« Voler pendant une éclipse, d’un point de vue de pilotage, n’est qu’un travail ordinaire; » Ou, Comment le Corps d’aviation royal canadien a capturé l’éclipse totale de soleil du 24 janvier 1925 – et quelques trucs en plus sur cet événement, partie 3
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur et bienvenue dans une autre nouvelle partie de notre article sur l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925.
Vous vous souviendrez bien sûr que nous n’avons pas encore atteint le point culminant de cet événement céleste, visible dans une bande étroite d’environ 160 kilomètres (environ 100 milles) de largeur, je pense, du sud de l’Ontario. Et oui, c’est vraiment ma faute.
Actuellement, votre humble serviteur aimerait vous dire que les conditions sont parfaites à Hamilton, Ontario, ou à Long’s Corners, Ontario, le matin du 24 janvier 1925. Malheureusement, c’est loin d’être le cas. Des nuages gâchent tout, à la grande déception des scientifiques sur place qui savent très bien que des nuages en début de journée à cette période de l’année sont une possibilité certaine.
Quelques scientifiques, dont John Waller Melson, un chargé de cours canadien en arpentage à la University of Toronto de… Toronto, Ontario, parlent aux gens, tant locaux que d’ailleurs, rassemblés à Long’s Corners, expliquant à quoi servent les différents instruments.
Lorsqu’on lui demande quand il tenterait d’observer une autre éclipse, le célèbre astronome / physicien / professeur canadien mentionné dans les 1ère et 2ème parties de cet article, oui, celui basé au Department of Astronomy de la University of Toronto, Clarence Augustus Chant, répond qu’il n’a pas de plans. « Il y aura une éclipse totale en août 1932 à Anticosti, dit-il, des mots traduits ici, mais c’est dans beaucoup de temps. »
Incidemment, cette éclipse a lieu le 31 août 1932. Curieusement, la zone de totalité n’est pas du tout à proximité de l’île d’Anticosti, dans le golfe du fleuve Saint-Lauraient, ce que vous sauriez, ami(e) lectrice ou lecteur, si vous aviez parcouru l’article en 3 parties sur cet événement que votre humble serviteur a téléchargé en septembre 2022.
À Ottawa, Ontario, à l’Observatoire fédéral, aux abords de la Ferme expérimentale centrale du ministère de l’Agriculture (Bonjour WK et MMcC!), l’astronome belgo-canadien et chef du département d’astronomie physique de l’observatoire, François Charles Henroteau informe les journalistes que seulement 3 photographies ont été prises, et qu’aucune d’entre elles ne mérite d’être publiée.
Le ciel nuageux gâche également le plaisir des gens ordinaires à Hamilton, Ottawa et Toronto, ainsi qu’à Montréal, Québec, etc.
Croiriez-vous que la direction de certaines banques qui ont des succursales à Toronto avait l’intention de vraiment gâcher le plaisir des pas bons locaux en verrouillant leurs coffres-forts et voûtes jusqu’à la fin de l’éclipse? Les transferts d’argent habituels, un million de dollars environ dit-on (tape-t-on?), une somme qui correspond à environ 17 750 000 $ en devises de 2025, sont effectués une heure plus tôt que d’habitude, histoire d’être sûr.
De plus, toutes les bijouteries du centre-ville sont fermées lorsque l’événement céleste se produit, et aucun objet de valeur ne peut être vu dans les vitrines des magasins du centre-ville torontois.
Pour une raison ou une autre, les pas bons de Toronto restent à la maison – ou regardent l’éclipse.
Comme prévu, il y a des régions en Ontario où les gens ont une bonne vue de cet événement céleste, et ce tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone d’obscurité totale. Les bonnes gens de London, se trouvant dans la zone d’obscurité totale, voient ceci par exemple…

Deux vues de l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925 telle que vue à London, Ontario. La photographie de gauche montre la Lune quelques minutes avant la totalité, tandis que celle de droite montre la Lune qui l’éloigne après cette totalité. Anon., « Views of Today’s Eclipse Seen From London. » The London Evening Free Press, 24 janvier 1925, 1.
Et voici les photographies, vues ici en négatif, que Joseph Demers, un chargé de cours de physique de l’Université de Montréal de… Montréal, prend le 24 janvier, à… Montréal.

