De pôle en pôle et d’horizon en horizon, le Twin Otter était, est et sera là : Une bien brève pontification sur un des meilleurs aéronefs canadiens jamais conçus
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur est heureux de voir que vous souhaitez vous abreuver encore une fois à la fontaine du savoir que constitue parfois notre anarchique et trop bavard blogue / bulletin / machin.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant (tapant?) que l’illustrissime Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, acquiert un aéronef fort important en octobre 1981 et… Que dites-vous? Vous n’avez pas la moindre idée de ce dont je parle (tape?)?! Honte à vous! Désolé.
Apprenez donc, ami(e) lectrice ou lecteur, que le de Havilland Canada DHC-6 Twin Otter compte parmi les meilleurs avions-navettes / avions utilitaires de sa catégorie au monde. De Havilland Aircraft of Canada Limited (DHC) de Downsview, Ontario, un avionneur bien connu s’il en est, remet le prototype de cette remarquable machine au musée en octobre 1918. Désolé. En octobre 1981.
Et oui, DHC est mentionnée dans de nombreux numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis juillet 2017.
Notre récit de cette semaine commence toutefois plusieurs années avant le premier vol du Twin Otter ou, comme on l’appelle parfois, en traduction, L’AÉROPLANE PROPULSÉ PAR LE BRUIT.
En décembre 1951, un pilote d’essai de DHC prend l’air aux commandes du prototype d’un aéronef utilitaire monomoteur. Le DHC-3 Otter s’avère fort réussi. L’avionneur ontarien en fabrique environ 465 exemplaires entre 1951 et 1967. Ces aéronefs portent les couleurs de nombreuses forces aériennes et transporteurs aériens de par le monde.
Cela étant dit (tapé?), quelques clients, dont la société aérienne canadienne Wardair Limited de Edmonton, Alberta, sans parler de la United States Army, mentionnent à DHC qu’un aéronef bimoteur serait plus sûr. La charge utile d’un Otter muni de flotteurs laisse par ailleurs un peu à désirer, surtout en altitude ou lorsqu’il fait chaud. De fait, certains clients potentiels décident d’acheter des aéronefs bimoteurs en lieu et place du Otter. L’avionneur prend bonne note de ces décisions.
Le lancement de l’excellent turbopropulseur PT6 par que Canadian Pratt & Whitney Aircraft Company Limited / United Aircraft of Canada Limited, une filiale de la division Pratt & Whitney Aircraft du géant aéronautique américain United Aircraft Corporation, au début des années 1960, un des meilleurs de sa catégorie au monde, si, si, au monde, et un moteur mentionné dans des numéros de novembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin, vient changer la donne.
Souhaitez-vous que votre humble serviteur mentionne que Canadian Pratt & Whitney Aircraft / United Aircraft of Canada est mentionnée dans des numéros d’août 2017, mars 2018 et novembre 2020 de… Ça va, ça va, demeurons calme. Je vous demandais ça comme ça, moi.
Une réunion importante se tient en juillet 1963 dans les bureaux de DHC. La direction décide alors de ne pas mettre au point un tout nouvel aéronef de transport léger, préférant plutôt utiliser le plus grand nombre possible d’éléments du Otter. La désignation DHC-6 Twin Otter est vite adoptée. Tout comme par le passé, la United States Army suit de près ce qui se passe dans les ateliers de l’avionneur ontarien.
Craignant l’apparition de concurrents étrangers, DHC approuve la production d’un prototype et de 4 aéronefs de présérie. Le premier Twin Otter vole en mai 1965.
Et oui, le nouvel aéronef peut évidemment être muni de skis, roues ou flotteurs.
Tout comme par le passé, DHC est alors une filiale de l’avionneur britannique de Havilland Aircraft Company Limited. Depuis 1960 toutefois, cette firme bien connue mentionnée à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis février 2018 est elle-même une filiale de Hawker Siddeley Group Limited. Et oui, ce géant britannique est mentionné yadda yadda mars 2018, mais revenons à notre « Twotter » – un autre surnom donné en anglais au Twin Otter.
