Bonne fête Beaver, bonne fête Beaver, bonne fête, bonne fête, bonne fête Beaver : Un trop bref coup d’œil sur une icône canadienne, l’avion de brousse de Havilland Canada DHC-2 Beaver, partie 1
Août 1947 est le mois au cours duquel le prototype d’une icône canadienne, l’avion de brousse de Havilland Canada DHC-2 Beaver, s’envole pour la première fois. Le jour heureux est en fait le 16 août 1947.
L’histoire de cette icône aérienne commence avant ce jour heureux, bien sûr. Qu’est-ce que j’entends? Cela peut-il être vrai? Vraiment? Oui! Pour paraphraser la Chose, un membre de Quatre Fantastiques, une équipe de super-héros que vous devriez connaître et aimer, ça va pontifier! Désolé.
Réalisant fort bien qu’elle va probablement / presque certainement perdre tous ses contrats militaires lorsque la Seconde Guerre mondiale prendra fin, la direction d’un avionneur canadien bien connu, de Havilland Aircraft of Canada Limited (DHC), de Downsview, Ontario, une filiale d’un avionneur britannique bien connu, de Havilland Aircraft Company Limited, examine ses options dès 1944. Le vieillissement de la flotte canadienne d’avions de brousse attire son attention.
Ses ingénieurs commencent ainsi la mise au point préliminaire d’un aéronef monomoteur à 5 places alors connu sous la désignation de DHC-2, et ce sans appui financier du ministère des Munitions et des Approvisionnements, le ministère fédéral en charge de la production de défense à l’époque. La firme prépare aussi des esquisses préliminaires d’un petit bimoteur utilitaire qui va utiliser les ailes et le fuselage du DHC-2.
Jugeant davantage important de mettre au point un avion d’entraînement élémentaire, le DHC-1 Chipmunk, décrit dans un numéro de janvier 2021 de notre blogue / bulletin / machin, pour des raisons de marché, DHC met son projet d’avion de brousse sur les tablettes jusqu’au printemps 1946.
DHC et sa maison-mère sont évidemment mentionnées à quelques / plusieurs reprises dans ce même vous savez quoi, et ce depuis février 2018.
Et oui, il y a évidemment un Chipmunk dans la collection du magnifique, que dis-je, du renversant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. Remarquez, il y a aussi un Beaver dans cette collection, mais il faudra patienter un peu avant de l’atteindre.
L’équipe qui reprend le projet d’avion de brousse comprend des ingénieurs aéronautiques canadiens fort talentueux, dont Frederick Howard Buller et Richard Duncan « Dick » Hiscocks, qui œuvrent tous les deux sous la direction d’un ingénieur aéronautique polonais bien connu, Wsiewołod Jan Jakimiuk.
Et oui encore une fois, c’est ce dernier qui conçoit l’excellent Chipmunk.
L’appui gouvernemental, davantage technique que financier, qui donne un coup de pouce au Beaver vient de l’Ontario. En effet, la flotte d’avions de brousse du Ontario Provincial Air Service (OPAS) commence elle aussi à manifester des signes de vieillesse. Dans sa quête pour de nouveaux aéronefs, ce service aérien peut compter sur un appui de taille, Frank Archibald MacDougall, sous-ministre au Ministry of Lands and Forests et grand promoteur de l’aviation.
Le Beaver doit beaucoup aux ingénieurs du OPAS et à de nombreux pilotes de brousse canadiens. Leur préférence pour un moteur américain plutôt que britannique, par exemple, entraîne l’abandon du de Havilland Gipsy Queen au profit du Pratt & Whitney R-985 Wasp Junior, beaucoup plus puissant et disponible à rabais aux surplus de guerre. Ironiquement, DHC prend cette décision alors que son directeur de l’ingénierie se rend au Royaume-Uni afin d’examiner le Gipsy Queen de plus près.
