C’était en effet une diable de marque : Fred Magee, Fred Magee Limited de Port Elgin, Nouveau-Brunswick, et leurs produits de marque Mephisto – sans oublier quelques mots sur l’industrie canadienne du homard, partie 2
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Vous vous souviendrez bien sûr du sujet principal du numéro de cette semaine de notre toujours aussi fascinant blogue / bulletin / machin. Si, nous examinons en effet la vie et l’époque du financier / industriel / philanthrope et pionnier de l’enseignement professionnel néo-brunswickois Fred (Frederick?) Magee, un gentilhomme bien connu à son époque pour la production de homard en conserve par sa firme, Fred Magee Limited de Port Elgin, Nouveau-Brunswick.
En 1918, les marchés d’outremers du homard du Canada ont pratiquement disparu. Des expériences sont donc menées pour voir si des homards vivants peuvent être envoyés par train vers des villes intérieures comme Ottawa, Ontario. Une cargaison arrive dans la capitale nationale à la mi-juin, en provenance de la péninsule gaspésienne du Québec, par exemple. La plupart des quelque 400 homards semblent en bonne santé à leur arrivée. Ils sont immédiatement mis sur le marché, prélude à leur mort prématurée par ébullition. Cette expérience peut, je répète peut, conduire à d’autres livraisons.
Le hic, bien sûr, c’est que le homard est devenu si cher que seules les personnes aisées se sentent à l’aise à l’idée d’en acheter. Le transport de ces crustacés par train n’aide probablement pas non plus à améliorer leur prix.
Quoi qu’il en soit, certains chercheurs tirent la sonnette d’alarme quant à la survie à long terme de la pêche au homard. Permettre aux pêcheurs d’aller en mer pendant la saison de frai et capturer des femelles chargées de milliers d’œufs n’a aucun sens, déclare le président du Conseil biologique du Canada, Archibald Patterson Knight, professeur (biologie et physiologie) à Queen’s University de Kingston, Ontario. La survie à long terme de la ressource devrait primer sur les souhaits et la commodité des conserveurs et pêcheurs. Les politiciens devraient avoir une vision d’ensemble, et…
Je sais, je sais, la naïveté de cet homme est plutôt touchante, mais revenons à notre histoire.
Dans un rapport réalisé au cours de l’été 1919, après avoir visité des régions de pêche au homard du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, Knight affirme que de nombreuses hypothèses communément soutenues par les conserveurs et / ou pêcheurs n’ont aucun rapport avec la réalité. Rien ne prouve que les homards soient répartis uniformément le long de la côte atlantique de l’Amérique du Nord et il est effectivement possible d’exterminer l’espèce. De fait, les captures diminuent presque chaque année.
Selon Knight, la saison de pêche au homard devrait être raccourcie et des sanctuaires devraient être établis où aucune pêche ne devrait être autorisée.
Et oui, une amende n’excédant pas 1 000 $ peut apparemment être imposée à tout pêcheur trouvé en possession d’une femelle homard en train de frayer. Le hic, c’est que presque personne ne connaît une personne ayant été condamnée à une telle amende. Cette somme correspond d’ailleurs à environ 17 000 $ en devises de 2024.
Plus tôt cet été-là, oui, l’été de 1919, un autre membre du Conseil biologique du Canada et professeur de biologie à Queen’s University, William Thomas MacClement, visite la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard avec un certain révérend MacGillivray pour familiariser les pêcheurs avec les résultats des recherches menées par le conseil. Ceux-ci montrent généralement une volonté d’agir conformément aux conclusions des dites recherches.
Soit dit en passant, votre humble serviteur se demande si le susmentionné révérend MacGillivray n’est pas Donald MacGillivray, un célèbre éditeur / érudit / journaliste / missionnaire protestant / philanthrope canadien qui, après des années passées en Chine, passe quelque temps en congé au Canada, mais je digresse.
Et non, mon toujours enthousiaste ami(e) lectrice ou lecteur, MacGillivray n’a apparemment aucun lien de parenté avec le père John « Jack » MacGillivray, un aumônier catholique, apostolique et romain de l’Aviation royale du Canada et fana d’aviation qui vend son avion privé de Havilland Puss Moth à ce qui est alors le Musée national de l’aviation, à Ottawa, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, mais revenons à l’industrie canadienne du homard en 1918-19.