En 1966, la United States Army demande une offre de prix pour 100 Twin Otter. Profondément agacés par cette action, quelques / plusieurs avionneurs américains obtiennent un relâchement des exigences des militaires en matière de capacités de décollage et atterrissage courts. Le Twin Otter s’avérant plus coûteux que l’aéronef plus petit proposé par Beech Aircraft Corporation, celui-ci remporte la compétition en octobre 1966. Cet échec est le premier qu’essuie DHC depuis 1951 en ce qui concerne des commandes de la United States Army. Le pire reste toutefois à venir.
De plus en plus irritée par la volonté de la United States Army de commander des avions à décollage et atterrissage courts (ADAC) de transport de Havilland Canada CV-7 Buffalo, renforçant ainsi son potentiel en matière de transport aérien, la United States Ait Force (USAF) proteste. Ayant examiné la question, le United States Department of Defense se prononce en janvier 1967. La United States Army reçoit l’ordre d’utiliser des hélicoptères pour effectuer toutes ses missions de transport. Elle doit par conséquent transférer ses quelques Buffalo ainsi que tous ses ADAC de transport de Havilland Canada CV-2 Caribou à la USAF. Du jour au lendemain, DHC perd son principal client. Pis encore, la USAF n’a que faire d’un aéronef de la taille du Buffalo. Son avion de transport favori, une machine américaine, le Lockheed C-130 Hercules, est beaucoup plus gros.
Cela étant dit (tapé?), la USAF et la United States Army commandent une dizaine de UV-18 Twin Otter au cours des années 1970. Les Forces armées canadiennes, quant à elles, reçoivent un nombre similaire de CC-138 Twin Otter en 1971 et 1973. C’est bien peu, mais revenons quelques / plusieurs années en arrière pour bien suivre le cours de notre rivière de pensée.
La victoire de Beech Aircraft est certainement déprimante pour DHC. Cela étant dit (tapé?), la direction a déjà quelques idées. De fait, DHC entame une série de vols de démonstrations pour le bénéfice de petits transporteurs aériens américains en avril 1966. Réalisant à quel point le Twin Otter peut s’avérer efficace en tant qu’avion-navette pouvant transporter de 15 à 19 passagères et passagers, un créneau non envisagé par DHC, plusieurs d’entre eux signent des contrats au fil des mois et des années. De nombreuses petites sociétés aériennes basées sur d’autres continents font de même.
Cet intérêt découle en bonne partie de l’adoption, aux États-Unis, du Airline Deregulation Act de 1978. Cette mesure met fin à 4 décennies de contrôle gouvernemental de l’industrie américaine du transport aérien. Elle permet aux grands transporteurs aériens de concentrer leurs efforts sur les routes les plus achalandées, laissant ainsi aux transporteurs aériens de troisième niveau tout le loisir de s’emparer des routes menant aux municipalités de petites et moyennes tailles.
Si le Airline Deregulation Act entraîne une baisse des tarifs, il entraîne également de multiples faillites de sociétés aériennes, d’innombrables retards de vol, des aéroports bondés, etc. Il entraîne également plus ou moins directement la déréglementation de l’industrie du transport aérien dans d’autres parties du monde, ce qui signifie là aussi de multiples faillites de sociétés aériennes, d’innombrables retards de vol, des aéroports bondés, etc. Et vive le néolibéralisme.
Le Twin Otter joue un rôle tout particulièrement important en Norvège. Mis en service en 1969 par Widerøe Flyveselskap Aksjeselskap, le plus gros transporteur aérien indépendant du pays et une firme mentionnée dans un numéro de mars 2020 de notre blogue / bulletin / machin, l’aéronef canadien met fin à l’isolement de nombreuses petites communautés du nord de la Norvège.
Cela étant dit (tapé?), des sociétés aériennes relativement importantes, Alaska Airlines Incorporated et Pacific Western Airlines Limited de Richmond, Colombie-Britannique, une firme mentionnée dans des numéros d’octobre 2019 et novembre 2020 de notre vous savez quoi, par exemple, utilisent des Twin Otter pendant plusieurs années.
Et oui, d’autres Twin Otter portent les couleurs de firmes minières et pétrolières canadiennes et étrangères.
En juillet 1974, le gouvernement fédéral inaugure un service interurbain expérimental entre Ottawa et Montréal, Québec, à l’aide de Twin Otter modifiés et munis d’instruments de navigation sophistiqués. La société qui effectue ces vols, Airtransit, est une filiale de la société d’état Air Canada. Ce projet se veut une démonstration du fait qu’il serait possible de créer un service interurbain efficace à l’aide d’un ADAC de ligne, le de Havilland Canada Dash 7, dont le prototype vole pour la première fois en mars 1975.
