66 327 personnes ne peuvent pas avoir tort, mais elles peuvent avoir froid : La présentation du premier Boeing Modèle 747 d’Air Canada à l’Aéroport international de Montréal-Dorval
Qui donc dans les pays industrialisés de cette sphère de dingues qu’on appelle la Terre n’a pas entendu parler du Boeing Modèle 747, le géant des airs qui révolutionne le transport aérien à partir du début des années 1970? Qui?
Avant de plonger dans le vif du sujet, votre humble serviteur aimerait vous offrir la légende de la photographie ci-dessus, trouvée dans le numéro du 22 mars 1971 d’un très important quotidien de Montréal, Québec, La Presse.
Par dizaines de milliers, les [Montréalaises et] Montréalais se sont pressé[(e)]s dans les hangars de la société Air Canada pour visiter le premier Boeing 747 acquis par la société de la Couronne. Plus de 60,000 personnes ont profité des deux jours de visite pour admirer ce géant des airs qui entrera en service le 25 avril entre Toronto et Vancouver.
La direction de Boeing Airplane Company se lance dans l’aventure de l’avion de ligne gros porteur vers 1965. Cela étant dit (tapé?), ce géant aéronautique américain souhaite également produire l’avion de ligne supersonique que le gouvernement américain souhaite voir entrer en service au cours des années 1970, afin de concurrencer le Sud-Aviation / British Aircraft Concorde, devenu par la suite l’Aérospatiale / British Aircraft Concorde. De fait, le personnel de Boeing Airplane apprend que leur employeur remporte la compétition en janvier 1967.
Tel que conçu, le Modèle 2707 est plus grand (275 passagères et passagers vs. 120 passagères et passagers) et plus rapide (environ 2 870 kilomètres/heure (environ 1 780 milles/heure) vs. environ 2 165 kilomètres/heure (environ 1 345 milles/heure)) que son rival anglo-américain. Il est également beaucoup plus complexe et, selon toute vraisemblance, beaucoup plus coûteux.
Pour de nombreux sages des industries aérospatiales et du transport aérien nord-américaines et européennes, l’avenir appartient à l’avion de ligne supersonique. Le Modèle 747, la désignation donnée au susmentionné avion de ligne gros porteur, spacieux mais lent, servirait éventuellement surtout en tant qu’avion-cargo.
Croiriez-vous qu’Air Canada compte parmi la vingtaine de transporteurs aériens qui paraphent des options d’achat pour des Concorde entre 1963 et 1972? La somme d’argent nécessaire est déposée en mars 1967.
Croiriez-vous par ailleurs qu’Air Canada compte parmi les nombreux transporteurs aériens, il y en a en effet près d’une trentaine, qui paraphent des options d’achat pour des Modèles 2707? La somme d’argent nécessaire est déposée, en 2 versements, en septembre 1966 et octobre 1967. L’option, pour 6 aéronefs, devient caduque lorsque l’aéronef est abandonné.
En effet, le United States Congress décide, en mars 1971, de couper les vivres au Modèle 2707, et ce bien avant que les 2 prototypes ne soient complétés – une décision qui suscite une grande colère au sein des industries aérospatiales et du transport aérien des États-Unis, de même que dans la presse spécialisée. Le Concorde et ses constructeurs européens, dit-on, vont rafler toutes les commandes en provenance des pays dits occidentaux, son rival soviétique, le Toupolev Tu-144, raflant toutes les commandes en provenance des pays du bloc soviétique.
Ces craintes américaines s’avèrent non fondées. Air Canada abandonne en effet son option pour 4 Concorde en juin 1972. Pis encore, une dizaine de transporteurs aériens, pour ainsi dire tous américains, font de même entre novembre 1972 et avril 1973. Ces décisions suscitent une grande colère au sein des industries aérospatiales et du transport aérien française et britannique, de même que dans la presse spécialisée des 2 pays.
Et non, le choc pétrolier qui explose sur la scène mondiale en octobre 1973 n’a rien à voir avec ces abandons. Les transporteurs aériens américains craignent selon toute vraisemblance que les dommages environnementaux potentiels / inévitables (pollution sonore au-dessus des terres, réduction de la couche d’ozone en haute atmosphère, etc.) auxquels les défenseurs du Modèle 2707 sont confrontés vont réduire la liberté d’action du Concorde.
Quoiqu’il en soit, l’abandon du Modèle 2707 amène Boeing Airplane à mettre à pied plus de 60 000 personnes. Dès lors, la direction décide à toute fin utile de parier les meubles sur le Modèle 747.
Le prototype vole en février 1969. Une des plus importantes sociétés aériennes au monde, une firme américaine aujourd’hui disparue, Pan American World Airways Corporation Incorporated, effectue le premier vol commercial avec le Modèle 747 en janvier 1970.
Fiable, robuste et versatile, le Modèle 747 compte parmi les meilleurs avions de ligne de tous les temps.
