C’était un des grands : L’aéronef de télédétection Convair 580 du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada
Allô, bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Que penseriez-vous d’une brève excursion dans le monde merveilleux de l’aviation et de l’espace? Surprise!
Je ne vous apprendrai rien, fana de l’aviation que vous êtes, que c’est en décembre 1950 que le premier aéronef de ligne turbopropulsé nord-américain vole pour la première fois. Consolidated Vultee Aircraft Corporation, ou Convair, collabore avec la division Allison de General Motors Corporation, un géant américain de l’automobile mentionné à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018, pour faire voler le dit aéronef, le prototype du Convair 240, rebaptisé Turbo-Liner pour la circonstance. La version du moteur utilisée sur cet aéronef n’étant pas produite en série, les bonnes performances du Turbo-Liner n’ont aucune conséquence concrète.
Je devine dans votre visage le souhait d’en savoir davantage sur le Modèle 240 et les autres membres de cette remarquable famille d’aéronefs de ligne moyens courriers, les Modèles 340, 440, etc. Une peu d’information à ce sujet se trouvant dans un numéro de mars 2020 de notre blogue / bulletin / machin, puis-je vous suggérer de consulter le dit numéro?
Votre humble serviteur souhaite plutôt aborder la carrière d’un exemplaire de cette belle et grande famille qui, en son temps, est connu de par le monde. Le dit aéronef compte parmi les membres de grande et belle famille abritée sous les toits du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, une institution incomparable vous l’admettrez.
Le vol de décembre 1950 du Turbo-Liner n’est-il qu’un prétexte ouvrant la porte à une pontification, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur sherlockien(ne)? Vous avez parfaitement raison. Je m’offre un petit cadeau de Noël avant date.
Ouverture du rideau. Musique dramatique. En avril 1953, dans la lumière et dans le bruit, le personnel de Convair complète un Modèle 340. United Air Lines Incorporated prend possession de cet aéronef en mai. En novembre 1958, cet important transporteur aérien américain mentionné dans des numéros de mars 2018 et janvier 2019 de notre vous savez quoi vend le Modèle 340 à Johnson & Johnson Incorporated, une firme pharmaceutique américaine connue mondialement. Pacific Airmotive Corporation remplace les moteurs à pistons de l’aéronef par des turbopropulseurs Allison en 1963. Notre Modèle 340 est alors redésigné Convair Modèle 580, ou Convair 580 or CV-580.
Johnson & Johnson vend l’aéronef à Great Lakes Paper Company Limited de Thunder Bay, Ontario, qui l’immatricule en mars 1970. Great Lakes Paper vend le Convair 580 à un grossiste étalagiste et opérateur de magasins de rabais américain qui l’immatricule en janvier 1973. Sav-a-Stop Incorporated vend l’aéronef à Omni Investment Corporation qui l’immatricule en 1974. Ce spécialiste américain de la vente d’aéronefs vend le Convair 580 au Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources du Canada qui l’immatricule en juin 1975.
Une firme d’entretien et de service expérimentée, Innotech Aviation Limited de Dorval, Québec, travaille sur le Convair 580 pendant environ 2 ans. Une firme relativement petite mais respectée basée à Edmonton, Alberta, spécialisée dans la sous-traitance et la révision d’aéronefs civils et militaires mentionnée dans des numéros de février, mars et avril 2020 de notre blogue / bulletin / machin, complète la conversion de l’aéronef en aéronef de télédétection. Northwest Industries Limited complète son travail en 1977.
L’immatriculation même de l’aéronef, C-GRSC, est intéressante. Elle est choisie pour sa ressemblance avec l’expression Canadian remote sensing Convair, ou Convair de télédétection canadien. Un gentilhomme du nom de Leon Bronstein joue apparemment un rôle réel dans ce choix.
Par hasard, le sigle CGRSC a une signification très précise. Il signifie Canadian Geodetic Reference System Committee, un comité fédéral provincial du Conseil canadien de géomatique fondé en 1981 qui n’acquiert son nom actuel qu’en 1992. Votre humble serviteur se demande (sérieusement?) si le nom anglais du Comité canadien du système de référence géodésique est choisi pour correspondre à l’immatriculation du Convair 580. Enfin, passons.
La carrière canadienne de notre aéronef tire ses origines de la création du Centre canadien de télédétection (CCT), à Ottawa, en 1971. Les chercheurs qui y travaillent souhaitent en effet effectuer des travaux de recherche faisant appel à un radar à hautes performances / haute résolution. Un certain nombre de personnes au CCT proposent l’utilisation d’un radar à synthèse d’ouverture militaire conçu, fabriqué et utilisé par le Environmental Research Institute of Michigan (ERIM), un organisme financé en bonne partie par la United States Air Force. Sans minimiser la contribution de ces individus, le nom du premier directeur du CCT, un géophysicien, Lawrence Whitaker « Larry » Morley, se détache peut-être un peu plus.
