Alouette, gentille alouette, Alouette, je te lancerai; Ou, Comment la Guerre froide propulse le Canada dans l’espace par le biais du satellite Alouette, partie 1
Saviez-vous que le programme spatial canadien est une créature de la Guerre froide? Si, si, une créature de la Guerre froide qui oppose les États-Unis, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et leurs alliés / satellites, le Canada et la Pologne par exemple.
Cette Guerre froide réfrigère notre hénaurme bille bleue depuis déjà une bonne dizaine d’années lorsque l’URSS procède au lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik 1, en octobre 1957 – une petite bille métallique mentionnée dans moult numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis février 2018. Un second satellite, Spoutnik 2, beaucoup plus gros et plus lourd, est placé en orbite en novembre, et… Non, ami(e) lectrice ou lecteur parfois irritant(e), pas en 2018, en 1957. Juste pour cela, je vais ajouter que ce second satellite est mentionné à quelques reprises dans notre vous savez quoi depuis juillet 2018.
Une brève digression que vous me le permettiez ou non. Avant même la fin de 1957, la jeune comédienne et metteure en scène québécoise Jeannine « Janou » Saint-Denis, baptisée Marie Jeannine Renée Hébert, fonde la Compagnie des Satellites, à Montréal, Québec, afin de présenter des pièces de théâtre poétique de grands Québécois tels que Claude Gauvreau et Félix Leclerc, sans parler de celles d’auteurs et poètes français, dont Jean Tardieu. Cette compagnie semble disparaître dès 1962. Fin de la digression.
La première tentative américaine de lancer un satellite artificiel, en décembre 1957, est un échec retentissant : la fusée Vanguard conçue sous l’égide de la United States Navy explose sur la rampe de lancement. Le satellite Vanguard 1A qu’elle transporte est projeté à une certaine distance et subit des blessures terminales.
Cet embarras national télévisé est ridiculisé de manière amusante / insultante (stayputnik, stallnik, sputternik, splatnik, puffnik, psshik, phutnik, pfftnik, oopsnik, kaputnik, goofnik, flopnik, failnik, dudnik, etc.) par de fort nombreux journaux américains et étrangers. Ce qui est décrit comme, entre autres choses, la jubilation et les ricanements déplorables et enfantin(e)s amoncelé(e)s sur le dit embarras par un certain nombre de journaux britanniques importants frottent vraiment, vraiment un certain nombre d’Américains dans le mauvais sens du poil.
Une agence de la United States Army, la Army Ballistic Missile Agency (ANMA), sauve toutefois l’honneur national en lançant le premier satellite artificiel américain, Explorer 1, en janvier 1958.
Et oui, ABMA est mentionnée à quelques reprises dans notre vous savez quoi depuis février 2019.
Croiriez-vous que, en février 1958, un quotidien de Regina, Saskatchewan, The Leader Post, propose (sérieusement?), dans un éditorial, que le gouvernement fédéral, un gouvernement minoritaire qui dépense comme si les dollars poussent dans les arbres suggère-t-on, considère la possibilité de financer et superviser la fabrication d’un satellite canadien.
Les 53 mots suivants, une traduction bien sûr, valent selon moi la peine d’être cités :
Si le premier ministre cherche une façon vraiment spectaculaire d’ajouter encore plus au déficit budgétaire qui se profile, pourquoi pas un projet de satellite canadien? Pensez au prestige que M. Diefenbaker – et le Canada – pourraient gagner à l’étranger avec une lune fabriquée au Canada tenant compagnie au Spoutnik soviétique et au Explorer américain!
The Leader Post propose (sérieusement???) que le satellite soit baptisé Diefnik. Je ne plaisante pas. D’accord, d’accord, le quotidien se paye gentiment la tête du premier ministre John George Diefenbaker, un gentilhomme mentionné à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2020.
En avril 1958, quelques chercheurs de l’Établissement de recherches et de perfectionnement de l’armement (ÉRPA) du Conseil de recherches pour la défense (CRD), à Valcartier, Québec, dont un certain Gerald Vincent Bull, laissent entendre que le Canada pourrait placer en orbite un satellite pesant environ 1 kilogramme (2 livres) avant la fin de 1958. Au moins 2 photos paraissent dans au moins 1 quotidien.
