Un terrifique trio actif aux débuts de l’aviation au Québec : Ernest Anctil, Gustave Pollien et Percival Hall Reid, partie 2
Rebonjour et re-bienvenue, ami(e) lectrice ou lecteur. J’ose espérer que les choses vont toujours bien dans votre coin de la galaxie de la Voie lactée.
Votre présence en ces lieux m’amène à croire que vous souhaitez poursuivre notre exploration des travaux aéronautiques de notre terrifique trio de pionniers québécois de l’aviation. Vermouilleux! Poursuivons.
Les premiers articles mentionnant le biplan qu’Ernest Anctil fabrique à Montréal, Québec, avec le concours de Gustave Pollien… Euh, oui, ami(e) lectrice ou lecteur soulevé par l’enthousiasme et un léger manque de patience. Le biplan en question est bel et bien celui dont la photographie se trouve au début de la première partie de cet article. Puis-je poursuivre? Merci.
Les premiers articles mentionnant le biplan qu’Anctil fabrique à Montréal avec le concours de Pollien, ou vice-versa, dis-je (tape-je?), un biplan qui ressemble pas mal aux machines fabriquées en France par la Société des avions Caudron, paraissent vers la mi-juin 1912. Les deux hommes ont en effet décidé d’unir leurs forces et ressources somme toutes limitées afin de fabriquer un aéroplane. Ils installent leurs pénates chez leur employeur, une petite firme / atelier de réparation d’automobiles appartenant à Alphonse Barreyre et un certain Dachez / Daches / Daché.
Il est à noter qu’Anctil et Pollien peuvent toujours compter sur l’appui fort précieux du Français Georges Husson. C’est en effet au directeur de Franco-American Automobile Company de Montréal qu’ils doivent leur moteur.
Au moment où des journalistes rendent visite à Anctil et Pollien, la précieuse machine est largement terminée. Un premier vol ne devrait pas trop tarder.
Le dit vol a lieu le 26 septembre sur le terrain du défunt Montreal Polo Club, à Cartierville, Québec. Le dit terrain, ou une partie du dit terrain, appartient encore à un cultivateur du nom de Gervais Cousineau. Anctil est initialement aux commandes du biplan biplace, une machine dont l’identité exacte m’échappe. Est-ce un aéroplane Anctil, Pollien, Anctil Pollien ou Pollien Anctil? Ahh, les joies du coupage de cheveux en quatre, un passe-temps auquel je m’adonne rarement étant donné mon approvisionnement en follicules pileux de plus en plus réduit, mais je digresse.
Il est à noter qu’Anctil et Pollien peuvent compter sur l’appui du susmentionné Cousineau qui leur permet d’utiliser un hangar pour protéger leur machine des éléments – et des curieux.
Et oui, lorsque je dis (tape?) qu’Anctil est initialement aux commandes du biplan, je laisse entendre que Pollien prend ces mêmes commandes un peu plus tard dans la journée. Il peut par contre n’être qu’un passager.
Le journaliste de l’important quotidien montréalais La Presse qui relate les événements du 26 septembre reconnaît avoir éprouvé un certain scepticisme avant les vol de l’aéroplane montréalais. Aussi passionnés qu’ils soient, les aviateurs en herbe de la métropole du Canada ne volent pas toujours bien haut.
Le journaliste se souvient par ailleurs des 3 jours de septembre 1912 pendant lesquels l’aviateur américain George Alphonse Gray, vraisemblablement beaucoup plus expérimenté, n’est pas en mesure de quitter le sol, au grand dam des spectatrices et spectateurs de plus en plus frustré(e)s venu(e)s voir un humain voler au parc Lafontaine de Montréal.
Les envolées prévues pour le 29 septembre par Anctil et / ou Pollien ne peuvent malheureusement pas avoir lieu. Une bordée de neige vient en effet jouer les trouble-fêtes. Le 6 octobre, Anctil prend l’air à Cartierville devant plusieurs centaines de personnes venues l’admirer. Certaines d’entre elles organisent une collecte de fonds impromptue pour aider le jeune aviateur.
Le 9 octobre, Pollien demeure en l’air plusieurs minutes. Il s’offre même le luxe de survoler Cartierville. Ce fumeur invétéré réalise rapidement qu’il a oublié d’éteindre sa pipe avant de la placer dans une poche de son pantalon. Rassurez-vous, les brûlures qu’il subit sont assez légères. Il est à noter que l’hélice du biplan subit de légers dommages à l’atterrissage.
Les envolées prévues pour le 13 octobre ne peuvent malheureusement pas avoir lieu. Un orage vient en effet jouer les trouble-fêtes.
