’un aéroplane motorisé, effectué par les frères Wright à Kitty Hawk, Caroline du Nord.
Bradford et son frère développent leur amour du dessin et de la peinture en suivant des cours le samedi matin à la Art Gallery of Toronto.
Même si Bradford étudie ensuite à temps partiel au Ontario College of Art, également à Toronto, on pourrait affirmer qu’il est un artiste autodidacte – et spectaculairement doué en plus.
À la fin des années 1930, Bradford travaille pour Easybuilt Model Airplane Company de Toronto, où il conçoit et fabrique pour les jeunes des avions en bois de balsa propulsés par des élastiques.
Il prend sa première leçon de pilotage à l’âge de 17 ans. À cette époque, le monde est en guerre.
Bradford et son frère se joignent ensemble à l’Aviation royale du Canada (ARC) à l’âge de 18 ans et deviennent pilotes.
Bradford est un des quelque 130 000 pilotes, navigateurs, mitrailleurs, etc., venus de tout le Commonwealth et au-delà, qui apprennent leur métier entre 1940 et 1945 dans les nombreuses écoles spécialisées du Plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique, une des plus grandes contributions du Canada à la victoire des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale.
Incidemment, Bradford apprend à piloter dans une école de pilotage élémentaire, plus précisément à l’École de pilotage élémentaire n° 6, située à la base de l’ARC de Prince Albert, près de la ville de Prince Albert, Saskatchewan. Les aéronefs sur lesquels il s’entraîne sont des de Havilland Tiger Moth, un type d’aéronef représenté dans la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Bradford est diplômé d’une école de pilotage militaire, probablement l’École de pilotage militaire n° 19, située à la base de l’ARC de Vulcan, près de la petite ville de Vulcan, Alberta. Les aéronef sur lesquels il s’entraîne sont apparemment des Avro Anson, un autre type d’aéronef représenté dans la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Le lieutenant d’aviation Robert William Bradford de l’Aviation royale du Canada, près de Blackburn, Angleterre, été 1944. MAEC, 13809.
Bradford est affecté outre-mer en mars 1944 et devient pilote d’état-major dans la Royal Air Force. De fait, il est en poste sur l’île de Man, Angleterre.
Bradford est grièvement blessé en novembre dans un accident d’aéronef et passe quelques mois à l’hôpital. Il est sur le point de reprendre ses fonctions opérationnelles à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
De retour à Toronto, Bradford retourne chez Easybuilt Model Airplane et suit des cours du soir au Ontario College of Art.
Bradford rejoint le personnel d’une importante avionnerie, A.V. Roe Canada Limited de Malton, Ontario, en 1949, où il travaille comme illustrateur technique.
Le travail de Bradford en tant qu’artiste non aéronautique est reconnu par le comité qui organise une exposition d’art contemporain à Toronto en 1951 (?) que je n’ai pas pu identifier. Cette exposition est effectivement très importante : des œuvres de cinq membres du célèbre Groupe des Sept sont exposées.
Une autre importante avionnerie, de Havilland Aircraft of Canada Limited (DHC) de Downsview, Ontario, engage Bradford comme illustrateur de projet en 1953. Il devint illustrateur en chef au département des publications de la firme en 1956 et y reste apparemment jusqu’en 1966, une année très important dans la vie de ce personnage principal de notre histoire.
Avant d’en arriver là, cependant, regardons quelques publicités comprenant des œuvres d’art réalisées par Bradford.
Une publicité typique de de Havilland Aircraft of Canada Limited qui montre le prototype du de Havilland Canada Otter. Anon., « De Havilland Aircraft of Canada Limited. » The Aeroplane, 17 avril 1953, 22.
Une publicité typique de de Havilland Aircraft of Canada Limited qui montre une version de pulvérisation agricole du de Havilland Canada Beaver. Anon., « De Havilland Aircraft of Canada Limited. » Flight, 22 octobre 1954, 21 (page publicitaire).
Une publicité typique de de Havilland Aircraft of Canada Limited qui montre un de Havilland Canada Caribou. Anon., « De Havilland Aircraft of Canada Limited. » Flight, 6 février 1959, entre les pages 180 et 181.
