Le camion volant d’une tonne du Canada : le de Havilland Canada DHC-3 Otter
Bienvenue, ami(e) lectrice ou lecteur, bienvenue. Votre humble serviteur aimerait commémorer avec vous le 70ème anniversaire du premier vol d’un excellent aéronef canadien, le de Havilland Canada DHC-3 Otter, une machine volante présente dans la collection de l’excellentissime Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, sous la forme d’un CSR-123 / CC-123 Otter des Forces armées canadiennes.
De Havilland Aircraft of Canada Limited (DHC) de Downsview, Ontario, un avionneur bien connu mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis juillet 2017, entame la mise au point d’un avion de brousse ou de transport léger supérieur en dimensions au suprêmement réussi DHC-2 Beaver avant la fin de l’hiver 1948-49. Cela étant dit (tapé?), il ne semble pas y avoir de marché évident pour ce DHC-3 King Beaver.
L’année 1950 s’avère un point tournant à cet effet. Cette année-là, le Ontario Provincial air Service (OPAS) s’engage à commander 20 exemplaires du dit King Beaver si DHC accepte de produire cet aéronef. L’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, en juin 1950, fait par ailleurs en sorte que l’Aviation royale du Canada (ARC) a le pognon lui permettant de songer au remplacement de ses avions de transport léger Noorduyn Norseman qui datent de la Seconde Guerre mondiale. Les exigences de l’ARC et du OPAS étant fort similaires, le ministère de la Production de défense accepte de financer une partie du programme de mise au point finale du King Beaver.
Un prototype de cet aéronef, rebaptisé Otter à une date indéterminée, effectue son premier vol en décembre 1951.
Pour une raison ou pour une autre, OPAS n’achète qu’environ 10 aéronefs. L’ARC, quant à elle, en reçoit environ 70 au fil des ans.
Il est à noter que OPAS utilise certains de ses Otter pour mettre au point des premières formes de ses équipements aériens de lutte contre les feux de forêts.
Mentionnons par ailleurs que Canadian Pratt & Whitney Aircraft Company Limited de Longueuil, Québec, une firme mentionnée à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018, convertit la grande majorité des moteurs Pratt & Whitney R-1340 Wasp de fabrication américaine montés sur les Otter. Les premiers aéronefs utilisent toutefois une cinquantaine de moteurs achetés en Suède.
Les performances du Otter ne passent pas inaperçues de l’autre côté de la frontière canado-américaine. Si la United States Army se dit fort impressionnée, la controverse entourant l’achat du Beaver est encore fraîche à sa mémoire.
Vous voyez, vers juin 1949, la United States Air Force (USAF) se met en tête d’acheter quelques aéronefs de recherche et sauvetage pour appuyer ses escadrons basés en Alaska. Le responsable des ventes militaires de DHC qui est un as canadien de la chasse de nuit pendant la Seconde Guerre mondiale, un gentilhomme mentionné dans des numéros de mai 2019 et janvier 2021 de notre blogue / bulletin / machin, apprend la nouvelle en lisant un article de magazine. Russell « Russ » Bannock, né Slowko Bahnuk, s’envole pour l’Alaska aux commandes d’un Beaver. Les pilotes américains sont fort impressionnés. De fait, leur commandant souhaite obtenir une douzaine de Beaver.
Bannock se rend alors à Washington, District de Columbia, pour y effectuer des vols de démonstration. La USAF est à ce point impressionnée qu’elle songe à signer un contrat pour environ 110 aéronefs. Cette requête déclenche une tempête de protestations. Aiguillonné par les avionneurs et la presse aéronautique américaines, le United States Congress se voit forcé d’intervenir. Des tests comparatifs doivent avoir lieu avant la signature d’un contrat.
La chance sourit de nouveau à DHC au début de 1950. La United States Army désire alors acheter un nouvel avion de transport léger. Ayant appris la nouvelle en lisant un autre article, Bannock effectue des vols de démonstration. Les militaires américains restent bouche bée. Le reste est prévisible : projet de contrat, protestations de l’industrie aéronautique américaine et tests comparatifs demandés par le United States Congress. La United States Army et la USAF ayant décidé de commander le même aéronef, elles organisent des essais qui se déroulent en janvier et mai 1951. Le Beaver l’emporte sur ses nombreux adversaires américains.