En comparaison, Explorer 1, Spoutnik 1 et Spoutnik 2 pèsent respectivement et approximativement 14 kilogrammes (31 livres), 84 kilogrammes (184 livres) et 508 kilogrammes (1 121 livres), mais revenons au vaisseau spatial poids plume de l’ÉRPA.
Le dit satellite serait lancé à l’aide d’un canon. Si, si, un canon. N’avez-vous jamais entendu parlé du High Altitude Research Project, un projet de recherches à haute altitude financé conjointement par les gouvernements américain et canadien, entre 1961 et 1968? Un projet fascinant mentionné, tout comme Bull d’ailleurs, dans un numéro de janvier 2019 de notre blogue / bulletin / machin, mais revenons à notre histoire.
Le surintendant principal de l’ÉRPA, le brigadier Donald A.G. Waldock de l’Armée canadienne, nie catégoriquement qu’un satellite canadien pourrait être placé en orbite en 1958. Le scientifique en chef du CRD, George S. Field, nie également cette nouvelle. Approchés par des journalistes, Diefenbaker et son ministre de la Défense nationale, George Randolph Pearkes, indiquent qu’ils n’ont jamais entendu parler d’un quelconque projet de satellite. De fait, le CRD ne tarde à annoncer qu’un de ses chercheurs, Bull si vous voulez le savoir, a imaginé une nouvelle façon de placer des satellites en orbite, et rien de plus.
Quoiqu’il en soit, Pearkes a la ferme intention de savoir comment de telles informations de nature confidentielle / secrète sont arrivées à l’attention de la presse. Bull et ses collègues se font probablement sérieusement sonner les cloches, mais je digresse. Sérieusement.
Cela étant dit (tapé?), le fait est que le gouvernement fédéral ne porte guère attention aux questions spatiales. Il a alors d’autres préoccupations. Le dit gouvernement ne s’intéresse en fait à l’espace que lorsque cette question soulève la controverse, comme c’est le cas en avril 1958. Cette absence de priorité politique fait en sorte que les passionnés d’espace du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), du CRD et du Centre de recherches sur les télécommunications de la défense (CRTD) du CRD, à Ottawa, Ontario, peuvent à toutes fins utiles définir leurs propres priorités, tant que celles-ci ne coûtent pas trop cher. De fait, un Comité associé sur la recherche spatiale voit le jour, au sein du CNRC, en avril 1959.
C’est dans cette atmosphère, oserai-je dire (taper?) dans cet… espace, que le premier satellite canadien voit le jour. Désolé.
Avant d’aller plus loin, permettez-moi de citer les premières lignes, traduites bien sûr, d’un éditorial publié en octobre 1962 par un important quotidien anglophone montréalais, The Montreal Star, malheureusement disparu en septembre 1979.
Certains trouveront peut-être une pointe d’ironie dans le fait que le premier satellite canadien, destiné, dit-on, à l’étude pacifique de l’ionosphère vue d’en haut, a été construit par le Conseil de recherches pour la défense. Mais laissons cela de côté – dans l’espace, le militaire et le civil sont pratiquement inséparables.
Si votre humble serviteur peut paraphraser, hors contexte, James Paul McCartney et Michael Joseph Jackson, en traduction, dites, dites, dites ce que vous voulez, mais Alouette est une créature de la Guerre froide. Voyons plutôt. Et oui, McCartney est mentionné dans un numéro de juin 2022 de notre blogue / bulletin / machin.
Aussi étrange que cela puisse paraître pour nous, citoyennes et citoyens branché(e)s du 21ème siècle, à la fin des années 1950, les communications sur de longues distances reposent encore sur des appareils radio ou des câbles sous-marins. Les premiers peuvent voir leurs transmissions brouillées. Les seconds, aussi robustes qu’ils soient, ne sont pas invulnérables. De fait, l’URSS pourrait être tentée de faire aux États-Unis ce que le Royaume-Uni fait à l’Empire allemand en 1914 : couper ses câbles sous-marins, forçant ainsi Berlin à communiquer avec ses ambassades par radio.