Le système radar en question pesant près de quatre tonnes, il faut trouver un aéronef de grande taille et à grande autonomie capable de le transporter. Et non, le Convair 580 n’est pas choisi rapidement. Il y a des discussions. Quelques personnes veulent utiliser un Consolidated Catalina / Canso, un type d’aéronef présent dans la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Monté sur un aéronef ou un vaisseau spatial, un radar à synthèse d’ouverture utilise le mouvement de son transporteur pour créer une image à haute résolution de son entourage, et ce même si son antenne est relativement petite.
Un ingénieur et mathématicien américain, Carl Atwood Wiley, conçoit l’idée d’un tel radar au début des années 1950.
Le Convair 580 amorce sa nouvelle carrière en 1977-78, devenant ainsi un des tout premiers aéronefs civils terriens utilisés pour la mise au point de radars à synthèse d’ouverture. Alors connu sous la désignation de SAR 580 System, le dit radar est la propriété du ERIM qui le loue au CCT entre 1977 et 1985 environ.
Compte tenu de l’intérêt du gouvernement fédéral dans la promotion de la télédétection, la possibilité de louer l’aéronef pour des projets commerciaux est mise de l’avant. Une firme de Calgary, Alberta, qui a un sous-contrat avec Innotech Aviation, fait la promotion de l’idée au Canada et en Europe.
Croiriez-vous que c’est en bonne partie grâce au Convair 580 que le CCT devient un organisme connu et respecté mondialement?
Avant que je ne l’oublie, en 2020, le CCT est une division du Centre canadien de cartographie et d’observation de la Terre.
Au fil des ans, le Convair 580 contribue à d’importants programmes canadiens. Il effectue de nombreux vols dans l’Arctique canadien dès 1978 (et jusque vers 2006?) afin d’étudier les glaces (mouvements, classification, identification des types, détection de navires, etc.). Plusieurs / la plupart de de ces vols se déroulent en collaboration avec les États-Unis.
Mentionnons par exemple ceux entourant AIDJEX 78 (Arctic Ice Dynamics Joint Experiment 1978) et ceux qui viennent appuyer le projet SURSAT (SURveillance SATellite), un programme canadien de surveillance par satellite datant de 1977-79 qui se déroule alors que le Canada participe au programme américain Seasat, un des premiers satellites civils de télédétection, lancé avec succès en juin 1978. L’un et l’autre sont liés au développement des ressources pétrolières de la mer de Beaufort.
Le Convair 580 participe aussi à MIZEX’84 (Marginal Ice Zone EXperiment 1984). Ce programme multinational et multidisciplinaire se déroule dans l’Atlantique nord, entre le Groenland et l’archipel du Svalbard, et vise à étudier les glaces, les eaux, etc. L’équipement de bord du Convair 580, utilisé en conjonction avec de l’équipement de traitement basé au sol, joue alors un rôle vital dans le développement de méthodes d’observation du vent et des vagues à partir de l’espace, un facteur de première importance dans l’amélioration des prévisions météorologiques.
D’autres envolées dans l’Arctique canadien sont réalisées en collaboration avec Dome Petroleum Limited de Calgary, une filiale de Dome Mines Limited de Toron, Ontario, et d’autres firmes qui y opèrent. L’industrie pétrolière souhaite en effet mieux connaître le mouvement des glaces afin de réduire le risque d’impacts avec ses plateformes de forage.
Les nombreux vols du Convair 580 permettent la mise au point de nouveaux radars utilisés tant sur des aéronefs que sur des satellites. Le premier de ces systèmes date de 1984, par exemple. Il s’agit du STAR-1 (Sea ice and Terrain Assessment Radar-1) de la susmentionnée Intera Technologies, mis au point au point en collaboration avec le ERIM et MacDonald, Dettwiler and Associates Limited (MDA), dans son établissement de Richmond, Colombie-Britannique. L’ensemble des vols vient appuyer les travaux du Service canadien des glaces, une division du Service météorologique du Canada, lui-même une branche d’Environnement Canada.
En 1985, le Convair 580 reçoit un nouveau radar à synthèse d’ouverture, le C/X-SAR du CCT.
SAREX’92 (South American Radar EXperiment 1992), ou Expérience radar sud-américaine 1992, est un programme conjoint du CCT, de l’Agence canadienne de développement international et de la European Space Agency (ESA). Il permet d’acquérir beaucoup de données sur la gestion des forêts tropicales d’Amérique latine (Brésil, Colombie, Costa Rica, Guyane, Guyane française et Venezuela).
Le programme GlobeSAR de 1993, quant à lui, est un programme canadien qui regroupe le CCT, l’Agence spatiale canadienne (ASC), le Centre de recherches pour le développement international et RADARSAT International Incorporated, une firme canadienne créée par un consortium qui inclut MDA.
Et oui, l’ASC est mentionnée à quelques reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis décembre 2017.
GlobeSAR acquiert une somme considérable de données tout en simulant le type de données qui serait par la suite fournies par RADARSAT (RADAR SATellite), l’actuel RADARSAT-1, le premier satellite de télédétection canadien, lancé en novembre 1995. Le Convair 580 survole alors plus d’une dizaine de pays d’Afrique (Kenya, Maroc, Ouganda, Tanzanie et Tunisie) et d’Asie (Chine, Jordanie, Malaisie, Taïwan, Thaïlande et Vietnam).
