Un vol pour la liberté qui a percé le rideau de fer; ou, Le jour où le second lieutenant Franciszek Jarecki s’est échappé de Pologne à bord d’un chasseur à réaction Mikoyan-Gourevitch MiG-15
Que savez-vous du 5 mars 1953, ami(e) lectrice ou lecteur? Le jury de la British Film Academy (BFA) sélectionne le long métrage britannique Le mur du son comme le meilleur film britannique de 1952, ainsi que le meilleur film réalisé n’importe où sur la planète Terre cette année-là, le 5 mars 1953, dites-vous (tapez-vous)? Très bien.
Votre humble serviteur peut-il ajouter que le prix de la meilleure performance d’un acteur britannique de sexe masculin pour 1952 est allé à sir Ralph Richardson, un gentilhomme qui joue sir John Ridgefield, un des principaux protagonistes de Le mur du son?
Incidemment, en Californie, le jury de la Academy of Motion Picture Arts and Sciences sélectionne le film américain Un Américain à Paris comme le meilleur film de 1952. Si je puis me permettre, ce film était / est / continuera d’être de loin supérieur à Le mur du son. L’académie sélectionne également Frank James « Gary » Cooper comme meilleur acteur pour sa remarquable performance dans Le train sifflera trois fois. Si je puis me permettre, encore une fois, ce film était / est / continuera d’être de loin supérieur à Le mur du son. Je vous dis ça comme ça, moi.
Dévoilé en juillet 1952, ce long métrage semi-documentaire très anglais / aux lèvres pincées retrace les tentatives d’une avionnerie britannique fictive dirigée par Ridgefield de dépasser la vitesse du son (environ 1 225 à 1 060 kilomètres/heure (environ 760 à 660 milles/heure) selon l’altitude) à l’aide d’un aéronef fictif de sa propre conception, le Ridgefield Prometheus. Tragiquement, un prototype s’écrase, mettant fin à la vie du gendre de Ridgefield. Un autre prototype réussit finalement à briser le mur du son, cependant, ce qui laisse de nombreux cinéphiles britanniques avec l’impression qu’un pilote britannique dans un aéronef britannique est la première personne à briser le mur du son. Cette impression est fausse. Au risque de secouer un nid de guêpes, votre humble serviteur se demande si réaliser la dite impression n’est pas le but des patriotiques réalisateur et producteur de Le mur du son.
En vérité, Charles Elwood « Chuck » Yeager, un as de la chasse américain de la Seconde Guerre mondiale, est la première personne à briser le mur du son, en octobre 1947. Et oui, Yeager est mentionné dans des numéros de décembre 2021 et avril 2022 de notre génial blogue / bulletin / machin.
Avant que j’oublie, le jury de la BFA sélectionne le film canadien Voyage royal : Le film officiel de la visite royale au Canada et aux États-Unis comme le meilleur film documentaire réalisé n’importe où sur la planète Terre en 1952, et ce malgré le fait que la première du film ait eu lieu à Ottawa, Ontario, en décembre… 1951.
Quoiqu’il en soit, produit par l’Office national du film, une organisation canadienne de renommée mondiale mentionnée plusieurs fois dans notre blogue / bulletin / machin depuis juillet 2018, ce documentaire raconte la visite de 5 semaines au Canada et aux États-Unis à l’automne 1951 de la princesse Elizabeth, née Elizabeth Alexandra Mary de la maison Windsor, une future monarque britannique mentionnée dans plusieurs numéros de notre vous savez quoi depuis janvier 2021, et de son conjoint, le duc d’Édinbourg, né Philippos de Grèce et du Danemark de la maison Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksburg, mentionné dans un numéro de janvier 2021 de ce même vous savez quoi.
Au risque de secouer un autre nid de guêpes, votre humble serviteur se demande si le jury de la BFA sélectionne Voyage royal pour attiser la ferveur patriotique du public britannique qui fréquente les cinémas.
Que savez-vous d’autre sur le 5 mars 1953, ami(e) lectrice ou lecteur?
Valeri Grigorievitch Korzoune, pilote de chasse dans les Voyenno-Vozdushnyye Sily Soyuza Sovetskikh Sotsialisticheskikh Respublik, en d’autres mots les forces aériennes militaires de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), devenu plus tard cosmonaute, naît ce jour-là, vous dites (tapez?)? Très bien.