Quelques pas bons attirés ce jour-là par la présence de nombreuses personnes attirées par les envolées d’Anctil et Pollien soutirent une centaine de dollars, soit environ 2 550 $ en devise 2022, aux gens qui croient connaître la position de la carte à jouer qu’ils ont choisie après qu’un des pas bons, le maître du jeu, aient manipulé trois cartes placées sur une tablette ou gros carton pouvant servir de table. Un jeune homme aux poches bien garnies mais un tant soit peu écervelé aurait perdu environ 35 $, soit près de 900 $ en devise 2022. Alerté de ce qui se passe, le propriétaire du terrain, fort possiblement le susmentionné Cousineau, force les filous à déguerpir.
Croiriez-vous que cette escroquerie, le bonneteau, etc., est pratiquée depuis des siècles, avec des cartes à jouer ou avec 3 gobelets et 1 balle? Mais revenons à notre histoire.
Le 20 octobre, Anctil prend l’air à quelques reprises. Il endommage une roue de l’aéroplane lors d’un atterrissage. Celle-ci réparée, Pollien prend place à bord et s’envole. Il survole Cartierville. Le moteur ayant des ratés, Pollien retourne vers son point de départ. Alors qu’il s’en approche, le moteur a de nouveau des ratés. Le biplan heurte le sommet d’un poteau téléphonique et se retourne. Les branches d’un arbre ralentissent toutefois un peu sa chute. Pollien se dégage et touche le sol tout près d’une clôture de fil barbelé qui déchire le tissue des ailes du biplan. Il n’a que quelques contusions mais l’aéroplane est fortement endommagé.
Votre humble serviteur doit avouer ne pas avoir trouvé de traces d’une quelconque envolée entre octobre 1912 et septembre 1913. Anctil et Pollien ne disposent peut-être pas des ressources financières leur permettant de retaper leur machine.
Remarquez, Anctil déménage à Saskatoon, Saskatchewan, vers mai 1913. Il loue un garage local qui ouvre ses portes en 1912, soit Saskatchewan Auto Works Limited. Cela étant dit (tapé?), Anctil souhaite poursuivre ses travaux en aéronautique. N’ayant pas d’aéroplane sous la main, il cherche maintenant des partenaires afin de se procurer une nouvelle machine. Ce projet ne semble toutefois pas être couronnée de succès et Anctil disparaît dans les brumes de l’histoire, mais revenons à Pollien.
Conscient de l’intérêt du public pour l’aviation, un important quotidien de la métropole du Canada, The Montreal Daily Star, contacte le propriétaire de l’hippodrome Blue Bonnets Raceway, à Montréal. Celui-ci serait-il intéressé à offrir aux fanas de courses de chevaux une démonstration aéronautique? Bien sûr, indique le Montreal Jockey Club. Fort de cette réponse positive, le quotidien contacte Pollien qui soumet à son tour une réponse positive.
Quelques Montréalais et une Montréalaise contactent par la suite The Montreal Daily Star afin de pouvoir prendre l’air avec Pollien, un ou une à la fois bien sûr.
Les envolées prévues pour le 13 septembre 1913 ne peuvent malheureusement pas avoir lieu. Une bonne pluie vient en effet jouer les trouble-fêtes. Les Montréalais et Montréalaise qui ont contacté The Montreal Daily Star sont probablement bien déçu(e)s, et ce même si rien ne prouve que Pollien était prêt à voler avec qui que ce soit.
Il est à noter que Pollien semble avoir baptisé le biplan qu’il utilise L’Étoile, à moins que ce ne soit The Star. On peut se demander s’il agit de la sorte pour flatter la direction du quotidien montréalais qui commandite (et finance?) ses activités au-dessus de l’hippodrome. Enfin, passons.
Tel que promis, Pollien prend l’air le 20 septembre mais des vents violents près de Cartierville l’empêchent de se rendre jusqu’à Montréal. Secoué au point de craindre pour sa vie, et pour l’intégrité structurelle de son vaisseau spécial (Bonjour, EG!), l’aviateur rentre au bercail. Le train d’atterrissage de sa machine est endommagé lorsque le biplan touche le sol.
Le 24 septembre, le Automobile Club of Canada, une organisation mentionnée dans un numéro de mars 2020 de notre blogue / bulletin / machin, organise une promenade en automobiles pour environ 450 jeunes orphelines et orphelins qui circulent dans des rues de Montréal et de villes avoisinantes à bord d’environ 105 automobiles. Il y a évidemment une distribution de cadeaux et bonbons. Pollien est de la fête mais un fort vent à Cartierville limite sa contribution aux activités à 3 ou 4 courtes envolées à basse altitude près de l’aérodrome. La plupart des jeunes personnes n’ayant jamais vu d’aéroplane en action, elles sont néanmoins ravies.
Le 5 octobre 1913, Pollien prend l’air sans vérifier l’état de son moteur. Le hasard veut que celui-ci cesse de fonctionner correctement alors que le biplan est à basse altitude. L’aéroplane heurte une haie et se retourne. Pollien se dégage sans trop de difficulté mais l’aéroplane est fortement endommagé.