Quelques-unes des photographies de l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925, vues ici en négatif, qui sont prises à Montréal par Joseph Demers, chargé de cours en physique à l’Université de Montréal… de Montréal, Québec. Anon., « La récente éclipse solaire à Montréal ». La Presse, 31 janvier 1925, 24.
Et oui, gentil(le) ami(e) lectrice ou lecteur qui a parcouru tous les numéros de notre blogue / bulletin / machin, Demers est mentionné dans un numéro de septembre 2022 de cette merveilleuse publication.
Remarquez, des nuages gâchent également le plaisir de nombreux journaux ontariens qui, comme vous l’avez deviné, avaient grandement moussé l’intérêt de leurs lectrices et lecteurs. Se retrouvant maintenant sans grand-chose à dire ou montrer malgré tout ce battage médiatique, ils font de leur mieux. Ils publient des récits détaillés de ce que les scientifiques ont pu accomplir ou bien concoctent des histoires d’intérêt humain.
Ceci dit (tapé?), certains étudiants de la University of Toronto prennent le tout avec philosophie, déclarant, des mots traduits ici, que « la Prima Donna Helio Solus a annulé ses fiançailles avec l’université samedi matin après quelques brèves révérences. »
Ceci, soit dit en passant, est ce que ces gens déçus auraient vu si des nuages n’avaient pas gâché leur plaisir…

Certaines phases de l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925 prises, euh, quelque part. Anon., « How Eclipse Photos Were Made. » Victoria Daily Times, 31 janvier 1925, 12.
Incidemment, les conditions sont excellentes sur le campus de Yale University, à New Haven, Connecticut, où un célèbre astronome amateur / pasteur presbytérien canadien mentionné dans la première partie de cet article, à savoir Daniel Brand Marsh, s’était installé.
Et oui, la dizaine de scientifiques à bord du dirigeable rigide USS Los Angeles de la United States Navy réalisent leurs observations dans des conditions idéales, au large de la côte Est des États-Unis. Eh bien, idéales mises à part la très froide température. À vrai dire, la dizaine d’heures passée dans la nacelle principale non chauffée de ce dirigeable mentionné dans la 1ère partie de cet article constituent une expérience douloureuse.
Le USS Shenandoah, mentionné dans cette même 1ère partie, ne vole pas ce jour-là. De fait, il n’aurait pas pu voler du tout. Voyez-vous, l’approvisionnement en hélium de la United States Navy est apparemment si limité à la fin de 1924 et au début de 1925 qu’elle ne peut remplir que les ballonnets d’un seul de ses deux dirigeables géants rigides à la fois. Je ne plaisante pas.
Remarquez, un aéronef du United States Marine Corps, peut-être un bombardier-torpilleur bimoteur Martin MT équipé d’un poste de radio pour diffuser ce qui se passe dans les cieux au nom de North American Newspaper Alliance Incorporated, un syndicat de journaux américain ayant des membres canadiens, London Evening Advertiser de… London par exemple, demeure fermement au sol. Voyez-vous, le temps exceptionnellement froid de l’époque avait complètement gelé ses moteurs refroidis par eau, mais revenons à Toronto et au cœur de notre histoire.
Un journaliste travaillant pour The Toronto Daily Star est un des innombrables Torontoises et Torontois dont le plaisir de l’éclipse est anéanti par la couverture nuageuse. Voyez-vous, il s’était envolé pour regarder le spectacle, mais voyons comment cela est arrivé.

Le lieutenant d’aviation Arthur Lawrence Morfee et l’appareil photographique, monté sur un aéronef Avro Type 504, qu’il utilise pour photographier l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925. Anon., « Daring Canadian Airman Who Photographed the Eclipse To-Day. » The Toronto Daily Star, 24 janvier 1925, 8.
