« Deux steak tartare de pétrole pour la table 13, et mouvez-vous, bon sang! : » La grande aventure d’une manne qui a brièvement eu le vent en poupe, les protéines d’origine unicellulaire cultivées sur des dérivés du pétrole, partie 2
Bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur! Comment allez-vous? […] Bien, bien.
J’ose espérer que vous êtes en mesure de poursuivre notre examen de l’histoire des protéines d’origine unicellulaire cultivées sur des dérivés du pétrole. […] Bien, bien.
Ayant obtenu le feu vert de la direction du géant pétrolier britannique British Petroleum Company Limited, le père spirituel de cette aventure, le directeur de recherche de sa filiale française, la Société française des pétroles BP, l’ingénieur mécanique / chimiste français Alfred Champagnat, se met au travail.
Lui et son équipe isolent dans un premier temps des levures qui se nourrissent d’hydrocarbures. Les dites levures sont par la suite cultivées. Le produit final des travaux de l’équipe est une poudre qui contient jusqu’à 40%, voire 60% de protéines et…
Ne craignez point, ami(e) lectrice ou lecteur à l’estomac délicat, ces protéines sont destinées à l’alimentation animale. Remarquez, ces animaux seraient par la suite transformés en biftecks, breasts, cutlets, escalopes, gigots, hams, haunches, jambons, poitrines, roasts, rôtis, scallopinis, schnitzels, steaks, etc. Bon appétit tout le monde!
Soit dit en passant, les premiers articles de journaux concernant les travaux de Champagnat paraissent au plus tard en décembre 1962. D’autres textes, parus à partir de 1963, mentionnent l’usine pilote de Lavéra, située tout près de la raffinerie de pétrole du même nom, à Martigues, France, non loin de Marseille.
Croiriez-vous qu’il y a, dans le bureau d’accueil de cette raffinerie, une série de bouteilles d’échantillons contenant des produits de la Société française des pétroles BP? Tout juste à côté d’une bouteille portant une étiquette avec les mots « Gaz Oil Lourd » se trouve une autre dont l’étiquette porte le mot « Bifteck. » Et oui, la dite bouteille contient de la poudre de protéine. Quelqu’un dans la firme, semble-t-il, a le sens de l’humour.
Incidemment, les travaux de Champagnat sont mentionnés, sans mentionner son nom ni celui de la Société française des pétroles BP cependant, du moins pas dans la presse, au VIII Congrès international de microbiologie, tenu à Montréal, Québec, en août 1962. Cette information peut, je répète peut, émaner de John C. Sylvester, le directeur plutôt enthousiaste de la recherche microbiologique d’une firme américaine de dispositifs médicaux et soins de santé, Abbott Laboratories Incorporated.
Et non, votre serviteur ne peut pas dire si Champagnat est présent au congrès de 1962. Il ne présente pas de communication, ça c’est sûr, mais il peut être là. Peut-être.
En 1965, British Petroleum met en service une usine pilote à Grangemouth, Écosse, située tout près d’une raffinerie de pétrole existante, qui peut produire environ 4 050 tonnes métriques (environ 4 000 tonnes impériales / environ 4 500 tonnes américaines) de protéines d’origine unicellulaire (POU) par an. Elle utilise des paraffines comme produit de base.
Il est à noter que le personnel du BP Research Centre, à Sunbury-on-Thames, Angleterre, en banlieue de Londres, est également impliqué dans les travaux de recherche concernant les protéines.
Aimeriez-vous entendre Champagnat parler de ses travaux en 1967? Vermouilleux!
Incidemment, Champagnat et 2 collègues partagent, en 1968, le Prix du Cinquantenaire de la Société de chimie industrielle, une société savante française fondée vers mai 1917. Champagnat semble avoir pris sa retraite cette même année.
Croiriez-vous que, au plus tard en novembre 1968, une pâtisserie de Martigues offre des biscuits faits en partie avec des protéines synthétiques? Je ne plaisante pas. Une équipe du radio-télédiffuseur d’état français, l’Office de radiodiffusion-télévision française, lui ayant alors rendu visite, Chez Titin et son propriétaire se font connaître dans toute la France.
