Faites que personne n’oublie que, pendant un moment bref et éclatant, il y a eu La Machine Agricole Nationale Limitée de Montmagny, Québec
Comme vous l’avez sans doute remarqué, j’espère, ami(e) lectrice ou lecteur, notre blogue / bulletin / machin ouvre régulièrement ses colonnes à des sujets de nature agricole ou alimentaire. Votre humble serviteur ne dérogera pas à la règle en ce mois de juin 2021. Je vous offre ainsi par la présente une péroration sur une firme dont l’histoire est un moment bref et éclatant dans la grande aventure de l’industrie de la machine agricole québécoise / canadienne. J’espère encore une fois que ce texte sera un exercice en minimisation de loquacité polysyllabique. (Bonjour, EP!)
Musique captivante et dramatique en arrière scène. Le rideau s’ouvre. Nous sommes en mars 1871, à Montmagny, Québec, une petite ville sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Arthur Napoléon Normand voit le jour. Son enfance ressemble à celles de nombreux autres jeunes Québécois de sa génération.
En 1893, Normand fonde une petite firme, Montmagny Machine Works (Registered?), peut-être située dans le village de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, à 3 pas de Montmagny, qui produit des machines à scier le bois et des moulins à battre destinées au marché local / régional.
Œuvrant de concert avec 8 autres personnes (1 avocat, 1 boulanger, 1 cultivateur, 1 embouteilleur, 3 marchands et 1 navigateur), Normand fonde la Compagnie manufacturière de Montmagny en 1902. Il est le gérant de cette firme, apparemment située elle aussi à Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, dont le personnel fabrique, entre autres choses, des moteurs à vapeur et à essence.
L’usine de la Compagnie manufacturière de Montmagny est pour ainsi dire détruite par un incendie au début de décembre 1902. Tout juste 6 mois plus tard, un autre incendie ravage l’édifice. Bien que durement secoués, Normand et son personnel remettent la firme sur pied dans les 2 cas.
Des semaines, des mois passent. Les affaires semblent bonnes. En effet, fin mai 1906, Normand fait l’essai de son « yacht à gazoline » sur le fleuve Saint-Laurent. Mentionnons au passage que les moteurs, voire même l’ensemble du dit yacht, sont produits dans les ateliers de la Compagnie manufacturière de Montmagny. Normand se paye apparemment un second et magnifique « yacht à gazoline, » complété vers juin 1907.
Une brève digression si je peux me le permettre. En avril 1906, la Compagnie Charles-A. Paquet de Québec, Québec, une firme qui vend des accessoires, machines et quincaillerie fondée par Joseph Henri Paquet et Joseph Charles Abraham Paquet, des frères et négociants de Québec, commande (à la Compagnie manufacturière de Montmagny??) de l’équipement (véhicules?) utilisé pour la construction des chemins. Serait-ce indélicat de mentionner que ce dernier Paquet est bien connu du parti au pouvoir au Québec? Le dit parti a une attitude un tant soit peu… libérale en ce qui concerne l’aide à ses amis et alliés.
Cela étant dit (tapé?), la Compagnie manufacturière de Montmagny ne semble vraiment prendre décoller que vers 1911, lorsqu’elle décroche de (nouveaux?) contrats visant la production d’équipement pour la construction des chemins. L’achat du dit équipement peut fort bien être lié aux subventions accordées par le ministère de l’Agriculture du Québec à partir de cette même année 1911, via la Loi des bons chemins, pour fins de gravelage, macadamisage et amélioration des chemins principaux de villages, ainsi qu’à leur entretien.
Les contrats décrochés par la Compagnie manufacturière de Montmagny proviennent fort possiblement de la Compagnie Charles-A. Paquet. Ces contrats sont d’une ampleur telle que les investissements nécessaires à leur réalisation compromettent la stabilité financière de la Compagnie manufacturière de Montmagny. La firme a grand besoin d’argent.
Normand s’associe par conséquent à quelques personnes pour fonder Usines Générales de Chars et de Machineries Limitée, à Montmagny, en octobre 1912. Et oui, 2 des 4 personnes en question sont les frères Paquet.
Usines Générales de Chars et de Machineries, une firme au mandat pour le moins varié, prend le contrôle des actifs de la Compagnie manufacturière de Montmagny en décembre 1912. Elle absorbe par ailleurs la Compagnie Charles-A. Paquet.