Pas moins de 1 560 exemplaires de la « Reine du ciel, » ou « Jumbo Jet, » destinés au transport de passagères et passagers et / ou de fret sont livrés à près de 90 opérateurs civils de par le monde entre 1969 et le début de 2021. Le dernier de la dizaine de Modèles 747 commandés récemment devrait sortir des ateliers en 2022, pour un hénaurme total d’environ 1 570 aéronefs de ce type livrés en plus d’un demi-siècle.
Soit dit en passant, à peine 20 Concorde et 16 Tu-144 prennent l’air, et 11 d’entre eux (6 Concorde et 5 Tu-144) ne sont même pas utilisés commercialement. Si je peux me permettre un commentaire, ces aéronefs sont sans nul doute les plus beaux éléphants blancs du 20ème siècle.
Si je peux me permettre un autre commentaire, il est heureux que l’avion de ligne supersonique soit demeuré marginal dans l’histoire du transport aérien. Les dommages que nous avons causés et causons à notre environnement étant déjà alarmants, si, si, alarmants, notre bonne vieille Terre n’avait pas besoin de métal hurlant supersonique dans ces cieux. Croiriez-vous que Homo sapiens veut dire home sage en latin? Enfin, passons avant que je commence à crier de rage.
Le transporteur aérien national du Canada compte parmi les clients satisfaits de Boeing Airplane / Boeing Company. Air Canada commande en effet 13 Modèles 747 au fil des ans. De fait, elle paraphe son premier contrat en février 1968. Croiriez-vous que le Modèle 747 est le premier avion de ligne fabriqué par Boeing Airplane utilisé par Air Canada?
Le premier Modèle 747 d’Air Canada entre en service fin avril 1971. Il effectue alors un vol entre Vancouver, Colombie-Britannique, et Toronto, Ontario – ou vice versa. Le dernier Modèle 747 d’Air Canada est retiré du service en octobre 2004.
Votre humble serviteur aimerait aborder avec vous un court mais intéressant épisode de la carrière du tout premier Modèle 747 d’Air Canada.
Livré en février 1971, cet aéronef effectue son premier vol en janvier. Il arrive à l’Aéroport international de Montréal-Dorval, à Dorval, non loin de Montréal, vers la fin février.
Des employé(e)s d’Air Canada, qu’elles et ils soient agentes de bord, mécaniciens ou pilotes, commencent aussitôt à s’initier au fonctionnement de ce mastodonte. Des employé(e)s du service des relations publiques s’affairent quant à elles et ils à le faire connaître. Imaginez… 365 passagères et passagers à bord d’une machine volante. Des rangées ayant 9 sièges (3 + 3 + 3) en classe touriste, et non pas 4 (2+ 2) comme c’est le cas dans les Douglas DC-8 d’Air Canada. Incroyable…
Consciente de l’intérêt de Madame et Monsieur Tout-le-Monde pour cette merveille de la technologie qu’est le Modèle 747, la direction d’Air Canada décide de leur présenter son premier aéronef de ce type, et le premier Modèle 747 immatriculé au Canada en fait, pendant 3 fins de semaine (consécutives?), en mars et avril, à Montréal, Toronto et Vancouver. L’admission est gratuite dans tous les cas.
Les portes d’un nouveau hangar de la base d’entretien d’Air Canada, à l’Aéroport international de Montréal-Dorval, s’ouvrent à 10 heures, le samedi, 20 mars. Les premières personnes qui y pénètrent demeurent bouche bée devant le mastodonte qu’est le Modèle 747. Un avion de ligne moyen-courrier turbopropulsé Vickers Viscount placé à ses côtés semble bien petit. Un bref article paru dans un quotidien respecté de Montréal, Le Devoir, le décrit comme étant une grenouille auprès d’un bœuf – une allusion à une des fables contenues dans un des recueils publiés entre 1668 et 1694 par le poète français Jean de La Fontaine.
Et oui, la merveilleuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, comprend un Viscount.
Les visiteuses et visiteurs font patiemment la queue avant de monter à bord. Et oui, la présence du terme patiemment est on peut plus appropriée. Si votre humble serviteur peut se permettre une expression du terroir, « ya du monde aaa messe. » Cela étant dit (tapé?), la patience des visiteuses et visiteurs est bien récompensée. Les dimensions même de la cabine du Modèle 747 les laissent bouche bée.
Remarquez, l’hénaurme tracteur d’aéronef utilisé pour les déplacements au sol du Modèle 747 attire également certains regards.
Avant ou après leur visite, Air Canada offre aux visiteuses et visiteurs un diaporama sur le travail de ses agentes de bord. Cette présentation peut fort bien être liée au kiosque d’information du transporteur aérien.
Croiriez-vous qu’Air Canada profite de l’occasion offerte par la présence du Modèle 747 pour mentionner son souhait d’engager de nouvelles agentes de bord? Les candidates doivent être bilingues et avoir entre 20 et 25 ans. Sauf erreur, elles doivent par ailleurs être célibataires. Les personnes choisies de manière préliminaire doivent amorcer leur formation fin avril ou fin mai.
Au moment où les portes du hangar de la base d’entretien d’Air Canada se ferment, à 16 heures, pas moins de 25 659 Homo sapiens ont vu le Modèle 747.
