On m’a demandé quelques fois quel était mon avion préféré. Eh bien, voici l’un de mes favoris de tous les temps : l’avion de chasse suédois FFVS J 22, partie 2
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur, et bienvenue dans la seconde et dernière partie du petit cadeau que votre humble serviteur s’offre en guise de coup d’envoi à ce mois d’avril 2022.
Comme cela a été dit (tapé?) dans la première partie de cet article, l’embargo américain de 1940 et la confiscation de ses fournitures de guerre mettent le gouvernement suédois dans un sérieux pétrin. Le moteur d’avion britannique produit sous licence par la seule firme de fabrication de ce type dans le pays, Nohab Flygmotorfabriker Aktiebolaget, une filiale du géant suédois de la fabrication d’armes Aktiebolaget Bofors, est une machine parfaitement bonne, mais son grand diamètre et sa puissance limitée empêchent son utilisation sur tout nouvel avion de chasse de conception suédoise.
De l’aide est en route, cependant. Peu de temps après que le gouvernement américain ait imposé son embargo à la Suède, l’administration de l’aviation / commission de l’air, ou Flygförvaltningen, ordonne à Nohab Flygmotorfabriker, devenue Svenska Flygmotor Aktiebolaget en 1941, lors de son acquisition par le constructeur automobile suédois Aktiebolaget Volvo, de copier discrètement le moteur Pratt & Whitney R-1830 Twin Wasp qui propulse les avions de chasse de fabrication américaine Seversky J 9 de l’armée de l’air suédoise, ou Flygvapnet.
Si, si, copier, comme dans copier illégalement, car la Flygförvaltningen ne sait que trop bien que le gouvernement américain ait forcé Pratt & Whitney Aircraft Limited, une filiale du géant de l’aviation United Aircraft Corporation, à renoncer à un accord de licence concernant le Twin Wasp – et le moteur Pratt & Whitney R-2800 Double Wasp, un des moteurs d’avion les plus performants et puissants de son époque.
Est-il besoin que votre humble serviteur mentionne que Volvo est mentionnée dans des numéros de décembre 2018 et de mars 2022 de notre étonnant blogue / bulletin / machin? Ou que Pratt & Whitney Aircraft et United Aircraft y sont mentionnés quelques / plusieurs fois depuis mars 2018? Je ne pensais pas.
Les ingénieurs suédois démontent quelques Twin Wasp et produisent des plans pour chaque pièce de ces moteurs – une tâche herculéenne s’il en est. Une tâche compliquée par le fait que les mesures du moteur américain sont, ne l’oublions pas, en pouces et fractions de pouces et non en centimètres et millimètres. Au final, quelques centaines de modifications doivent être apportées afin de produire la version suédoise du Twin Wasp, un exploit jugé impossible par Pratt & Whitney Aircraft et d’autres aux États-Unis.
Les livraisons commencent en 1943 mais ne deviennent importantes qu’en 1944, date à laquelle le Twin Wasp est obsolète en tant que moteur d’avion de chasse. Cela dit, la Flygvapnet n’a d’autre choix que de l’utiliser.
Croiriez-vous que Svenska Flygmotor affirme plus tard que sa copie du Twin Wasp est aussi bonne sinon, à certains égards, meilleure que l’original? Si je peux paraphraser, hors contexte, Martok, fils de Urthog, un général klingon comme vous le savez bien, les Suédois, ce sont des gens intelligents. Surtout ceux-là.
À la fin de l’été 1940, alors que les travaux sur la version suédoise du Twin Wasp progressent lentement, la Flygförvaltningen contacte un membre de l’équipe suédoise d’achat d’aéronefs basée aux États-Unis. À l’époque, Bo Klas Oskar Lundberg est l’ingénieur suédois en résidence chez Vultee Aircraft Corporation alors que cette firme travaille au lancement de la production des quelque 145 avions de chasse Vultee V-48 Vanguard commandés par la Flygvapnet en février 1940, comme cela est mentionné dans le première partie de cet article.
