Le candidat mancunien; ou, comment flotter près du sol avec la plus grande facilité
Paix et longue vie, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur ose espérer que tout va bien dans votre petit coin de la Voie lactée. Comme vous l’avez sans doute deviné, j’entends pérorer cette semaine sur un aéroglisseur / véhicule à coussin d’air, un moyen de transport pour lequel j’éprouve un certain faible. La photographie qui illustre mon propos provient d’un hebdomadaire qui paraît entre 1961 et 1972, Vallée de la Petite nation de Buckingham, puis Saint-André-Avelin, Québec. La dite photo se trouve dans le numéro du 30 janvier 1969 de la dite publication. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur passionné(e) de vol en planeur, la municipalité de Buckingham est mentionnée dans un numéro de juillet 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
Est-ce que le mot Aérodoo / Aerodoo vous dit-il quelque chose? Oui? Non? C’est bien ce que je pensais. Il y a par conséquent fort à parier que vous n’avez jamais entendu parler de Cecil George Armitage, un dentiste mancunien, et… Non, ami(e) lectrice ou lecteur, un Mancunien n’est pas une créature intelligente extraterrestre. Il s’agit en fait d’un résident de la belle et grande ville de Manchester, Angleterre. Armitage, dis-je, est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Il sert avec distinction dans la Royal Air Force en tant que pilote de chasse.
Armitage compte parmi les nombreux passionnés de l’aéroglisseur qui œuvrent au Royaume-Uni, et ailleurs dans le monde, au cours des années 1960. Dans se temps libres, il conçoit et fabrique quelques aéroglisseurs légers / de petite taille. Mentionnons par exemple le Manchester Maid, le Mancunian II et le Tadpole, complétés vers 1968-70. Armitage travaille tout d’abord dans la cave de l’édifice où se trouve son bureau de dentiste. Il loue par la suite une partie du magasin d’une coopérative / magasin général, baptisée The Levenshulme Hovercraft Works pour la circonstance.
Armitage compte parmi les piliers du Manchester Hoverclub. Tout comme de nombreux passionnés, il participe à un certain nombre de courses d’aéroglisseur. Croiriez-vous que, pendant un certain temps, Armitage détient le record mondial de vitesse sur aéroglisseur léger / de petite taille, réalisé à bord du Manchester Maid? Quelle est la vitesse atteinte, dites-vous? 74.271 kilomètres / heure (46.152 milles / heure), dis-je.
Au plus tard en 1969, Armitage fonde une petite société à Manchester. Hoverspares Limited fabrique un certain nombre de kits de Aerodoo et de Fleetwind Arrow, un aéroglisseur léger / de petite taille pour ainsi dire inconnu. La compagnie fabrique également quelques Hoverknights Hoverscout. Ce dernier est un aéroglisseur monoplace conçu pour être fabriqué par des constructeurs amateurs ou des groupes d’adolescents. Hoverspares ne semble pas demeurer en affaires bien longtemps, pas plus que Hoverknights (Limited?) d’ailleurs. Cette dernière, par exemple, devient membre du Denis Ferrranti Group en 1969 ou 1970.
Armitage réduit par la suite peu à peu ses activités en matière d’aéroglisseurs. Il meurt en juillet 2009, à l’âge de 89 ans.
Ce survol des réalisations de Armitage nous permet d’aborder le reste de cet article avec un peu plus de confiance.
En novembre 1968, Armitage se trouve au Québec. Il effectue des promenades de démonstration sur la rivière Richelieu à bord d’un aéroglisseur léger / de petite taille biplace, l’Aérodoo / Aerodoo. Il y a fort à parier que ce nom est d’origine québécoise, et non pas britannique. Il s’inspire en effet de la motoneige mise au point par L’Auto-Neige Bombardier Limitée, l’actuelle Bombardier Incorporée, le très populaire Skidoo. Votre humble serviteur n’est malheureusement pas en mesure d’identifier le type d’aéroglisseur léger / de petite taille que Armitage apporte au Québec en 1968.
Veuillez maintenant attachez votre ceinture, intrépide ami(e) lectrice ou lecteur. Nous allons en effet tenter de démêler les relations entre les diverses compagnies mises sur pied au Québec pour distribuer et / ou produire l’Aérodoo.