Et oui, le dit prototype fait partie de la renversante collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Tant les fonctionnaires que les hommes d’affaires adorent Airtransit. Ils peuvent aller du centre-ville d’Ottawa au centre-ville de Montréal en un peu moins de 90 minutes, à bas prix. Le même trajet, en voiture, s’effectue en deux heures 40 minutes. Un vol de Air Canada, taxi au départ et à l’arrivée inclus, dure 2 heures.
Le gouvernement ontarien manifeste un certain intérêt pour ce service expérimental. Son vis-à-vis québécois, quant à lui, craint qu’il ne débouche sur une liaison permanente qui nuirait à Nordair Limitée et Québecair Limitée, des transporteurs aériens favorisés par l’état québécois. Ce manque d’enthousiasme se retrouve aussi au sein d’institutions fédérales telles que le ministère des Transports et la Commission canadienne des transports, en 2021 Transports Canada et l’Office des transports du Canada.
Airtransit effectue son dernier vol en avril 1976, avant la date prévue, mais ne donne naissance à aucune liaison interurbaine permanente. Le rapport final sur ce service donne en fait lieu à de nombreuses discussions. Si d’aucuns parlent de succès, d’autres affirment que l’expérience est un échec. D’aucuns suggèrent que Airtransit avait pour objectif d’aider DHC et de justifier la mise au point du Dash 7.
Quoiqu’il en soit, le fait est que 3 édifices érigés à l’aéroport de Rockcliffe, une banlieue d’Ottawa, pour desservir les passagères et passagers de Airtransit, sont par la suite occupés, en toute légalité bien sûr, par le personnel du Musée national de l’aviation, en 2021 le stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, mais revenons à notre histoire.
Les grèves qui se déroulent au cours des années 1970 réduisent considérablement le nombre de Twin Otter livrés aux sociétés aériennes. Le conflit de travail de 1972, par exemple, paralyse la firme pendant près de 8 mois. La grève de 1975, quant à elle, dure plus de 3 mois alors que celle de 1978 perturbe les activités de DHC pendant près de 4 mois. En guise de comparaison, la grève de 1981 et 1985 durent quelques jours et 2 semaines.
Et oui, 5 tentatives consécutives de négocier une convention collective mènent à 5 grèves consécutives. Il y a, semble-t-il, quelque chose de pourri dans l’empire, lire haute gestion, de DHC.
Au fils des ans, DHC envisage la possibilité de collaborer avec des firmes étrangères. En 1968, par exemple, l’avionneur ontarien s’allie avec Grumman Aircraft Engineering Corporation dans l’espoir d’obtenir des contrats militaires américains. L’assemblage final des premiers Twin Otter commandés s’effectuerait dans une usine de la société américaine. Vue l’absence de commandes militaires importantes, ce projet ne mène nulle part.
En 1976, DHC songe à accorder à un avionneur indonésien, selon toute vraisemblance la nouvelle société d’état Industri Pesawat Terbang Nurtanio, la permission d’assembler les Twin Otter utilisés par un transporteur aérien local. Ce projet ne mène nulle part.
L’avionneur étudie para ailleurs, entre 1979 et 1981, sinon plus, la faisabilité de créer une usine d’assemblage en Chine. Ce projet ne mène nulle part.
Cela étant dit (tapé?), un avionneur chinois, Hāĕrbīn Fēijī Zhìzào Gōngsī / Zhōngháng Gōngyè Hāfĕi Gōngsī, conçoit un petit avion de transport très similaire au Twin Otter. Le prototype de ce Y-12, un dérivé d’un aéronef mis à l’essai en 1975, vole en juillet 1982. L’avionneur chinois fabrique environ 230 Y-12 entre 1982 et 2018. La production de cet aéronef, utilisé par des transporteurs aériens d’une vingtaine de pays d’Afrique, Amérique, Asie et Océanie et les forces armées de près de 15 pays d’Afrique, Amérique et Asie, pourrait se poursuivre pendant encore quelques années.
Croiriez-vous que le Y-12 est propulsé par des turbopropulseurs… PT6 produits par Pratt & Whitney Canada Incorporée? Le malheur de l’un fait bonheur de l’autre.