Ce gentilhomme est chargé par la Flygförvaltningen de la conception d’un avion de chasse bouche trou / d’urgence construit autour de la version suédoise du moteur Twin Wasp. Cet avion de chasse devrait être aussi rapide qu’humainement possible. La pénurie d’aluminium à laquelle l’industrie aéronautique suédoise est confrontée oblige cette nouvelle machine à être fabriquée en bois et acier, c’est-à-dire des matériaux faciles à se procurer localement. Cet avion est, vous l’avez deviné, le P 22, et...
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez l’air chamboulé, voire décontenancé. Ahh, je vois. La désignation P 22 embrouille vos neurones. Toutes mes excuses. P 22 est la désignation sous laquelle le J 22, l’aéronef au cœur de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin, est initialement connu. Cela vous aide-t-il à désembrumer votre esprit, humm? Et oui, vous avez tout à fait raison de penser que l’avion de chasse Götaverken GP 9 que Lundberg conçoit en 1939 inspire le concept du P 22 / J 22. De fait, les deux machines sont pratiquement identiques en apparence générale.
Quoiqu’il en soit, la loi américaine votée en octobre 1940 qui rend possible la confiscation des Vanguard, ou J 10 comme les aurait appelés la Flygvapnet, non encore construits signifie que Lundberg n’a plus aucune raison de rester aux États-Unis. De fait, il est fort possible qu’il quitte le pays avant octobre 1940.
Quoiqu’il en soit, encore, à son retour chez lui, Lundberg entreprend de créer une équipe d’ingénieurs à partir de zéro, en utilisant des personnes de la Flygvapnet et de firmes privées qui, autant que possible, n’aident pas Svenska Aeroplan Aktiebolaget (SAAB) dans ses propres projets. Les personnes importantes au sein de la Flygvapnet et du ministère de la défense suédois, ou Försvarsdepartementet, qui ont besoin d’être satisfaites sont ravies par le concept de Lundberg. La construction d’une paire de prototypes est autorisée en février 1941.
Cela étant dit (tapé?), la signature d’un accord politique de 10 ans avec les constructeurs d’aéronefs et de moteurs d’aéronefs suédois, en 1939, signifie que la Flygförvaltningen doit mettre SAAB au courant. La réaction de la firme n’est pas vraiment enthousiaste. Le J 22 ne serait pas un avion de première classe, dit-elle. Compte tenu de cela, SAAB n’est pas intéressée à le produire, et… Je sais, je sais, la Seconde Guerre mondiale fait rage.
En toute honnêteté, cependant, il faut admettre qu’il n’y a pas de combats réels en Europe continentale, à l’exception de ce qui se déroule le long de la frontière grecque. Là, la Ellinikós Stratós, inférieure en nombre et en équipement, donne une belle raclée à la Regio Esercito, une performance qui suscite des applaudissements, alors que des officiers italiens ne sont pas à portée d’oreille bien sûr, même du haut commandement de la Heer de l’Allemagne nationale-socialiste. Et oui, je sais, je sais, cet empire maléfique et l’Italie fasciste sont alliés à l’époque. Pourtant, les soldats grecs sont si courageux et ceux de l’Italie si apathiques que les Allemands ne peuvent qu’applaudir l’ennemi de leur allié.
En toute honnêteté, force est de constater que beaucoup de soldats italiens ne sont pas trop ravis à l’idée de mourir pour Benito Amilcare Andrea Mussolini, une brute pompeuse et dictateur bouffon mentionné depuis août 2018 dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin, ou pour le Partito nazionale fascista d’ailleurs. Comme les Allemands le découvrent lorsqu’ils occupent l’Italie à partir de septembre 1943, lorsqu’un nouveau gouvernement signe un armistice avec les États-Unis et le Royaume-Uni, les soldats et civils italiens peuvent faire preuve d’une incroyable bravoure face à des brutes meurtrières déterminées à détruire leurs familles, mais revenons à notre Bo et son avion de chasse.