La première compagnie associée à cet aéroglisseur, Aérodoo Incorporée de Montréal, Québec, fait son apparition en 1968. Elle détient les droits exclusifs de distribution de l’Aérodoo dans les Amériques. De fait, ses représentants ne tardent pas à se mettre en quête de distributeurs sérieux dans diverses régions du Québec, dont l’Outaouais. Les liens de Aérodoo, la compagnie évidemment, avec les sociétés qui naissent par la suite m’échappent encore. Je m’en excuse.
Aerodoo Québec-Maritimes Incorporée voit le jour à Montréal en janvier 1969. Cette société a pour objectif la fabrication de véhicules automobiles de tous genres.
Aerodoo Montreal Incorporated de Montréal suit en mars 1969. Cette seconde société doit faire commercer dans le domaine des aéroglisseurs, automobiles, avions, bateaux, etc. Elle change de nom en janvier 1970, pour devenir Les Entreprises Albrechtson Incorporée.
Tant Aerodoo Québec-Maritimes que Aerodoo Montreal / Les Entreprises Albrechtson peuvent, je répète peuvent, être contrôlées par Aerodoo Holdings Limited de Montréal. Fondée elle aussi en mars 1969, cette société devient Aerodoo Industries Incorporated de Montréal en novembre 1970, avant de changer de nom une seconde fois en février 1972. Les Industries H.I.L. Limitée de Montréal voient alors le jour. Votre humble serviteur se demande si Aerodoo Holdings est la nouvelle raison sociale de Aérodoo, la susmentionnée société qui voit le jour en 1968.
Ce ballet organisationnel tient peut-être au fait que la direction de ces diverses sociétés ne parvient pas toujours à payer ses créanciers ou à répondre aux attentes des investisseurs. Aérodoo et Aerodoo Québec-Maritimes sont poursuivies en justice au début de 1971, par exemple.
Quoiqu’il en soit, divers projets d’usines d’assemblage d’aéroglisseurs sont mentionnés dans la presse. Mentionnons, par exemple, celui de Aero-Doo Manufacturing (Company? Incorporated? Limited?) de Saint-Jérôme, Québec, en avril 1969. En mai de la même année, Alliance Industries Québec Limitée de Terrebonne, Québec, annonce qu’elle amorcerait sous peu la production en série de l’Aérodoo. Elle prévoit en fabriquer 1 000 en l’espace d’un an. Alliance Industries Québec songe par ailleurs à produire des bains sauna et des tentes roulottes. Ces deux projets de production de l’Aérodoo ne mènent nulle part.
Aerodoo Industries connaît davantage de succès, relativement parlant. Financée par des hommes d’affaires montréalais et un groupe d’officiers à la retraite de l’Armée canadienne, cette société est présidée par Jean Victor Allard, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale (infanterie), premier général francophone canadien et premier chef d’état-major de la défense francophone canadien. De fait, Allard joue un rôle important dans la bilinguisation des forces armées canadiennes.
Un second officier supérieur à la retraite peut, je répète peut, être le bras droit de Allard. Lieutenant-général au sein de la United States Army au moment de sa retraite, Arthur Gilbert Trudeau est conseiller spécial du président de North American Rockwell Corporation au moment où il s’associe à Aerodoo Industries. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, cet important avionneur américain est mentionné dans un numéro d’août 2018 de notre blogue / bulletin / machin. Et oui, le dit Trudeau partage un ancêtre ayant vécu au 17ème siècle avec le premier ministre du Canada au début de 2019, Justin Pierre James Trudeau.
Vous serez peut-être intrigué(e) d’apprendre (lire?) que Trudeau, l’officier et non pas le politicien, est impliqué dans un projet militaire américano-canadien connu sous le nom de High Altitude Research Project (HARP). Celui-ci est lancé en 1961 pour étudier, à faible coût, les problèmes entourant le retour dans l’atmosphère des ogives thermonucléaires des missiles balistiques intercontinentaux. De fait, l’organisme américain impliqué dans le HARP est le Ballistic Research Laboratory de la United States Army. Son partenaire canadien est le Space Research Institute de McGill University, une institution de haut savoir de Montréal qui supervise le projet. Le principal promoteur du HARP est un brillant ingénieur canadien.
Gerald Vincent Bull compte parmi les ingénieurs qui travaillent sur le seul et unique projet de missile canadien ayant dépassé l’étape de la table à dessin. Les travaux s’engagent en 1950, dans un des établissements du Conseil de recherches pour la défense, l’Établissement canadien de recherches et de perfectionnement de l’armement de Valcartier, Québec, l’actuel Recherche et développement pour la défense Canada Valcartier. La petite équipe souhaite développer une expertise dans ce nouveau domaine plein de promesse et mettre au point un missile air-air, le Velvet Glove, comparable, jusqu’à un certain point, aux armes sur lesquelles travaillent des équipes américaines et britanniques.