Une publicité typique de de Havilland Aircraft of Canada Limited qui montre un de Havilland Canada Otter exploité par la Gendarmerie royale du Canada lors d’une opération de sauvetage en janvier 1959 dans le Nord canadien. Anon., « De Havilland Aircraft of Canada Limited. » Flight, 5 juin 1959, 3ème couverture.
En 1961, le conservateur fondateur du Musée national de l’aviation récemment créé à Ottawa, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, tombe sur un calendrier de 1962 produit par Rolph-Clark-Stone Limited de Toronto. Ce calendrier comprend 4 tableaux de Bradford, dont celui d’un biplan d’entraînement Curtiss JN-4 Canuck utilisé pour former des pilotes au Canada pendant la Première Guerre mondiale. Kenneth Meredith « Ken » Molson est impressionné.
Molson est tellement impressionné qu’il charge Bradford de réaliser une série de peintures sur certains des faits saillants des débuts de l’aviation canadienne. Cela amène Molson à encourager l’artiste à quitter DHC et rejoindre le musée, ce qu’il fait en 1966 pour devenir conservateur adjoint.
À cette époque, le Musée national de l’aviation est situé dans la nouvelle aérogare de l’aéroport d’Uplands, aujourd’hui l’aéroport international Macdonald-Cartier d’Ottawa, lorsqu’il ouvre ses portes au public en octobre 1960.
Incidemment, la série de peintures naît du constat que chaque représentation photographique des premières années de l’aviation au Canada est en noir et blanc.
Molson espère que Bradford serait capable de réaliser 4 peintures par an et de continuer pendant quelques années. Malheureusement, le programme artistique prend fin en 1967.
Et voici quelques-unes des 16 (?) œuvres d’art précises et attrayantes réalisées entre 1962 et 1966-67.
Avro Canada C-102 Jetliner (vers 1962, aquarelle sur carton), qui représente le seul et unique avion de ligne à réaction Avro Canada C-102 Jetliner, Malton, Ontario, août 1949. MAEC, 1967.0887.
Canadian Vickers Vedette Mk Va over Montreal (vers 1963, aquarelle sur carton), qui représente un hydravion Vickers Vedette exploité par les Opérations aériennes civiles gouvernementales du ministère de la Défense nationale, Montréal, Québec, vers 1930. MAEC, 1967.0897.
John Webster in the King’s Cup Race (vers 1964, aquarelle sur carton), qui représente l’avion léger / privé Curtiss-Reid Rambler piloté par John Clarence Webster, Junior, lors de l’édition de 1931 de la King’s Cup Race, Angleterre, juillet 1931. MAEC, 1967.0898.
A.E.A. Silver Dart (vers 1965, acrylique sur carton), qui représente le premier vol de l’Aerial Experiment Association Aerodrome No 4 Silver Dart en sol canadien, Baddeck, Nouvelle-Écosse, février 1909. MAEC, 1967.0893.
Curtiss HS-2L Flying Boat (vers 1966, acrylique sur carton), qui représente un Curtiss HS-2L de la Commission de l’air du Canada utilisé pour le premier vol transcanadien, Rivière-du-Loup, Québec, octobre 1920. MAEC, 1967.0885.
En date de 1966, la collection d’aéronefs du Musée national de l’aviation avait fusionné avec celles de l’ARC et du Musée canadien de la guerre, basé à Ottawa, pour former la Collection aéronautique nationale. Cette collection fusionnée, ouverte au public en mai 1965, devient partie intégrante du Musée national des sciences et de la technologie, à Ottawa, un musée national du Canada fondé en 1967.
Soit dit en passant, cette institution muséale est un des musées nationaux qui forment la Société des musées nationaux du Canada, une société d’état créée au printemps 1967.
À l’époque, la Collection aéronautique nationale se trouve dans des hangars en bois datant de la Seconde Guerre mondiale, situés sur le terrain de la base de l’ARC de Rockcliffe, à Rockcliffe, Ontario.
Bradford devient conservateur de la Division aviation et espace du Musée national des sciences et de la technologie en 1967, lorsque Molson prend sa retraite.
Il convient de noter que les activités quotidiennes d’un conservateur de musée national du Canada étaient et sont toujours extrêmement variées. Cet individu peut passer des journées à écrire des textes d’exposition que des spécialistes du développement créatif déconstruisent gentiment, des heures à escorter des groupes de personnalités très importantes qui préféreraient être ailleurs, ou des minutes à répondre aux questions souvent étonnamment perspicaces de groupes d’enfants de 6 ans.