Vers 1981, DHC tente de vendre plus d’une centaine de Twin Otter à l’armée de l’air indienne, ou Bhāratīya Vāyu Senā. L’avionneur accepte que la société d’état indienne Hindustaan Eyarakraapht Limited / Hindustan Aircraft Limited, une firme mentionnée dans un numéro de janvier 2021 de notre blogue / bulletin / machin, assemble les principaux éléments d’une vingtaine d’aéronefs et fabrique pour ainsi dire l’ensemble d’une soixantaine d’autres. Ce projet ne mène nulle part.
Le fait est que DHC ne fait pas toujours le poids face à des rivaux qui offrent à leurs clients potentiels des taux d’intérêts moins élevés et / ou une période de remboursement un peu plus longue. Les gouvernements australien, brésilien et espagnol, par exemple, subventionnent les avionneurs locaux afin de décrocher des commandes. De fait, Government Aircraft Factories (GAF), Empresa Brasileira de Aeronáutica Sociedade Anónima (Embraer) et Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA) sont, à des degrés divers, des sociétés d’état.
Soucieux de privatiser DHC, nationalisée en juin 1974 lorsque les choses ne vont pas très bien, le gouvernement fédéral élu en septembre 1984 et dirigé par Martin Bryan Mulroney entame rapidement des discussions avec divers intervenants, et ce en l’absence de toute politique liée à la privatisation. Deux offres retiennent son attention.
Boeing Commercial Airplane Company, une division de Boeing Company, par exemple, souhaite prendre place dans un nouveau champ d’activité, la production d’avions-navettes.
Des intérêts financiers canadiens non-identifiés joignent par ailleurs leurs forces à celles d’un chantier naval de Vancouver, Colombie-Britannique, et d’un avionneur néerlandais qui fabrique un avion-navette turbopropulsé, soit Versatile Corporation et Fokker Besloten Vennootschap, par le biais de Rimgate Holdings Limited, une société de portefeuilles de Toronto, Ontario, créée à cet effet.
Un homme d’affaires ouest-allemand, Justus Dornier, se joint quant à lui à des intérêts financiers canadiens non-identifiés afin de soumettre une offre qui ne semble pas être prise au sérieux.
Il est à noter que le membre du Cabinet responsable du dossier, le ministre de l’Expansion économique régionale, Sinclair McKnight Stevens, a la réputation de cordialement détester DHC, un avionneur qui a largement profité des largesses du précédent gouvernement. S’il faut en croire un éditorial du bimensuel The Canadian Aircraft Operator, le ressentiment que ressent Stevens envers DHC se compare à celle du premier ministre John George Diefenbaker pour l’avionneur A.V. Roe Canada Limited (Avro Canada) de Malton, Ontario, qui, lui aussi, a largement profité des largesses d’un précédent gouvernement.
Ais-je besoin de vous rappeler que Diefenbaker et Avro Canada sont mentionnées dans quelques et plusieurs numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2020 et mars 2018? C’est bien ce que je pensais.
Généralement approuvée par l’industrie mais fortement critiquée par de nombreux observateurs qui y voit le transfert d’un joyau canadien à une société étrangère pour une bouchée de pain, la vente de DHC à Boeing Commercial Airplane, officialisée en janvier 1986, s’effectue sans que les médias puissent obtenir beaucoup d’information. L’attitude du gouvernement fédéral mine par sa crédibilité dans ce dossier. L’éditorialiste du mensuel Canadian Aviation, Hugh Whittington, par exemple, conclut que la vente de DHC à Boeing montre l’immaturité de l’approche canadienne. Pis encore, elle fait du Canada le seul pays du premier monde à ne pas détenir une participation majoritaire dans une composante principale de son industrie aérospatiale.
Cet achat de DHC s’explique en partie par le fait que Boeing Commercial Airplane tente alors de décrocher une commande de Air Canada. Le géant américain espère que son implication dans l’industrie aérospatiale canadienne va amener le gouvernement fédéral à exercer des pressions sur sa société d’état. Ces espoirs s’avèrent vains. En effet, Airbus Industrie, en 2021 Airbus Group Naamloze Vennootschap, remporte la compétition en juillet 1988.