Le Conseil de recherches pour la défense cède le contrôle du projet à un avionneur canadien bien connu, Canadair Limited de Cartierville, Québec, en 1951. Mis à l’essai pour la première fois en août 1953, le Velvet Glove, alors destiné à l’avion de chasse tous temps Avro Canada CF-100 Canuck de l’Aviation royale du Canada (ARC), s’avère rapidement bien limité en matière de performances. Les travaux se poursuivent mais l’enthousiasme n’y est plus.
Davantage intéressée par un missile américain jugé supérieur, l’ARC ne souhaite plus investir dans le Velvet Glove. Le Conseil de recherches pour la défense, quant à lui, aimerait voir ses ingénieurs travailler sur des projets plus avancés. Seul le personnel de l’Établissement canadien de recherches et de perfectionnement de l’armement, semble-t-il, souhaite la mise au point d’un Velvet Glove amélioré. Il n’a pas gain de cause. Le ministère de la Production de défense retire son appui au début de 1956. Canadair produit un nombre incertain de Velvet Glove (130 ou 300?) qui sont utilisés exclusivement pour des essais de tir. Et oui, fidèle ami(e) lectrice ou lecteur, Canadair est mentionné dans plusieurs numéros de notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis novembre 2017, mais revenons à nos moutons.
Les projectiles mis à l’essai par les ingénieurs du HARP ne sont pas lancés à l’aide de fusées; ils sont tirés par 2 énormes canons montés sur des champs de tir, à la Barbade, une colonie britannique des Antilles, et en Arizona. Ces projectiles sont baptisés Martlet, en l’honneur de l’oiseau qui orne le blason de McGill University. Le premier d’entre eux est tiré en janvier 1963. Un Martlet tiré en novembre 1966 atteint une altitude d’environ 180 kilomètres (environ 110 milles) – une performance encore inégalée au début de 2019. Peu populaire dans certains cercles canadiens, HARP prend fin en 1967.
La carrière de Bull ne s’arrête pas là. Elle connaît malheureusement une fin tragique. Lorsque HARP est abandonné, Bull reçoit ses avoirs et fonde Space Research Institute Incorporated. Il lance par la suite Space Research Corporation, en plein sur la frontière canado-américaine, près de Highwater, Québec. Devenu citoyen américain en 1973, Bull conçoit une pièce d’artillerie ultra performante et un obus tout aussi impressionnant. Le transfert de ces technologies au gouvernement de l’Afrique du Sud, alors sous le coup d’un embargo promulgué par l’Organisation des nations unies, en novembre 1977, entraîne l’arrestation et l’emprisonnement de Bull, en 1980.
Enragé par cette condamnation, qui est pour lui une trahison, des éléments du gouvernement américain étant au courant de ses liens avec l’Afrique du Sud, Bull tourne le dos aux États-Unis et au Canada. Il travaille pour le gouvernement irakien, tant sur une amélioration de l’ogive des missiles de portée intermédiaire de conception soviétique utilisés par ce pays que sur un canon géant capable de placer un satellite en orbite. Ces travaux font de Bull un homme marqué. Cet expert mondial en balistique est assassiné à Bruxelles, Belgique, en mars 1990, à l’âge de 62 ans. Le gouvernement qui ordonne cette exécution demeure inconnu. Il est à noter que des pièces d’artillerie directement inspirées des idées de Bull ont servi / servent dans les forces armées d’une quinzaine de pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe.
La collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend 2 missiles Velvet Glove inertes, dont 1 en coupe, ainsi que 2 Martlet, mais revenons au sujet principal de cette semaine.
Vers la fin de 1970, Aerodoo Industries semble envisager la possibilité de s’installer à Trois-Rivières, Québec. Elle choisit en fin de compte d’occuper une usine de Granby, Québec, utilisée pendant longtemps par Imperial Tobacco Company of Canada Limited, la filiale montréalaise de la société britannique British American Tobacco Company Limited. Détail pour le moins intéressant, du moins pour moi, la dite usine est utilisée au moins en partie par Les Automobiles Manic (1970) Limitée en 1970-71.
Puis-je digresser un instant, ami(e) lectrice ou lecteur? Non? Permettez-moi de passer outre à cette réponse par trop négative. Le terme Manic est une abréviation du nom d’un cours d’eau québécois, la Manicouagan, où se trouve un barrage quasi-mythique au cours des années 1960 et 1970, Manic-5, rebaptisé par la suite barrage Daniel-Johnson.
