Un tramway nommé Straßenbahn Groß-Lichterfelde, ou, Comment Telegraphen-Bau-Anstalt von Siemens & Halske met en service le premier tramway électrique au monde
Bonjour et… Qu’est-ce qu’il y a, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous semblez étrangement agité(e), plus qu’à l’accoutumée. Le Lokalbahn Mödling-Hinterbrühl, dites (tapez?)-vous? Et bien, il est vrai que quelques / plusieurs personnes ont prétendu / prétendent / prétendront présumément que le chemin de fer local Mödling-Hinterbrühl à Vienne, Empire austro-hongrois, est le premier tramway électrique au monde, car ses connexions sont en grande partie au ras des rues qu’il traverse. Pourtant, ce chemin de fer local entre en service en octobre 1883 – plus de 2 ans après le Straßenbahn Groß-Lichterfelde. En outre, le Lokalbahn Mödling-Hinterbrühl est communément appelé chemin de fer local (lokalbahn), et non tramway (straßenbahn).
Donc, pour paraphraser Winston, le propriétaire de la propriété de New York, New York, de la chaîne d’hôtels mondiale Continental et deutéragoniste dans la série de films John Wick, prenez un verre et détendez-vous… pour l’instant. Du thé à la camomille, peut-être? Et revenons à notre histoire. Ne craignez point, votre humble serviteur sera bref.
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur, et bienvenue dans le monde merveilleux de l’astronautique, de l’aéronautique et… de la terranautique. Oui, oui, la terranautique, car ce numéro de notre blogue / bulletin / machin abordera un projet terranautique vraiment passionnant. Un projet que votre humble serviteur a trouvé dans le numéro du 9 juillet 1881 d’une publication des plus intéressantes, Canadian Illustrated News.
Croiriez-vous que Georges Édouard Amable Desbarats et William Augustus Leggo, les gentilshommes derrière ce magazine hebdomadaire publié à Montréal, Québec, entre 1869 et 1883, jouent un rôle important dans l’introduction d’illustrations, y compris de photographies, dans les magazines et journaux nord-américains? Mais je digresse, un de mes nombreux défauts.
En mai 1879, Telegraphen-Bau-Anstalt von Siemens & Halske commence à faire la démonstration d’un petit train électrique expérimental sur le site de la Berliner Gewerbeausstellung, à Berlin, Empire allemand. Les foules sidérées qui visitent cette exposition industrielle n’ont jamais vu un train comme celui-là. Il n’y a pas de fumée, pas de vapeur. Rien. Choquant.
Peut-être développée pour fonctionner à l’intérieur d’une mine, la locomotive remorque 3 petits wagons ouverts et jusqu’à 18 personnes, sur une piste plus ou moins circulaire d’environ 300 mètres (environ 985 pieds). Sur une période d’environ 4 mois, cette locomotive remorque environ 86 000 personnes. C’est sans doute la vedette de l’exposition.
Enchanté et peut-être un tantinet surpris par l’enthousiasme de la population de Berlin, Ernst Werner Siemens, co-fondateur de Telegraphen-Bau-Anstalt von Siemens & Halske, tente, en 1880, d’obtenir l’autorisation de construire un chemin de fer électrique surélevé dans un quartier célèbre (et chic?) de Berlin. De nombreuses résidentes et résidents ne sont pas vraiment ravis de cette nouvelle. Ils craignent que le soleil ne soit trop souvent bloqué, que l’huile de graissage ne coule partout, que ce bidule ne réduise la valeur de leurs résidences, et / ou qu’un wagon ne leur tombe sur la caboche. Une plainte officielle auprès des autorités locales stoppe le projet dans l’œuf.
Un second projet ailleurs à Berlin échoue également.
Il se trouve que, en 1878, Johann Anton Wilhelm von Carstenn-Lichterfelde, né Johann Anton Wilhelm Carstenn, lance un service de tramway tiré par des chevaux entre une gare de Berlin et la toute nouvelle Preußische Hauptkadettenanstalt, le centre de formation des cadets de la Königlich Preußische Armee, l’armée royale prussienne pour vous, dans le village voisin de Lichterfelde. Ce service est une des concessions que l’entrepreneur immobilier, homme d’affaires et promoteur urbain berlinois doit faire pour faire construire le centre de formation à proximité de son manoir. Les revenus sont faibles, toutefois, en partie parce que le personnel du dit centre de formation peut voyager gratuitement. Les revenus sont en fait si bas que von Carstenn-Lichterfelde jette l’éponge en 1879.
