Oh, quel matin magnifique! Oh, quelle journée magnifique! : Un aperçu de la première décennie du mouvement des fermiers volants au Canada
Avec l’automne et la fin d’une saison de croissance à nos portes, dans l’hémisphère nord de notre planète assiégée au moins, votre humble serviteur a pensé qu’un sujet agricole pourrait être une bonne idée, surtout s’il peut être lié au seul vrai et grand sujet, l’aviation. Je serai bref, et… Qui rit? Qui?! Rien que pour ça, il y aura un test.
La première moitié des années 1950 voit la naissance d’un acteur important de l’industrie de l’épandage aérien au Canada, le mouvement des fermiers volants. Ce puissant mouvement nait en Oklahoma, aux États-Unis, en 1944, avec une réunion d’une quarantaine de fermiers volants, les membres fondateurs de la Oklahoma Flying Farmers Association. L’intérêt suscité par ce rassemblement est tel que National Flying Farmers Association Incorporated (NFFA) est constituée en décembre 1945. Des représentants de pas moins de 16 états prennent part à la première convention nationale, tenue en août 1946. À l’automne 1956, 36 états américains et 3 provinces canadiennes ont des chapitres dans la NFFA. Près de 6 000 hommes, femmes et, dans certains cas, enfants font partie de l’association. Ce nombre atteint 7 000 en 1963. En 1966, International Flying Farmers Incorporated (IFF), une nouvelle raison sociale adoptée en 1961, compte pas moins de 47 chapitres, dont 4 au Canada.
Malgré ce changement, qui reflète la croissance de l’association, les principaux objectifs de NFFA / IFF restent les mêmes : promouvoir l’utilisation d’aéronefs dans l’agriculture et parrainer à la fois l’enseignement et la recherche dans l’aviation agricole. Les membres sont toujours des gens, des fermiers, des éleveurs et autres, qui tirent au moins 51 % de leurs revenus d’un travail lié à l’agriculture d’une part, et qui volent pour affaires et / ou le plaisir d’autre part.
La partie canadienne du mouvement doit ses origines à une invitation que la NFFA envoie à un petit nombre de fermiers de l’Alberta en 1954. Seulement 7 personnes de cette province participent à la tournée de la Floride et de Cuba que l’association organise. Quatre d’entre eux sont des fermiers: Arthur Henry « Art » Frankish et William « Bill » Heninger de Foremost, Ray T. Heninger de Wrentham et Hans Reich de Lethbridge. L’équipe de l’Alberta compte également 3 non-fermiers: Robert « Bob » Charlton, un gestionnaire de transport de Fort Macleod, S. « Mel » Fengstad, un ancien cow-boy et éleveur qui possède un motel à Lethbridge, et Blake Rothel, un soudeur de Lethbridge.
Ce petit groupe quitte Lethbridge en novembre 1954. Il vole vers le sud pendant 3 jours et rejoint les groupes américains en Floride. Au total, il y a environ 115 aéronefs transportant environ 300 personnes. Pendant la tournée, Fengstad agit en tant qu’ambassadeur de bonne volonté. Il prononce des discours et invite les fermiers volants américains à visiter l’Alberta en 1955, l’année du jubilé d’or de cette province. Fengstad s’avère très convaincant. En fait, l’exécutif de la NFFA accepte de tenir sa prochaine tournée officielle en Alberta, en octobre 1955.
Les Américains formulent également des plans pour organiser un nouveau chapitre de leur organisation en Alberta – le premier au Canada. Ce groupe, les Alberta Flying Farmers, est formé à Lethbridge en février 1955. Trente-cinq pilotes participent à la réunion de fondation. Roy T. Heninger est apparemment élu président.
Incidemment, un autre chapitre de NFFA / IFF, les Saskatchewan Flying Farmers, est formé, à Estevan, en 1955. Il a bientôt non moins de 300 membres.
D’autres développements visent à améliorer le sort des fermiers volants au Canada. Dès 1947, par exemple, le ministère des Transports autorise les fermiers qui voulaient traiter leurs propres terres avec leurs propres avions légers / privés à le faire, dans un rayon de 40 kilomètres (25 milles) de leurs fermes, sans avoir se soucier de toute licence spéciale. Ils peuvent également aider leurs voisins, à condition qu’ils opèrent gratuitement et restent dans la limite de 40 kilomètres (25 milles). En 1957, le ministère des Transports accepte d’autoriser les fermiers volants à travailler dans les fermes de leurs voisins moyennant des frais, sous certaines conditions. Ces fermiers volants sont éventuellement connus comme des exploitants exemptés. On dit à l’époque que les nouvelles règles entraîneraient une augmentation considérable de l’épandage aérien au Canada.