Tôt le matin du 24 janvier, deux Avro Type 504 équipés de skis du Corps d’aviation royal canadien (CARC) quittent la base aérienne de Camp Borden, en Ontario, et volent vers le sud, en direction de Hamilton. À bord de ces aéronefs se trouvent, d’une part,
- un pilote anglo-canadien qui se trouve être l’officier responsable de l’entraînement au pilotage à la base aérienne de Camp Borden, le capitaine d’aviation George Eric Brookes, et
- un pilote / photographe aérien anglo-canadien stationné à la base aérienne de Camp Borden, le lieutenant d’aviation Arthur Lawrence Morfee, et, d’autre part,
- un pilote terre-neuvien canadien qui se trouve être instructeur à la base aérienne de Camp Borden, le capitaine d’aviation Roy Stanley « Bill » Grandy, et
- un observateur civil du The Toronto Daily Star de… Toronto, le journaliste irlando canadien Frederick Samuel Gilmore Griffin.
Vous vous souviendrez bien sûr, ami(e) lectrice ou lecteur assidu(e) de cet étonnant blogue / bulletin / machin que vous êtes, que Grandy est mentionné dans un numéro d’août 2024 de cette publication.
Avant que je ne l’oublie, Morfee et quelques collègues doivent concevoir un support spécial pour l’appareil photographique qui lui permettrait de photographier l’éclipse. Plutôt que de pointer vers le bas comme c’est le cas pour photographier des objets au sol, pour la cartographie aérienne, le dit support pointe plus ou moins horizontalement.
Et non, Morfee n’utiliserait pas le système de photographie automatique de son appareil photographique de cartographie aérienne Fairchild K-3. Il actionnerait manuellement ce dispositif haute performance.
Lorsque Brookes, Grandy, Morfee et, apparemment, Griffin se couchent, le ciel est clair et l’air froid. Quand ils se réveillent, il y a des nuages dans le ciel et il fait encore froid.
L’opinion générale à la base aérienne de Camp Borden est que la couverture nuageuse serait dense et atteindrait une altitude élevée. Compte tenu des capacités des Type 504 affectés à l’opération, peu de pilotes s’attendent à ce que leurs équipages soient capables de percer les nuages et voir le Soleil. Même la machine la plus puissante pilotée par Brookes serait handicapée, étant donné la nécessité de transporter le lourd appareil photographique que Morfee utiliserait.
Un vent d’environ 65 km/h (environ 40 mi/h) soufflant du sud est une préoccupation supplémentaire. Voyez-vous, il réduirait presque de moitié la vitesse des Type 504 au-dessus du sol enneigé en contrebas. Les deux aéronefs devraient décoller tôt pour atteindre à temps la zone d’obscurité totale.
Comme vous l’avez peut-être imaginé, Griffin ne va pas à la base aérienne de Camp Borden avec tous les vêtements nécessaires à son escapade aérienne. Le capitaine d’aviation George John Blackmore, un Canadien, je pense, a la gentillesse de lui fournir tout ce dont il a besoin.
Pour citer Griffin, des mots traduits ici,
J’avais une combinaison Sidcot, doublée de fourrure. Sur mes pieds, il y avait quatre paires de grosses chaussettes et une paire de mocassins, un beau gréement pour voler en hiver. Je portais « je ne sais combien » de chandails, un casque de vol doublé de fourrure avec un masque et un cache-nez, sans oublier des lunettes de protection d’hiver bordées de fourrure, complétait la tenue. Et une paire de gants en peau de blaireau, avec des mitaines de laine ordinaires à l’intérieur.
Pour citer encore une fois Griffin, des mots de nouveau traduits ici : « J’étais pratiquement hermétiquement enfermé et, en fait, à aucun moment du voyage je n’ai senti un froid désagréable. »
À cet égard, la photographie suivante peut peut-être présenter un intérêt.

Deux officiers non identifiés du Corps d’aviation royal canadien se hissant à bord d’un Avro Type 504 de fabrication britannique datant de la Première Guerre mondiale (1918?) typique sur skis, et ce au plus tard en 1926. La photographie a peut-être été prise à la base aérienne de Camp Borden, Ontario. Bibliothèque et Archives Canada, HC-1268.
Et vous avez une question, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur préoccupé(e)? Griffin et le trio d’officiers du CARC portent-ils des parachutes? Euh, une bonne question. Je n’en ai aucune idée. Euh, je présume qu’ils en portent. Ceci étant dit (tapé?), il est probable que Griffin n’avait jamais porté, et encore moins utilisé un parachute auparavant. Pis encore, descendre un parachute face à un vent d’environ 65 kilomètres/heure (environ 40 milles/heure) n’aurait pas été une expérience rigolote.