À première vue, certaines réglementations sont instituées, mais aucun sanctuaire n’est établi. Néanmoins, une campagne éducative menée au profit des pêcheurs donne des résultats utiles.
La fin de la Première Guerre mondiale n’entraîne pas une amélioration immédiate de la situation de l’industrie canadienne du homard.
Au printemps 1920, des représentants des 3 plus importantes conserveries situées dans les provinces maritimes visitent le Royaume-Uni, la France et la Belgique, 3 pays qui représentent les ¾ des exportations de homard du Canada. Les propos qu’ils tiennent à leur retour chez eux, en avril, ne sont guère rassurants.
En raison de problèmes de taux de change, beaucoup, sinon la plupart des courtiers européens, y compris ceux du Royaume-Uni bien sûr, ne prennent pas livraison du homard expédié vers leurs pays respectifs. Résultat : des montagnes de boîte de conserves s’entassent sur les quais. Bien entendu, cela signifie que les conserveries courent le risque de perdre beaucoup d’argent.
Même si les choses s’améliorent progressivement à mesure que les économies européennes commencent à reprendre pied, l’industrie demeure encore plus petite qu’elle ne l’était avant la Première Guerre mondiale. En 1923 par exemple, les quelque 600 conserveries emploient moins de 6 000 personnes. Même si le nombre de personnes employées oscille autour de 6 200 en 1927, le nombre de conserveries a chuté de plus de 25 %, pour atteindre environ 440. En 1929, il ne reste plus qu’environ 355 conserveries – la moitié du chiffre de 1913.
Ceci étant dit (tapé?), des prix de vente plus élevés font que la valeur annuelle des homards commercialisés, vivants ou en conserve, oscille en 1923 autour de 1 350 000 $, une somme qui correspond à environ 23 000 000 $ en devises de 2024. Cette même valeur baisse de 10 % en 1924.
On peut se demander si le fait que quelques clients européens ne sont pas très satisfaits de la qualité d’une partie du homard en conserve importé du Canada peut expliquer la valeur inférieure enregistrée en 1924.
Et oui, les revenus du personnel des conserveries et des pêcheurs demeurent ridiculement bas.
Pour diverses raisons, captures plus importantes, qualité améliorée, etc., la production de l’industrie du homard oscille autour de 3 180 000 $ en 1929, une somme qui correspond à environ 55 000 000 $ en devises de 2024.
Alors que la Grande Dépression commence à se faire sentir, le chômage au Canada augmente fortement. Dans les provinces maritimes, un certain nombre d’hommes se tournent vers la pêche pour joindre les deux bouts. Initialement, les prises deviennent plus importantes et les prix baissent. Le pire est cependant à venir. À partir de 1932, les prises deviennent plus petites, mais revenons à la personne au cœur de cet article.
Il convient de noter que Magee est un des députés de la Legislative Assembly of New Brunswick, du côté du gouvernement, qui est élu à la suite des élections générales de février 1917 dans cette province.
Magee devient le président fondateur du Vocational Education Board du Nouveau-Brunswick en juillet 1918. De fait, il joue un rôle crucial dans la création du dit conseil. Magee occupe apparemment son poste jusqu’en 1925.
Curieusement, il est nommé ministre sans portefeuille une semaine environ avant les élections générales d’octobre 1920.
Réélu à ce moment, Magee sert en tant que ministre sans portefeuille. Il devient président du Executive Council, le cabinet de la province, en février 1923. Magee perd son siège lorsque son parti politique est démis du pouvoir à la suite des élections générales d’août 1925.
Oh, avant d’oublier, Fred Magee, si, la firme, met du poulet en conserve au plus tard en 1921. Je ne plaisante pas, mais je me demande si les problèmes de prises de homard forcent la firme à réorienter un peu ses activités. Et non, je n’ai aucune idée de la date à laquelle cette gamme de produits est retirée du marché.
Et maintenant, quelque chose de complètement différent.
Magee sait par expérience personnelle que de nombreux jeunes ne se reconnaissent pas dans le programme d’études standard et orienté académiquement offert dans le système éducatif du Nouveau-Brunswick. Il entreprend de changer cela, avec l’aide d’un fonctionnaire de carrière, le directeur de la formation professionnelle du Nouveau-Brunswick, Fletcher Peacock. On pourrait soutenir que c’est principalement grâce à l’initiative commune de Magee et Peacock que la formation professionnelle atteint sa maturité au Nouveau-Brunswick.
