« Lector, si monumentum requiris, circumspice. » – En souvenir de Robert William « Bob » Bradford (1923-2023), partie 2
C’est encore une fois avec une profonde tristesse que j’entame cette seconde partie de notre bref hommage au regretté Robert William Bradford, peintre de l’air extraordinaire et ancien directeur de ce qui est aujourd’hui le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Bradford est nommé directeur par intérim du Musée national des sciences et de la technologie, à Ottawa, en décembre 1981, lorsque le directeur fondateur de ce musée national canadien, le photographe / géologue / explorateur / enseignant canadien David McCurdy Baird quitte son poste. Il occupe le dit poste jusqu’à ce que le physicien / professeur américano-canadien James William « Bill » McGowan obtienne la tâche, en juillet 1983.
L’arrivée de McGowan marque la nomination de Bradford au poste de directeur associé du Musée national de l’aviation, comme la Collection aéronautique nationale est devenue, en septembre 1982. C’est Bradford lui-même qui avait suggéré le changement de nom.
Deux des quatre timbres lancés en 1979 avec l’aide de Robert William Bradford. Ces timbres montrent un hydravion à coque de patrouille forestière Curtiss HS-2L exploité par le Ontario Provincial Air Service entre 1926 et 1928 et un bombardier d’eau amphibie Canadair CL-215 exploité par le Service aérien du gouvernement du Québec en service en 1979. MAEC, 1998.0566.
Deux des quatre timbres lancés en 1982 avec l’aide de Robert William Bradford. Ces timbres montrent un avion de brousse de Havilland Canada Beaver exploité par North Canada Air Limited de Prince Albert, Saskatchewan, entre 1972 et 1980, et un avion de brousse Fairchild FC-2W exploité par Canadian Transcontinental Airways de Montréal, Québec, entre 1927 et 1929. Le Beaver en question, le tout premier Beaver en fait, est exposé au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. MAEC, 1998.0573.
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Bradford est occupé à remplir une série de commandes pour le ministère des Postes et son successeur, la Société canadienne des postes. De fait, il réalise les illustrations de pas moins de 16 timbres sortis entre 1979 et 1982 :
1979 – Canadair CL-215, Consolidated Canso, Curtiss HS-2L et Vickers Vedette;
1980 – Avro Lancaster, Avro Canada CF-100, Curtiss JN-4 Canuck et Hawker Hurricane;
1981 – Avro Canada Jetliner, Canadair CL-41 Tutor, de Havilland Tiger Moth et de Havilland Canada Dash 7; et
1982 – de Havilland Canada Beaver, Fairchild FC-2W1, Fokker Super Universal et Noorduyn Norseman.
Toutes ces machines volantes ont joué un rôle important dans le développement de l’aviation au Canada.
Il est à noter que la collection de classe mondiale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend un Beaver, un Canso, un Canuck, un CF-100, un Dash 7, un HS-2L, un Hurricane, un Lancaster, un Norseman et un Tutor.
Soit dit en passant, cette fabuleuse collection comprend également un de Havilland Menasco Moth et un Fairchild FC-2W-2 ainsi que le nez du Jetliner.
De la fin des années 1970 au début des années 1980, Baird et Bradford travaillent jour et nuit pour convaincre les pouvoirs en place de la nécessité d’abriter la magnifique collection d’aéronefs du musée dans un bâtiment qui en soit digne. Voyez-vous, cette collection est toujours conservée dans les hangars en bois de la Seconde Guerre mondiale qui l’abritent depuis les années 1960. Ces hangars ne sont plus dans le meilleur état. Certains, sinon plusieurs, qualifient ces bâtiments de pièges à feu.
La triste vérité est que des bâtiments en bois abritant des aéronefs prennent feu dans les années 1970. En février 1980, par exemple, un hangar sur le site du Calgary International Airport, à Calgary, Alberta, brûle. Pas moins de 37 petits aéronefs sont détruits. Le coût total de l’incendie est estimé à environ 4 250 000 $, une somme qui correspond à près de 15 000 000 $ en devises de 2023.
Un autre incendie, en février 1978, détruit environ 45 aéronefs, trop souvent irremplaçables, du San Diego Aerospace Museum, à San Diego, Californie, ainsi que la collection d’objets du International Aerospace Hall of Fame. Aucune somme d’argent ne pourrait remplacer ce qui a été perdu ce jour-là dans l’incendie d’une valeur de 15 000 000 $ ÉU, un incendie qui aurait été allumé par deux adolescents qui n’ont jamais été identifiés. Ces 15 000 000 $ ÉU correspondent à plus de 95 000 000 $ en devises canadienne de 2023.
La première réponse du gouvernement fédéral aux appels de Baird et Bradford est qu’il n’a pas les moyens de financer un nouveau bâtiment. Si le risque pour la collection est jugé si élevé, suggère quelqu’un en position d’autorité, possiblement quelqu’un du ministère des Communications, le ministère qui régit les activités des musées nationaux du Canada, ils devraient envisager la possibilité d’envoyer les aéronefs à divers endroits du pays.
Le secrétaire d’état (1980-81) et ministre des Communications (1980-84), Francis Fox, se montre finalement favorable aux appels à l’aide de Baird et Bradford. En 1982, il convainc le Cabinet du Canada d’allouer environ 20 000 000 $ à la première phase d’un programme de développement en trois phases pour un musée national de l’aviation à Ottawa. Cette somme correspond à un peu plus de 56 000 000 $ en devises de 2023.