Sur une note bien plus sombre, ou est-ce une note bien plus heureuse, la planète Terre se débarrasse d’un des pires et flagrants monstres du 20ème siècle le 5 mars 1953. Voyez-vous, le président du Sovet Ministrov SSSR, en d’autres mots du conseil des ministres de l’URSS, le maître tout puissant de ce pays, Josif Vissarionovitch « Koba » Staline, né Ioseb Jughashvili, casse sa pipe le 5 mars 1953. Cet *nf**r* a 74 ans.
La veille, 4 mars 1953, un pilote de chasse de 21 ans de la Wojska Lotnicze, c’est-à-dire l’armée de l’air polonaise, profite d’un breffage sur l’état de santé de Staline donné à des officiers supérieurs pour dérober une carte qui montre une région du la mer Baltique qui l’intéresse profondément. Plus tard dans la journée, il est lui-même breffé sur le vol de patrouille / d’entraînement qu’il effectuerait le 5 mars, avec 3 autres pilotes.
Le dit 5 mars, ce jeune pilote très doué se hisse à bord de son chasseur à réaction / intercepteur de bombardiers Mikoyan-Gourevitch MiG-15. Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur fana d’aviation, la fabuleuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, comprend bel et bien un MiG-15 ou, pour être plus précis, un WSK Lim-2, un MiG-15 fabriqué sous licence en Pologne par Wytwórnia Sprzętu Komunikacyjnego.
Puis-je ajouter que, en 1953, le MiG-15 est un des meilleurs avions de chasse sur Terre?
Comme vous pouvez l’imaginer, étant donné la Guerre froide qui tient alors la Terre dans son emprise glacée (Bonjour, EG et VW!), les grosses légumes de la United States Air Force (USAF) auraient donné une rançon royale pour mettre la main sur un exemplaire intact / en état de vol de cet aéronef.
Ahh, les années 1950, le bon vieux temps, quand les hommes blancs hétéros « Papa a raison » régnaient sur le monde et que tous les autres Homo sapiens s’inclinaient bien bas lorsqu’un de ces cadeaux à l’humanité passait.
Une pensée subversive si je peux me le permettre. Étant donné que les Homo sapiens mâles blancs hétéros âgés de 15 à 64 ans ne représentent guère plus de 20 % de la population du Canada en 2023, de quel droit détiennent-ils autant de pouvoir et exercent-ils autant de violence? Poser cette question, c’est peut-être y répondre.
Un chasseur à réaction / intercepteur de bombardiers Mikoyan-Gourevitch MiG-15 typique. Cette machine-ci est l’aéronef du lieutenant No Kum-sok, un jeune officier de la Chosŏn-inmin’gun Hangkong Mit Banhangkong’gun qui fait défection en septembre 1953, Kimpo Air Force Base, Corée du Sud. United States Defense Imagery, HF-SN-98-07385, via Wikipédia.
Au 4 mars 1953, le seul MiG-15 auquel les experts occidentaux ont accès est un aéronef de la Chosŏn-inmin’gun Hangkong Mit Banhangkong’gun, autrement dit la force aérienne et anti-aérienne de l’armée populaire coréenne, qui atterrit en catastrophe / s’écrase près de la côte ouest de la Corée du Nord début juillet 1951. Repéré un jour plus tard, le MiG-15 plutôt cabossé est récupéré par une équipe des United States Navy et Royal Navy bien avant la fin de juillet.
Votre humble serviteur a-t-il à ajouter que le MiG-15 est un des avions de chasse les plus importants du 20ème siècle? C’est ce que je pensais. Je signalerai cependant que jusqu’à 16 000 exemplaires environ de cette machine, toutes versions monoplaces et biplaces comprises, sont produites en URSS ainsi qu’en Tchécoslovaquie, Pologne et Chine, entre 1947 et un certain moment vers la fin des années 1950, ou le début des années 1960. Ces aéronefs sont utilisés par environ 35 armées de l’air réparties un peu partout dans le monde, mais revenons à notre histoire.