Et oui, de nombreux, sinon la plupart des propriétaires / exploitants d’écoles commerciales / professionnelles privées situées au Nouveau-Brunswick s’opposent vigoureusement à Magee et Peacock.
Quoi qu’il en soit, c’est grâce à eux que la Saint John Vocational School de…Saint John, Nouveau-Brunswick, un des premiers établissements d’enseignement de ce type au Canada, ouvre ses portes, en 1926.
Fred Magee devient Fred Magee (New Brunswick) Limited de Port Elgin en janvier 1927. Magee continue à occuper les postes de président et directeur de cette firme de commerce / emballage / production / salaison. Votre humble serviteur ne peut pas dire si cette raison sociale quelque peu complexe est beaucoup utilisé, au lieu du simple vieux Fred Magee.
Malgré le climat économique difficile des années 1930, la tristement célèbre décennie de la Grande Dépression, malgré aussi certaines années durant lesquelles les captures de homard sont déplorablement faibles, entre 1933 et 1935 par exemple, je pense, la firme de Magee s’en sort plutôt bien. À cette époque, elle distribue l’équipement de mise en conserve produit par quelques firmes et produit des boîtes de conserve pour diverses firmes locales et régionales, tout en produisant du homard en conserve évidemment.
Même si quelques, voire plusieurs de ses concurrents doivent jeter l’éponge, Magee agrandit son usine de Pictou, Nouveau-Brunswick. Voyez-vous, l’astucieux Magee mène des expériences de mise en conserve au cours des années précédentes, avec des produits qui ne proviennent pas de la mer, comme des légumes et fruits, apparemment des fraises, à la conserverie de Port Elgin.
Étant donné que sa conserverie de Pictou n’est active que pendant la courte saison du homard (mai-juin?), Magee fait appel à quelques agriculteurs de la région de Pictou au cours des étés 1935 et 1936 afin de tester diverses variétés de pois. Les résultats sont suffisamment prometteurs pour convaincre Magee de se lancer dans la mise en conserve de petits pois et, plus tard, de haricots verts. Avant trop longtemps, plus de 100 agriculteurs expédient leurs pois et leurs haricots verts, ainsi que, plus tard, leurs haricots jaunes, à la conserverie de Pictou.
Et oui, ces légumes portent la fameuse marque Mephisto.
Croiriez-vous que Magee, ou un de ses collaborateurs, veille à ce que le matériel végétal restant après la mise en conserve soit transformé en ensilage – et vendu?
Croiriez-vous également que, lorsque le gouvernement fédéral devient actionnaire majoritaire de la Banque du Canada en juin 1936, je pense, Magee devient un des administrateurs de cette institution privée, si, si, privée, en septembre? Il occupe ce poste jusqu’à son remplacement comme représentant du Nouveau-Brunswick, en février 1948, environ dix ans après que la banque soit devenue une société de la couronne.
Comme on pouvait s’y attendre, le début de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, bouleverse une fois de plus les marchés de l’industrie canadienne du homard. Après tout, environ 85 % de sa production est destinée à l’Europe avant le conflit. De fait, le gouvernement britannique peut, je répète peut, avoir mis fin aux importations de homard à l’automne 1939.
Cette fois-ci, toutefois, le gouvernement fédéral indique, au début de mai 1940, qu’il va aider l’industrie du homard, une industrie qui emploie alors environ 20 000 pêcheurs et employé(e)s de conserveries.
Le ministre des Pêches, l’avocat / notaire néo-brunswickois Joseph Enoïl Michaud, nomme un Contrôleur du homard par intérim le même mois et prend des mesures pour s’assurer que les pêcheurs reçoivent une somme minimale pour chaque unité de poids (kilogramme ou livre, au choix) de homard capturé au large de la côte Est du Canada.
Par hasard, ai-je mentionné dans la première partie de cet article que le homard américain / canadien ne peut être trouvé que sur la côte atlantique du Canada? Non? Désolé. Ce décapode ne se trouve pas sur la côte du Pacifique du Canada, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. De fait, croiriez-vous que, entre 1896 et 1966, il y a eu plus de 10 tentatives distinctes pour introduire ce homard dans les eaux britanno-colombiennes? Je ne plaisante pas.
