« Les Rouges portent la Guerre froide aux Nord-Américains : » Une brève feuille de route des circonstances entourant l’importation au Canada d’automobiles tchécoslovaques au plus fort de la Guerre froide, partie 1
Bon matin, bon après-midi ou bon soir, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur ose espérer que la vie vous traite avec bienveillance. Ça n’est certes pas le cas pour tout le monde. Soupir…
J’aimerais vous entretenir aujourd’hui d’un sujet touchant à un sujet d’exposition à venir du fabuleux Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, et à un domaine de recherche du Musée des sciences et de la technologie du Canada, également situé à Ottawa, une institution muséale qui n’est pas trop mal. Désolé, désolé.
Le sujet d’exposition est la Guerre froide, une période de conflit idéologique qui oppose tout particulièrement l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et les pays d’Europe de l’Est sous son joug, d’une part, et, d’autre part, les États-Unis et les pays, euh, et des pays occidentaux alliés, dont le Canada.
S’il ne semble pas y avoir de consensus sur la date précise du début (1946? 1947? 1948?) de cette période troublée et fort dangereuse du 20ème siècle, de nombreuses chercheuses et chercheurs, voire même la plupart d’entre elles et eux, s’accordent pour affirmer que la Guerre froide se termine avec l’effondrement et la dissolution de l’URSS en 1991.
Le domaine de recherche, quant à lui, est le transport terrestre.
Votre humble serviteur souhaite en fait aborder la Guerre froide par le biais de la réaction de divers intervenants à l’importation au Canada d’automobiles produites en Tchécoslovaquie par la société d’état Automobilové Závody Národni Podnik (AZNP).
Le moyen utilisé pour vous amener ce sujet est une publicité de l’entreprise de commerce extérieur tchécoslovaque Omnitrade Limited de Montréal, Québec, pour l’automobile AZNP Škoda 440. La dite publicité paraît dans un numéro de novembre 1958 d’un important quotidien anglophone québécois, malheureusement aujourd’hui disparu, The Montreal Star.
Incidemment, les 1 760 $ auxquels se vend la Škoda 440 en 1958 correspondent à environ 18 500 $ dollars en devises 2023. À titre de comparaison, des automobiles américaines assez typiques se vendent entre 2 300 $ et 2 500 $, des sommes qui correspondent à environ 24 200 $ à 26 300 $ en devises 2023. Autrement dit, elles coûtent 30 à 40 % de plus, ce qui n’est pas rien vous l’admettrez. N’aimeriez-vous pas acheter une automobile neuve valant seulement 18 500 $ en 2023, ami(e) lectrice ou lecteur grippe sou?
La vente des véhicules tchécoslovaques au Canada ne passe pas inaperçue. Nenni. En janvier 1958, par exemple, un quotidien de Calgary, Alberta, The Calgary Herald, publie un article rédigé par un employé de North American Newspaper Alliance Incorporated, une agence de presse américaine qui peut, je répète peut, compter parmi son personnel des personnes associées de près ou de loin à la Central Intelligence Agency.
Et oui, cette redoutable et redoutée agence de renseignement américaine est mentionnée à de nombreuses reprises dans notre réconfortant blogue / bulletin / machin, et ce depuis février 2018.
L’auteur du dit texte, qui ne semble pas être publié dans beaucoup d’autres quotidiens canadiens soit dit en passant, souligne tout d’abord qu’une firme qu’il baptise du nom de Skoda a une présence au Canada, mais seulement une présence discrète. En effet, la société d’état tchécoslovaque ne se vante pas de fonctionner dans un pays sous la botte de l’URSS. Elle ne se vante pas non plus de fournir du matériel de guerre aux armées de la Chine communiste, aux forces communistes d’Indochine et aux gouvernements procommunistes d’Égypte et de Syrie.
De fait, les imposantes ventes d’armes de conception soviétique aux forces aériennes, navales et terrestres de l’Égypte, annoncées en septembre 1955, bouleversent l’équilibre des forces au Moyen-Orient, une région instable du monde, et constituent par conséquent un point tournant de la Guerre froide.
Cela étant dit (tapé?), elles n’impliquent que les gouvernements de la Syrie, de l’Égypte et de la Tchécoslovaquie, du moins officiellement.
L’auteur du texte paru dans The Calgary Herald rappelle par ailleurs que des armes fournies par Skoda à la Corée du Nord et / ou à la Chine ont blessé et tué de nombreux soldats américains, canadiens et d’autres pays en Corée.