Le sous-lieutenant Franciszek Jarecki de la Wojska Lotnicze. Franciszek Jarecki, « Flights for Freedom Pierce Iron Curtain – Polish Airman Writes Exclusive Account for ‘Life’ of his Dramatic Escape with a Mig 15. » Life, 6 avril 1953, 32.
Le jeune pilote polonais mentionné il y a quelques minutes, le sous-lieutenant Franciszek Jarecki, décolle d’une base du nord de la Pologne, près des rives de la mer Baltique, avec 3 autres pilotes de son unité. Alors qu’ils volent vers l’ouest en direction de l’Allemagne de l’Est, Jarecki et son ailier arrivent bientôt au-dessus de Kołobrzeg, Pologne. Les deux MiG-15 volent à une altitude d’environ 5 500 mètres (environ 18 000 pieds).
Alors qu’il laisse cette ville derrière lui, Jarecki largue la paire de réservoirs de carburant externes transportés par son MiG-15 pour augmenter sa vitesse. Il pique vers le nord vers une altitude d’environ 450 mètres (1 500 pieds), voire plus bas (200 mètres (650 pieds)?), pour disparaître des écrans radar du réseau de défense aérienne soviétique.
L’ailier de Jarecki le voit immédiatement piquer et rapporte ce fait à la radio. Jarecki fait défection! Le jeune pilote aurait déclaré qu’il allait chercher des médicaments pour Staline. Blague à part, Jarecki sait que les 2 ou 4 MiG-15 en alerte maximale à sa base prendraient l’air le plus rapidement possible. De fait, il entend bientôt à la radio que les pilotes de ces aéronefs ont reçu l’ordre d’empêcher sa fuite. Ils ont apparemment pour ordre de violer l’espace aérien du Danemark ou de la Suède si besoin est. Ils pourraient même ouvrir le feu.
Pendant que cela se passe, Jarecki tombe sur son objectif, l’île stratégique danoise de Bornholm, dans la mer Baltique, pas trop, trop loin des côtes de la Pologne. Plus précisément, Jarecki survole la petite ville de Rønne, où il s’attend à voir une grande base militaire (USAF?) américaine. Le Danemark est, après tout, un des 12 membres fondateurs de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Au lieu de cela, tout ce que Jarecki trouve est un petit aérodrome (en herbe?). Il avait vu cet aérodrome sur la carte qu’il avait volée mais pensait qu’elle avait été imprimée avant la construction de la grande base américaine qu’il s’attendait à voir.
Jarecki ne sait pas que le gouvernement soviétique a fait savoir très clairement à son homologue danois que, si la présence de troupes danoises à Bornholm est acceptable, jusqu’à un certain point, le Danemark étant considéré comme une faible entité au sein de l’OTAN, la présence de troupes d’autres membres de l’OTAN, en particulier des États-Unis, serait inacceptable. De fait, au cours des mois précédents, le gouvernement soviétique accuse son homologue danois de participer à des complots de guerre antisoviétiques liés à son implication dans l’OTAN.
Croiriez-vous que Jarecki peut avoir découvert l’existence de Bornholm des années auparavant, dans une bande dessinée de propagande? Et certaines personnes vertueuses crient sur les toits dans les années 1950 que les bandes dessinées sont une perte de temps inutile, sinon un danger pour les âmes pures et innocentes des enfants. Pfff…
Étant donné qu’atterrir sur un court aérodrome avec un chasseur à réaction s’avérerait délicat, Jarecki envisage la possibilité de voler vers Copenhague, Danemark, vraisemblablement vers la Flyvestation Værløse, une base de la Flyvevåbnet, en d’autres mots de l’armée de l’air danoise.
Et oui, je me rends compte que le Danemark n’est pas exactement près de l’océan Atlantique, mais l’Italie ne l’est pas non plus d’ailleurs, et pourtant ce pays est également membre de l’OTAN mais je digresse. Votre faute.
En regardant sa jauge de carburant après 10 à 15 minutes passées à réfléchir à sa situation difficile et à faire le tour de Bornholm, Jarecki se rend compte qu’il n’a plus le choix. C’était Rønne ou rien. Il fait le tour de l’aérodrome, ralentit et entame son approche. Il est suggéré que Jarecki a à peine le temps d’augmenter la puissance lorsqu’une clôture grillagée apparaît devant lui. Quoiqu’il en soit, il réussit à atterrir, se retrouvant tout au bout de la piste. Jarecki fait rouler son MiG-15 aussi près que possible d’un bouquet d’arbres, pour le cacher du mieux qu’il peut. Il sait qu’il a vraiment eu beaucoup de chance. Au total, le vol audacieux de Jarecki a duré bien moins d’une demi-heure.