En plus de refuser poliment de produire le J 22, SAAB indique que la vitesse prévue de cet aéronef est un peu optimiste. On peut dire qu’elle ajoute l’insulte à l’injure en suggérant que le susmentionné avion de chasse J 9 soit copié, copié illégalement compte tenu des circonstances, et produit en Suède. Les bonnes gens du Flygförvaltningen remercient les bonnes gens de SAAB pour leur contribution et vont de l’avant en l’ignorant.
Remarquez, à un moment donné en 1941, les Flygförvaltningen et Flygvapnet commencent à accorder une attention croissante à une proposition d’avion de chasse soumise par SAAB. La machine en question est très peu orthodoxe en apparence mais semble très prometteuse. Cet avion de chasse, le SAAB 21 ou, comme la Flygvapnet l’appellerait, le SAAB J 21, est un des avions préférés de votre humble serviteur – et vous savez ce que cela signifie, n’est-ce pas? Oui, un numéro de notre blogue / bulletin / machin sera pourrait être consacré au J 21, mais revenons à notre histoire.
Une nouvelle organisation est créée pour superviser la production du J 22: l’atelier aéronautique de l’administration de l’aviation à Stockholm ou Flygförvaltningens Flygverkstad i Stockholm (FFVS). Comme vous l’avez peut-être imaginé, Lundberg en est l’ingénieur aéronautique en chef.
Tel que conçu par Lundberg et son équipe, le J 22 est une petite machine très profilée.
Craignant que des équipements de déneigement ne soient pas disponibles en nombre suffisant, ils conçoivent le train d’atterrissage escamotable de la machine de manière à ce que ses roues puissent être remplacées par des skis. En fin de compte, cette innovation ingénieuse ne s’avère pas nécessaire.
Désireux de mettre le J 22 en service au plus vite, la Flygförvaltningen commande un premier lot de 60 aéronefs en mars 1942. Elle le fait avant même que le premier prototype n’ait volé.
Ce premier prototype du J 22 prend son envol en septembre 1942. Il s’avère agile, facile à piloter et presque sans vice. Croiriez-vous que, une fois pesée, cette élégante machine s’avère plus légère que prévu – une performance vraiment splendide étant donné le manque d’expérience en conception d’aéronefs du petit nombre de personnes impliquées? Et non, contrairement à ce que SAAB déclarait de manière désobligeante, la vitesse prévue du J 22 n’est pas un tantinet optimiste. Si l’on en croit des rapports de presse suédois de l’époque, le J 22 est l’aéronef le plus rapide du monde en termes de puissance moteur.
Ces rapports sont apparemment corrects en ce qui concerne les avions de chasse propulsés par un moteur en étoile. Cependant, les records étaient / sont censés être battus. En toute honnêteté, comment les journalistes suédois auraient-ils pu savoir qu’entre juillet et octobre 1943, Pratt & Whitney Aircraft testerait un prototype unique d’un avion de chasse Curtiss H-81 équipé d’une version haute altitude du Twin Wasp? Cette machine, un cousin du Curtiss P-40 Warhawk, s’avère rapidement être l’aéronef le plus rapide au monde en termes de puissance moteur, mais revenons à notre histoire. Et oui, la collection du faramineux Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, comprend un proche cousin du Warhawk, un Curtiss Kittyhawk.
Malheureusement, un pilote d’essai du J 22 décède dans un écrasement en juin 1943. La cause de cet accident n’est jamais entièrement expliquée. Un second pilote d’essai survit à un atterrissage forcé lorsque le moteur du second prototype tombe en panne à très basse altitude.