Agissant avec la bénédiction des actionnaires, Normand procède à la dissolution de la Compagnie manufacturière de Montmagny vers octobre 1913. Cela étant dit (tapé?), le principal actionnaire et âme dirigeante de Usines Générales de Chars et de Machineries est bel et bien l’homme d’affaires Joseph Charles Abraham Paquet.
Ce dernier voit le jour en mars 1868 à Québec. Tout comme son père, il se lance dans le commerce de détail. En 1891-92, Paquet vend du lait et de la farine. En 1898, il est agent de Canadian Dairy Supply Company de Montréal, Québec, pour la région de Québec. En 1900-01, Paquet entreprend de vendre de l’équipement pour les beurreries.
Paquet compte parmi les (15?) investisseurs qui lancent, en mai 1901, la Compagnie de pulpe de Métabetchouan – un des premiers producteurs de pulpe de la région du Lac Saint-Jean au Québec. Une nouvelle phase de sa vie commence. La susmentionnée Compagnie Charles-A. Paquet voit le jour en septembre 1902, par exemple, mais reprenons le fil de notre histoire.
Souhaitant accroître le bien-être de son personnel, ou sa mainmise sur celui-ci, Paquet achète de nombreux lopins de terre à Montmagny et Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille qu’il souhaite transformer en quartier réservé au dit personnel. En 1913, il supervise la division de ces lots et l’ouverture de rues. Ce projet ne plaît toutefois pas à tout le monde. De fait, ce n’est qu’en 1916 que Paquet finit par vaincre ou convaincre ses derniers adversaires. La vente des lots peut ainsi commencer. Paquet, Normand et 3 autres personnes fondent la Compagnie de Construction de Montmagny en juin afin de construire les maisons du nouveau quartier.
En 1918 ou 1919, Paquet se joint au groupe d’investisseurs qui crée, en avril 1918, la Corporation d’énergie de Montmagny – la première firme de transport et de distribution d’électricité de la région de Montmagny. Croiriez-vous que le premier client de cette firme basée à Québec jusqu’en mars 1919 est La Machine Agricole Nationale Limitée de Montmagny, et… Oh, votre humble serviteur vient d’effectuer un pas de géant qui risque fort de perturber le continuum spatio-temporel. Revenons sur nos pas si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale, en 1914, constitue un point tournant dans la carrière de Paquet. En 1915, Usines Générales de Chars et de Machineries obtient au moins un important contrat de fabrication d’obus qui, une fois chargés d’explosifs par une ou quelques autres firmes, seront tirés par des canons de campagne de 83.8 millimètres (3.3 pouces) et des obusiers lourds de campagne de 152.4 millimètres (6 pouces).
Le ou les dits contrats comptent selon toute vraisemblance parmi ceux qui sont alloués pour le compte de la British Army par le Shell Committee du ministère de la Milice et de la Défense du Canada – un comité dont le favoritisme politique, qui n’est pas particulièrement… conservateur, donne parfois / souvent lieu à des profits excessifs. Un comité remplacé par le Imperial Munitions Board, un organisme britannique basé au Canada créé en 1915 par des hommes d’affaires canadiens afin de superviser la production de matériel de guerre au Canada, mais je digresse.
Usines Générales de Chars et de Machineries doit évidemment obtenir l’outillage nécessaire pour remplir son contrat. Elle doit par ailleurs réparer ses installations, sérieusement endommagées par un incendie, début mai 1916. Croiriez-vous que la rumeur court qu’il s’agit d’un incendie criminel? La presse ne semble toutefois pas mentionner la possibilité que l’incendie soit l’œuvre d’agents allemands, pourtant présents / actifs en Amérique du Nord à cette époque, mais revenons à notre histoire.
Une fois ses ateliers réparés et ré-ouverts, en 1917, grâce à un prêt considérable de la Banque nationale de Québec, Usines Générales de Chars et de Machineries devient le plus important employeur de la région de Montmagny et une des plus importantes et modernes usines du Québec. Son personnel, qui compte jusqu’à 1 100 ou 1 200 personnes, est par ailleurs reconnu pour sa qualité. Avant que je ne l’oublie, le susmentionné Normand est conseiller technique de la firme.