« Il paraît que les Japonais préparent des biftecks de pétrole, » affirme une journaliste, à la blague. « Eh bien, nous, on fournira le dessert!, » répond Titin du tac au tac.
Aimeriez-vous voir une vidéo, ami(e) lectrice ou lecteur? Vermouilleux!
En 1970, je pense, la Société française des pétroles BP ou, plus exactement, la Société de développement des protéines, inaugure à Cap Lavéra la première usine commerciale de POU au monde. Cette installation peut produire environ 16 000 tonnes métriques (environ 15 750 tonnes impériales / environ 17 650 tonnes américaines) de POU par an. Ces POU produites à partir de paraffines sont connues sous le nom de Toprina.
British Petroleum fonde une nouvelle filiale, la firme britannique BP Proteins Limited, en 1970, afin de commercialiser ses POU.
Et voici un diagramme qui montre comment des POU sont produites à l’usine de Cap Lavéra…
Un diagramme qui montre comment des protéines sont produites à partir de pétrole à l’usine de Cap Lavéra. Alexandre Nesmeyanov et Vassili Belikov, « Cuisine synthétique trois étoiles. » Le Courier, mars 1969, 22.
Comme vous pouvez l’imaginer, les POU reçoivent assez rapidement un autre nom bien plus percutant qui irrite profondément les chercheurs francophones et leurs patrons. Un bon petit steak de pétrole, monsieur?
C’est apparemment en 1971 et 1972 que les usines-pilotes française et écossaise commencent à produire des POU de manière semi-commerciale.
Les progrès accomplis par les ingénieurs de BP Proteins sont tels que celle-ci reçoit le prestigieux Kirkpatrick Chemical Engineering Achievement Award en 1973, un prix remis à tous les deux ans par la magazine mensuel américain Chemical Engineering. BP Proteins est la première firme étrangère é gagner ce prix.
Une usine pouvant produire environ 100 000 tonnes métriques (environ 100 000 tonnes impériales / environ 110 000 tonnes américaines) de POU par an est complétée au début de 1976, à Sarroch / Sarrocu, Italie, non loin de Cagliari / Casteddu, sur l’île qu’est la Sardaigne. Il s’agit là d’un projet approuvé en 1972 qui unit British Petroleum et une société nationale italienne, Azienda Nazionale Idrogenazione Combustibili Società per azioni, qui se trouve être une filiale d’un géant industriel italien, l’organisme public économique Ente Nazionale Idrocarburi Società per azioni.
La firme italienne Italproteine Società per azioni voit alors le jour afin de gérer cette usine qui, telle qu’envisagée en 1972, serait la plus importante au monde. La dite usine utilise le procédé de production mis au point à Grangemouth, soit dit en passant.
British Petroleum est-elle la seule société pétrolière qui investit dans les protéines dérivées du pétrole, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Bien sûr que non. La plupart des grandes sociétés pétrolières américaines (Gulf Oil Corporation, Socony Mobil Oil Company, Standard Oil Company of New Jersey et Sun Oil Company) se lancent dans l’aventure avant même la fin ces années 1960.
Il en va de même pour plusieurs grandes firmes de produits chimiques japonaises. Trois ou quatre usines pilotes voient ainsi le jour dans ce pays. Une autre usine pilote, propriété d’une entité gouvernementale, voit le jour à Taïwan. Une usine commerciale qui n’a rien à voir avec British Petroleum ouvre par ailleurs ses portes en Italie, en 1974.
De fait, croiriez-vous que l’intérêt d’au moins une grande société pétrolière américaine, Standard Oil Company of New Jersey, remonte au plus tard à 1962? Si, si, 1962. Des articles parus en janvier 1963 dans des quotidiens américains mentionnent en effet l’usine pilote de la firme américaine Esso Research and Engineering Company, une filiale de Humble Oil and Refining Company, elle-même filiale de… Standard Oil Company of New Jersey.
Et oui, votre humble serviteur se demande lui aussi si la publication des premiers articles de journaux sur les travaux de Champagnat, en décembre 1962, inspire la publication des articles sur les travaux effectués par Esso Research and Engineering.