Une brève digression si je peux me permettre. Saviez-vous que pas moins de 4 chansons intitulées Gypsy Queen sortent entre 1970 et 1979, 5 en fait si on inclut Sign of the Gypsy Queen?
Deux aéronefs monomoteurs se disputent alors le contrat du OPAS : le Fairchild F-11 Husky et le légèrement plus petit Beaver. MacDougall s’engage à commander au moins 25 exemplaires du meilleur aéronef.
Conçu par Fairchild Aircraft Limited de Longueuil, Québec, et décrit dans un numéro de juillet 2021 de notre blogue / bulletin / machin, le Husky prend l’air en juin 1946. La direction de DHC est naturellement inquiète. MacDougall la rassure. OPAS ne fera son choix qu’après avoir essayé les deux aéronefs.
Le prototype du Beaver effectue son premier vol en août 1947. Les pilotes du OPAS le jugent supérieur au Husky. DHC ne tarde pas à signer le premier d’une série de contrats avec OPAS, qui devient peu à peu le plus important opérateur civil de Beaver, avec environ 45 aéronefs.
Remarquez, les pilotes de brousse canadiens apprécient tout autant la robustesse et les performances du Beaver. Au fil des mois, l’avionneur ontarien reçoit quelques petites commandes.
DHC espère toutefois élargir son marché. Vers juin 1949, la chance lui sourit. La United States Air Force (USAF) veut acheter quelques aéronefs de recherche et sauvetage pour appuyer ses escadrons basés en Alaska. Le pilote d’essais en chef de la firme, je pense, et as canadien de la chasse de nuit pendant la Seconde Guerre mondiale apprend la nouvelle en parcourant un magazine.
Russell « Russ » Bannock, né Slowko Bahnuk, s’envole pour l’Alaska aux commandes d’un Beaver. Les pilotes américains, dont le norvégien américain Bernt Balchen, celui-là même qui joue un rôle crucial dans l’acquisition du fameux avion de brousse canadien Noorduyn Norseman par les United States Army Air Forces, rebaptisées USAF en septembre 1947, pendant la Seconde Guerre mondiale, sont fort impressionnés. De fait, leur commandant souhaite obtenir une douzaine de Beaver.
Votre humble serviteur doit-il souligner que le fabuleux Musée de l’aviation et de l’espace du Canada compte un Norseman dans sa collection? C’est bien de que je pensais.
Bannock se rend alors à Washington, district de Columbia, pour y effectuer des vols de démonstration. La USAF est à ce point impressionnée qu’elle songe à signer un contrat pour environ 110 aéronefs. Cette requête déclenche une tempête de protestations. Voyez-vous, comme l’industrie aéronautique canadienne, celle des États-Unis est gravement touchée par la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aiguillonné par les avionneurs et la presse aéronautique américaines, le United States Congress se voit forcé d’intervenir. Des tests comparatifs doivent avoir lieu avant la signature d’un contrat.
La chance sourit de nouveau à DHC au début de 1950. La United States Army désire alors acheter un nouvel avion de transport léger. Ayant appris la nouvelle en lisant un autre article, ce qui prouve que lire et apprendre sont de bonnes choses, Bannock effectue des vols de démonstration. Les officiers américains restent bouche bée. Le reste est prévisible : projet de contrat, protestations de l’industrie et tests comparatifs demandés par le United States Congress. La United States Army et la USAF ayant décidé de commander le même aéronef, elles organisent des essais qui se déroulent en janvier et mai 1951. Le Beaver l’emporte sur ses nombreux adversaires américains.
Ceci étant dit (tapé?), la USAF tente de bloquer l’acquisition de l’aéronef canadien par la United States Army sous le prétexte que son poids est supérieur à la limite négociée entre ces deux services. Des discussions ayant permis d’augmenter cette limite, DHC décroche le premier d’une série de contrats avec la United States Army. « Pour la première fois de leur histoire en temps de paix, les États-Unis d’Amérique acceptent la [...] livraison d’un avion militaire de fabrication étrangère. » Entre 1951 et 1959, la USAF et la United States Army achètent environ 980 de Havilland Canada L‑20 Beaver, redésignés U-6 Beaver par la suite.