Ceci étant dit (tapé?), quelques homards américains / canadiens ont été capturés dans ces eaux au cours des dernières années. On a suggéré que ces crustacés avaient été relâchés par des amoureux des animaux qui les avaient achetés dans des poissonneries afin de les libérer, mais revenons à notre histoire.
Le gouvernement fédéral achète une bonne partie, sinon la majeure partie, des prises de homard de 1940, et ce afin de préserver les revenus de l’industrie et permettre aux clients d’acheter du homard à un prix raisonnablement bas. Il achète également une bonne partie des prises de 1941.
Comme on pouvait s’y attendre, cet exemple particulier d’intervention gouvernementale plaît beaucoup à l’industrie canadienne du homard, qui n’a pas toujours eu des sentiments chaleureux à l’égard de telles interventions.
Soit dit en passant, le dit contrôleur par intérim est le sous-ministre des Pêches. Donovan Bartley Finn semble être confirmé dans ses fonctions en juin ou juillet 1940.
La situation en Europe avait alors beaucoup changé, et pour le pire. L’Allemagne nationale-socialiste règne en maître sur la moitié occidentale de ce continent, après avoir attaqué avec succès quelques pays (Belgique, Danemark, France, Luxembourg, Norvège et Pays-Bas) en mai et juin. De plus, le Royaume-Uni est assiégé.
Il est bien entendu hors de question d’exporter du homard vers des pays sous contrôle allemand.
Une publicité typique du ministère des Pêcheries pour son homard de marque Canada. Anon., « Ministère des Pêcheries. » La Revue populaire, octobre 1940, 71.
Presque privé de ses marchés d’exportation d’outremers, le gouvernement fédéral lance une intense campagne de vente pour stimuler les ventes de homard au Canada et aux États-Unis, et ce, en septembre 1940. Il y a des publicités dans toutes sortes de magazines et journaux, d’un océan à l’autre. Des stations de radio contribuent également à ce battage médiatique. Remarquez, des épiceries suivent rapidement avec leurs propres publicités dans les journaux.
La campagne publicitaire du gouvernement fédéral sur le homard diffère des précédentes sur un aspect important. Les implications sociales de l’achat d’une boîte de homard sont très explicites : « Femmes du Canada – vous pouvez aider!, » déclare une publicité, en traduction. « Soyez patriote! Servez du homard, » déclare une autre, également en traduction.
Les publicités en français ne sont cependant peut-être pas aussi flagrantes. « Aidez l’industrie canadienne du homard, » « Achetez du homard canadien en conserve » et « Le homard est un mets chic » ne sont pas exactement des cris de guerre. Enfin, ces phrases ne se terminent même pas par des points d’exclamation.
Remarquez, les agences de publicité au Québec savent sans doute que l’appui à l’effort de guerre est un tantinet tiède dans divers milieux francophones de cette province. Ne l’oublions pas, le Royaume-Uni est pour eux un pays étranger, pas la mère patrie. La France elle-même est dans une large mesure un pays étranger. Après tout, les ancêtres de la majorité francophone du Québec avaient quitté cet endroit au plus tard dans les années 1750.
Ceci étant dit (tapé ?), les recettes trouvées dans des publications francophones comme le magazine hebdomadaire Le Samedi sont peut-être un tantinet plus intrigantes. Il suffit de mentionner le soufflé de homard au Kellogg’s Rice Krispies. Délicieux…
D’accord, d’accord, les grains de riz soufflés dans des boîtes de Rice Krispies ne sont pas aussi mauvais pour vous que plusieurs autres céréales de petit-déjeuner. Malgré tout, le riz blanc à partir duquel ce produit est dérivé est composé de presque 100% de glucides, presque sans fibres ni protéines, mais je digresse.
Un autre aspect des efforts du gouvernement fédéral est la création d’une nouvelle marque unique de homard, la marque Canada, qui fait son apparition sur les tablettes des épiceries d’un océan à l’autre à l’automne 1940. Au fil du temps, cette marque représente 12 % des ventes de homard au Canada.