Détail intéressant, le conglomérat multinational suisse de transformation d’aliments et boissons Nestlé Alimentana Société anonyme participe aux travaux d’Esso Research and Engineering pendant un certain temps au milieu des années 1960.
Au début des années 1970, le géant alimentaire multinational américain General Mills Incorporated s’allie avec la firme pétrolière américaine Phillips Petroleum Company pour former Provesta Corporation, une firme qui ne tarde pas à entreprendre des travaux de recherche.
Même des pays du bloc soviétique se mettent de la partie. La Roumanie, la Tchécoslovaquie et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) ont en effet des projets en cours.
De fait, le gouvernement soviétique supervise la mise en service de deux usines pilotes, en 1964 et 1968. Mieux encore, pas moins de 9 usines commerciales avec une capacité totale de production d’environ 1 425 000 tonnes métriques (environ 1 400 000 tonnes impériales / environ 1 575 000 tonnes américaines) de POU par an entrent en service entre la fin des années 1960 et les années 1980. Wah!
Compte tenu des énormes pertes de produits agricoles dues au gaspillage avec lesquelles l’URSS doit composer à cette époque, la production de ces usines constitue un complément important à la production nationale de protéines.
Et oui, le programme soviétique de production de protéines synthétiques est de beaucoup le plus important au monde.
Comme vous pouvez l’imaginer, des analystes de la Central Intelligence Agency, une agence de renseignement américaine mentionnée à plusieurs reprises dans notre magnifique blogue / bulletin / machin, et ce depuis février 2018, suivent de leur mieux l’évolution de ce programme.
Tous ces projets de production de protéines synthétiques doivent beaucoup au fait est que de nombreux membres éminents de la communauté scientifique mondiale appuient fermement le développement de cette technologie.
En novembre 1974, l’administrateur et directeur général de BP Proteins et président de la European Association of Single Cell Protein Producers, Hector Watts, affirme que les pays de la Communauté économique européenne pourraient produire d’environ 500 à 600 000 tonnes métriques (environ 500 à 600 000 tonnes impériales / environ 560 à 575 000 tonnes américaines) de protéines synthétiques en 1980.
Vous avez une question, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur patriotique? Y a-t-il un projet d’usine au Canada, demandez-vous? Une bonne question. La réponse est oui. Des discussions entre le gouvernement de l’Alberta et une firme non-identifiée sont en effet en cours au moment où s’achève l’année 1973. L’usine commerciale en question serait la première en Amérique du Nord et… vous avez une autre question.
Les protéines produites selon le procédé mis de l’avant par BP Proteins sont-elles dangereuses, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur concerné(e) par son alimentation? Une autre bonne question.
Deux instituts de recherche du Nederlandse Organisatie voor Toegepast Natuurwetenschappelijk Onderzoek, en d’autres mots l’organisation néerlandaise pour la recherche appliquée en sciences naturelles, concluent dans la première moitié des années 1970 que ces protéines, des protéines très nutritives soit dit en passant, sont totalement dépourvues d’effets nuisibles ou toxiques.
British Petroleum peut, je répète peut, par ailleurs avoir obtenu la bénédiction de la United States Food and Drug Administration et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Des études sont réalisées sur des sites (néerlandais? britannique?) que votre humble serviteur n’a pas été en mesure d’identifier, et ce avec des veaux, poulets, porcs et agneaux, ainsi qu’avec des truites arc-en-ciel. Celles-ci démontrent, dit-on, que le Toprina peut être inclus sans impact négatif dans l’alimentation de ces animaux.
En outre, un programme sans précédent étudie plus de 50 000 rats et cailles du Japon pendant une vingtaine et une trentaine de générations. Encore une fois, dit-on, les chercheurs ne détectent pas d’impact négatif.
Quelques pays européens (Allemagne de l’Ouest, Belgique, Danemark, France, Pays-Bas et Royaume-Uni) approuvent apparemment l’introduction de Toprina dans l’alimentation animale au plus tard en 1973.
De fait, la vente de Toprina comme substitut du lait dans l’alimentation des veaux et comme substitut de farine de poisson et de soja dans l’alimentation des porcs et volailles commence en 1971 au Royaume-Uni et en 1972 en France.
Les POU ont, semble-t-il, le vent dans les voiles. D’aucuns imaginent déjà la fin de la faim dans le monde.