En 1957, toutefois, il y n’a que 29 aéronefs d’application aérienne privés au Canada, tous situés au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. Les chiffres concernant les 27 propriétaires privés de ces aéronefs montrent que, sur les 48 260 hectares (119 270 acres) qu’ils traitent, près de 30% sont traités gratuitement, possiblement par des fermiers s’aidant eux-mêmes ou aidant un voisin.
À la fin de mars 1962, environ 265 aéronefs sont utilisés à des fins agricoles, en partie ou exclusivement, au Canada. Un peu moins de 51 % de leurs heures de vol sont consacrées à des missions agricoles. Les vols personnels et d’agrément, en revanche, ne représentent pas moins de 35 % du nombre total d’heures de vol. Ces pourcentages tendent à suggérer que bon nombre des quelque 265 aéronefs agricoles présents au Canada sont en fait des avions légers / privés convertis appartenant à des fermiers.
Un de ces fermiers volants est Eldon Douglas McEarchern de Carman, Manitoba, Mr Manitoba Farmer de 1972 – le gentilhomme même que nous avons vu sur la photographie au début de cet article.
Cette photographie est une des images trouvées dans le Photo-reportage 267 – Les fermiers du Canada volent haut, daté du 6 septembre 1960. Elle est produite par l’Office national du film (ONF), une institution fédérale de renommée mondiale mentionnée dans des numéros de juillet 2018, novembre 2018 et juillet 2019 de notre blogue / bulletin / machin.
Plus de 800 photo-reportages sont produits entre 1955 et 1971, sur une variété ahurissante de sujets, par le Service de la photographie de l’ONF. Chacun d’eux combine un peu de texte et quelques photographies pour raconter une histoire, une histoire canadienne pour être plus précis. Les photo-reportages sont publiés par une variété tout aussi ahurissante de journaux et magazines canadiens de langues française et anglaise, mais revenons à notre histoire.
Sommes-nous prêt(e)s pour une digression, ami(e) lectrice ou lecteur? Le vice-président de IFF en 1962 est nul autre que Walter Rodney « Stubbs » Ross, et… Le nom ne vous dit rien, dites-vous? Sérieusement? Lui, George Graham Ross, Junior, et John Campbell « Jack » Ross, tous 3 fermiers volants de Manyberries, Alberta, sont les fils de George Graham Ross, Senior, un pilote de la Première Guerre mondiale qui ne participe pas aux combats et un fermier qui vole pendant plus de 40 ans. Propriétaire de Lost River Ranches Limited, la famille Ross est une des plus importantes familles d’éleveurs du sud de l’Alberta, avec 6 000 têtes de bétail et environ 115 000 hectares (environ 285 000 acres) de terres – un total dépassant les surfaces totales de Montréal, Québec, et Toronto, Ontario, en 2020.
« Stubbs » Ross devint plus tard président de l’Association du transport aérien du Canada. Il obtient le poste en raison de son implication importante dans l’aviation commerciale. Ayant obtenu sa licence de pilote professionnel, Ross acquiert Lethbridge Air Services Limited, en 1963, qui devient Time Airways Limited, en 1969, puis Time Air Limited, une compagnie aérienne régionale canadienne prospère. Propriété en partie de Pacific Western Airlines Limited (PWA), une autre compagnie aérienne régionale canadienne prospère, à partir de 1986, Time Air est une des compagnies aériennes impliquées dans la restructuration de l’industrie canadienne du transport aérien qui commence à cette époque. Même si son nom disparaît officiellement vers 1998, Time Air vit sans doute au sein de Jazz Aviation Limited Partnership, une des plus importantes compagnies aériennes régionales au Canada, et revenons à notre histoire. Vraiment.
Un fermier qui veut traiter sa propre terre ou celle de ses voisins, gratuitement, avec son propre avion léger / privé et dans la limite des 40 kilomètres (25 milles), peut encore le faire au début des années 1960, sans aucune licence spéciale. Aucun test ou examen, pour l’utilisation de produits chimiques toxiques par exemple, n’est requis. Les seules choses dont un fermier a besoin sont une licence de pilote privé pour lui-même et un certificat de navigabilité pour l’aéronef. En d’autres termes, notre ami fermier peut voler sans avoir à remplir la moindre des conditions imposées aux opérateurs commerciaux. Comme on peut bien l’imaginer, cette compétition réduit la quantité de travail disponible pour les petites entreprises d’épandage aérien de l’Ouest canadien qui détestent profondément l’exemption générale des fermiers.