Quelqu’un en autorité se demande apparemment si Siemens peut être intéressé par l’idée de lancer une sorte de service de tramway électrique sur la voie laissée en jachère par von Carstenn-Lichterfelde. Il l’est en effet. À son tour, von Carstenn-Lichterfelde accepte de laisser Siemens utiliser la voie, aussi longtemps que le personnel de la Preußische Hauptkadettenanstalt puisse voyager gratuitement. Maintenant que tous ses anatidés sont en rangée, des canards pour vous, Siemens demande un permis, qu’il obtient assez rapidement.
D’aucuns suggèrent que Siemens pense que ce service de tramway électrique peut lui permettre de prouver aux sceptiques qu’un réseau de chemin de fer électrique surélevé serait vraiment très utile dans une ville comme Berlin.
Quoiqu’il en soit, les premiers essais du premier tramway électrique au monde ont lieu le 12 mai 1881. Même à pleine charge, le véhicule peut rouler à 40 kilomètres / heure (25 miles / heure), soit le double de la vitesse maximale autorisée spécifiée dans le contrat.
Le Elektrischen Eisenbahn in Lichterfelde, comme s’appelle initialement le Straßenbahn Groß-Lichterfelde, apparemment, transporte ses premières passagères et passagers 3 jours plus tard. Durant les premières heures de service, l’achalandage est relativement faible. Dans l’après-midi, cependant, l’unique wagon est souvent entièrement occupé. Quelques Berlinois, vraisemblablement de jeunes hommes, prennent un choquant plaisir à toucher les 2 rails porteurs de courant du tramway avec des doigts mouillés. Malheureusement, les chevaux dont les sabots ferrés touchent accidentellement ces mêmes rails, jusqu’à ce que de l’isolation soit installée en fait, ont une expérience beaucoup moins amusante.
Les premières et premiers clientes payantes montent à bord du Straßenbahn Groß-Lichterfelde le 16 mai 1881 – un jour historique dans l’histoire des transports en commun sur la planète Terre. Et oui, Telegraphen-Bau-Anstalt von Siemens & Halske est la société qui gère le service. Et non, ce service ne s’avère pas très rentable, malgré sa relative popularité.
À en juger, jusqu’en 1892, la flotte du Straßenbahn Groß-Lichterfelde ne compte pas plus de 3, voire 2 véhicules, le second entrant en service en décembre 1881. Et oui, parce que la ligne n’a pas de demi-tour, les tramways doivent voyager l’un derrière l’autre, mais seulement la fin de semaine. Pendant les jours de semaine, l’un d’eux demeure peut-être sur place à une extrémité de la ligne, tandis que l’autre fait des allers retours.
La ligne sur laquelle passe le Straßenbahn Groß-Lichterfelde est prolongée en 1890. Cette nouvelle section est équipée d’une ligne électrique aérienne, ce qui rend possible l’utilisation de pantographes, des machins montés sur le toit des tramways utilisés pour collecter l’énergie de la dite ligne électrique aérienne. Les tramways modifiés commencent à transporter des passagères et passagers en août 1890.
Les informations concernant le nombre de tramways exploités par le Straßenbahn Groß-Lichterfelde entre 1881 et 1914 sont assez contradictoires. Il peut y en avoir aussi peu qu’une vingtaine ou autant qu’une trentaine, mais pas nécessairement en service en même temps. À l’exception du premier groupe, qui est retiré en 1893, la plupart de ces tramways persévèrent apparemment jusqu’en 1930 environ.
D’autres modifications sont apportées à la ligne au fur et à mesure des besoins, certaines d’entre elles étant des extensions, d’autres des fermetures. La faible rentabilité du service oblige Telegraphen-Bau-Anstalt von Siemens & Halske à vendre des actions pour lever les fonds nécessaires pour augmenter le nombre de lignes de 1 à 3. Ces nouvelles lignes du Elektrische Straßenbahn Groß-Lichterfelde – Lankwitz – Steglitz – Südende commencent à transporter des clientes et clients en mars 1895.
En 1906, une administration locale acquiert ce petit réseau et un autre petit réseau, donnant ainsi naissance au Teltower Kreisbahnen. Le développement du dit réseau se poursuit au fil du temps.