Et puis après, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Et puis après?! La radio est un moyen de communication fort efficace, certes, mais ne savez-vous donc pas qu’un message radio peut être intercepté par n’importe qui? Et puis après, il suffit d’encoder ou chiffrer un tel message pour garder son contenu secret. Vous avez encore une fois raison, ami(e) lectrice ou lecteur, à moins que le dit message ne soit décodé / déchiffré. (Bonjour, MMcC!) Et puis après, quel dommage un message décodé / déchiffré peut-il causer? Et puis après?! Soupir… Un tel message peut changer le cours de l’histoire. Si, si, ami(e) lectrice ou lecteur sceptique. Il peut changer le cours de l’histoire.
En janvier 1917, le secrétaire d’état aux affaires étrangères allemand fait parvenir un message à l’ambassadeur allemand en poste aux États-Unis. Arthur Zimmermann y demande au comte Johann Heinrich von Bernstorff de contacter le résident allemand en poste au Mexique. Heinrich von Eckardt, demande-t-il, doit contacter le gouvernement dirigé par José Venustiano Carranza de la Garza afin de lui faire une offre pour le moins alléchante.
Si les États-Unis décident de déclarer la guerre à l’Empire allemand, ce qui est fort possible vue la reprise à venir, début février, de la guerre sous-marine sans restriction et les dangers qu’elle ferait subir aux citoyens et navires américains, le dit empire s’engage à aider le Mexique à reprendre certains des territoires perdus lors de la désastreuse guerre américano-mexicaine de 1846-48, soit le Texas, le Nouveau-Mexique et l’Arizona, s’il déclare la guerre aux États-Unis. Rien de moins.
Carranza est certainement intrigué mais il doute fort que l’Empire allemand soit en mesure d’aider efficacement le Mexique, un pays pauvre alors aux prises avec une révolution / guerre civile. L’offre allemande est poliment ignorée.
Pobre México, tan lejos de Dios, tan cerca de Estados Unidos.
Les choses en seraient restées là si les casseurs de code de la Naval Intelligence Division du Admiralty War Staff n’avaient pas déchiffré le message allemand, transmis par divers moyens, y compris par radio ne l’oublions pas, y compris par au moins une voie contrôlée par… le gouvernement américain.
Le gouvernement britannique livre à la main la version déchiffrée du télégramme Zimmermann à son vis-à-vis américain vers la mi-février 1917. Un réel scepticisme cède rapidement la place à une rage tout aussi réelle. Voyez-vous, le gouvernement américain est déjà bien outragé par la susmentionnée reprise de la guerre sous-marine sans restriction, une décision qui l’a conduit à rompre les relations diplomatiques avec l’Empire allemand à peine 2 jours après cette reprise.
Zimmermann lui-même ayant admis publiquement (?!), à au moins 2 reprises (?!?!), en mars 1917, que le document secret remis au gouvernement américain est authentique, les États-Unis déclarent la guerre à l’Empire allemand en avril. Comme je le disais (tapais?), un message décodé / déchiffré peut changer le cours de l’histoire, mais revenons à notre sujet d’aujourd’hui.
Comme votre humble serviteur le disait (tapait?) plus haut, l’URSS pourrait être tentée de couper des câbles sous-marins américains, forçant ainsi le gouvernement des États-Unis à communiquer avec ses alliés, ses ambassades, ses forces armées outremer, etc., par radio.
Le hic, c’est que la couche de la haute atmosphère qui permet la plupart des transmissions radio sur de longues distances, autrement dit l’ionosphère, est régulièrement perturbée par les sautes d’humeur du Soleil. Dans les régions nordiques de l’Amérique du Nord, une région hautement stratégique s’il en est, étant la voie d’accès des bombardiers soviétiques ayant pour mission d’incinérer des cibles militaires et civiles au Canada et aux États-Unis, par exemple, les aurores boréales / aurores polaires posent un réel problème. La fiabilité des transmissions radio ne peut par conséquent pas être assurée en tout temps.
Quoi faire, quoi faire? Il faut aller voir ce qui se passe là-haut, affirment des chercheurs.
Début 1958, aux États-Unis, la National Academy of Sciences se voit donner le mandat de coordonner les travaux de recherche américains et occidentaux sur l’ionosphère. Vers juillet, le Space Science Board de l’académie invite la communauté scientifique occidentale à lui faire parvenir des idées d’expériences qui permettraient de mieux connaître les couches supérieures de cette région, grâce à un satellite.