Et oui, la campagne publicitaire semble fonctionner. Selon le susmentionné Finn, les ventes canadiennes de homard en 1941 sont près de 5.7 fois supérieures à celles d’avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Plus important encore, compte tenu de la taille de ce marché, les ventes de homard américain en 1941 sont 5 fois supérieures à celles d’avant le début du conflit. Wah!
Il convient de noter que les ventes de homard canadien aux acheteurs américains sont favorisées par le fait que, lorsque le Japon attaque les États-Unis, en décembre 1941, toutes les importations de chair de crabe japonais en conserve bon marché vers le continent nord-américain cessent brutalement.
Remarquez, il convient de noter qu’une très grande proportion des conserves de homard achetées par le gouvernement fédéral en 1940-41 est servie aux membres des forces armées canadiennes stationnées en sol canadien.
En 1942, on dit que l’industrie est en plein essor. Le nombre de pêcheurs impliqués a diminué, bon nombre d’entre eux s’étant enrôlés dans la Marine royale du Canada, mais les revenus individuels augmentent. Néanmoins, les captures ont eu tendance à fluctuer : une baisse de 22.5 % de 1939 à 1940 et une augmentation de 8.5 % de 1940 à 1941.
Le homard en conserve de marque Canada est disponible en 3 catégories : Luxe, Choix et Régulière. La viande de cette dernière catégorie n’est ni ferme ni de couleur vive, par exemple. Elle peut être utilisé dans les chaudrées et bisques.
Un tel système de notation n’existait pas avant le début de la Seconde Guerre mondiale, une absence qui aurait pu décourager certains clients potentiels d’acheter le produit.
Remarquez, des paquets de homard congelé sont disponibles. Des homards vivants sont également disponibles à la vente dans plusieurs villes canadiennes et américaines. De nouvelles victimes, désolé, désolé, de nouveaux homards arrivent presque tous les jours par train.
Je sais que c’est assez hypocrite de ma part de penser ainsi, après tout, j’adore mon filet mignon saignant, mais l’idée de ramasser un homard actif et fougueux dans une poissonnerie pour que je puisse le faire bouillir à mort à la maison n’est pas mon truc, mais revenons à notre histoire.
Il convient de noter que tout ménage canadien demandant un exemplaire d’un livret publié par le gouvernement intitulé Le Homard – Recettes économiques, en anglais Economical Lobster Recipes, tous deux publiés vers juillet 1940, en obtiendrait un gratuitement. Eh bien, pour le prix d’un timbre de 3 cents en fait. Ces 3 cents correspondent à environ 61 cents en devises de 2024, ce qui est bien inférieur aux 1.15 $ (!) que vous et moi devons cracher présentement pour envoyer une lettre.
Pourtant, les choses pourraient être bien pires. Vous et moi pourrions être citoyenne ou citoyen britannique, par exemple. Croyez-vous que les gens de ce pays d’Europe doivent cracher l’équivalent d’environ 2.35 $ en devises canadiennes de 2024 pour envoyer une lettre? Je ne plaisante pas. En 2020, ces gens payaient l’équivalent d’environ 1.65 $ en devises canadiennes de 2024. Wah!
Une autre publicité typique du ministère des Pêcheries qui chante les mérites du homard de la marque ‘Canada.’ Anon., « Ministère des Pêcheries. » La Revue populaire, septembre 1940, 20.
Si je peux me permettre, votre humble serviteur aimerait savoir pourquoi, à première vue, les lettres sur les boîtes de homard de marque Canada semblent être uniquement en anglais. Et oui, votre humble serviteur se rend compte que la première Loi sur les langues officielles fédérale, une loi qui déclare que l’anglais et le français sont les deux langues officielles du Canada, n’entre en vigueur qu’en septembre 1969, mais quand même. Et je digresse.
Incidemment, saviez-vous que 3 langues autochtones sur 4 dans l’état colonial connu sous le nom de Canada sont menacées?
À première vue, les prises de homards de 1940 sont vendues dans les épiceries canadiennes et américaines, et ce, à bon prix. La taille relativement petite des captures de 1941 signifie que les achats du gouvernement fédéral sont relativement faibles cette année-là. Malgré tout, il dépense beaucoup d’argent en publicité, ce qui ne passe pas inaperçu, comme on peut l’imaginer. Le susmentionné Michaud doit se défendre et défendre son ministère.