Cette victoire du géant européen est un tant soit peu entachée par des allégations de commissions secrètes versées à un ou des membres du gouvernement fédéral. Accusé par la Gendarmerie royale du Canada en 1995, l’ex-premier ministre Mulroney nie les allégations et lance une poursuite en diffamation contre le gouvernement dirigé par son adversaire politique, Joseph Jacques Jean Chrétien – un personnage mentionné dans des numéros de novembre 2019 et juillet 2021 de notre blogue / bulletin / machin. Le dit gouvernement règle cette histoire à l’amiable au début de 1997 : il accepte de s’excuser publiquement et de payer les frais juridiques de Mulroney.
Et oui, celui-ci est mentionné dans un numéro de janvier 2021 de notre vous savez quoi.
En 1987, la direction de la division de Havilland de Boeing of Canada Limited, une filiale de Boeing mentionnée à quelques reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis février 2019, tente d’harmoniser les procédures de grief, la classification des tâches et l’ancienneté avec celles en vigueur dans les usines américaines de sa maison mère. Elle espère ainsi répondre aux critiques de la dite maison mère qui juge l’usine ontarienne peu productive. Mal lui en prend.
Les employés déclenchent une grève qui dure 10 semaines. Les « Yankee Go Home! » criés par de nombreux piqueteurs et les sentiments anti-américains de certains chefs syndicaux ne passent pas inaperçus. En fin de compte, Boeing Commercial Airplane ne parvient pas à harmoniser les procédures de grief, la classification des tâches et l’ancienneté.
Le président du Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs du Canada, en 2021 le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, Robert « Bob » White, quant à lui, utilise ce succès pour rehausser son prestige, quelque peu malmené au cours des mois précédents.
Quoiqu’il en soit, l’entrée en scène d’un nouveau propriétaire entraîne de grands changements. Peu intéressé par la technologie ADAC de sa division de Havilland, Boeing met fin à la production du Twin Otter en 1988 pour concentrer les efforts de sa division sur l’avion de ligne turbopropulsé bimoteur Dash 8. Quelques projets préliminaires de déménagement de la chaîne de montage du Twin Otter tournent court.
Au fil des ans, DHC / division de Havilland livre environ 770 Twin Otter à des opérateurs civils basés dans plus de 70 pays. Mis à part le Canada et les États-Unis, mentionnés plus haut, l’avionneur ontarien produit environ 55 aéronefs pour les forces armées de 10 pays d’Afrique (Éthiopie), d’Amérique (Argentine, Chili, Équateur, Jamaïque, Panama, Paraguay et Pérou) et d’Europe (France et Norvège).
En tout et pour tout, DHC / division de Havilland produit environ 845 Twin Otter entre 1965 et 1988.
Au printemps 1989, Boeing Commercial Airplane poursuit le gouvernement fédéral. L’avionneur affirme que des vices cachés touchant aux ateliers affectent la santé et la sécurité des travailleurs de la division de Havilland et retardent les livraisons de Dash 8. Quelques observateurs se demandent comment le géant américain a pu acheter la firme sans remarquer ce genre de détail. Quoiqu’il en soit, le gouvernement fédéral accepte de payer une somme importante vers février 1990.
Pour dire la vérité, Boeing Commercial Airplane regrette de plus en plus d’avoir acheté DHC, et ce même si le Dash 8 se vend bien. De fait, le géant américain annonce la mise en vente de sa division de Havilland en juillet 1990. Le Groupement d’intérêts économiques Avions de transport régional (ATR), une société franco-italienne contrôlé par deux avionneurs d’importance, Aérospatiale Société nationale industrielle et Alenia Aeronautica Società per Azioni, une filiale du géant italien Finmeccanica Società per Azioni, manifeste beaucoup d’intérêt. ATR est bien connu pour ses avions-navettes turbopropulsés ATR-42 et ATR-72 – deux sérieux rivaux du Dash 8 munis de turbopropulseurs conçus et produits par Pratt & Whitney Canada, tout comme le Dash 8.
Boeing Commercial Airplane et ATR peuvent avoir signé un accord de vente en avril 1991. Une agence fédérale se penche alors sur la proposition. De l’avis général, Investissement Canada va donner sa bénédiction à la vente de la division de Havilland.
En dépit de promesses de maintien de la production du Dash 8, de nombreux observateurs craignent que celui-ci ne soit abandonné plus ou moins rapidement et que la division de Havilland ne devienne un assembleur de pièces fabriquées en Europe. Le susmentionné White, quant à lui, craint que le nombre de mises à pied annoncé par ATR soit plus grand que prévu. De plus en plus inquiet, le gouvernement ontarien dirigé par Robert Keith « Bob » Rae met sur pied un groupe de travail pour étudier la situation.