Toujours tremblant, Jarecki sort de son MiG-15. Voyant une jeune femme et un enfant / bébé près d’une maison près de l’aérodrome, il demande dans un allemand approximatif s’il se trouve en territoire sous contrôle soviétique. La femme plutôt effrayée dit que Jarecki est au Danemark.
Le jeune pilote est bientôt accosté par quelques pilotes privés volant depuis l’aérodrome, puis par les autorités locales, des membres de la Politiet, ou police danoise, peut-être. Jarecki indique qu’il n’est pas perdu et qu’il n’a pas atterri à Rønne car il a des ennuis. Il fait défection. Le commandant de l’unité locale de la Hæren, en d’autres mots de l’armée danoise, est bientôt sur les lieux. Agissant vraisemblablement sur ordre, des membres locaux de la Politiet mettent Jarecki dans une cellule de la prison locale. Inquiet pour son avenir, le jeune pilote ne dort pas très bien.
Incidemment, des MiG-15 polonais et / ou soviétiques survolent Rønne quelques minutes après l’atterrissage de Jarecki. Le jeune pilote les entend mais ne les voit pas. Selon des comptes rendus de journaux, un de ces aéronefs est repéré. Il survole la côte de Bornholm et retourne en Pologne. Selon d’autres articles de journaux, un aéronef fait en fait le tour de l’aérodrome avant de rentrer chez lui.
Une fois informé de ce qui se passe, le gouvernement danois ordonne au haut commandement de la Hæren de mettre un cordon de troupes (lourdement?) armées autour du MiG-15. Personne ne doit s’approcher de l’aéronef sans autorisation. Tous les membres de la presse sont poliment invités à aller se faire voir.
Même s’il y a peut-être un plan pour garder secret le nom de Jarecki, ce nom fait son apparition, dans des quotidiens américains, au plus tard à la mi-mars.
De fait, le vol audacieux de Jarecki fait la une de nombreux journaux à travers le monde, mais probablement pas dans le bloc soviétique, bien sûr. Ses activités en Europe occidentale et Amérique du Nord sont décrites dans les journaux pendant quelques semaines et mois. Et oui, pas mal de journaux au Canada publient des articles sur le jeune pilote polonais. Des photographies de lui sont cependant introuvables, je pense.
Parlant (tapant?) de photographe et photographie, veuillez trouver ci-joint une traduction du texte de la légende qui accompagne la photographie au début de cet article. Et non, le photographe qui a pris la dite photographie ne se tient pas près de l’aéronef.
Le premier avion de chasse soviétique à être parvenu aux mains des Occidentaux en bon état repose sur un aéroport de l’île baltique danoise de Bornholm après avoir été posé jeudi par un jeune réfugié polonais. Le réacté - supposé être un MIG-15, portait des marques de l’armée de l’air polonaise. La police n’a pas divulgué le nom du pilote, marqué par une flèche dans le groupe à droite. Un jeune blond aux cheveux bouclés de 23 [sic] ans, il a demandé l’asile au Danemark.
Comme vous pouvez l’imaginer, le gouvernement danois contacte immédiatement ses homologues américains et / ou britanniques, qui n’en croient pas leur chance. L’aéronef de Jarecki est la toute première machine de type MiG-15 en état de vol qu’ils pourraient examiner.
Incidemment, une des premières personnes à avoir jeté un coup d’œil au MiG-15 à Bornholm est l’attaché de l’air britannique en poste à Copenhague, un gentilhomme qui connaît lui-même une ou trois choses en matière d’espionnage. Croiriez-vous que le lieutenant-colonel d’aviation Francis Russel Jeffs, un officier de la Royal Air Force, joue un rôle non négligeable dans la création d’un réseau de collecte de renseignements fondé sur l’utilisation de chalutiers de pêche quelconques (danois?) opérant en mer Baltique?