Avant que je ne l’oublie, au cours de leur vol, Grandy et Griffin peuvent communiquer par un tube acoustique / tuyau acoustique.
Le dispositif en question est-il un tube acoustique Gosport, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur fana d’aviation? Une question avisée. Il peut en effet s’agir d’un tube acoustique de ce type.
Vous vous souviendrez bien sûr que le tube acoustique Gosport est testé en juin 1917 au sein d’un escadron d’entraînement basé près de… Gosport, Angleterre, et ce sous la supervision du major Alan John Lance Scott, l’officier néo-zélandais du Royal Flying Corps (RFC) de la British Army responsable de la mise au point de ce dispositif, et…
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur outré(e)? Un autre officier du RFC, un Anglais cette fois-ci, le major Robert Raymond Smith Barry, est le cerveau derrière le tube acoustique Gosport, affirmez-vous, avec force? Eh bien, en fait, non, il ne l’est apparemment pas. De fait, le rôle joué par Smith Barry dans le développement du système Gosport d’entraînement au pilotage, utilisé partout dans le monde après la Première Guerre mondiale, est apparemment exagéré. Toutes mes excuses pour avoir fait éclater votre bulle, mais revenons à notre histoire.
Il va sans dire que Brookes, Grandy et Morfee portent probablement des quantités de vêtements comparables à ceux portés par Griffin.
Pour répondre à la question qui se coalesce dans votre petite caboche, une combinaison Sidcot est une combinaison de vol d’une pièce dans laquelle on entre qui est inventée en 1916 par Frederick Sidney Cotton, un pilote australien servant dans le Royal Naval Air Service de la Royal Navy. Comme vous le savez bien, ce gentilhomme est mentionné dans un numéro d’août 2024 de notre blogue / bulletin / machin.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur sensible au froid, le Type 504 est un aéronef à habitacle ouvert sans système de chauffage.
Grandy décolle tôt le matin du 24 janvier pour voir si son aéronef fonctionne correctement. Le commandant de la base aérienne de Camp Borden, le lieutenant-colonel d’aviation Lloyd Samuel Breadner, n’est pas impressionné par le fonctionnement initial du moteur, mais tout s’arrange vite.
Aussi confiant que Grandy affirme être, ses derniers mots avant le décollage sont, et je cite, en traduction, si on en croit Griffin, « Ayez une autre machine réglée et prête, si nous retombons. » Comme c’est rassurant…
Quoi qu’il en soit, Grandy et Griffin quittent la base aérienne de Camp Borden un peu avant 8 heures du matin, je pense, un peu plus d’une heure environ avant que l’éclipse n’atteigne son point culminant. Brookes et Morfee décollent environ 5 minutes plus tard. La visibilité est assez bonne et tout va bien. Un vent violent soufflant du sud s’avère toutefois si fort que Grandy et Brookes décident (indépendamment?) de voler bas pour y échapper.
La machine de Brookes étant plus rapide que celle de Grandy, il la rattrape 15 à 20 minutes après le décollage. Brookes déplace son Type 504 pour que Grandy le voit. En environ 5 minutes, Grandy et Griffin perdent de vue la machine de Brookes alors que cette dernière grimpe dans les nuages.
Alors que les deux aéronefs se déplacent vers le sud, le moteur du Type 504 piloté par Grandy commence à mal se comporter. Grandy doit atterrir à peu près à mi-chemin entre la base aérienne de Camp Borden et Toronto, près de Holland Landing, Ontario. À son grand dam, Griffin se retrouve ainsi sur la touche.
Et oui, le Type 504 en question est une machine de fabrication britannique datant de la Première Guerre mondiale (1918?) et arrivée au Canada en 1920, je pense. L’autre Type 504, soit dit en passant, est un des deux tout nouveaux aéronefs de ce type de fabrication britannique qui sont livrés au CARC en septembre et octobre 1924.
Et ce moment est aussi bon qu’un autre pour conclure cette avant-dernière partie de notre article sur l’éclipse totale de Soleil du 24 janvier 1925.
À plus.