En plus de connaître un grand succès, SAREX’92 et GlobeSAR amènent plusieurs pays en voie de développement à se donner des capacités en matière de télédétection qui s’avèrent fort utiles. L’industrie aérospatiale canadienne profite de cette situation en vendant des millions de dollars d’équipement (systèmes radars, stations de réception de données de satellites, systèmes pour transformer les données en imagerie, etc.) aux pays en question.
Saviez-vous que le billet de banque de 100 $ de la série Épopée canadienne mis en circulation en 2004 porte une image du RADARSAT-1 au verso? Mais je digresse, désolé.
Il est à noter que le Convair 580 est le tout premier aéronef muni d’équipement de détection sophistiqué ayant reçu la permission de survoler
- la Chine, depuis la formation de la république populaire, en 1949,
- le Vietnam, depuis la fin de la guerre du Vietnam, en 1975, et
- la frontière sino-vietnamienne, depuis la guerre entre la Chine et le Vietnam, en 1979.
À bien y penser, cet aéronef a survolé toutes les grandes régions du globe, à l’exception de l’Union des républiques socialistes soviétiques / Fédération de Russie, de l’Australasie et de l’Antarctique.
La contribution du Convair 580 touche à d’autres aspects de la recherche spatiale, souvent dans le cadre de projets réalisés en collaboration avec l’ASC. Mentionnons par exemple le susmentionné RADARSAT-1 et RADARSAT-2, le second satellite de télédétection canadien, plus sophistiqué encore que son prédécesseur et lancé en décembre 2007. Oserais-je suggérer que cette contribution touche au trio de satellites de la Mission de la constellation RADARSAT, qui sont lancés en juin 2019 ?
Même si le Convair 580 est principalement du Canada, par le Canada et pour le Canada, il contribue aussi à de nombreux programmes de recherche ailleurs dans le monde. Vers 1983, par exemple, il est au Japon et appui les travaux de la société de développement spatial de ce pays, la Uchū Kaihatsu Jigyōdan ou, comme elle était / est mieux, la National Space Development Agency / Japan Aerospace Exploration Agency.
En 1981, le Convair 580 se rend en Europe où son équipage travaille avec la ESA et le centre aérospatial ouest-allemand, ou Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt. Les images produites lors de ce séjour sont à ce point impressionnantes qu’elles facilitent peut-être le financement du premier satellite de télédétection européen, ERS-1 (European Remote sensing Satellite-1), lancé en juillet 1991.
Le Convair 580 fournit par ailleurs les données de base qui permettent à la ESA de choisir les longueurs d’onde des systèmes radar de ce satellite et de ses successeurs :
- ERS-2, lancé en avril 1995,
- ENVISAT (ENVIronment SATellite), le plus gros satellite de télédétection civil, lancé en mars 2002; et
- Sentinel-1, le premier d’une série de satellites lancés à partir de 2014 dans le cadre du programme de surveillance de la Terre Global Monitoring for Environment and Security, l’actuel programme Copernicus.
Bien que principalement utilisé à des fins civiles, le Convair 580 contribue néanmoins à quelques programmes militaires. En 2008, il sert de banc d’essais volant pour un nouveau radar de surveillance produit par la susmentionnée MDA. Il s’agit en fait du dernier programme de recherche impliquant l’aéronef.
Le Système radar imageur est un radar à synthèse d’ouverture ultramoderne qui améliore beaucoup les capacités des aéronefs de surveillance maritime Lockheed CP-140 Aurora, la version de l’Aviation royale canadienne du Lockheed P-3 Orion américain, un aéronef utilisé au fil des ans par les forces armées de près de 20 pays.
Et oui, il est à espérer qu’un Aurora s’ajoutera un jour à la, les mots me manquent, supercalifragilisticexpidélilicieuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. (Bonjour, EG!)
Des années avant le travail lié au Aurora, le Convair 580 peut, je répète peut, avoir participé à des études américaines visant à détecter des sous-marins nucléaires en plongée de même que des silos de missiles balistiques intercontinentaux à ogive (thermo)nucléaire. Ce dernier projet est d’ailleurs réalisé en collaboration avec le susmentionné ERIM.
Pour conclure, le Convair 580 est à l’origine de la position significative du Canada dans le domaine de la télédétection, un champ de recherche crucial pour de nombreux secteurs (gestion des eaux, développement des ressources naturelles, surveillance des glaces dans l’Arctique, défense de la souveraineté, etc.). Mieux encore, si cet aéronef vole surtout au Canada au bénéfice du Canada, le fait est qu’il joue un rôle non négligeable dans le développement de l’industrie de la télédétection de par le monde.
Le Convair 580 arrive au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada en juin 2015.
L’auteur de ces lignes souhaite remercier toutes les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur.
Et oui, le Canada est encore un chef de file mondial en matière de télédétection.