Tout-terrain, tout-temps, tout-plaisir : Karou Incorporée de Drummondville, Québec, et le véhicule tout-terrain Karou
En ce jour d’août 2021, votre humble serviteur aimerait vous convier à un examen d’un des nombreux véhicules tout-terrain (VTT) qui voient le jour au cours des années 1970, le Karou Karou, produit par Karou Incorporée de Drummondville, Québec – un des premiers VTT produits en série au Québec.
Et oui, je réalise que le numéro de l’hebdomadaire Photo-Journal qui sert de pont d’envol à ce numéro de notre blogue / bulletin / machin couvre la période allant du 26 juillet au 1er août 1971. Votre humble serviteur n’a remarqué ce détail qu’au moment de rédiger la légende de la photo ci-haut. Je serai plus attentif la prochaine fois. Cela étant dit (tapé?), notre sujet vaut, selon moi, la peine d’être tiré de l’oubli. Je serai bref. Vous pouvez, après tout, ressentir une envie irrépressible de sortir et de vous mêler à d’autres humains.
Notre histoire des plus intéressantes d’aujourd’hui commence à une date indéterminée au cours des années 1960. Robert « Bert » Beaudoin, un mécanicien et pilote de stock-car, peut-être alors à l’emploi d’un fabricant de motoneiges, Skiroule Limitée de Wickham, non loin de Drummondville, Québec, achète un VTT disponible en Ontario. Il constate toutefois que ce véhicule comprend un certain nombre de défauts. Avant trop longtemps, vers 1968, Beaudoin s’associe avec Gilles Lalancette, alors gérant des ventes chez Skiroule, et entame la conception d’un VTT.
Mentionnons au passage que Lalancette et Beaudoin œuvrent dans le domaine des véhicules de loisirs, dont la motoneige, depuis 1964 environ. Ce dernier travaille par ailleurs pour un autre fabricant de motoneiges, Sno-Jet Incorporée de Thetford Mines, Québec, à une date indéterminée.
Et oui, la collection du Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa, Ontario, une institution sœur / frère de l’incomparable Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, comprend une motoneige Skiroule Sno Pro.
Jugeant leur projet suffisamment avancé, Lalancette et Beaudoin contactent un homme d’affaires de Drummondville, Raymond Dubeau, président de Dubeau & Lapointe Limitée, une firme spécialisée dans les structures d’acier. Les 2 hommes savent peut-être que Dubeau a eu certains problèmes avec un VTT conçu en Ontario.
Cinq résidents de Drummondville, soit 1 mécanicien, 3 industriels and 1 agent d’affaires, incorporent Karou Incorporée en juin 1970. Tout ce beau monde a, dit-on, une bonne expérience dans le domaine des véhicules de loisirs, dont la motoneige. La petite usine de la firme se trouve apparemment à Grantham Ouest, Québec, près de Drummondville.
Avant que je ne l’oublie, Dubeau et son partenaire en affaires, Paul Lapointe, détiennent alors la majorité des actions de Karou.
Avant même la fin juillet, des journalistes ont l’occasion de mettre à l’essai quelques prototypes et véhicules de (pré?)série du VTT amphibie quadriplace à 6 roues motrices qu’est le Karou lors d’une visite à l’édition 1970 de l’exposition agricole et industrielle de Drummondville. La direction de Karou vante évidemment les mérites de son VTT, idéal, affirme-t-elle, pour les agriculteurs, industriels, sportifs, travailleurs forestiers, etc., etc.
Le maire des Drummondville, Philippe Bernier, peut toutefois faire une balade avant les dits journalistes. Si je peux me permettre un commentaire, flatter les personnes en autorité est rarement une mauvaise idée. Quoiqu’il en soit, Bernier est ravi. Il n’est pas sans savoir que sa ville et sa région ont une réputation enviable en matière de production de véhicules de loisir et de plaisance.
Croiriez-vous que Bernier est pilote dans l’Aviation royale du Canada et, pour un certain temps après 1953, propriétaire d’une école de pilotage, la première de la région, située à Saint-Nicéphore, non loin de Drummondville, avant de se lancer en politique municipale?