Ne l’oublions pas, un bœuf d’environ 450 kilogrammes (environ 1 000 livres) produit environ 450 grammes (1 livre) de protéines par jour, aux dires de Champagnat. La même masse de levures peut produire environ 1 125 kilogrammes (environ 2 500 livres) de protéines pendant cette même période de temps. Wah!
De plus, il faut plus de 27 000 litres (environ 6 000 gallons impériaux / environ 7 200 gallons américains) d’eau pour produire des mêmes 450 et quelques grammes (1 livre) de protéines de bœuf. Re-wah!
Compte tenu d’un déficit mondial annuel en protéines animales d’environ 3 millions de tonnes métriques (environ 3 millions de tonnes impériales / environ 3.3 millions de tonnes américaines), déclare Champagnat, environ 1 % de la production mondiale annuelle de pétrole brut paraffinique suffirait à le combler.
Ceci étant dit (tapé?), le Groupe consultatif des protéines de l’Organisation mondiale de la santé se dit préoccupé en 1973 par le fait que les lots de protéines à base de pétrole peuvent ne pas être les mêmes. Leurs différences mettent ainsi en doute la validité des assurances des fabricants fondées sur un ensemble particulier de tests.
Le choc pétrolier qui explose sur la scène mondiale en octobre 1973 vient changer la donne, et ce partout et pour tous.
En réaction au soutien apporté à Israël par les États-Unis pendant la guerre du Ramadan / guerre du Kippour / guerre d’Octobre / guerre israélo-arabe de 1973, en octobre 1973, la Munazamat al’Aqtar Alearabiat Almusadirat Lilbitrul, en d’autres mots l’organisation des pays arabes exportateurs de pétrole, réduit sa production de 5 %. Pis encore, elle entend réduire sa production de 5 % par mois tant et aussi longtemps que les Tsva ha-Haganah le-Israël, en d’autres mots les forces armées israéliennes, n’auront pas évacué l’ensemble des territoires arabes occupés lors de la guerre des Six Jours de juin 1967.
L’organisation des pays arabes exportateurs de pétrole impose par ailleurs un embargo contre les États-Unis et d’autres pays qui soutiennent Israël, mais pas vraiment contre le Canada. Aux États-Unis, des millions d’automobilistes se ruent vers les stations d’essence. Plusieurs d’entre elles ne tardent pas à se retrouver à sec. Partout dans le pays, c’est la panique.
L’administration dirigée par Richard Milhous « Tricky Dick » Nixon est à ce point choquée par ce qui se passe qu’elle songe brièvement à s’emparer par la force des champs pétrolifères de pays tels que l’Arabie saoudite, le Koweït, etc. Je ne plaisante pas.
N’oublions pas que, en octobre 1973, Nixon est embourbé jusqu’au cou dans le scandale du Watergate. On est en droit de se demander comment le United States Congress et la population des États-Unis auraient réagi à la nouvelle d’assauts lancés contres des pays arabes jusqu’alors amis des États-Unis par un président qui mérite d’être destitué. On est également en droit de se demander aussi comment l’Organisation des Nations unies et la communauté internationale auraient réagi.
Quoi qu’il en soit, l’embargo des pays arabes exportateurs de pétrole n’est levé qu’en mars 1974. Il est levé malgré le fait que les populations palestiniennes de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est se trouvent encore sous le joug des troupes d’occupation israéliennes.
Cinquante ans plus tard, en 2024, ces mêmes populations vivent toujours dans des territoires sous occupation israélienne, et nous savons toutes et tous ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis octobre 2023 (plus de 32 500 pertes de vie, dont plus de 12 500 enfants).
Si je peux me permettre de citer encore une fois, hors contexte, une phrase tirée du grand roman Allah n’est pas obligé, publié en 2000 par le grand écrivain et athlète ivoirien Ahmadou Kourouma, il n’y a pas de justice sur cette terre pour le pauvre.
Quoiqu’il en soit, la Société française des pétroles BP et / ou sa maison-mère, le géant pétrolier britannique British Petroleum, mettent la clé dans la porte de l’usine de POU de Cap Lavéra, à Martigues, en 1975. Cette fermeture tient à divers facteurs : divers problèmes de nature technique, le prix élevé du pétrole, et les prix relativement peu élevés du soya et de la farine de poisson.