Une petite digression, si vous me le permettez. Jeffs immigre au Canada en 1956. Il est fonctionnaire au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique pendant une vingtaine d’années. Jeffs joue entre autres choses un rôle non négligeable dans la création d’une popote roulante locale, un des nombreux programmes de ce type qui livrent des repas à domicile à des personnes incapables d’acheter ou préparer leurs propres repas, mais revenons à notre histoire. Encore.
Des techniciens / spécialistes / experts de nationalité indéterminée (américaine? britannique?? danoise???) foncent jusqu’à Rønne afin de procéder à un examen très approfondi du MiG-15 de Jarecki. Que ces personnes sachent ou non que, conformément aux réglementations internationales, le dit MiG-15 doit être rendu à son propriétaire légitime avant trop, trop longtemps, n’est pas clair.
En vérité, le gouvernement polonais informe son homologue danois le jour même de la défection de Jarecki qu’il exigerait bien entendu que son aéronef lui soit restitué au plus vite. On peut imaginer que le gouvernement polonais se fait probablement secouer les bretelles par son homologue soviétique lorsque l’histoire éclate.
Fait intéressant, à la mi-mars, des rumeurs commencent à circuler dans la presse américaine selon lesquelles la défection de Jarecki a été orchestrée par un officier anticommuniste à la retraite de la USAF. Ulius Louis « Pete » Amoss n’est pas exactement un nouveau venu dans le monde obscur et meurtrier de l’espionnage. Nenni. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est apparemment, entre autres, directeur du renseignement au Near Eastern Desk de l’agence de renseignement des États-Unis pendant le conflit, le Office of Strategic Services, directeur adjoint, je crois, pour la guerre psychologique, la guérilla, le renseignement et le sabotage de cette agence, et chef d’état-major adjoint d’une composante majeure des United States Army Air Forces, la Ninth Air Force, alors basée en Angleterre.
Remarquez, Amoss peut, je répète peut, être démis de ses fonctions au Proche-Orient pour des raisons de mauvaise gestion financière. Pis encore, un collègue met en doute sa compétence.
Selon les rumeurs, Amoss agit par l’intermédiaire de sa International Services of Information Foundation Incorporated (ISI), un service de renseignement à but non lucratif privé (!) fondé en 1946 dont le but principal est de collecter des informations dans de nombreux pays étrangers (60 au plus tard vers la fin des années 1950?), en utilisant des agents sous couverture, et de diffuser ces informations aux bonnes personnes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France.
Des personnes de la Central Intelligence Agency (CIA), du Secret Intelligence Service (SIS) et du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), vous demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur à la recherche d’ennuis? Pas nécessairement. Voyez-vous, les principaux clients de la ISI seraient des firmes, industries et professions ayant des intérêts internationaux qui n’ont pas accès aux renseignements secrets dénichés par les CIA, SIS et SDECE. Des renseignements secrets qui peuvent parfois être décrits, pas par votre serviteur bien sûr, comme n’étant guère plus que des commérages.
Des agents de la ISI en Allemagne de l’Est et en Pologne auraient tenté de trouver un individu prêt à faire défection avec un MiG-15 quelques semaines, voire plusieurs mois avant le vol de Jarecki. Il y a quelques faux départs. Selon Dame Rumeur, un agent prend finalement contact avec Jarecki, qui est apparemment stationnée près de Varsovie, Pologne, à l’époque. Bien qu’exaspéré par le statut servile de son pays et, par conséquent, tout à fait disposé à faire défection, le jeune pilote ne peut rien faire. Varsovie est bien trop éloignée du Danemark ou de l’Allemagne de l’Ouest. Sa nouvelle affectation, près de la mer Baltique, change tout.
Si on en croit encore Dame Rumeur, un avionneur américain bien connu mais de taille moyenne mentionné à quelques reprises dans notre vous savez quoi depuis mars 2019, Fairchild Aircraft Corporation, finance l’opération. Et non, Jarecki n’est pas payé pour faire défection. Il fait défection parce que la présence des forces armées soviétiques dans son pays le rend malade.
Les rumeurs sont-elles vraies, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Jarecki les nie vigoureusement, d’une part, et Amoss lui-même s’éloigne des déclarations faites début mars dans un bulletin de la ISI.