La direction de Karou espère produire ou, plus exactement, assembler entre 250 et 300 véhicules avant la fin de l’automne 1971. Les diverses pièces du Karou sont en effet fabriquées sous contrat par diverses firmes, dont certaines situées à Drummondville.
Un représentant de Karou visite les États-Unis au cours de l’automne 1970 et le fait est qu’au moins une commande (américaine?) importante est alors paraphée. De fait, Karou espère vendre environ 80 % de sa production aux États-Unis.
Plus tôt dans l’année, certains observateurs prédisent que jusqu’à 30 000 VTT de tous types seraient vendus en Amérique du Nord en 1970. Un total de 10 000 semble plus probable. Certaines des raisons derrière ce chiffre inférieur comprennent le succès limité des VTT comme véhicules utilitaires et le fait qu’un VTT typique est 2 fois plus cher qu’une motoneige typique, mais revenons à notre histoire.
Des semaines, puis des mois passent. Le nombre de véhicule produits annuellement par Karou ne dépasse apparemment pas le cap des 250 mais leur coût augmente d’un tiers entre le milieu de 1970 et le milieu de 1972. De fait, des commandes entrent bel et bien mais la firme ne parvient pas à produire ses VTT assez vite. Karou semble en fait être dans le rouge. Lalancette quitte la firme pour une raison ou pour une autre avant l’été 1972.
Quoiqu’il en soit, la direction de Karou croit que la production des VTT va prendre son envol dans les années 1970. De fait, Karou entreprend la construction d’une usine un peu plus grande à l’automne 1972. À cette époque, la direction compte principalement sur les marchés québécois et canadien pour remplir ses coffres. Elle espère que la dite usine va produire 1 000 Karou par an en 1974.
En novembre 1972, la Commission des valeurs mobilières du Québec suspend les transactions concernant les actions de Karou. Cette suspension est annulée en janvier 1973. Il y a, semble-t-il, quelque chose de pourri dans l’empire du Karou.
Soit dit en passant, Hamlet n’est pas la personne qui prononce, en traduction, la fameuse phrase « Il y a quelque chose de pourri dans l’empire du Danemark. » Nenni. Ces paroles célèbres sont prononcées par Marcellus, un des officiers qui aperçoit pour la première fois le fantôme du roi Hamlet, le papa de l’autre Hamlet, marchant sur les remparts du château d’Elseneur, dans la vraie vie le château de Kronborg, à Helsingør, Danemark, mais je digresse.
Poursuivant dans la foulée de cette digression, les meilleures versions cinématographiques de La Tragique histoire d'Hamlet, prince de Danemark de William Shakespeare seraient celles qui mettent en vedette, en ordre alphabétique, Kenneth Charles Branagh (1996), Mel Columcille Gerard Gibson (1990), Sir Laurence Kerr Olivier (1948) et Innokenti Mikhaïlovitch Smoktounovski, né Smoktounovitch (1964). Olivier lui-même applaudit la performance de l’acteur soviétique, fort possiblement le meilleur de tous les Hamlet de cinéma.
Quoiqu’il en soit, encore, Karou semble déménager dans sa nouvelle usine vers février 1973. En mars, la firme signe un contrat de 10 ans avec un distributeur nord-américain créé à cet effet, Distribution internationale Karou Incorporée de Montréal, Québec. Le marché américain semble de nouveau être une porte de salut, si le personnel peut produire les véhicules commandés assez vite.
Quelques semaines et mois passent. Karou se voit dans l’obligation de déclarer faillite en septembre 1973. Les créanciers de la firme partagent la dépouille au cours des semaines et mois suivants.
Votre humble serviteur serait surpris de lire (entendre ?) que plus de 1 500 Karou sont produites entre 1970 et 1973. Ce type de VTT est vraiment rare en 2021.
La disparition de Karou n’est pas la seule à affecter l’industrie québécoise et drummondvilloise du VTT. Pas moins de 4 autres firmes établies à Drummondville ou dans sa région, selon toute vraisemblance la région du monde ayant la plus forte concentration de fabricants de VTT, disparaissent ou s’en vont avant même la fin de 1980. L’avenir radieux envisagé par la direction de Karou s’est évanoui en fumée.
Prenez soin de vous, ami(e) lectrice ou lecteur. Demeurez au frais et buvez beaucoup d’eau.