Aux dires de nombreux porte-paroles de l’industrie aérospatiale canadienne, le gouvernement fédéral se doit d’appuyer l’avionneur ontarien après sa vente. Poussé au pied du mur, le Cabinet envisage la possibilité de bloquer la transaction. Le gouvernement fédéral demande finalement à ATR de soumettre une offre d’achat améliorée. Le gouvernement ontarien semble se joindre à l’avionneur dans la préparation de la dite offre. Il consent en fait à acquérir le tiers de la division de Havilland.
L’offre d’achat d’ATR s’évanouit en fumée en octobre 1991 lorsque la Commission européenne, la branche exécutive de ce qui est alors la Communauté économique européenne, décrète que la vente de l’avionneur ontarien lui donnerait un poids économique inacceptable, soit la moitié du marché mondial, en matière d’avions-navettes turbopropulsés. Les autres fabricants d’avions-navettes européens, opposés au projet d’ATR depuis le tout début, poussent un soupir de soulagement. Ce n’est certes pas le cas au sein des conseils des ministres français et italien, qui sont fort mécontents.
De l’avis de plusieurs observateurs et commentateurs canadiens, le nouveau propriétaire de la division de Havilland doit être canadien. Propriétaire de Canadair Limited de Cartierville, Québec, une firme mentionnée à plusieurs reprises dans notre vous savez quoi depuis février 2018, depuis 1986, Bombardier Incorporée de Montréal est un candidat idéal. De fait, le géant québécois songe très sérieusement à présenter une offre d’achat. Le gouvernement ontarien ayant accepté de l’appuyer, Bombardier se lance dans la course. Des négociations impliquant Boeing Commercial Airplane, Bombardier, de même que les gouvernements fédéral et ontarien, débutent vers la fin de 1991.
Devrais-je oser mentionner que Bombardier est mentionné à quelques reprises dans notre yadda yadda, et ce depuis mars 2018? Et que Canadair l’est à plusieurs reprises depuis octobre 2017? Non? Fort bien.
Bombardier et le gouvernement ontarien prennent officiellement le contrôle de la division de Havilland en mars 1992. De Havilland Incorporated voit le jour. Bombardier s’engage à acheter les 49 % de la firme détenus par son partenaire en janvier 1997. Avec Canadair et de Havilland sous le même toit, la rationalisation de l’industrie aérospatiale canadienne envisagée et espérée par plusieurs observateurs depuis le milieu des années 1970 est finalement devenue réalité.
De Havilland devient apparemment de Havilland, Bombardier Incorporée vers 1998. Une nouvelle raison sociale, Bombardier Aéronautique, voit le jour vers 1999. Du coup, de Havilland cède la place à Bombardier Aéronautique de Havilland. La firme devient Bombardier Aéronautique Toronto vers 2004.
En janvier 2006, Bombardier Aéronautique vend les certificats de type de tous les aéronefs conçus par DHC, à l’exception du Dash 8, le seul encore en production, à une petite société basée à Victoria, Colombie-Britannique. Ayant bien examiné le marché, Viking Air Limited décide, en avril 2007, de relancer la production du Twin Otter. Le premier exemplaire d’une version modernisée / améliorée de l’aéronef vole en février 2010.
En juillet, Viking Air et une firme russe, Aviatsionnnaïa Korporatsiya « Vityaz, » signent un protocole d’entente visant la création d’une usine d’assemblage de Twin Otter en Fédération de Russie. L’imposition de sanctions économiques suite au conflit qui oppose ce pays, l’agresseur, à l’Ukraine, l’agressé, entraîne l’abandon du projet en août 2015.
Viking Air fabrique environ 115 Twin Otter dans ses ateliers de Calgary, Alberta, entre 2010 et 2018, dont près d’une vingtaine pour les forces armées du Pérou et du Vietnam, pour un grand total d’au moins 960 aéronefs. Le programme de production du Twin Otter devrait se poursuivre encore longtemps.
À n’en pas douter, cette machine solide, rustique et fiable compte parmi les meilleurs avions-navettes / avions utilitaires de sa catégorie au monde.
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