La fin de la Seconde Guerre mondiale marque la fin de la marque Canada pour le homard, à condition bien sûr que le dit produit n’ait pas disparu plus tôt. La vie continue, même si plusieurs des pêcheurs qui avaient servi dans la Marine royale du Canada ne sont jamais revenus
Incidemment, encore, l’Office national du film du Canada (ONF), une entité de renommée mondiale mentionnée à plusieurs reprises dans notre tout aussi renommé blogue / bulletin / machin, et ce depuis novembre 2018, produit un documentaire de 13 minutes sur la pêche au homard en Nouvelle-Écosse en 1945. Voyez, marin d’eau douce, Au service des gourmets de Margaret Perry… Enfin, sa version originale anglaise, Trappers of the Sea.
Soit dit en passant, Perry est une personne vraiment remarquable. Cette photographe / projectionniste devient réalisatrice de films documentaires à l’ONF en 1942 et, en 1945, cheffe du Nova Scotia Film Bureau. En fait, Perry est la seule employée du dit bureau. Elle réalise néanmoins plus de 50 films documentaires entre 1945 et 1969.
Mais revenons à Magee, un gentilhomme que nous avons sérieusement négligé.
En vieillissant, Magee ne perd jamais son intérêt pour l’éducation. De fait, vers 1945-46, il renoue sa vieille amitié avec le susmentionné Peacock, alors surintendant principal de l’éducation du Nouveau-Brunswick. Les deux hommes commencent à planifier une nouvelle école conçue pour répondre aux besoins, tant académiques que professionnels, des étudiant(e)s des zones rurales, une école qui serait construite à Port Elgin.
Magee fait don de l’argent nécessaire à la construction d’un vaste auditorium / gymnase. Il est également chargé de financer la somme d’argent requise pour la part de Port Elgin dans le projet, soit la moitié des 500 000 $ que coûterait l’école.
L’épouse de Magee, Myrtle Rena Magee, née McLeod, fait don du terrain sur lequel l’école est construite.
La Regional Memorial School ouvre ses portes en septembre 1948.
La part de Port Elgin dans ce projet vaut bien sûr… Si, environ 3 800 000 $ en devises de 2024. Vos compétences en mathématiques ne sont pas aussi mauvaises que vous le pensez, ami(e) lectrice ou lecteur. Pour citer / paraphraser Morticia A. Addams, née Frump, dans le long métrage de comédie noire surnaturelle américain de 1991 La Famille Addams, ne vous torturez pas, je suis là pour ça.
Les nombreuses contributions de Magee à l’éducation sont reconnues en mai 1947, lorsque la University of New Brunswick lui décerne un doctorat honorifique.
À la fin des années 1940 ou au début des années 1950, alors qu’il siège au Senate de cette université, Magee commence à faire campagne pour la création d’un cursus menant à un diplôme en administration des affaires. Au mieux, il se trouve confronté à de l’indifférence, au pire, à de l’opposition. Ne voulant pas céder sur ce qu’il pense être une idée raisonnable, Magee rend son offre plus attrayante en proposant un don substantiel.
Comme il fallait s’y attendre, l’argent parlant plus fort que la raison, désolé, désolé, en octobre 1952, la University of New Brunswick annonce qu’elle offrirait bientôt un cours menant à un diplôme en administration des affaires, une offre rendue possible grâce à un don, celui de Magee bien sûr, totalisant 25 000 $, et par le soutien financier de diverses firmes du Nouveau-Brunswick. Au fil du temps, un programme de 4 ans en administration des affaires est créé.
Incidemment, le don de Magee correspond à environ 280 000 $ en devise 2024.
Fred Magee quitte ce monde en mai 1953. Il avait presque 78 ans.
Contrairement à de nombreux individus qui étaient / sont (et vont continuer d’être?) de grands parleurs et petits faiseurs, Magee joint le geste à la parole.
Magee lègue la majeure partie de sa succession, soit près de 1 000 000 $, à la University of New Brunswick. Cette pile de foin, équivalente à environ 11 500 000 $ en devises de 2024, devait être transformée en un fonds de dotation Fred Magee qui accorderait des prêts à des étudiant(e)s dans le besoin.