Quelques / plusieurs organismes répondent à cet appel. L’un d’entre eux est le CRTD. De fait, des chercheurs de cet organisme, dont John Herbert Chapman, rêvent, euh, non, pas d’un Noël blanc. Soupir. Ils rêvent d’un satellite scientifique canadien depuis un certain temps.
La proposition canadienne pour un satellite performant, et non pas une simple expérience, impressionne beaucoup le groupe de travail international du Space Science Board lors de rencontres qui ont lieu en septembre et octobre 1958. La National Academy of Sciences se retire toutefois du projet un peu plus tard, pour une raison ou une autre.
Bien que déçue, l’équipe du CRTD refuse d’abandonner son idée. Un officier (de la United States Air Force?) rencontré lors d’une visite au United States Department of Defense, à Washington, district de Columbia, recommande à ses visiteurs de contacter une agence récemment créée qui compte les projets internationaux de recherche spatiale parmi ses responsabilités. C’est suite à cette recommandation que le CRTD contacte la National Aeronautics and Space Agency, une organisation vite rebaptisée National Aeronautics and Space Administration (NASA) – une organisation mondialement connue mentionnée moult fois dans notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis mars 2018.
S’il est vrai que la proposition canadienne impressionne les ingénieurs de la NASA, certains d’entre eux croient que certains éléments du satellite, ses longues antennes par exemple, sont irréalisables compte tenu de la technologie de l’époque. Pour ce fait, ils se demandent si la proposition canadienne ne devrait pas être poliment rejetée.
Avant que je ne l’oublie, force est d’admettre que les longues antennes prévues pour le satellite canadien sont de technologie avancée.
L’antenne STEM (Storable Tubular Extendible Member, ou membre extensible tubulaire entreposable), utilisée pour la première fois à bord d’Alouette, est une invention canadienne qui joue un rôle important dans l’histoire du programme spatial canadien. Elle est développée par l’ingénieur George Johann Klein, du CNRC, pour résoudre un épineux problème : comment installer les très longues antennes dont un satellite de recherche comme Alouette a besoin tout en gardant la taille de ce satellite suffisamment petite pour tenir à l’intérieur de la fusée qui doit le lancer.
Une antenne STEM est composée d’une bande métallique précontrainte, en acier ou cuivre par exemple, enroulée à plat sur un tambour. Elle reprend sa forme circulaire d’origine et reste rigide lorsqu’elle est déployée / déroulée dans l’espace par un petit moteur ou du fait de la rotation d’un satellite.
Deux antennes STEM se trouvent à bord d’une fusée américaine lancée vers la mi-juin 1961. Ce vol non orbital a pour objectif de vérifier le fonctionnement de l’antenne canadienne dans l’espace. Les ingénieurs de la NASA ayant fait preuve de scepticisme admettent de bonne grâce que le dit scepticisme n’était pas fondé. Le vol expérimental est en effet un grand succès.
Alouette aurait en fin de compte 4 antennes STEM, deux d’environ 11.5 mètres (environ 37.5 pieds) de long et deux d’environ 23 mètres (!) (environ 75 pieds) de long. Sans elles, Alouette n’aurait tout simplement pas pu être conçu.
Les antennes d’Alouette sont produites par la Special Products Division de l’avionneur bien connu de Havilland Aircraft of Canada Limited (DHC), de Downsview, Ontario, une filiale d’un avionneur britannique bien connu, de Havilland Aircraft Company Limited. DHC et sa maison-mère sont évidemment mentionnées à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis février 2018.
Croiriez-vous que la capsule spatiale McDonnell Mercury du premier astronaute américain ayant fait le tour de la Terre, en février 1962, John Herschel Glenn, Junior, a une antenne STEM? Plus d’un satellite ou sonde américain(e)s lancé(e)s vers cette époque ont également au moins une antenne STEM, mais revenons à notre histoire.
Et puis non. Je vous ai suffisamment gavé de connaissances pour aujourd’hui. Permettez-moi par conséquent de tirer ma révérence. J’ai un petit creux. Bon appétit tout le monde!