Une sainte automobile du pays de « Fifi » Brindacier et Lisbeth Salander : La grande routière / voiture sport suédoise Volvo P1800, partie 1
Hej och hur mår ni? Je suis ravi d’entendre (lire?) que vous allez bien, ami(e) lectrice ou lecteur.
Votre humble serviteur souhaite consacrer cette édition de notre humble mais galactiquement connu blogue / bulletin / machin à une automobile. C’est par conséquent avec un plaisir non contenu que je vous offre la légende qui accompagne la photographie de la dite automobile :
Cette nouvelle Volvo, montrée à Stockholm avec deux ensembles de sport, a attiré l’attention du public lors d’une exposition d’automobile qui a eu lieu récemment à Stockholm. Cette voiture est identique à celle que la princesse Brigitta de Suède a reçue en cadeau de noces le printemps dernier.
Pour répondre à la question qui calcine vos lèvres enfiévrées, la princesse épouse en question s’appelle en fait Birgitta Ingeborg Alice de la maison Bernadotte. Cette sœur aînée du roi de Suède, Carl XVI Gustaf, né Carl Gustaf Folke Hubertus, épouse le prince allemand Johann Georg Carl Leopold Eitel-Friedrich Meinrad Maria Hubertus Michael « Hansi » de la maison Hohenzollern-Sigmaringen en mai 1961. Le couple se marie en fait deux fois, civilement puis religieusement.
Et non, Bernadotte n’est pas un nom de famille suédois. C’est un nom de famille français. Permettez-moi d’expliquer ce qui se produit. En 1810, la Suède a pour roi Karl III de la maison Holstein-Gottorp, un monarque vieillissant et sans enfant. Confronté à cette situation, le parlement suédois, le Riksdag, se met en quête d’individus pouvant lui succéder. Ses membres choisissent en fin de compte un maréchal d’empire français et prince de Ponte-Corvo, Jean-Baptiste Bernadotte, qui va régner de 1818 à 1844 sous le nom de Karl XIV Johan.
Pour Bernadotte, cette promotion est un cadeau du ciel. Peu impressionné par sa performance lors de la bataille de Wagram, Autriche, en juillet 1809, le vainqueur, l’empereur Napoléon Ier, né Napoleone di Buonaparte, lui a en effet retiré sa confiance – et ce même si son épouse est la sœur de l’épouse du frère aîné de l’empereur, le roi d’Espagne, José I de la maison Bonaparte, autrement dit Joseph-Napoléon Bonaparte, né Giuseppe di Buonaparte.
Prétextant de défendre les intérêts de la Suède, dont il assure alors la régence, ou sentant que son pays natal pourrait ne pas se retrouver avec le bon bout du bâton, Bernadotte se joint à la coalition qui prend les armes contre la France et ses alliés. Cette guerre de la Sixième Coalition se termine en avril 1814 avec la défaite de la France et l’abdication de Napoléon Ier. Et oui, aux yeux de certain(e)s / plusieurs Français(e)s de l’époque et d’aujourd’hui, Bernadotte n’est rien de moins qu’un traître à la patrie.
Oserais-je vous rappeler que Napoléon Ier, un tyran mégalomane dont les guerres incessantes causent de 3 à 6 millions de morts civiles et militaires, et ce à une époque où l’Europe compte environ 175 millions d’habitants, est mentionné dans des numéros de décembre 2017, mars 2019 et septembre 2019 de notre blogue / bulletin / machin? Mais revenons à notre Volvo.
S’il est vrai que Aktiebolaget Volvo produit une voiture de sport, sa première voiture de sport semble-t-il, la Volvo Sport, ou P1900, en 1956-57, le fait est que cette firme suédoise bien connue et respectée produit moins de 75 exemplaires de cette décapotable. Pourquoi un tel nombre microscopique, me demandez-vous?
Voyez-vous, la Sport tire son origine d’un séjour aux États-Unis, vers 1953, du président fondateur de la firme. Assar Thorvald Nathanael Gabrielsson voit alors une Chevrolet Corvette, une voiture de sport dont la carrosserie est en fibre de verre. L’idée lui vient de produire en Suède une voiture de sport dont la carrosserie serait aussi en fibre de verre. Ce véhicule serait le premier du genre à être produit en Europe.
Quatre prototypes du nouveau véhicule roulent dès 1954 mais divers problèmes techniques, dont le manque de rigidité du châssis, retardent l’entrée en production de la Sport jusqu’au début de 1956.