Cet auteur est toutefois dans les patates. Le géant industriel qu’était Akciová společnost, dříve Škodovy závody, se sídlem v Plzni avant la Seconde Guerre mondiale avait été démembré et nationalisé après ce conflit par le gouvernement tchécoslovaque. AZNP n’a en fait strictement rien à voir avec les ventes d’armes de la Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale, mais revenons au texte de employé de North American Newspaper Alliance.
L’auteur du dit texte souligne par ailleurs, en traduction ici, que les ventes d’automobiles tchécoslovaques au Canada ont un impact négatif : « Au moment où cette voiture soutenue par les Rouges est mise en vente au Canada, des milliers de Canadiens sont licenciés dans l’industrie automobile de ce pays en raison de la baisse des ventes de voitures nord-américaines. »
Comment le gouvernement fédéral peut-il justifier une telle situation, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Aux dires, ici traduits, d’un porte-parole non identifié du dit gouvernement, cité par l’auteur américain du texte paru dans The Calgary Herald,
il faut maintenir son sens du cynisme dans ces choses-là. Après tout, nous entretenons de nombreux échanges commerciaux avec les pays communistes et espérons les développer, notamment avec la Chine rouge.
Dans un tel commerce, nous prenons une sorte de risque calculé à long terme. Nous savons que par ce commerce nous aidons les économies communistes, les renforçant ainsi dans leur lutte contre nous. Mais nous estimons que d’une manière ou d’une autre, nous obtenons plus d’avantages.
Maintenant, veuillez noter que votre humble serviteur ne peut pas dire à ce stade si la déclaration que vous venez de lire est authentique ou, comme l’aurait dit ma défunte mère, de la « b*llsh*t » américaine.
La présence d’automobiles tchécoslovaques en sol canadien ne date toutefois pas de 1958. Nenni. Avec votre permission, j’aimerais poursuivre notre récit par le biais d’un peu de contexte historique.
Libérée principalement par les forces armées soviétiques, entre septembre 1944 et mai 1945, la Tchécoslovaquie redevient un pays souverain en avril / mai 1945. Comme vous pouvez l’imaginer, le parti communiste local, ou Komunistická strana Československa (KSČ), est plutôt populaire. Il l’est d’autant plus que les Tchécoslovaques n’ont pas oublié les (tristement) fameux accords de Munich et… Vous ne savez rien des accords de Munich? Soupir… Qu’est-ce que gens apprennent à l’école ces années-ci?
En septembre 1938, alors que l’Europe retient son souffle, attendant de voir si une guerre va éclater, les premiers ministres effrayés de la France et du Royaume-Uni, Édouard Daladier et Arthur Neville Chamberlain, allié et ami de la Tchécoslovaquie, s’agenouillent devant le monstrueux dictateur allemand, Adolf Hitler, lui permettant ainsi d’occuper sans problème la région frontalière des Sudètes en Tchécoslovaquie, le dernier pays démocratique de cette région de l’Europe. Le gouvernement tchécoslovaque, le parti le plus touché par cet ignoble coup de couteau dans le dos, n’a même pas été invité à prendre part à ces « négociations. »
Avec des amis comme ceux-là, qui a besoin d’ennemis?
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur désenchanté(e), il existe effectivement de nombreuses populations dans le monde qui ont des amis comme ceux-là en 2023.
Les Tchécoslovaques ne vont toutefois pas tarder à réaliser que l’URSS est loin d’être un pays ami. Voyez-vous, le KSČ s’empare du pouvoir en février 1948 avec l’aide de l’URSS, mais sans intervention militaire de cette dernière. Des centaines de personnes sont arrêtées ou consignées à résidence dans le cadre de ce coup de Prague. Une dictature communiste s’instaure qui va se poursuivre jusqu’en novembre 1989.
Compte tenu de l’hostilité évidente des gouvernements fédéral et provinciaux du Canada envers l’URSS aux environs de 1948-50, une hostilité partagée par une majorité de Canadiennes et Canadiens, l’importation d’automobiles produites en Tchécoslovaquie par AZNP a de quoi surprendre. Voyons de quoi il en retourne.
Les premières automobiles venues de Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale arrivent au Canada au plus tard à la fin du mois de mai 1949. Une AZNP Škoda 1101 ou 1102, je crois, et une Tatra 600 / Tatraplan sont exposées à Toronto, Ontario, dans le cadre de la Canadian International Trade Fair tenue sur le terrain de la Canadian National Exhibition entre le 30 mai et le 10 juin.