Cela étant dit (tapé?), Usines Générales de Chars et de Machineries ne parvient apparemment pas à respecter ses échéances. Les rapports entre la firme et son créancier s’enveniment par ailleurs un tant soit peu au fil des mois, d’autant plus que Paquet s’octroie, selon la Banque nationale, un salaire et des primes déraisonnables.
Une fois la Première Guerre mondiale finie, la production d’obus prend évidemment fin. Usines Générales de Chars et de Machineries revient à la production de machinerie agricole et de voirie. Elle change de raison sociale pour devenir la susmentionnée La Machine Agricole Nationale en octobre 1919 – une raison sociale qui, du moins l’espère-t-on, va faire vibrer la corde patriotique des cultivateurs québécois francophones. Pour mieux faire vibrer la dite corde, la direction peut compter sur un rédacteur publicitaire talentueux, le jeune journaliste Jean-Charles Harvey, apparemment engagé dès 1918. Avant que je ne l’oublie, Paquet est président et gérant général de la firme.
Son intérêt pour la chose économique amène Harvey à publier son premier ouvrage au cours de l’été 1920, la brochure La Chasse aux millions : L’avenir industriel du Canada-français. Ne croyant pas être en mesure de gagner leur vie dans les campagnes, de nombreuses jeunes personnes déménagent en ville, écrit-il. Pis encore, plusieurs de ces personnes quittent le Québec. Une plus grande implication du milieu des affaires canadien-français / québécois dans l’industrialisation du Québec peut contribuer à réduire cet exode. Harvey souhaite que cet effort se concentre hors des grandes villes de la province et se spécialise dans des domaines liés à l’agriculture et à la colonisation de nouvelles terres (usines de machinerie agricole, pulperies, etc.), mais je digresse.
En dépit de son esprit innovateur, La Machine Agricole Nationale se trouve confrontée à de redoutables compétiteurs et à la crise économique de 1921-22. Elle émet des obligations et obtient un crédit important de la Banque nationale. Ces mesures ne s’avèrent toutefois pas suffisantes. La direction met la clé dans la porte, temporairement dit-on, début février 1922 et met à pied pour ainsi tous les 200 employés qui œuvrent encore dans les ateliers. Une rumeur d’achat par le géant américain International Harvester Company s’avère non fondée.
Une centaine d’employés retournent au travail en avril, sous la direction de Philippe Béchard, le gérant général de la Compagnie A. Bélanger Limitée de Montmorency, Québec – une fonderie et firme manufacturière bien connue au Québec et hors du Québec pour ses magnifiques poêles à bois ornés de pièces nickelées et / ou de tuiles de céramique.
Un peu avant ou après les premières semaines de 1922, la Banque nationale indique qu’elle souhaite obtenir le remboursement des sommes prêtées au fil des ans. Incapable de trouver les liquidités lui permettant de demeurer à flot, La Machine Agricole Nationale est déclarée en faillite en novembre.
Cela étant dit (tapé ?), les fiduciaires de la firme, The Sun Trust Limited de Montréal, vendent des machines agricoles pendant un certain temps après cette date. D’aucuns suggèrent que de telles ventes (à rabais ?) se poursuivent jusqu’en 1924.
Bien qu’éphémère, La Machine Agricole Nationale occupe une place on ne peut plus honorable dans l’histoire de l’industrie de la machine agricole québécoise / canadienne. Sa production est une des plus variées au Québec (arracheuses de pommes de terre, chargeuses à foin, charrues, herses, planteuses de pommes de terre, râteaux, sarcloirs et wagons d’une part; barattes, écrémeuses, poêles à bois et pompes d’autre part) et elle sort des ateliers en grande quantité afin de rejoindre une clientèle qui dépasse les frontières du Québec.
Il est à noter que la Banque nationale ne sort pas indemne de cette aventure. Nenni. Cette institution financière doit faire face à des problèmes tels qu’elle se voit dans l’obligation de fusionner avec la Banque d’Hochelaga de Montréal au début de 1924, une fusion appuyée financièrement par le gouvernement du Québec, donnant ainsi naissance à la Banque canadienne nationale de Montréal.
Et non, Montmagny ne sort pas non plus indemne de cette aventure. Cette petite ville perd un bon pourcentage de sa population entre 1922 et 1924.