Croiriez-vous que la firme américaine experte en fibre de verre que Volvo contacte, soit Glasspar Company, produit un certain nombre de carrosseries en fibre de verre qui, une fois montées sur un châssis, deviennent des Glasspar G2, la première automobile à carrosserie en fibre de verre au monde aux dires de certains. Glasspar ne fabrique en fin de compte qu’un très petit nombre de G2. La plupart des automobiles complétées à partir de 1951 consistent en fait en carrosseries achetées par des fanas de l’automobile qui montent leur petit trésor sur un châssis fabriqué maison ou acheté. Et oui, vous avez raison, la G2 inspire jusqu’à un certain les ingénieurs qui conçoivent l’immortelle Corvette, mais je digresse.
Gabrielsson ayant pris sa retraite, son successeur décide, pour le plaisir, d’emprunter une Sport pour au plus quelques jours. Lorsque Gunnar Ludvig Engellau ramène le véhicule à l’usine, il ordonne aussitôt l’arrêt de la production. La Sport est un véhicule dangereux, dit-il. Son châssis manque encore de rigidité, un problème peut-être également noté par Glasspar. La réputation de Volvo pourrait en souffrir si quelqu’un était tué ou blessé.
Le véhicule qui nous concerne dans cette édition de notre vous savez quoi, la Volvo P1800, est par conséquent la première grande routière / voiture de sport produite en grand nombre par Volvo. Une équipe d’ingénieurs entame le projet dès 1957, pour palier à l’échec qu’est la Sport. Remarquez, Volvo souhaite apparemment changer son image. Sa direction et son personnel n’aiment pas se faire dire qu’elle et ils produisant des automobiles « plates, » et ce même si ces véhicules sont reconnus comme étant solides, fiables et durables.
La P1800 aurait un petit air italien, dites-vous (tapez-vous)? Une excellente observation, ami(e) lectrice ou lecteur. De fait, Engellau finit par décider de produire un véhicule dont la carrosserie serait dessinée par un concepteur italien. L’origine de cette idée, qui laisse en plan l’équipe de concepteurs de Volvo, est un tant soit peu obscure. D’aucuns croient qu’elle est suggérée à la firme par l’ingénieur conseil engagé pour superviser la mise au point du nouveau véhicule. Adolf Helmer Petterson suggère par ailleurs que ce soit un studio en particulier, Carrozzeria Ghia Società per azioni, qui soumette des concepts. D’autres croient que l’idée vient de Engellau lui-même.
Il se trouve que Carrozzeria Ghia vient de se porter acquéreur de Carrozzeria Pietro Frua, le studio de Pietro Frua, un styliste automobile italien réputé. En plus de fournir une infusion de nouveaux talents, cette acquisition donne à Carrozzeria Ghia un moyen pratique d’entreprendre des activités supplémentaires sans froisser ses clients existants, dont certains n’apprécieraient pas du tout la présence de l’emblème de Ghia sur des automobiles de firmes rivales. Et oui, Frua est mentionné dans un numéro d’avril 2020 de notre blogue / bulletin / machin.
Quoiqu’il en soit, une fois ces susmentionnées suggestions acceptées, Petterson père manœuvre afin de placer son fils, Pelle Helmer Petterson, un concepteur encore novice qui étudie au renommé Pratt Institute de New York, New York, chez Carrozzeria Ghia ou Carrozzeria Pietro Frua. Il agit de la sorte en grand secret.
L’accord signé par Volvo et Carrozzeria Ghia prévoit apparemment la réalisation de 4 concepts, 2 par Carrozzeria Ghia et 2 par Carrozzeria Pietro Frua. Pour minimiser les risques de réactions hostiles de la part des clients de Carrozzeria Ghia, le concept choisi par Volvo serait identifié comme un concept de Carrozzeria Pietro Frua, quelle que soit l’équipe qui l’aurait réellement imaginé.
Petterson père peut, je répète peut, avoir demandé à Carrozzeria Ghia d’inclure un concept imaginé par son fils. Impressionné par le dit concept, le directeur général du studio, Luigi « Gigi » Segre, acquiesce à cette requête.
Les talents graphiques de Petterson fils sont tels que Segre lui demande de préparer les esquisses devant accompagner les 5 concepts devant être soumis à Volvo, et ce afin de leur donner un aspect cohérent.
Petterson père et Segre remettent les concepts à Engellau peu après. Celui de Petterson fils étant jugé supérieur, c’est lui qui est choisi. Son nom n’étant mentionné nulle part, la direction de Volvo ignore que le concept italien qu’elle a choisi est en fait suédois. Lorsqu’il réalise ce qui s’est passé, Engellau est plutôt mécontent. D’aucuns affirment qu’il est tout simplement furieux. Quoiqu’il en soit, Engellau décrète que le rôle de Petterson fils dans la conception de la P1800 ne sera pas dévoilé.