Les premières automobiles venues de Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale afin d’être vendues arrivent au Canada au plus tard en juillet 1949. Elles sont distribuées dans tout l’est du pays, de Terre-Neuve jusqu’au Manitoba semble-t-il, par une firme fondée ce même mois, Établissements Cotton Incorporée de Québec, Québec, une firme qui peut être associée à une autre firme fondée ce même mois, Cotton Motor Sales Company Limited de Québec, ces deux firmes étant des créations de l’homme d’affaires québécois Randall Cotton.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, cette phrase était très longue. Un tiret cadratin! Un tiret cadratin! Mon royaume pour un tiret cadratin! Désolé, désolé.
Et non, Établissements Cotton ne semble pas disposer d’une salle de montre. Elle doit en effet utiliser celle de Garage de la Canardière Enregistrée de Québec.
La firme dispose cependant d’assez de pognon pour se payer une publicité d’assez grande taille dans une édition du dimanche du mois d’août 1949 d’un important quotidien québécois sur le déclin, La Patrie de Montréal.
Publicité d’Établissements Cotton Incorporée de Québec, Québec, vantant les mérites de l’automobile AZNP Škoda 1101 ou 1102. Anon., « Établissements Cotton Incorporée. » La Patrie, 7 août 1949, 63.
Ironiquement, c’est en bonne partie dans L’Action catholique de Québec, un quotidien très conservateur, pour ne pas dire (taper?) réactionnaire, financé par l’archidiocèse catholique apostolique romain de Québec, oui, la ville, pas la province, qu’Établissements Cotton fait la publicité de ses véhicules tchécoslovaques entre 1949 et 1951. L’argent, semble-t-il, n’a ni odeur ni couleur lorsqu’il remplit les coffres. Désolé.
Aux dires d’Établissements Cotton, les Škoda 1101 ou 1102, je pense, sont des automobiles économiques qui surpassent tous les véhicules américains ou britanniques disponibles au Canada. Selon toute vraisemblance, cette petite firme utilise de tels propos afin attirer l’attention de concessionnaires automobiles du Québec et d’ailleurs au Canada qui pourraient songer à vendre ces véhicules.
Aux dires de certains, environ 55 automobiles produites par AZNP arrivent au Canada en 1949. Un peu plus de 1 100 font apparemment de même en 1950. Votre humble serviteur n’a pas encore trouvé de données concernant les années 1950, l’année 1950 faisant évidemment partie des années 1940. Si, si, des années 1940. Allez voir en ligne si vous ne me croyez pas, mais pas maintenant.
Remarquez, Établissements Cotton distribue également les automobiles produites en Tchécoslovaquie par Tatra Národní Podnik. Aux dires de certains, environ 170 Tatra 600 / Tatraplan, une automobile plus puissante, luxueuse et coûteuse que les Škoda 1101 ou 1102, arrivent au Canada entre 1949 et, au plus tard, 1952, mais je digresse.
Soit dit en passant, une Škoda 1101 / 1102 et une Tatra 600 sont en montre au grand magasin à rayons montréalais Henry Morgan & Company Limited en janvier 1950, dans le cadre d’une exposition d’automobiles européennes (France, Italie, Royaume-Uni et Tchécoslovaquie).
En mars, des exemplaires de ces automobiles tchécoslovaques sont en montre dans un chic établissement hôtelier montréalais, le Mount Royal Hotel. Elles côtoient alors de nombreux véhicules nord-américains.
Détail intéressant, le pognon payé par les Canadiens qui achètent une Škoda 1101 / 1102 ou une Tatra 600 demeure au Canada. Environ 60 % du dit pognon sert à payer la dette du gouvernement tchécoslovaque envers le Canada et le reste sert à payer les produits canadiens exportés en Tchécoslovaquie. Ces produits sont pour une bonne part des produits de haute technologie comme du bois, des œufs, des peaux de vache et du poisson.
Il pourrait valoir la peine de souligner à ce stade qu’un concessionnaire automobile non identifié de Toronto est apparemment prêt à commander 500 automobiles tchécoslovaques et à devenir le distributeur de ces véhicules économiques en Ontario si les autorités tchécoslovaques acceptaient de réduire le prix de chaque automobile de 50 $, une somme qui correspond à environ 640 $ en devise 2023. Ce projet peut, je répète peut, avoir débouché sur quelque chose de concret.
Votre humble serviteur se demande si l’accord en question est négocié au moins en partie par l’envoyé tchécoslovaque qui est en tournée au Canada au printemps 1950 pour signer des commandes et établir un réseau de concessionnaires, mais je digresse.
Croiriez-vous que la saga des automobiles tchécoslovaques en sol québécois / canadien se corse vers la fin avril 1950?