Et maintenant pour quelque chose de complètement différent. En effet, votre humble serviteur serait négligent si je ne présentais pas un des moteurs d’avion les plus intrigants et innovants de la Première Guerre mondiale. Et oui, ce moteur est conçu sous l’aile de ce qui est alors Siemens-Schuckertwerke Aktiengesellschaft, peut-être par Siemens & Halske Aktiengesellschaft.
Le dit moteur est le Siemens Halske Sh.III, un moteur contrarotatif produit en 1918 – en d’autres termes, un moteur dans lequel le vilebrequin et les tiges reliant le dit vilebrequin aux pistons tournent dans un sens tandis que le carter, les cylindres et l’hélice tournent dans l’autre sens.
Vous vous souviendrez bien sûr que, dans un moteur rotatif conventionnel, et le mot conventionnel devrait probablement être entre guillemets, vu qu’il y a pas grand-chose de conventionnel dans un moteur rotatif, mais je digresse. Désolé. Recommençons à zéro.
Vous vous souviendrez bien sûr que, dans un moteur rotatif conventionnel, le carter, les cylindres, l’hélice et les tiges reliant le vilebrequin aux pistons tournent dans un sens alors que le vilebrequin reste immobile, et…
Vous ne croyez pas qu’un moteur contrarotatif est une chose, n’est-ce pas? Soupir… Et bien, Thomasine / Thomas l’incrédule, régalez vos organes des sens visuels avec ceci…
Pour répondre à la question qui ricoche dans votre crâne, oui, un moteur contrarotatif est plus complexe qu’un moteur rotatif. Alors pourquoi emprunter cette voie, me direz-vous? Une bonne question. Vous voyez, faire tourner le vilebrequin et les tiges reliant le dit vilebrequin aux pistons dans un sens 900 fois par minute, comme c’est le cas avec le Sh.III, tandis que le carter, les cylindres et l’hélice tournent dans l’autre sens 900 fois par minute signifie que, dans l’ensemble, la puissance développée par le Sh.III est équivalente à celle d’un moteur rotatif conventionnel effectuant 1 800 tours par minute, ce qui est assez impressionnant.
Alors quoi, dites-vous? Et bien, en fait, il y a un quoi, et un gros. La rotation du carter, des cylindres, de l’hélice et des tiges reliant le vilebrequin aux pistons d’un moteur rotatif conventionnel, qui représentent un pourcentage important du poids des aéroplanes monomoteurs relativement petits de la Première Guerre mondiale, affecte la stabilité des dits aéroplanes. Un pilote trouve plus facile de tourner dans la direction que sa machine veut prendre de toute façon que de lutter contre elle en essayant d’aller dans l’autre sens, par exemple.
Un cas extrême de cet effet gyroscopique affecte un des avions de chasse les plus efficaces de la Première Guerre mondiale, le Sopwith F.1 Camel – une machine représentée dans la fantastique collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, sous la forme d’un Sopwith 2F.1 Ship Camel. La maîtrise des particularités de l’extrêmement agile mais instable Camel coûte la vie à un certain nombre de pilotes du Commonwealth nouvellement formés et en envoie d’autres à l’hôpital, mais je digresse.
Les moteurs rotatifs conventionnels de grande puissance utilisés pendant la Première Guerre mondiale ont tendance à tourner de 1 200 à 1 300 fois par minute. En faire tourner un environ 1 800 fois par minute aurait considérablement augmenté l’effet de sa rotation sur la stabilité d’un aéroplane. Le support moteur peut également nécessiter des renforcements, ce qui signifie plus de poids, pour absorber le stress supplémentaire. Remarquez, un moteur rotatif tournant 1 800 fois par minute aurait également eu besoin d’une structure interne vraiment solide et donc lourde.
Et oui, la nature contrarotative d’un moteur contrarotatif signifie qu’il n’affecte pas autant la stabilité d’un aéroplane qu’un moteur rotatif conventionnel de puissance similaire. De plus, avoir le vilebrequin et les tiges reliant le dit vilebrequin aux pistons, d’une part, et le carter, les cylindres et l’hélice, d’autre part, tourner à une vitesse relativement faible, réduit le stress sur ces composants.