Une foule encore plus imposante se pointe au hangar le dimanche, 21 mars. Au moment où les portes se ferment, à 16 heures encore une fois, pas moins de 40 668 Homo sapiens ont vu le Modèle 747, pour un grand total de 66 327 personnes.
Deux Homo sapiens s’offrent le luxe de se rendre jusqu’au hangar de la base d’entretien d’Air Canada à dos de cheval. Je ne plaisante pas. Ça doit être bien agréable d’avoir une telle quantité de… foin. Votre humble serviteur se demande toutefois si les 2 Equus ferus caballus apprécient le fait d’être « abandonnés » par leurs cavaliers dans un lieu inconnu où d’énormes et bruyantes choses s’envolent et se posent constamment comme d’énormes oiseaux de proie. Je vous dis ça comme ça, moi.
Si quelques autres personnes se rendent jusqu’au hangar en motoneige, le fait est que l’énorme majorité des visiteuses et visiteurs se rendent à l’Aéroport international de Montréal-Dorval en automobile. Et c’est là que, si je peux me permettre un commentaire, quelqu’un a très sérieusement gaffé. Je m’explique.
La route qui mène à l’aéroport devient à ce point embouteillée que bien des personnes finissent par en avoir ras le pompon d’attendre sans trop bouger. Elles stationnent alors leurs automobiles le long de la route, ce qui contribue évidemment à embouteiller davantage la route, et commencent à marcher vers le hangar au trésor. Le hic, c’est que la distance qui séparent ces personnes et familles du dit hangar peut atteindre environ 6.5 kilomètres (4 milles). Et oui, il y a apparemment une bonne brise les 20 et 21 mars. Il y a même un peu de neige parfois. Oh, joie.
Au cours de la journée du 21 mars, l’embouteillage atteint un niveau tel qu’un service de police que votre humble serviteur n’a pas pu identifier demande apparemment à au moins une station radio montréalaise d’implorer le public de ne pas entreprendre le voyage vers le hangar de la base d’entretien d’Air Canada.
Et oui, vous avez bien raison, ami(e) lectrice ou lecteur, une fois arrivé(e)s au dit hangar, Madame et Monsieur Tout-le-Monde doivent faire la queue pendant un bon bout de temps pour accéder au Modèle 747. Oh, joie au carré.
Des employé(e)s du service des relations publiques d’Air Canada se font un plaisir de souligner aux journalistes présent(e)s dans le hangar que le Modèle 747 est le 100ème aéronef de ce type produit par Boeing Airplane. L’avionneur américain vient tout juste de livrer un second Modèle 747 à Air Canada. Le troisième aéronef commandé est livré vers la mi-avril.
Ces mêmes employé(e)s su service des relations publiques d’Air Canada doivent probablement faire du patinage de classe olympique pour gérer les commentaires courroucés de plus d’une visiteuse ou visiteur fatigué(e) et frigorifié(e), et, peut-être, affamé(e).
Et oui, vous avez de nouveau bien raison, ami(e) lectrice ou lecteur, la cerise au marasquin au sommet du sundae, c’est que, une fois leur vite du Modèle 747 terminée, Madame et Monsieur Tout-le-Monde doivent se taper un autre 6.5 kilomètres (4 milles) pour retourner à leur automobile. Oh, joie au cube.
Votre humble serviteur a par l’impression que les rares toilettes du hangar sont passablement achalandées les 20 et 21 mars – et que les files d’attentes sont parfois assez longues. Oh, joie suprême.
J’imagine que plusieurs personnes dirigent, oh, 1 ou 2 sacres ou blasphèmes juteux en direction d’Air Canada. Enfin, passons.
Notre Modèle 747 sert les intérêts d’Air Canada jusqu’en 1983. Loué à Global International Airways Incorporated, une firme américaine, pendant environ 4 mois, le Modèle 747 reprend du service avec le transporteur national canadien jusqu’en juillet 1984. Il est alors vendu à une des plus importantes firmes de location d’aéronefs au monde, Guinness Peat Aviation Public Limited Company. Détail intéressant, Air Canada détient alors près de 23 % des actions de cette firme irlandaise aujourd’hui disparue.
Au cours des années suivantes, le Modèle 747 est loué à des transporteurs aériens plus ou moins (in)connus, pour ainsi dire tous américains, soit
- National Airlines Incorporated,
- People Express Incorporated,
- Tayyarān al-Sharq al-Awsaț – al-Khuțūț al-Jawiyyah al-Lubnānyyah / Middle East Airlines – Air Liban Société anonyme libanaise,
- Flying Tigers Airlines Incorporated, et
- Federal Express Incorporated.
Envoyé en pâturage en 1990, le Modèle 747 est vendu à une institution financière américaine, First Security Bank of Utah Incorporated. Convoyé vers l’Arizona vers août 1993, il est ferraillé en octobre 1995. Sic transit gloria mundi.
Prenez soin de vous et de vos proches, ami(e) lectrice ou lecteur, et tenez compte des directives : gardez les pieds sur terre.