L’usine est vite rasée, dès 1976 peut-être.
Toujours en 1975, avant ou après la susmentionnée fermeture, l’Istituto Superiore di Sanità italien note la présence de certains composés chimiques inhabituels dans la viande et le gras d’animaux nourris avec du Toprina produit par la susmentionnée usine de Sarroch. Par soucis de prudence, en attendant que d’autres études soient complétées, le Ministero della Salute obtient la suspension du décret qui avait permis la construction de l’usine. L’usine de Sarroch ferme donc en février 1976 une production expérimentale qui avait commencé l’année précédente.
Des regroupements de citoyennes et citoyens se forment pour prévenir l’introduction de protéines produites à partir de pétrole dans l’alimentation animale. D’importants producteurs de soya italiens peuvent avoir encouragé ces actions afin de contrecarrer l’entrée en scène d’un concurrent potentiellement dangereux.
Les études demandées ayant démontré la présence de certains composés chimiques inhabituels dans la viande et le gras d’animaux nourris avec du Toprina, Italproteine et British Petroleum soulignent que ces composés sont présents dans la nature.
En octobre 1976, les autorités italiennes autorisent la production de Toprina à des fins expérimentales mais sans que ce produit soit mis en vente. L’usine produit plusieurs centaines de tonnes métriques (impériales / américaines) de Toprina entre décembre 1976 et avril 1977. Alarmées par les rejets atmosphériques de l’usine, ces mêmes autorités révoquent alors leur autorisation.
Remarquez, les autorités italiennes doivent alors tenir compte d’une pétition signée par des milliers de résidentes et résidents de la région de Sarroch selon laquelle l’usine est une danger pour elles et eux, ainsi que pour le personnel de l’usine.
Réalisant l’ampleur des craintes occasionnées par les rejets atmosphériques de l’usine, la direction de British Petroleum se dit prête à installer un dispositif qui va les réduire. Le maire de Sarroch refuse toutefois d’accorder un permis de construction tant que les dits rejets seront jugés nocifs. Des élections municipales devant avoir lieu en février 1978, ce magistrat ne peut pas ignorer les craintes de la population.
L’Istituto Superiore di Sanità, quant à lui, demande que le dispositif de réduction des rejets soit en mesure de les incinérer afin d’éliminer toute émission de levures vivantes.
Pour British Petroleum, l’ampleur de ces demandes compromet l’avenir de l’usine. De fait, elles pourraient lui porter un coup fatal.
En septembre 1977, British Petroleum et son partenaire, Azienda Nazionale Idrogenazione Combustibili Società per azioni, s’entendent pour liquider Italproteine si toutes les permissions dont l’usine a besoin pour fonctionner ne sont pas en place en janvier 1978.
Un examen stratégique de BP Proteins complété en novembre 1977 va plus loin encore. Si les permissions dont l’usine a besoin ne sont pas en place avant l’entrée en service (commercial?) de l’usine de Sarroch, au milieu de 1978, British Petroleum devrait mettre fin à tous les travaux liés aux protéines synthétiques. Compte tenu de la situation économique et des prix du pétrole, l’adoption à grande échelle de la technologie des protéines synthétiques dérivées du pétrole était peu probable.
Une réunion du Consiglio superiore di sanità, en novembre 1977, n’a pour résultat que la création d’un comité qui doit tenter d’y voir clair dans les deux projets de production de POU en Italie, à Sarroch et à Montebello Jonico, non loin de Reggio Calabria, dans le sud du pays.
Cette seconde usine, propriété de Liquichimica Biosintesi Società per azioni, n’avait en fait fonctionné que bien peu de temps, 2 mois peut-être, vers 1974, avant que le gouvernement italien n’ordonne l’arrêt de la production, jugée très / trop polluante. Pis encore, les protéines qu’elle devait produire, selon un procédé d’origine japonaise, des protéines commercialisées sous le nom de Liquipron, contenaient un produit jugé cancérigène.
Le susmentionné comité ne se réunit pas comme prévu, en janvier 1978. Il ne le ferait qu’en février.