Un bien affligé Randall Cotton, président d’Établissements Cotton Incorporée de Québec, Québec, constatant les dommages subis à bord d’un cargo navigant entre Rotterdam, Pays-Bas, et Saint John, Nouveau-Brunswick, par une des automobiles tchécoslovaques Škoda 1101 ou 1102 importées par sa firme. Anon., « Sabotage de 59 autos tchèques. » Photo-Journal, 4 mai 1950, 4.
Le susmentionné Cotton affirme en effet à un représentant de la Presse canadienne, l’agence de presse et non pas le quotidien bien sûr, qu’un lot d’une centaine de Škoda 1101 / 1102 et Tatra 600 a été saboté alors qu’il franchissait l’Océan Atlantique, entre Rotterdam, Pays-Bas, et Saint John, Nouveau-Brunswick, à bord de deux cargos,
- le MS Prins Johan Willem Friso de Naamloze Vennootschap Maatschappij Zeetransport, une compagnie maritimes néerlandaise mieux connue sous le nom de Oranje Lijn, et
- le MV Wanstead de Britain Steamship Company Limited, une compagnie maritime anglaise appartenant à une autre compagnie maritime anglaise, Watts, Watts & Company Limited.
Avant que vous ne me rameniez à l’ordre, permettez-moi de souligner que, après vérification, une vérification qui m’a pris un temps fou soit dit en passant, un bon 12 minutes et 34 5/6 secondes en fait, les cargos en question ne portent pas les noms de Frisco et Wanstade, qui sont ceux mentionnés dans les quotidiens de l’époque, mais revenons à notre saga.
Pour ainsi dire tous les accessoires détachables de la centaine d’automobiles ont été enlevés, affirme Cotton. Plus de 50 automobiles ont par ailleurs été sérieusement endommagées. Près d’une dizaine sont à toute fin utile bonnes pour la ferraille.
« C’est plus que de la négligence de la part de l’expéditeur, affirme encore Cotton, en traduction de l’époque. C’est ni plus ni moins qu’une tentative délibérée pour empêcher la venue des automobiles tchèques au Canada. »
En effet, ajoute Cotton, en traduction de l’époque, « Les compagnies de navigation impliquées sont des organisations responsables et fiables et il n’y a aucun doute dans mon esprit que tout ce sabotage est le travail d’un certain groupe de gens qui visent à protéger leurs intérêts en détruisant les miens. »
Cotton évalue les pertes subies par Établissements Cotton à environ 25 000 $, soit environ 325 000 $ en devises 2023.
Aussi fâché qu’il soit, Cotton ne semble pas avoir porté plainte en avril 1950, ce qui est un tantinet curieux. De fait, personne ne semble avoir contacté le gouvernement fédéral ou la Gendarmerie royale du Canada à cette époque. En absence d’une plainte, ce corps policier ne peut pas intervenir et n’est pas intervenu.
Quoi qu’il en soit, Cotton affirme qu’il s’attendait à ce genre d’ennuis, et ce dès le moment de sa décision d’importer des automobiles tchécoslovaques, vers la fin de 1948 ou le début de 1949.
Un représentant d’une des compagnies maritimes impliquées dans ce dossier, cité ici en traduction, a toutefois ceci à dire sur les affirmations de sabotage proférées par Cotton :
Notre navire a été secoué tout au long du trajet et il a dû être mis en cale sèche pour des réparations avant de faire le voyage de retour à Rotterdam. Nous savons que quelques-unes des automobiles ont été endommagées par des déplacements lors de la mer agitée, mais il est difficile de croire qu’elles aient pu être sabotées.
Ce représentant n’écarte toutefois pas la possibilité qu’une manipulation négligente au port de Saint John ait causé certains des dommages mis à jour.
W.H. Barkas, un porte-parole du service des importations de Shipping Limited de Montréal, la firme canadienne qui représente les intérêts de Maatschappij Zeetransport au Canada, affirme que les automobiles ont été endommagées à leur arrivée à Saint John. La firme ne sait pas comment ces dommages ont été causés mais a bien l’intention d’effectuer une enquête approfondie. De fait, Établissements Cotton, Britain Steamship et Maatschappij Zeetransport ont bien l’intention d’effectuer des enquêtes approfondies, tout comme les compagnies d’assurance d’ailleurs.
Et non, votre humble serviteur ne peut pas affirmer avec le moindre degré de certitude si Barkas et le susmentionné représentant d’une des compagnies maritimes impliquées dans ce dossier sont une seule et même personne. Désolé.
Je suis par ailleurs désolé d’avoir à mettre terme à notre étude de la réaction de divers intervenants à l’importation au Canada d’automobiles produites en Tchécoslovaquie par AZNP pendant une semaine.
À plus.