Cela dit, la USAF tente de bloquer l’acquisition de l’aéronef canadien par la United States Army sous le prétexte que son poids est supérieur à la limite négociée entre ces deux services. Des discussions ayant permis d’augmenter cette limite, DHC décroche le premier d’une série de contrats avec la United States Army. Pour la première fois de leur histoire en temps de paix, les États-Unis prennent livraison d’un aéronef militaire de conception étrangère.
Entre 1951 et 1959, la USAF et la United States Army achètent environ 980 de Havilland Canada L‑20 Beaver, redésignés U-6 Beaver par la suite. Ces commandes constituent un point tournant pour DHC, qui devient de plus en dépendante de son principal client, la United States Army, mais revenons au Otter et à l’intérêt manifesté par la dite armée.
Des essais comparatifs impliquant 2 hélicoptères doivent avoir lieu au printemps 1954. Alors que Bannock se trouve en visite à Washington, l’officier responsable de l’aviation au sein de la United States Army suggère qu’un Otter soit présent lors des essais, pour fins de comparaison bien sûr. L’aéronef fourni par DHC s’avérant bien supérieur aux concurrents officiel, la United States Army souhaite dès lors commander des Otter. Toute aussi impressionnée, la United States Navy (USN) veut également obtenir quelques aéronefs.
Cela dit, le moment ne semble guère propice. L’administration dirigée par Dwight David « Ike » Eisenhower, un gentilhomme mentionné dans quelques / plusieurs numéros de notre vous savez quoi depuis mars 2018, vient en effet de réduire le budget de la défense. Quoiqu’il en soit, les militaires persistent et signent les premiers d’une série de contrats. La United States Army et la USN reçoivent en fin de compte environ 205 U-1 et UC-1 Otter, tous redésignés par la suite U-1. Le premier de ces aéronefs entre en service vers mars 1955.
Et oui, la désignation U se réfère à des aéronefs dits utilitaires. Et le Lockheed U-2 « Dragon Lady » alors, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Comment un avion espion connu de par le monde peut-il se trouver dans la catégorie utilitaire? Cette désignation est une ruse, un subterfuge, une tromperie, mais revenons à notre histoire.
Plus encore que dans le cas du Beaver, la production du Otter est destinée à des utilisateurs militaires. Excluant le Canada et les États-Unis, la liste des clients de DHC compte 10 pays d’Afrique (Ghana et Tanzanie), d’Amérique (Argentine et Chili), d’Asie (Birmanie (en 2021 le Myanmar), Inde et Indonésie), d’Europe (Norvège et Royaume-Uni) et d’Océanie (Australie) qui reçoivent environ 85 aéronefs.
Cela étant dit (tapé?), plus d’un clients potentiels civils et / ou militaires décident d’acheter des aéronefs bimoteurs en lieu et place du Otter, jugé un peu gros pour un seul moteur. La compagnie prend bonne note de ces décisions.
Au moins une de ces ventes soulève une certaine controverse. Vers 1958, le gouvernement de l’Indonésie, alors prosoviétique, veut acquérir une douzaine de Otter mais ses réserves de dollars ne lui permettent pas d’en acheter plus d’une paire. Le gouvernement fédéral approuve ce contrat de même qu’un autre, pour environ 170 camions fournis par Ford Motor Company of Canada Limited, une firme mentionnée dans des numéros de décembre 2018 et octobre 2019 de yadda yadda. Les gouvernements américain et australien s’opposent à ces ventes. Ils ont en effet mis fin à toute livraison d’armes dans l’espoir que des rebelles vont renverser sous peu le gouvernement indonésien.
Soucieux de ne pas mettre des emplois en danger, le premier ministre John George « Dief » Diefenbaker, un gentilhomme mentionné dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2020, de même que son Cabinet, passent outre. En fin de compte, la rébellion ne parvient pas à réaliser ses objectifs.
Et oui, la dite rébellion est appuyée par la Central Intelligence Agency.
La direction de DHC est à ce point intéressée par la possibilité d’obtenir des commandes supplémentaires qu’elle discute avec le gouvernement indonésien, en 1961, de la possibilité de construire une usine d’assemblage dans ce pays. Ce projet tourne court.