Ces commandes constituent un point tournant pour DHC, qui devient dépendante de son principal client, la United States Army.
Et oui, l’avion de brousse Beaver est un aéronef de la Guerre froide. Votre humble serviteur pariera que vous ne le voyiez pas de cette façon, n’est-ce pas?
Les forces armées de 15 autres pays d’Afrique (Ghana, Kenya et Zambie), d’Amérique (Argentine, Chili, Colombie, Cuba, Pérou et République dominicaine), d’Asie (Arabie saoudite, Cambodge et Philippines), d’Europe (Finlande et Royaume-Uni) et d’Océanie (Australie) reçoivent par ailleurs environ 130 Beaver. Plus de 1 100 aéronefs de ce type servent ainsi sous les drapeaux.
La maison mère de DHC, de Havilland Aircraft, assemble les Beaver, de 35 à 40 semble-t-il, commandés en 1960 par la British Army.
Il est à noter que l’Aviation royale du Canada ne commande aucun Beaver. Elle reconnaît volontiers les qualités de l’aéronef mais le juge un tantinet petit.
L’Armée de Terre française est à ce point impressionnée par le Beaver qu’elle demande à un petit avionneur, Société (anonyme?) des avions Max Holste, de modifier un avion d’observation / liaison existant afin de le transformer en avion utilitaire / de brousse. Le prototype de ce Max Holste MH.1521 Broussard vole pour la première fois en novembre 1952. Près de 400 exemplaires de ce Beaver français, comme on surnomme parfois cette excellente machine, volent entre 1952 et 1961 (?). La très grande majorité des Broussard est destinée à une clientèle militaire qui comprend près de 20 pays d’Afrique, Amérique, Asie et Europe, mais revenons à notre histoire.
En 1953, DHC envisage la possibilité de vendre une licence de production du Beaver à sa maison mère britannique. La politique de restriction monétaire du gouvernement fédéral, autrement dit la nécessité pour les acheteurs de payer en dollars, explique pour une bonne part ce projet qui est finalement abandonné.
De fait, DHC complète un Beaver muni d’un moteur britannique dans l’espoir d’obtenir des commandes de pays incapables de payer leurs achats en dollars. Il se peut que ce soit cette seconde version du Beaver dont on envisage la production au Royaume-Uni. Quoiqu’il en soit, le Beaver à moteur britannique vole en mars 1953. Cette excellente machine n’est malheureusement pas produite en série.
Vers le milieu des années 1960, la direction de Hawker Siddeley Group, Limited, le géant aéronautique britannique qui contrôle DHC et sa maison mère britannique depuis 1960, envisage brièvement la possibilité de déménager la chaîne de montage du Beaver dans les ateliers de de Havilland Aircraft Company of New Zealand Limited, en… Nouvelle-Zélande. De fait, à cette époque, l’avion de brousse canadien connaît beaucoup de succès dans ce pays en tant qu’aéronef agricole spécialisé dans l’épandage d’engrais, ou épandage de couverture.
Dois-je souligner que Hawker Siddeley Group est mentionné… Bon, je vois. Il l’est quand même à plusieurs reprises, depuis mars 2018.
De fait, encore, le Beaver est le premier, sinon le seul aéronef agricole produit en quantité au Canada. DHC livre environ 25 aéronefs au ministère de l’alimentation et de l’agriculture du Pakistan, par exemple, dont environ 15 remis par le gouvernement fédéral dans le cadre du Colombo Plan for Cooperative Economic Development of South and South-East Asia.