Dans les faits, ce rôle commence à être mentionné au plus tard en 1970. Cela étant dit (tapé?), Volvo peut ne publiciser officiellement le rôle joué par Petterson fils que vers… 2009.
Quoiqu’il en soit, c’est en Italie que sont fabriqués, à la main, en 1957-58, un trio de prototypes de la P1800, alors connue sous le nom de projet Florida. Petterson père prend peut-être la route avec le premier d’entre eux en décembre 1957 et se rend à l’usine d’un constructeur automobile ouest-allemand. En effet, c’est à Wilhelm Karmann Gesellschaft mit beschränkter Haftung que Volvo entend s’en remettre pour produire la P1800. Le projet semble bien engagé. De fait, la première P1800 de série doit toucher le bitume en décembre 1958.
Vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Laissez-moi deviner. Pourquoi Volvo demande-t-elle à une firme étrangère de fabriquer sa nouvelle automobile? Une bonne question. Voyez-vous, ses ateliers, relativement petits d’ailleurs, sont à ce point occupés qu’il n’y a pas de place pour un nouveau modèle, aussi important soit-il.
En février 1958 toutefois, le principal client de Wilhelm Karmann, Volkswagenwerk Aktiengesellschaft, jette un énorme pavé dans la mare. À cette époque, Wilhelm Karmann fabrique la Volkswagen Type 14, ou Volkswagen Karmann-Ghia, une quasi voiture de sport dont la carrosserie porte la griffe de, vous l’aurez deviné, Carrozzeria Ghia, mais pas de Frua en tant que tel.
Comme vous pouvez l’imaginer, Volkswagenwerk s’oppose farouchement au fait que Wilhelm Karmann souhaite produire la P1800, un véhicule qui peut / va porter ombrage aux ventes de la Karmann-Ghia. Soyons brutal, le géant automobile ouest-allemand menace d’annuler tous ses contrats avec Wilhelm Karmann si le projet de production de la P1800 suit son cours. La direction de celle-ci ne peut que s’excuser auprès de Volvo en montrant poliment la porte à ses représentants. La firme suédoise songe à jeter l’éponge, et ce avant même de publiciser l’existence de la P1800.
Volvo se tourne toutefois vers d’autres fabricants d’automobiles ouest-allemands, soit NSU Werke Aktiengesellschaft, Karrosseriewerke Kraus Kommanditgesellschaft et Hannoversche Maschinenbau Aktiengesellschaft. Doutant un tant soit peu de leur contrôle de la qualité, elle décide enfin de compte de ne pas signer de contrat avec l’une de ces firmes. Volvo songe de nouveau à jeter l’éponge.
Cette possibilité motive Petterson père à tenter d’obtenir le soutien financier de sociétés financières suédoises dans le but d’acheter les composants de la P1800 à Volvo et de la commercialiser lui-même. Par une curieuse mais agréable coïncidence qui n’est peut-être pas accidentelle, Volvo émet à cette époque un communiqué de presse comprenant une photographie de la P1800. L’existence de ce véhicule étant maintenant connue hors de la firme et de sa clientèle, la direction de Volvo doit décider de son avenir sans plus tarder. Elle décide de poursuivre le projet.
C’est ainsi qu’une P1800 est présentée au public pour la première fois, lors de l’édition 1960 du Salon de l’automobile de Bruxelles, en janvier, à… Bruxelles, Belgique. Elle ne passe pas inaperçue.
Mieux encore, Volvo signe un contrat avec un constructeur automobile britannique. Forte de l’appui de son sous-traitant, Pressed Steel Company Limited, Jensen Motors Limited s’engage à produire la P1800. Trois prototypes et 4 véhicules de présérie prennent la route à partir de 1959-60. Le premier véhicule de série quitte l’usine de Jensen Motors vers mai 1961.
Solide, fiable et durable, mais manquant un peu d’agilité, la P1800 est une grande routière / voiture de sport fonctionnelle – une rareté dans le monde automobile de l’époque.
Jensen Motors éprouvant certaines difficultés en matière de contrôle de qualité, Volvo décide de produire elle-même sa P1800 – une décision rendue possible par l’inauguration prochaine d’une nouvelle usine et la fin anticipée de la production d’une automobile relativement ancienne. La première P1800 suédoise semble toucher le bitume vers juillet 1963.
Ce contact avec la route me semble être un moment idéal pour interrompre le cours de ce récit avant d’aborder un autre chapitre de la saga de la P1800.
À plus.
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