L’habituelle cérémonie de première pelletée de terre a lieu en mai 1983 à Rockcliffe, Ontario, près des hangars en bois du Musée national de l’aviation. La photographie au début de la seconde partie de cet article montre précisément cette cérémonie.
Le nouveau bâtiment du Musée national de l’aviation ouvre ses portes au grand public en juin 1988.
J’étais là ce jour-là, vraiment dans les coulisses, comme il convenait à mon humble statut d’agent d’éducation.
Bien que magnifiques, les différentes sections du musée contiennent moins de la moitié de sa collection de classe mondiale. Une bonne partie des aéronefs est en fait entreposée dans une section de l’édifice que le grand public ne peut pas vraiment visiter. Pis encore, les plus grosses machines du musée sont encore entreposées à l’extérieur, à la merci des éléments.
Voyez-vous, des considérations budgétaires indépendantes de la volonté du musée et du gouvernement avaient réduit la taille du bâtiment d’environ 30%.
Malgré cela, Bradford est très heureux que le Musée national de l’aviation dispose enfin d’un bâtiment moderne pour abriter ses collections.
Bradford prend sa retraite en juillet 1989.
Le dernier grand projet auquel il participe est le 80ème anniversaire du premier vol contrôlé et soutenu d’un aéroplane motorisé au Canada, en février 1989. Ce vol avait bien sûr eu lieu en février 1909, à Baddeck, Nouvelle-Écosse.
L’aéronef en cause dans ce voyage aérien est l’Aerodrome n° 4 Silver Dart de l’Aerial Experiment Association, piloté ce jour-là par l’ingénieur canadien John Alexander Douglas McCurdy. Une réplique de cet avion qui vole en février 1959 est exposée au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
La retraite de Bradford ne signifie pas qu’il abandonne le patrimoine aéronautique du Canada. Ce gentilhomme parmi les gentilshommes peut désormais consacrer autant de temps qu’il le souhaite à travailler sur les superbes œuvres d’art pour lesquelles il est, à juste titre, célèbre.
Deux exemples typiques sont…
First over the Barrens (vers 1990, acrylique sur toile), qui représente la rencontre fortuite mais très bienvenue de l’avion de brousse Fokker Super Universal de Western Canada Airways Limited piloté par Clennell Haggerston « Punch » Dickins et du Northland Echo II, un bateau fluvial à roue arrière exploité par Northern Traders Company qui transporte le carburant dont l’aéronef a besoin, près de Fitzgerald, Alberta, septembre 1928. MAEC, 1995.1624.
Thunder in the Arctic (vers 1998, acrylique sur toile), qui représente un aéronef de cartographie photographique de Havilland Mosquito exploité par Spartan Air Services Limited entre 1955 et 1957, au-dessus de Kattimannap Qurlua, Nunavut, anciennement les chutes Wilberforce, Territoires du Nord-Ouest. Le portrait en camée représente le pilote en chef de la firme, Rénald J. « Rocky » Laroche. MAEC, 1998.0870.
Tout au long de ces années, Bradford mène une carrière très réussie en tant qu’artiste aéronautique. Ses œuvres, traitant principalement de l’histoire du vol au Canada, se retrouvent dans de nombreuses collections importantes, telles que celles du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, du Musée canadien de la guerre et de Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa; du Canada’s Aviation Hall of Fame à Calgary, Alberta; du Billy Bishop Museum à Owen Sound, Ontario; du Glenn H. Curtiss Museum à Hammondsport, New York; etc.
Remarquez, Bradford réalise également des œuvres commandées pour des sociétés d’état et firmes privées comme Air Canada Incorporated et de Havilland Aircraft of Canada Limited de Downsview, Ontario.
Son travail d’artiste est reconnu internationalement, avec l’Aviation Artist Award de l’American Aviation Historical Society en 1974, une première pour un artiste canadien, et le Diplôme Paul Tissandier de la Fédération aéronautique internationale de Paris, France, en 1982.
Membre à vie du Royal Canadian Institute for Science, il devient président d’honneur de la Canadian Aviation Historical Society en 1988.
Robert William Bradford avec Roman Ivanovych Hnatyshyn, gouverneur général du Canada, le jour où le premier reçoit l’Ordre du Canada, Ottawa, Ontario, octobre 1989. Robert William Bradford.
En reconnaissance de l’ensemble de ses réalisations dans la préservation du patrimoine aéronautique du Canada, Bradford reçoit l’Ordre du Canada en octobre 1989. Il est intronisé au Canada’s Aviation Hall of Fame en juin 1996.
Robert William Bradford quitte cette Terre le 25 mai 2023. Il avait 99 ans.
Même s’il était connu loin à la ronde, Bradford était à la fois humble et calme. Malgré cela, il pouvait être énergique en cas de besoin. Il avait ce qu’on pourrait appeler un esprit espiègle – et savait reconnaître un bon chapeau quand il le voyait.
Il manquera beaucoup à ses innombrables amis.
La prochaine fois que vous visiterez le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, une institution muséale que ce gentilhomme aimait tellement, vous voudrez peut-être garder à l’esprit la citation qui introduit cet article, une citation extraite d’une plaque dans la crypte de la Cathedral Church of St Paul the Apostle, à Londres, Angleterre, une plaque datant de 1723 qui honore la mémoire du grand architecte / astronome / mathématicien / physicien anglais sir Christopher Wren : « Lector, si monumentum requiris, circumspice. »
Lectrice / lecteur, si vous avez besoin d’un monument, regardez autour de vous.