Les Automobiles Manic Incorporée, le nom initial de la société, en 1968, fabrique un exemplaire d’une voiture de course conçue en France par le Groupe de recherches automobiles de course (GRAC). Cette Manic-GRAC connaît un certain succès en piste. La compagnie conçoit ensuite une voiture de course originale, la Manic PA-II. Un prototype complété en 1970 ne semble pas participer à de nombreuses courses.
Croiriez-vous que l’âme dirigeante de Les Automobiles Manic est un diplômé du Collège Stanislas, un établissement d’enseignement privé catholique parisien réputé mentionné dans un numéro de décembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin?
Le produit qui fait la renommée de Les Automobiles Manic est toutefois une voiture de sport, la Manic GT, qui … Et puis non, votre humble serviteur n’entend pas pontifier sur cette automobile cette semaine. Je crois / espère plutôt consacrer un article au complet à la Manic GT. Permettez-moi tout au plus de mentionner que les premiers véhicules de ce type sont fabriqués à… Terrebonne. Le monde est bien petit, n’est-ce pas? Et non, Les Automobiles Manic et Aerodoo Industries n’occupent pas la même usine à des époques différentes.
Au début de 1971, par un temps glacial, le susmentionné Allard se rend à Granby avec des actionnaires pour voir un Aérodoo évoluer sur le lac Boivin. Au cours de la première moitié de cette même année, Aerodoo Industries semble assembler / fabriquer 15 Aérodoo. En juin, Allard présente à la presse 2 de ces prototypes, extrêmement / insoutenablement bruyants aux dires de certains, au club nautique de Longueuil, Québec. La compagnie, dit-il, prévoit lancer la production en série de son aéroglisseur dès septembre. Elle espère en produire 500 en 1971 et 1 150 en 1972.
La direction de Aerodoo Industries croît que l’aéroglisseur récréatif léger / de petite taille est promis à un brillant avenir au Canada et ailleurs. Le Conseil national de recherches du Canada partage cet optimisme. Un rapport complété en 1970 ou 1971 souligne en effet que 40 000 véhicules de ce type pourraient se vendre chaque année (au Canada?).
Convaincue que l’aéroglisseur peut également remplir des fonctions commerciales, Aerodoo Industries veut concevoir un véhicule pouvant transporter 5 passagères / passagers et / ou une tonne de fret.
Si l’Aérodoo se vend bien, Aerodoo Industries prévoit déménager dans une usine plus moderne, déjà existante ou à construire. Le ministère de l’Expansion économique régionale, à Ottawa, Ontario, se dit prêt à appuyer les efforts de la compagnie, si l’Aérodoo se vend bien.
Des semaines, puis des mois passent. Aerodoo Industries ne fait plus parler d’elle. Votre humble serviteur ne connaît malheureusement pas les raisons qui expliquent sa disparition. Cela étant dit (tapé?), le manque d’argent y est probablement pour quelque chose.
Puis-je me permettre une digression de nature aéronautique, ami(e) lectrice ou lecteur? Oui? Un grand merci.
Plusieurs compagnies de par le monde offrent aux collectionneurs du début du 20ème siècle des séries de cartes illustrées sur l’aviation qui s’ajoutent aux centaines de séries déjà disponibles sur de multiples sujets. Certaines de ces séries sont disponibles au Canada. Imperial Tobacco Company of Canada, par exemple, lance 2 séries de 50 cartes en 1910 et 1911. Ces séries portent le même nom, Aviation. Quelques autres séries sont apparemment disponibles au Canada avant la Première Guerre mondiale. Il suffit de songer à la série de 75 cartes, baptisée elle aussi Aviation, qui est distribuée vers 1910 dans des produits de sa maison mère britannique, British American Tobacco Company Limited. Ce type de carte conserve sa popularité au cours des années suivantes. En 1941, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Imperial Tobacco Company of Canada lance la série Aircraft « Spotter » qui comprend 134 cartes dont la taille et le format varient. Il est à noter que la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend environ 60 cartes de cette série.
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, votre humble serviteur croit que le moment est venu de conclure cet article. Si, si, ne protestez pas. Vous bâillez aux corneilles, ami(e) lectrice ou lecteur, mais je ne vous en veux pas. Avant de vous quitter, je souhaite remercier toutes les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur. À la revoyure. Longue vie et prospérité.