L’effondrement de La Machine Agricole Nationale inspire le susmentionné Harvey à publier un premier roman, Marcel Faure, en 1922. Son héros est un jeune industrialiste, le Marcel Faure du titre, pour lequel le matérialisme américain, largement dénoncé par les élites laïques et religieuses du Québec, n’a rien de diabolique.
La renommée / notoriété de Harvey doit toutefois davantage au roman Les demi-civilisés, paru au début de 1934, qui dénonce avec force le conservatisme exagéré des dites élites laïques et religieuses du Québec de même que la mainmise de l’église catholique, apostolique et romaine sur la population francophone de la province. Ce brûlot est rapidement interdit de lecture par le cardinal Jean Marie Rodrigue Villeneuve, en poste à Québec.
La réaction des élites atteint un niveau tel que Harvey doit demander que Les demi-civililisés soit retiré de la circulation. Pis encore, il perd son emploi de rédacteur en chef au quotidien Le Soleil de Québec. Très peu de gens parlent ou écrivent pour défendre Harvey, mais beaucoup de gens se précipitent dans les librairies, surtout à Montréal, pour acheter son livre.
Dans les faits, aussi important qu’il soit dans l’histoire de la littérature québécoise, Les demi-civilisés n’est pas vraiment un bon roman. Un tant soit peu misogyne, il pêche par ailleurs par ses dialogues, son histoire, son intrigue et son style.
Le tristement éphémère (moins de 9 ans) hebdomadaire fondé par Harvey en 1937, Le Jour, lui donne la possibilité de dénoncer les dits conservatisme exagéré et mainmise, de même que le système d’éducation arriéré / archaïque du Québec. Avant la Seconde Guerre mondiale, Harvey dénonce l’Italie fasciste et l’Allemagne national-socialiste, ainsi que ses alliés, y compris les rebelles qui tentent alors d’écraser par la force le gouvernement légalement élu de l’Espagne – des rebelles sanguinaires largement appuyés par une bonne part des élites laïques et religieuses du Québec.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Harvey appuie le chef de la France libre, Charles André Joseph Marie de Gaulle – un gentilhomme mentionné à quelques reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018. Au moins pour un certain temps, une bonne part des élites laïques et religieuses du Québec, quant à elle, préfère donner son appui au gouvernement fantoche / collaborationniste de la France et à son chef jusqu’en avril 1942, Henri Philippe Benoni Omer Joseph Pétain, quasi sénile, qui célèbre son 86ème anniversaire dans les jours qui suivent sa chute du pouvoir, mais je digresse. Encore.
Bien que fortement affecté par l’effondrement de La Machine Agricole Nationale, Paquet décide de demeurer à Montmagny, où il vit avec sa famille depuis 1915 ou 1916. En 1931, il contribue à l’installation d’une firme de textile incorporée en octobre 1931, la Compagnie M.E. Bintz Limitée, dans la municipalité. De fait, cette filiale d’une firme américaine, dit-on, peut occuper certain des édifices utilisés dans la passé par La Machine Agricole Nationale.
Paquet meurt en octobre 1936. Il a alors 68 ans.
Le susmentionné Normand, quant à lui, quitte ce monde en décembre 1952, à l’âge de 81 ans.
Un des principaux employeurs au Québec pendant des décennies, l’industrie du textile succombe peu à peu aux coups de boutoirs des firmes textiles des pays d’Asie, une région du monde où les salaires sont bien inférieurs à ceux qu’offrent les firmes installées en sol québécois. Et non, les salaires reçus par les travailleuses et travailleurs québécois ne sont pas particulièrement impressionnants. Mon père en aurait long à dire à ce sujet.
Quoiqu’il en soit, une firme textile occupe encore une partie des installations de La Machine Agricole Nationale au début du 21ème siècle. L’usine de Consoltex Incorporée, une filiale de la firme montréalaise Consoltex Holdings Incorporated, elle-même filiale de American Industrial Partners Incorporated semble-t-il, ferme toutefois ses portes en juillet 2006. La firme n’emploie alors qu’environ 30 personnes dont la moyenne d’âge dépasse la cinquantaine. Une difficile quête d’emploi commence.
Prenez soin de vous, ami(e) lectrice ou lecteur.