Remarquez, Magee lègue également 10 000 $ en actions de sa firme à Mount Allison University de Sackville, Nouveau-Brunswick, et à l’Université Saint-Joseph de Memramcook, Nouveau-Brunswick, la première et la seule, à l’époque, université francophone dans les provinces de l’Atlantique.
Un autre 5 000 $ en actions de la firme va à la Providence Saint-Joseph, une maison de retraite de la capitale mondiale du homard, la petite ville acadienne de Shediac, Nouveau-Brunswick.
Il convient de noter que, contrairement à de nombreux politiciens anglophones néo-brunswickois de sa génération, Magee n’est pas antipathique à l’égard de la minorité francophone de la province et de son souhait de voir ses enfants et adolescent(e)s éduqué(e)s en français.
Et oui, vos calculs sont corrects, ami(e) lectrice ou lecteur pointilleuse / pointilleux, ces 10 000 $ et 5 000 $ correspondent à environ 115 000 $ et 57 500 $ en devise de 2024.
Et ce n’est pas tout. En mai 1953, un entrefilet, traduit ici, paraît dans certains journaux canadiens selon lequel : « Pour chaque année d’emploi continu, les employé(e)s du regretté Dr Fred Magee recevront une demi-action privilégiée dans ses trois conserveries de homard. Une action vaut 100 $. » Cette somme vaut environ 1 150 $ en devises de 2024.
Le personnel de la résidence de Magee à Port Elgin reçoit également des actions, vraisemblablement une demi-action privilégiée pour chaque année d’emploi continu.
Soit dit en passant, les conserveries en question sont situées à Port Elgin, Pictou, ainsi qu’à Caribou, Nouvelle-Écosse.
Et vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Le homard de marque Mephisto de Magee survit-il à son créateur?
Eh bien, c’est le cas. Pendant un certain temps. Voyez-vous, au fil des ans, de nouvelles méthodes de réfrigération et le transport aérien réduisent de plus en plus le marché du homard en conserve. Enfin, pourquoi acheter de la chair de homard en conserve alors qu’il est possible de faire transporter un homard vivant du Nouveau-Brunswick par avion à Montréal, Québec, ou à Toronto, Ontario, le jour de sa capture, afin qu’il puisse être livré dans un établissement chic?
De fait, un passage progressif au transport de homards vivants peut avoir commencé au plus tard en 1938.
La preuve la plus récente dont votre humble serviteur a connaissance concernant la vente de homard de marque Mephisto est une mention dans une annonce publiée dans un numéro de la fin juillet 1962 de L’Événement journal, un quotidien disparu depuis longtemps et presque oublié publié à Québec, Québec.
Fait intéressant, la publicité en question provient d’Alimentation Service et Prix, une chaîne volontaire d’épiceries (indépendantes?) de Québec, si, la ville, opérée par un grossiste de Québec, si, encore, la ville, soit la Société provinciale des épiciers Incorporée.
Ce même grossiste est ensuite absorbé par une des firmes qui donnent naissance, en juin 1970, à un détaillant en alimentation bien connu, Provigo Incorporée de Montréal, une division de Loblaws Companies Limited de Brampton, Ontario, depuis décembre 1998.
Je n’ai malheureusement pas pu découvrir la date précise de la disparition de la firme au cœur de ce numéro de notre inoubliable blog / bulletin / machin. Il est en fait possible que Fred Magee ait été vendue avant le décès de son fondateur.
Incidemment, Homarus americanus a réussi à tenir bon. De fait, les pêcheurs canadiens ont capturé environ 98 050 tonnes métriques (environ 96 525 tonnes impériales / environ 108 100 tonnes américaines) de homards en 2022. Cette prise, qui est 3.75 fois (!) plus importante que celle de 1913-14, valait environ 1.78 milliard de dollars, ce qui correspond à environ 1.89 milliard de dollars en devises en 2024. Je ne plaisante pas. À titre de comparaison, la prise de 1912 valait 135 millions de dollars en devises de 2024.
Soit dit en passant, environ 15.8 % du pactole de 2022 est débarqué par des pêcheurs du Nouveau-Brunswick.
Et oui, Homarus americanus est l’exportation de créatures marines la plus précieuse du Canada.
Et ainsi se termine notre histoire. Pour le moment.
L’auteur de ces lignes tient à remercier les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur.
Étant le feignant que je suis, votre serviteur prendra congé demain, c’est-à-dire la fête du Canada.