D’autres activités peuvent cependant être un peu plus inhabituelles. Il suffit de mentionner un vol en montgolfière effectué le 29 juin 1968 sur le terrain du Musée national des sciences et de la technologie par Bradford et le pilote du Spirit du Canada, la première montgolfière immatriculée au Canada, Stanley John Sheldrake.
La première montgolfière immatriculée au Canada en vol au-dessus du Musée national des sciences et de la technologie, Ottawa, Ontario, le 29 juin 1968. Un ravi Robert William Bradford, conservateur de la Division de l’aviation et de l’espace de cette institution muséale, vole ce jour-là avec le pilote du Spirit of Canada, Stanley John Sheldrake. Anon., « Up, up, up and away. » The Ottawa Citizen, 2 juillet 1968, 10.
Incidemment, Spirit of Canada transporte également environ 300 enveloppes commémorant ce vol ainsi que celui réalisé à Ottawa, Canada-Ouest, en juin 1858 par le célèbre aéronaute / inventeur américain Thaddeus Sobieski Constantine Lowe. Ce vol en ballon, effectué avec un ballon à gaz soit dit en passant, est le premier jamais réalisé à Ottawa.
Il est à noter que Spirit of Canada est une des machines volantes de l’incroyable collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
En septembre 1968, Bradford prend l’air de nouveau. Ce voyage aérien est toutefois effectué à bord d’un hélicoptère fourni par le Department of Lands and Forests de l’Ontario. Le Bell Modèle 206 utilisé à cette occasion est très similaire au Bell CH-136 Kiowa entreposé au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Le vol en question a pour but de confirmer l’observation d’un aéronef dans un petit lac sans nom situé non loin de Kapuskasing, Ontario. La présence d’un aéronef est rapidement établie. La douce utilisation d’un crochet à main permet à Bradford de confirmer que le dit aéronef est un Curtiss HS-2L, un type d’hydravion à coque utilisé pour le vol de brousse dans les années 1920. Cette découverte permet d’identifier l’aéronef en question comme étant le G-CAAC, La Vigilance, le tout premier avion de brousse utilisé au Canada, perdu à la suite d’un accident sur un petit lac sans nom situé non loin de Kapuskasing, en septembre 1922.
Un Robert William Bradford rayonnant tenant un composant clairement identifié du Curtiss HS-2L connu sous le nom de La Vigilance, lac sans nom, Ontario, vers 1968-69. MAEC, 15479.
Les restes précieux du HS-2L sont soigneusement extraits de la boue du lac au cours de l’été 1969. Transportés à Kapuskasing par un hélicoptère des Forces armées canadiennes, les restes traités sont soigneusement déposés sur au moins un camion pour le long voyage jusqu’à Ottawa.
La coque de La Vigilance est actuellement exposée au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
En 1973, le personnel du Musée national de l’aviation commence la construction d’une reproduction / réplique grandeur nature d’un HS-2L. Ce projet étonnant est achevé en juin 1986. Cet aéronef est actuellement exposé au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Le timbre canadien de 1969 qui commémore le 50ème anniversaire de la première traversée sans escale de l’océan Atlantique, en mai 1919, par un pilote anglais, John William Alcock, et son navigateur écossais, Arthur Whitten Brown. MAEC, 1998.0567.
Alors que les préparatifs pour la récupération du HS-2L ont lieu, Bradford participe à la conception d’un timbre commémorant le 50ème anniversaire de la première traversée sans escale de l’océan Atlantique, en juin 1919, par un pilote anglais, John. William Alcock et son navigateur écossais, Arthur Whitten Brown. Le ministère des Postes dévoile ce timbre en juin 1969.
Comme vous pouvez l’imaginer, le HS-2L n’est pas le seul aéronef acquis par Bradford et son bras droit, Alfred John « Fred » Shortt. De fait, la collection de ce qui est alors le Musée national de l’aviation passe d’environ 45 aéronefs en 1966 à environ 90 aéronefs en 1988, lorsque Bradford prend sa retraite – une augmentation d’environ 100%.
Je terminerai mon bref hommage au regretté Robert William Bradford la semaine prochaine.