Au printemps 1914, le National Sporting Club de Montréal organise un grand concours d’aviation qui se déroule au parc Maisonneuve les 27 et 28 juin. Le dit concours doit opposer Pollien à Lincoln J. Beachey, un aviateur américain autrement mieux connu mentionné dans des numéros de novembre 2018 et septembre 2020 de notre vous savez quoi.
Le président du National Sporting Club, Maxime « Max » Daoust, un agent d’immeubles montréalais bien connu et président fondateur de Daoust Realty Limited de Montréal, un grand promoteur de l’aviation aussi, invite des membres de la presse à se rendre à Coteau Rouge, à Montréal-Sud, près de Longueuil, Québec, pour voir Pollien voler le 25 juin. Détail intéressant, l’aviateur utilise pour ce faire un terrain faisant partie d’une ferme achetée par Daoust Realty. Il demeure en l’air pendant une bonne quinzaine de minutes.
Soit dit en passant, Daoust est mentionné dans des numéros de mars 2020 et novembre 2021 de notre vous savez quoi, mais je digresse.
Pollien n’a certes pas autant de succès que Beachey le 27 juin. Des problèmes de moteur le clouent en effet au sol, et ce alors que l’aviateur américain prend l’air à 3 reprises. Beachey s’offre même le luxe de boucler la boucle au cours de sa troisième envolée. La foule hurle à tout rompre. La course mentionné dans les annonces publicitaires parues dans The Montreal Daily Star et ailleurs avant le 27 juin n’a évidemment pas lieu.
La foule n’est pas particulièrement énorme. Aux dires d’un journaliste du quotidien montréalais Le Nationaliste, les échecs de plusieurs aviateurs locaux et étrangers au cours des mois et années précédentes ont échaudé le public montréalais dont une partie préfère maintenant garder ses distances.
Pollien peut, je répète peut, ne pas avoir davantage de chance le 28 juin. C’est bien dommage. Votre humble serviteur ne sait pas si Beachey vole ce jour-là.
Ses problèmes de moteur réglés, Pollien regagne le ciel. Le 5 juillet, par exemple, il prend l’air seul à 2 reprises à Coteau Rouge. Pollien se rend à Montréal à au moins une reprise et demeure au-dessus de la ville pendant près de 20 minutes. L’aviateur effectue par ailleurs 2 vols plus courts avec passager. Le second vol, auquel participe un bijoutier montréalais et président de la Société nationale suisse de Montréal, Georges Méroz, se termine par un atterrissage d’urgence causé par un problème de moteur lui-même causé par un encrassage du moteur lui-même causé par un bidon d’essence mal nettoyé.
Si Pollien et Méroz s’en tirent indemne, l’aéroplane, lui, subit de sérieux dommages.
À cours de ressources, l’aviateur demande à ses admirateurs de lui donner un coup de main. Diverses personnes, dont un dentiste, un mécanicien / prothésiste dentaire et un médecin, G.A. Bélanger, G. Poitras et L. Asselin, forment aussitôt un comité pour rassembler des fonds. Les résultats obtenus par cette initiative ne semblent pas particulièrement renversants.
De toute façon, le contexte dans lequel évolue Pollien évolue toutefois rapidement.
Le 28 juin 1914, l’archiduc Franz Ferdinand Carl Ludwig Joseph Maria de la maison Habsburg-Lothringen, héritier présomptif du trône de l’Empire austro-hongrois, est assassiné à Sarajevo, capitale du condominium de Bosnie-Herzégovine, avec son épouse morganatique, Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg. Le responsable de l’attaque, Gavrilo Princip, arrêté sur place, est membre d’un groupe révolutionnaire étudiant favorable à la création d’une nation slave du sud centrée sur un pays voisin, la Serbie / Servie. Ce groupe a des liens étroits avec des éléments de la communauté du renseignement militaire serbe.
Le gouvernement austro-hongrois demande rapidement à son homologue serbe d’ouvrir une enquête. En juillet, de plus en plus agacé par ce qu’il considère comme une absence de réponse, le gouvernement austro-hongrois transmet aux autorités de Belgrade un message qui est ensuite été qualifié d’ultimatum de juillet. Craignant une invasion, le gouvernement serbe mobilise son armée. L’Autriche Hongrie mobilise une bonne partie de sa propre armée et déclare la guerre à la Serbie. Un processus infernal s’enclenche qui aspire l’une après l’autres la plupart des autres grandes puissances européennes : Empire allemand, Empire russe, France et Royaume-Uni. La Première Guerre mondiale commence.
Et oui, le Royaume-Uni ayant déclaré la guerre à l’Empire allemand le 4 août, le Canada, la Milice canadienne et la Marine royale du Canada se trouvent automatiquement embourbées dans ce conflit abominablement insensé.
Vous noterez ici l’absence de toute mention de force aérienne canadienne et… Hummm, votre humble serviteur a encore une fois atteint la limite de son quota hebdomadaire. Je crains que vous ne deviez attendre la semaine prochaine pour découvrir la fin de notre histoire. Toutes mes excuses.