Pourtant, certains aspects de la Guerre froide sont encore des rébus enveloppés de mystères au sein d’énigmes, si votre humble serviteur peut paraphraser une traduction d’une déclaration d’octobre 1939 faite par un membre bien connu de la Honourable the Commons of the United Kingdom of Great Britain in Parliament assembled. Son nom? Winston Leonard Spencer « Winnie » Churchill, un guerrier froid mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mai 2019.
Une petite digression si je peux me permettre. Une ou quelques firmes où Amoss investit investissent elles-mêmes dans un produit que ce dernier découvre en 1954. Prétendument développé par un barbier vivant au Pirée, près d’Athènes, Grèce, le dit produit est censé éliminer les pellicules et redonner aux cheveux leur couleur d’origine. Son nom? Grecian Formula 16. Le produit même promu dès le début des années 1980 par une légende québécoise du hockey mentionnée dans un numéro de mars 2019 de notre légendaire blogue / bulletin / machin, Joseph Henri Maurice « Comète / M. Hockey / Rocket / Spoutnik » Richard lui-même. Je ne plaisante pas.
Ceci étant dit (tapé?), un tonique capillaire appelé, au moins officieusement, Grecian Formula, est vendu par la firme américaine Minneapolis Medicine Company dès 1910. Une personne espiègle, mais pas votre humble serviteur bien sûr, pourrait se demander si ce produit est connu sous le nom de Grecian Formula 1, ou Formule 1 grecque. Vroum, vroum. Désolé.
Incidemment, Grecian Formula 16 ne doit pas, je répète pas, être confondue avec une Grecian Formula annoncée dans au moins un journal américain au plus tard en 1940. Prétendument développée dans les années 1850, par un individu grec vivant dans ce qui est alors une des provinces grecques de l’Empire ottoman, la dite formule soulage, euh, les hémorroïdes. Désolé, mais c’est ce que cette Grecian Formula fait, mais revenons à notre histoire.
Amoss vend ses actions en 1957 lorsqu’il découvre que Grecian Formula 16 contient un produit chimique toxique, le plomb (acétate de plomb?), et a certains effets secondaires indésirables. Il essaye ensuite de créer une firme en Angleterre pour développer une version améliorée et plus sûre du liquide incolore, mais ne réussit apparemment pas à collecter le pognon requis.
Croiriez-vous que, jusqu’en 2006, les contenants de Grecian Formula 16 vendus dans presque toute, sinon toute, l’Amérique du Nord, contiennent apparemment encore de l’acétate de plomb? Pis encore, la firme américaine qui fabrique ce produit, Combe Incorporated, a en fait développé une version sans plomb du dit produit pour satisfaire aux nouvelles règles et réglementations de l’Union européenne, règles et réglementations qui n’existent pas au Canada ou aux États-Unis. Jusqu’en octobre ou novembre 2005 précisons-le, lorsque Santé Canada ordonne que la formule de Grecian Formula 16 soit modifiée. Aux États-Unis, cette modification n’a peut-être lieu qu’en 2017 ou 2018. Notre monde est fascinant, n’est-ce pas? Et très sécuritaire…
Et le monde? Que fait-il alors que la machine de Jarecki est fouillée et trifouillée? Eh bien, par chance, ou manque de chance, fin avril 1953, des bombardiers lourds de la USAF larguent 1 200 000 tracts multilingues (chinois, coréen et russe) sur la Corée du Nord. Les dits tracts garantissent soins / refuge / protection / attention, sans parler, je pense, pognon, à tout pilote (de MiG-15?) qui ferait défection avec son aéronef. Un message radio multilingue (cantonais, coréen, mandarin et russe) est diffusé le lendemain. Au total, le premier transfuge aérien toucherait 100 000 $ ÉU, soit environ 1 500 000 $ en devise canadienne de 2023. Plus tard, un transfuge recevrait la moitié de cette somme.
En septembre 1953, le lieutenant No Kum-sok, un jeune officier de la Chosŏn-inmin’gun Hangkong Mit Banhangkong’gun, fait défection avec son MiG-15.
Remarquez, en mai, un second pilote de MiG-15 de la Wojska Lotnicze, le sous-lieutenant Zdzisław Jaźwiński, reproduit l’exploit de Jarecki en atterrissant sur Bornholm. Les autorités soviétiques ayant réagi avec colère suite à la défection de Jarecki, on peut imaginer leur degré de rage suite à celle de Jaźwiński, mais je digresse.