Même ainsi, les fermiers volants de l’Ouest ne sont pas entièrement satisfaits. En effet, ils affirment que la quantité de travail aérien qu’ils peuvent effectuer est limitée par les règlements du ministère des Transports qui limitent leurs opérations à la limite de 40 kilomètres (25 milles). Il s’agit d’une restriction sérieuse, affirment les Alberta Flying Farmers au printemps 1963. En conséquence, la flotte d’avions légers / privés qu’ils possèdent n’est pas utilisée aussi logiquement ou économiquement qu’elle pourrait l’être. Cela signifie que sur les 21 000 000 hectares (52 000 000 acres) de terres cultivées dans l’Ouest canadien en 1962, moins de 1% sont traités par voie aérienne.
La même année, les Manitoba Flying Farmers demandent à la Commission des transports aériens, une organisation qui remplit les fonctions de délivrance de permis et de réglementation au Canada, d’éliminer la limite de 40 kilomètres (25 milles). Dans leur réponse, la commission et le ministère des Transports indiquent que ce n’est pas possible. En outre, elle et il soulignent qu’une forte pression vient des applicateurs aériens commerciaux qui souhaitent des restrictions plus strictes sur les activités des fermiers volants. Lors de leur congrès annuel de 1964 à Portage-la-Prairie, Manitoba, les Manitoba Flying Farmers adoptent une autre résolution, qui n’est pas plus fructueuse que la précédente.
De plus amples détails sur cette question apparaissent lors de la réunion annuelle de l’Association du transport aérien du Canada à Victoria, Colombie-Britannique, plus tard cette année-là. Mervyn Matthew « Merv » Fleming, contrôleur des opérations aériennes civiles et des règlements au ministère des Transports, et A.S. MacDonald, un conseiller principal à la Commission des transports aériens, expriment tous 2 des inquiétudes au sujet des activités des fermiers volants. Le premier s’inquiète d’éventuels problèmes de sécurité tandis que le second se demande si les droits des opérateurs commerciaux sont violés ou non. Tout ce problème, disent-ils, est à l’étude pour voir si des modifications aux règles existantes sont nécessaires.
À l’été 1965, les efforts consacrés au poudrage et à la pulvérisation des cultures ont considérablement augmenté au Canada. Plus de 400 000 hectares (1 000 000 acres) de terres sont traités, par exemple – soit plus de 2 fois la surface traitée en 1962. Malheureusement, le nombre d’accidents augmente également. Pour cette raison, le ministère des Transports suggère qu’il serait peut-être judicieux d’augmenter le niveau de qualification requis des pilotes impliqués dans ce type d’entreprise. Des groupes de fermiers volants du Canada s’opposent à cette suggestion.
Un amendement au Règlement sur les services aériens commerciaux, qui entre en vigueur en février 1967, contraint tous les exploitants aériens bénéficiant d’une exemption spéciale à tenir la Commission des transports aériens informée de toutes leurs activités, et ce de manière continue. Dès lors, chacun d’entre eux doit également demander le renouvellement annuel de son exemption de la réglementation relative à l’exploitation commerciale d’un service d’épandage aérien.
Ces restrictions ne sont pas trop bien accueillies dans la communauté des fermiers volants. De fait, elles sont l’un des principaux sujets de discussion lors d’une réunion des chapitres canadiens de IFF, à Brandon, Manitoba, en mai 1967, qui se tient en parallèle avec le congrès annuel des Manitoba Flying Farmers. La frustration des fermiers volants est également clairement visible lors de la réunion annuelle de 1967 des Saskatchewan Flying Farmers tenue à Regina, Saskatchewan, en novembre.
Les délégués se plaignent du fait que, entre autres choses, les nouvelles règles n’exemptent pas la pulvérisation de mauvaises herbes. Ils leur reprochent de ne pas exclure les fermiers qui utilisent leur avion à la fois pour le transport et la pulvérisation, et de ne pas permettre la propriété collective d’un seul avion agricole. Ce dernier point peut même être contraire à l’esprit de la loi sur les coopératives ayant trait à la machinerie, disent-ils. De plus, certains fermiers volants laissent entendre que le changement les empêcherait de piloter des avions agricoles plus gros et plus modernes conçus à cet effet, comme le Piper PA-25 Pawnee ou le Cessna Agwagon, qui peuvent être utilisés à la fois pour la pulvérisation et le poudrage.