Il est à noter que le gouvernement fédéral offre en cadeau un petit nombre de Otter, soit 7 aéronefs neufs à l’Indonésie, 5 aéronefs usagés de l’ARC à l’Inde et 8 aéronefs neuf à la Tanzanie. Ce dernier cas mérite d’être expliqué.
Commandés un peu avant le milieu des années 1960, ces Otter doivent à l’origine être livrés au Fonds des Nations Unies pour le développement de l’Irian occidental, un territoire autrefois connu sous le nom de Nouvelle-Guinée néerlandaise. Le gouvernement indonésien avait toutefois récemment pris le contrôle de ce dernier vestige de la présence des Pays-Bas dans la région. Ce succès inquiète un tant soit peu le gouvernement australien, qui contrôle alors la Papouasie Nouvelle-Guinée, un territoire ayant une frontière commune avec la Nouvelle-Guinée néerlandaise.
Ajoutant à la tension, la Tentara Nasional Indonesia Angkatan Udara utilise les Otter qu’elle a déjà pour appuyer des guérilléros qui opèrent dans des territoires situés sur l’île de Bornéo faisant partie de la Malaisie, un pays ami du Royaume-Uni et membre du Commonwealth. Et oui, la partie principale de l’île de Bornéo appartient à l’Indonésie. L’arrivée dans la région de 8 autres Otter soulève par conséquent un certain émoi au sein du gouvernement britannique. Celui-ci proteste et obtient l’annulation du contrat. Ne sachant trop que faire des Otter destinés au Fonds des Nations Unies pour le développement de l’Irian occidental, le gouvernement fédéral en fait don à la Tanzanie, un autre membre du Commonwealth.
En fin de compte, DHC fabrique environ 465 Otter entre 1951 et 1967, dont environ 360 destinés à des utilisateurs militaires
Il est à noter que DHC transforme un Otter de l’ARC en aéronef expérimental dans le cadre d’un programme de recherche financé par un organisme fédéral, le Conseil de recherches pour la défense. Amorcé au cours de la seconde moitié des années 1950 et complété vers 1965, ce programme contribue fortement à la mise au point de l’avion de transport bimoteur à décollage et atterrissage courts de Havilland Canada DHC-6 Twin Otter, un aéronef connu mondialement mentionné dans un numéro de notre vous savez quoi d’octobre 2021.
Conscients du fait qu’une version remotorisée du Otter pourrait intéresser certains utilisateurs, un spécialiste de la modification, réparation et vente d’aéronefs fondé vers 1977, Airtech Canada Limited de Peterborough, Ontario, lance une version munie d’un puissant moteur à pistons soviétique fabriqué sous licence par une société d’état polonaise, Wytwórnia Sprzętu Komunikacyjnego. Cette version, relativement rare semble-t-il, est introduite au cours de la première moitié des années 1980.
La firme américaine Vazar Aerospace Incorporated, quant à elle, livre un premier Otter muni d’un turbopropulseur vers 1989-90. Cette firme américaine mentionnée dans un numéro de juin 2021 de notre blogue / bulletin / machin semble poursuivre ce travail en 2021. Vazar Aerospace peut, je répète peut, avoir converti une centaine de Otter au cours des 30 dernières années, ce qui n’est pas mal du tout.
Notons par ailleurs que le susmentionné Bannock, ex-président de DHC, et Richard Duncan « Dick » Hiscocks, ex-vice-président ingénierie de DHC, jouent un rôle vital dans la mise au point du Cessna Modèle 208 Caravan, un aéronef utilitaire américain conçu pour remplacer le Otter. Cet aéronef très réussi mis à l’essai en décembre 1982 vole aux quatre coins du globe, y compris au Canada (environ 125 aéronefs immatriculés fin 2021).
Croiriez-vous que Cessna Aircraft Company / Textron Aviation Incorporated produit plus de 2 600 Caravan entre 1982 et 2021? De fait, cette camionnette volante pourrait demeurer en production pendant encore un bout de temps.
Une occasion perdue pour DHC et / ou l’industrie aérospatiale canadienne, dites-vous? Ce n’est pas impossible. Après tout, les ingénieurs de DHC travaillent sur un remplaçant du Otter à un moment donné.
À la prochaine chicane.
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