Malgré tout, le premier J 22 de série s’envole en août 1943. Les livraisons à un escadron de chasse commencent en octobre. Encore une fois, c’est une performance vraiment splendide étant donné le manque d’expérience en conception d’aéronefs du petit nombre de personnes impliquées.
En raison des livraisons tardives de moteurs Twin Wasp fabriqués par Svensk Flygmotor, jusqu’à 115 J 22 environ sont livrés avec des moteurs achetés à l’Allemagne nationale-socialiste. Ces moteurs font partie de l’énorme butin de guerre saisi en France lorsque ce pays doit demander la paix en 1940. Remarquez, il est possible que les moteurs soient achetés à l’État français, le gouvernement fantoche collaborationniste et autoritaire mis en place à Vichy, dans le sud de la France, après la chute de ce pays.
Garder un œil sur les quelque 500 (!) firmes privées impliquées dans la production de la multitude d’éléments du J 22, un effort massif, complexe et audacieux rendu nécessaire par la nécessité de réduire au strict minimum toute interférence avec les firmes privées qui aident SAAB avec ses propres projets, s’avère très difficile. Tellement difficile en fait que FFVS doit faire passer son effectif de 100 à près de 800 personnes pour contrôler la situation. Et non, ces quelque 500 firmes n’ont pratiquement aucune expérience préalable dans la fabrication d’aéronefs.
Au moment où la grève d’un syndicat de métallurgistes met fin à la production, en février 1945, la FFVS a livré 180 J 22 depuis le hangar qu’elle loue jusqu’à la fin du conflit à une société aérienne appartenant au gouvernement, Aktiebolaget Aerotransport. Un atelier de réparation et entretien de la Flygvapnet, le Centrala Flygverkstaden Arboga (CVA), assemble une vingtaine d’aéronefs supplémentaires durant l’été. Certaines de ces machines, sinon toutes, sont des avions de reconnaissance photographique spécialement équipés, connus sous le nom de FFVS S 22.
Au total, FFVS et CVA livrent près de 200 J 22 et S 22 à la Flygvapnet.
La petite taille et le superbe profilage du J 22 en font le meilleur avion de chasse de la Flygvapnet jusqu’à la livraison des premiers North American P-51 Mustang d’occasion, ou J 26 comme les appelle la Flygvapnet, en avril 1945. Aussi bon que le J 22 soit, toutefois, ses pilotes savent très bien que les avions de chasse utilisés par la Luftwaffe, la Royal Air Force, les United States Army Air Forces et les Voenno-Vozdushnye Sily – Raboche Krestyanskaya Krasnaya Armiya peuvent voler et grimper plus vite.
Le J 22 est retiré du service en 1952. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, la photographie au cœur de la première partie de cet article, une photographie au cœur d’un article paru dans le numéro d’avril 1952 du mensuel suédois Looping, est vraisemblablement mise là pour commémorer la fin de la carrière militaire du J 22, il y a 70 ans.
Croiriez-vous que Svensk Flygmotor, ou le gouvernement suédois, approche Pratt & Whitney Aircraft après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour faire face à sa production illégale du moteur Twin Wasp pendant le conflit? La rumeur veut que la direction de la firme américaine soit à ce point impressionnée par l’honnêteté des Suédois qu’elle règle l’affaire avec un paiement symbolique de 1 $.
La Suède survit indemne à la Seconde Guerre mondiale, ce qui est bien, mais l’escalade des tensions entre l’Union des républiques socialistes soviétiques et les États-Unis n’augure rien de bon pour l’avenir. Le gouvernement suédois et, plus précisément, le Försvarsdepartementet, sont très déterminés à s’assurer que le pays ne sera pas pris au dépourvu si une autre guerre éclate en Europe. Cela, cependant, est une autre histoire.
Et maintenant, c’est à mon tour de vous poser une question, ami(e) lectrice ou lecteur. L’incroyable Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, possède-t-il un Mustang? Bonne réponse, ami(e) lectrice ou lecteur, c’est effectivement le cas.
À plus.
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