Quelques firmes néo-zélandaises et australiennes spécialisées dans l’épandage de couverture importent plusieurs Beaver au début des années 1950 et au début des années 1960. L’importance même des commandes de la United States Army ne permettent toutefois pas à DHC d’exporter des aéronefs vers la Nouvelle-Zélande durant la majeure partie des années 1950, au grand dam des opérateurs. Ceci étant dit (tapé?), la contribution du Beaver à l’économie de ce pays est telle que le New Zealand Post Office lui consacre un timbre en 1960.
Une troisième version du Beaver commence à prendre forme vers 1961. Consciente du fait que plusieurs petites sociétés aériennes abandonnent peu à peu le moteur à pistons au profit du turbopropulseur, DHC examine de près deux moteurs de ce type, un français et un canadien. Fin 1962, début 1963, l’avionneur lance le Turbo Beaver. Muni d’un turbopropulseur Canadian Pratt & Whitney / United Aircraft of Canada PT6, le prototype de cet aéronef allongé vole en décembre 1963. DHC produit 60 de ces machines entre 1963 et 1968, dont environ 25 livrés au seul OPAS.
Vous savez bien sûr que le PT6 fait l’objet de deux numéros de novembre 2020 de notre yadda yadda.
Bien qu’excellent, le Turbo Beaver est trop coûteux pour la plupart des firmes de vol de brousse. L’avionneur songe à offrir des kits de conversion mais personne ne semble venir cogner à sa porte.
Hawker Siddeley Group met fin à la production du Turbo Beaver vers le milieu de 1968, une décision qui ne fait pas que des heureux parmi la direction de DHC. L’avionneur ontarien fabrique en fin de compte environ 1 690 Beaver et Turbo Beaver entre 1947 et 1968, à des clients civils et militaires de plus de 60 pays.
Il convient de noter que, au fil des ans, quelques firmes aux États-Unis et ailleurs équipent des Beaver à pistons de turbopropulseur. Une de ces firmes est Viking Air Limited de Victoria, Colombie-Britannique. Elle acquiert ce qui reste de l’outillage ainsi que les dessins techniques en 1983. Viking Air a converti plus de 30 Beaver depuis les années 1990.
En février 2006, Viking Air acquiert le certificat de type du Beaver, qui lui donne le droit exclusif de fabriquer de nouveaux Beaver. Même si sa direction réfléchit à l’idée, la firme n’a pas encore procédé en 2022.
Environ 330 Beaver et Turbo Beaver (en état de vol?) se trouvent dans le Registre d’immatriculation des aéronefs civils canadiens en 2022. Environ 380 Beaver et Turbo Beaver (en état de vol?) se trouvent par ailleurs dans le registre d’immatriculation des aéronefs civils américains en cette même année.
Le Beaver est à n’en pas douter un des meilleurs avions utilitaires / de brousse du 20ème siècle. Ce remarquable aéronef compte par ailleurs parmi les 10 plus importantes réalisations du génie canadien du 20ème siècle, selon une liste complétée en 1987 par l’Institut canadien des ingénieurs.
En 1991, la Monnaie royale canadienne émet une pièce de 20 $ en argent sterling pour commémorer le Beaver dans le cadre de sa série Aviation. En 1999, elle émet une pièce de 25 cents en argent épreuve numismatique dans le cadre de sa série Millénaire. En 2008, la Monnaie royale canadienne émet une pièce de 50 cents en or pur dans le cadre de sa série commémorant son centenaire.
L’aéronef à l’origine de la saga du Beaver, le prototype même, est exposé au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Votre humble serviteur vous invite par conséquent à revenir sur ce site Web la semaine prochaine pour en savoir davantage sur cette remarquable machine.
Avant que je ne l’oublie, croiriez-vous qu’un Beaver muni d’un moteur électrique américain effectue, en décembre 2019, le premier vol au monde d’un aéronef commercial propulsé par un tel type de moteur? Cet hydravion à flotteurs fabriqué en 1956 appartient à Harbour Air Limited de Richmond, Colombie-Britannique. Il vaudrait peut-être la peine de le conserver dans un musée. Je vous dis ça comme ça, moi.