Et oui, No est l’heureux gagnant de la grosse récompense. Et oui encore, votre humble serviteur se rend compte que Jarecki et Jaźwiński ont fait défection avant lui. Que puis-je dire (taper ?)? Incidemment, No anglicise son nom en Kenneth H. Rowe et devient ingénieur aéronautique / aérospatial aux États-Unis.
Incidemment, encore, un portrait de Jarecki peut, je répète peut, avoir orné les tracts largués sur la Corée du Nord. Le jeune pilote n’est pas amusé. On ne lui a pas demandé s’il était d’accord avec la présence de cette photographie. De plus, Jarecki pense que le fait d’avoir son portrait sur les tracts met sa sécurité en danger. Une pensée si je peux me le permettre. Votre humble serviteur a le sentiment que les gouvernements polonais et / ou soviétique n’ont pas besoin de cette photographie pour mettre en danger la sécurité de Jarecki. Ils savent très bien à quoi il ressemble.
Il semble que le jeune pilote est emmené en Angleterre quelques jours après son atterrissage au Danemark. À Londres, Angleterre, en avril, il reçoit la Krzyż Zasługi, la plus haute distinction civile polonaise, des mains du général Władysław Albert Anders, le plus haut gradé du gouvernement polonais non communiste / anticommuniste en exil.
Remarquez, Jarecki fait escale en Allemagne de l’Ouest, à Munich, où il parle à ses compatriotes via Radio Free Europe Incorporated (RFE), un réseau de radio créé par le National Committee for a Free Europe, une organisation privée américaine fondée / financée par la CIA. Plus précisément, il collabore avec les gens de la section polonaise de RFE, Rozgłośnia Polska Radia Wolna Europa.
Gardé au secret pour sa propre sécurité, Jarecki est néanmoins autorisé à parler à des représentants de Life. Le prestigieux magazine hebdomadaire de photojournalisme américain publie cette entrevue exclusive début avril. La dite entrevue comprend un portrait de Jarecki. Qu’elle ait été menée en Allemagne de l’Ouest ou Angleterre n’est pas clair. On peut en dire autant de l’entrevue tout aussi exclusive menée par des représentants d’un hebdomadaire de photojournalisme britannique peut-être moins prestigieux, Picture Post, publié à peu près à la même époque.
Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur, Jarecki est sans aucun doute interviewé de manière très approfondie par des experts américains du renseignement afin d’extraire le maximum d’informations sur des sujets variés, de la vie quotidienne en Pologne au fonctionnement interne de la Wojska Lotnicze. Remarquez. Jarecki est également interrogé de manière très approfondie pour s’assurer qu’il n’est pas un espion.
Avant que j’oublie, comme prévu, le MiG-15 de Jarecki, alors en partie démonté, est embarqué sur un navire et renvoyé en Pologne quelques semaines après son atterrissage impromptu sur Bornholm. Il est suggéré que des dépôts laissés sur certaines parties de l’aéronef conduisent des experts polonais et / ou soviétiques à conclure que des moules des dits composants ont été réalisés pour produire des copies.
Jarecki arrive aux États-Unis début mai. Quelques jours avant la fin de ce mois, la United States House of Representatives adopte un projet de loi qui lui accorde l’asile politique. Le United States Senate approuve cette mesure peu après. À la mi-juillet, cette institution adopte un projet de loi accordant la résidence permanente aux États-Unis à Jarecki. Le président Dwight David « Ike » Eisenhower, un gentilhomme mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018, approuve cette mesure peu de temps après. De fait, Jarecki se trouve dans la salle de la Maison Blanche où le précieux document est signé par le président américain. Le jeune pilote est désormais en sécurité aux États-Unis, et ce bien qu’il ait été membre du Komunistyczna Partia Polski, ou l’est-il vraiment? En sécurité, c’est-à-dire.
Voyez-vous, en septembre 1954, Jarecki dit à la police que des assaillants inconnus ont tiré sur son automobile alors qu’il se rend à Chicago, Illinois. Il n’est pas blessé. Cet attentat fait suite à quelques / plusieurs lettres de menaces qui lui sont adressées depuis mai 1953.