Début février, avant même que ce comité ne se réunisse, la direction de British Petroleum décide de liquider Italproteine. Le conseil d’administration de cette dernière entérine cette décision à la fin du mois.
L’usine de Sarroch ferme ses portes en avril 1978, sans avoir vendu la moindre protéine.
Cette fermeture est d’autant plus embarrassante que le gouvernement italien avait dû passer outre à un arrêt de la Communauté économique européenne pour permettre à l’usine d’ouvrir ses portes, en 1976. Le dit arrêté mentionnait en effet que l’usine constituait un danger de pollution et que les protéines produites n’étaient pas suffisamment prouvées pour être produites commercialement.
British Petroleum met la clé dans la porte de son usine pilote de Grangemouth en juillet 1978. Un grand rêve prend fin.
Un projet d’usine au Venezuela impliquant la société d’état Petróleos de Venezuela Sociedad anónima et British Petroleum, simple partenaire minoritaire (20%), avait été tabletté en 1977. Un autre projet impliquant la société d’état saoudienne Sharikat Bitrumin ne dépasse pas non plus l’étape de projet. Un autre projet impliquant cette fois le gouvernement soviétique échoue lui aussi.
Et oui, votre humble serviteur est lui aussi un tantinet perplexe. Pourquoi diable le gouvernement britannique accepte-t-il que British Petroleum aide l’ennemi idéologique qu’est l’URSS à nourrir sa population?
Des rumeurs voulant que les producteurs de soya américains ont exercé des pressions sur l’administration dirigée par le président Gerald Rudolph Ford, Junior, afin d’amener British Petroleum à abandonner ses projets de production de protéines synthétiques ne peuvent évidemment pas être confirmées.
Ce qui est un peu triste dans tout cela, c’est que, en novembre 1976, Champagnat avait remporté le prestigieux Prix scientifique de l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, « pour ses découvertes permettant la production industrielle à bon marché de nouvelles protéines à partir du pétrole. » Il reçoit le prix en question, décerné tous les deux ans, en décembre de la main du directeur général de la dite organisation, l’homme politique sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow.
Compte tenu du fait que le prix en question comprend une somme de 3 000 $ ÉU, une somme qui correspond à environ 21 800 $ en devises canadiennes de 2024, on est en droit de se demander si Champagnat doit donner ce pognon à son ancien employeur.
Soit dit en passant, le Prix scientifique de l’UNESCO récompense les personnes ou groupes qui contribuent de manière exceptionnelle au développement de l’enseignement de la recherche scientifique et technique, ou du progrès technologique industriel.
En 1970, Champagnat avait reçu le prix Nessim-Habif décerné annuellement par la société des ingénieurs Arts et Métiers, l’association des anciens étudiants d’une des plus anciennes écoles d’ingénieurs de France, l’École nationale supérieure d’arts et métiers de Paris.
Remarquez, Champagnat reçoit également reçu la Redwood Medal du Institute of Petroleum, basé en Angleterre, en 1971. Cette médaille récompense les technologues pétroliers d’une éminence exceptionnelle de toute nationalité.
En 1973, la Society of Engineers, basée en Angleterre, lui décerne la toute première Gairn EEC Gold Medal, un prix biannuel créé pour récompenser des réalisations scientifiques et technologiques exceptionnelles dans la Communauté économique européenne.
Aussi impressionnantes que soient ces récompenses, on pourrait dire qu’elles ne représentent pas grand-chose étant donné l’échec de l’aventure des POU.
Je ne vous apprendrai rien en affirmant que le projet d’usine en Alberta ne va nulle part.
La saga de l’usine de protéines de Cap Lavéra inspire l’acteur / auteur / dramaturge français Bernard Avron. En 1984, ce père du concept Théâtre et Sciences et du PEPAC Théâtre, Sciences et Entreprises, rédige Les bio-protéines de M. et Mme Dutraillon, une pièce de théâtre dans laquelle « Un ordinateur domestique s’interroge sur l’avenir des biotechnologies, sous l’œil complice de la télévision en trois dimensions. »
Et ainsi prend fin cette édition de notre vous savez quoi. À plus.