Une pensée subversive si je peux me le permettre. L’incomparable Musée de l’aviation et de l’espace, à Ottawa, Ontario, peut vouloir considérer la possibilité d’acquérir un avion agricole conçu à cet effet comme le Pawnee ou le Agwagon. Un avion avec une carrière cool, bien sûr. Je vous dis ça comme ça, moi. (Bonjour, patronne!)
S’il faut en croire Varno Cedric Westersund de Blackie, Alberta, pendant longtemps secrétaire exécutif des Canadian Flying Farmers, une organisation (?) sur laquelle je ne connais rien, et secrétaire exécutif de IFF pendant un certain temps au cours des années 1960, la principale force derrière le nouveau règlement est un petit groupe d’exploitants commerciaux de la Saskatchewan qui possèdent moins de 30 aéronefs, dont plusieurs conversions construites dans les années 1940. Leur espoir est, qu’en clouant au sol un certain nombre de fermiers, ils augmenteraient leur part du marché. C’est totalement faux, déclare Westersund. En fait, les principaux concurrents des opérateurs commerciaux ne sont pas les fermiers volants, mais des équipements de pulvérisation terrestres moins chers.
Même si des représentants du mouvement des fermiers volants et de la Commission canadienne des transports, l’organisation qui supervise les activités de transport au Canada, se rencontrent à plus d’une reprise, les nouvelles règles ne semblent pas être substantiellement modifiées.
Toutes ces discussions sur les activités dans l’Ouest canadien ne signifient pas que rien du tout ne se passe dans d’autres régions du pays. Un bon nombre de vols ont lieu en Ontario, par exemple. De fait, les Ontario Flying Farmers, formés en 1963, sont le tout premier chapitre de ce mouvement à se créer dans l’est du Canada. Il demeure le seul jusqu’en janvier 1973, date de la création du chapitre St. Lawrence & Ottawa Valley Flying Farmers, le cinquième au Canada mais qui n’existe plus en 2020. Les 4 autres sont, d’ouest en est, en Alberta, Saskatchewan, Manitoba et Ontario.
Un type d’association très différent fait son apparition au début de 1966, en mars pour être précis. Contrairement à ceux de la Ontario Agricultural Aviation Association ou de la Western Agricultural Pilots Association, 2 associations qui n’existent plus en 2020, les membres de la Manitoba Aerial Applicators Association (MAAA) sont principalement des fermiers volants. Sa réunion d’organisation se tient parallèlement à un cours de pulvérisation aérienne d’une journée au Agricultural Extension Centre de Brandon, Manitoba. La MAAA est encore florissante en 2020.
Un autre cours de formation sur l’aviation agricole a lieu, pour la deuxième fois, à Regina en mars 1966. Près de 90 personnes sont inscrites à l’événement, coparrainé par les Saskatchewan Flying Farmers et le Ministry of Agriculture de la Saskatchewan. Un cours similaire est offert dans un hôtel à Regina, en mars 1967. Soit dit en passant, à cette époque, les Saskatchewan Flying Farmers constituent le plus grand chapitre du susmentionné IFF.
Le mouvement des fermiers volants continue d’évoluer au cours des années et des décennies suivantes, mais ceci est une autre histoire, pour un autre jour / siècle.
Vous serez sans doute heureuse ou heureux d’apprendre (lire?) que IFF existe toujours en 2020. Elle compte environ 7 000 membres, parfois plutôt âgé(e)s. Quatre des nombreux chapitres de IFF se trouvent en Alberta, Manitoba, Ontario et Saskatchewan. Croiriez-vous que les 3 provinces des Prairies constituent une des 9 régions de IFF?
Mieux encore, croiriez-vous que la présidente des Alberta Flying Farmers en 2020 n’est autre que Rosella Bjornson, la première copilote engagée par une compagnie aérienne régulière nord-américaine et la première femme pilote d’avion de ligne à réaction au Canada? Vous serez peut-être heureuse ou heureux d’entendre (lire?) que votre humble serviteur pourrait produire un texte sur cette remarquable personne à un moment donné dans le futur.
Et maintenant pour le test. Vrai ou faux, de la poudre de nicotine est pulvérisée par aéronef pour tuer les insectes au plus tard dans les années 1930?
La réponse à cette question est… Vrai, ce qui est en quelque sorte effrayant et triste étant donné le nombre de fumeuses et fumeurs sur la planète Terre.
À plus.
Et oui, le titre de cet article est inspiré par la chanson d’ouverture de la comédie musicale américaine au succès spectaculaire Oklahoma!, qui a sa première en mars 1943, un peu plus d’un an avant la naissance du mouvement des fermiers volants, en, vous sous souviendrez, Oklahoma!