Autant qu’il le veuille, Jarecki ne peut pas toujours échapper aux regards du public, surtout lorsqu’il apparaît, encore en août 1958, au populaire quiz de comédie américain You Bet Your Life, animé par l’acteur / artiste de vaudeville / comédien / écrivain / étoile (film, radio et télévision) américaine Julius Henry « Groucho » Marx.
En septembre 1953, ou peut-être avant et après ce mois, Jarecki fait une tournée au Canada pour raconter son histoire. Il est accompagné au moins une partie du temps par un membre (polono américain?) de la United States House of Representatives, Alvin Edward O’Konski. Il rencontre même le ministre de la Défense nationale du Canada, Brooke Claxton, un gentilhomme mentionné dans des numéros de février 2021 et 2023 de notre merveilleux blogue / bulletin / machin.
Et oui, des journaux canadiens anglophones et francophones parlent (tapent?) beaucoup de Jarecki et de son vol pour la liberté. À quoi vous attendiez-vous ami(e) lectrice ou lecteur? Quiconque au Canada manifeste une hostilité moins qu’enragée envers l’URSS court le risque d’être qualifié d’ennemi du peuple.
Jarecki reçoit-il une des grosses sommes d’argent mentionnées précédemment promises à tout pilote (de MiG-15?) qui fait défection avec son aéronef? Une bonne question ami(e) lectrice ou lecteur. Il est suggéré qu’il reçoit la somme princière de 50 000 $ ÉU, soit environ 750 000 $ en monnaie canadienne de 2023.
Jarecki s’inscrit au Alliance College en septembre 1953. Il apprend l’anglais tout en suivant des cours dans cet établissement d’enseignement américain fondé par une organisation fraternelle polono américaine, la Polish National Alliance / Związek Narodowy Polski. Jarecki obtient également une licence de pilote privé américaine en 1955. Après avoir terminé ses études au Alliance College, en 1957, il suit des cours d’administration des affaires à la University of California, Los Angeles.
En 1969, après plusieurs années passées à travailler dans un atelier d’usinage, tout en vendant du savon industriel, Jarecki rassemble ses économies, environ 40 000 $ ÉU, ou environ 440 000 $ en devises canadiennes de 2023, et fonde Jarecki Industries Limited, une petite firme qui produit une variété de soupapes, dont certaines sont utilisées sur des fusées utilisées dans le programme spatial américain. Et oui, Jarecki devient millionnaire.
Un de ses principaux regrets est de n’avoir jamais revu sa mère, sa seule parente proche, jusqu’au jour de sa mort. De fait, le gouvernement polonais rejette au moins deux fois ses appels (des années 1960 et / ou des années 1970?) pour voir son fils aux États-Unis. Croiriez-vous que ce gouvernement la garde en prison entre 1953 et 1956? Des gars sympas, ne diriez-vous pas?
Avant que je ne l’oublie, Jarecki Industries ne doit pas être confondu avec non pas une mais deux firmes américaines beaucoup plus anciennes nommées Jarecki Manufacturing Company. Une d’elles voit le jour en 1923 lorsque Frank J. Jarecki acquiert une firme déjà existante, Manhattan Machine & Tool Company. L’autre est constituée en 1897 mais aurait pu exister sous une autre forme dès les années 1870, sinon les années 1850. Histoire de rendre les choses encore plus confuses, une de ces entreprises peut avoir fabriqué des soupapes.
Alors que ni Jarecki Manufacturing ni Jarecki Manufacturing ne sont apparemment encore avec nous en 2023, Jarecki Valves Limited Liability Company est toujours vivante et dynamique.
Une brève digression si je peux me le permettre. En 2006, la station de télévision polonaise TVN diffuse un épisode de Wielkie ucieczki sur Jarecki, le tout premier en fait. Cette série de 10 épisodes relate les histoires de Polonaises et Polonais en quête de liberté qui fuient entre 1947 et 1983 le paradis du prolétariat qu’est alors la Pologne.
Franciszek « Frank » Jarecki décède en octobre 2010, à l’âge de 79 ans.
I to wszystko na dziś. Do zobaczenia później. (Bonjour, ancienne patronne!)