Ayant répondu à votre question, ami(e) lectrice ou lecteur, votre humble serviteur va maintenant vous en poser une. Combien de fois par minute l’hélice du moteur contrarotatif Sh.III fait-elle le tour du bloc? 1 800 fois? 900 fois? 0 fois – parce que c’est l’univers qui tourne autour d’elle – comme c’est le cas pour les conservatrices et conservateurs de musée? (Bonjour, EP!) Vous pouvez faire défiler ce texte vers le haut pour relire un paragraphe si vous le souhaitez.
[Musique du jeu télévisé américain Jeopardy jouant en arrière-plan.]
900 fois, dites-vous? Bonne réponse.
Faire tourner l’hélice du moteur Sh.III environ 900 fois par minute plutôt que, par exemple, 1 200 à 1 300 fois par minute, permet d’utiliser une hélice efficace et de grand diamètre. Une telle hélice donne au petit nombre d’avions de chasse propulsés par le Sh.III du service aérien de l’armée allemande, ou Luftstreitkräfte, en service en 1918, une très bonne, sinon carrément phénoménale, vitesse ascensionnelle – ainsi que des capacités impressionnantes à haute altitude.
Cela étant dit (tapé?), le grand diamètre de la dite hélice signifie que les jambes d’atterrissage principales de ces avions de chasse doivent être un peu longues, ce qui peut s’avérer problématique pour des pilotes inexpérimentés lors du décollage et / ou de l’atterrissage.
Ce qui montre qu’il n’y avait pas, qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas de déjeuner gratuit dans le monde de l’ingénierie aéronautique. Toute amélioration apportée à un aéronef provoque un ou quelques problèmes qui doivent être résolu(s). Et ainsi de suite, jusqu’à ce que la police du plaisir de la gestion décide que assez, c’est assez, et qu’il faut réellement produire des aéronefs, pour que l’argent vienne dans ses coffres au lieu d’en sortir, et seulement d’en sortir. Mais je digresse.
Curieusement, les moteurs Sh.III fabriqués par Siemens & Halske souffrent de sérieux problèmes de fiabilité. Ceux fabriqués sous licence par Rhenania Motorenfabrik Aktiengesellschaft, une firme créée en 1917 spécifiquement pour produire le moteur Sh.III, s’avèrent en revanche plus satisfaisants, mais revenons à nos tramways, et…
Vous avez une question, n’est-ce pas, ami(e) lecteur? Que deviennent les moteurs contrarotatifs et à leurs cousins plus conventionnels après la Première Guerre mondiale? Une bonne question. Bien que fiables, légers et puissants, les moteurs rotatifs conventionnels ont atteint le summum de leurs capacités à la fin du conflit. Le moteur le plus puissant de ce type, par exemple, le Bentley BR.2 du Royaume-Uni de 1918, ne peut pas égaler la puissance produite par les derniers types de moteurs en V refroidis par eau développés dans divers pays.
Et oui, le BR.2 est le moteur qui propulse le Sopwith 7F.1 Snipe, un avion de chasse de 1918 présent dans la très, très bonne collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, et retournons à nos tramways. Plus de questions.
En 1920, le gouvernement de Prusse, un état libre au sein de ce qui est alors l’Allemagne, fusionne Berlin avec quelques territoires environnants pour former la province de Groß-Berlin. Ceci a pour conséquence la prise de contrôle du Teltower Kreisbahnen par l’opérateur de tramway de Groß-Berlin, Berliner Straßenbahn-Betriebs Gesellschaft mit beschränkter Haftung. En 1929, le trio d’entreprises en charge du transport en commun dans la capitale allemande, dont Berliner Straßenbahn-Betriebs bien sûr, est intégré au sein de Berliner Verkehrs Aktiengesellschaft – une firme qui connaît de nombreuses mutations au cours des décennies suivantes.
Quoiqu’il en soit, la ligne de tramway lancée en 1881 qui forme le cœur de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin cesse apparemment ses activités en février 1930. Et cela pourrait être un bon endroit pour terminer notre histoire. Enfin presque.
Le dernier tramway de ce qui est alors Berlin-Ouest, Allemagne de l’Ouest, cesse de fonctionner en 1967. Ceux de Berlin-Est, Allemagne de l’Est, fonctionnent encore lorsque les Allemagnes deviennent une seule Allemagne, en octobre 1990. En 2021, il y a beaucoup de tramways à Berlin.
Auf Wiedersehen, mein lesender freund.