Montréal a son premier aéroplane : Le Blériot Type XI de Jean Versailles et William Carruthers
Bienvenue, ami(e) lectrice ou lecteur, bienvenue.
Votre humble serviteur peut-il proposer que nous écoutions notre passion pour les choses de l’air en ce jour de mai? Nous l’avons, après tout, ignoré pendant quelques semaines. Des objections?
Objection rejetée.
L’année que j’entends porter à votre attention étant 1910, mettez vos lunettes de voyageuses et voyageurs dans le temps et prenez une grande respiration.
À la mi-mai de cette année, un Blériot Type XI tout neuf, un type d’aéroplane français rendu fameux par la traversée de la Manche de Louis Charles Joseph Blériot en juillet 1909, une première mondiale, arrive à Montréal, Québec, la métropole du Canada.
Et oui, Blériot est mentionné quelques fois dans notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2018.
Un Blériot Type XI typique piloté par l’aviateur suisse Attilio Maffei pour promouvoir la collecte nationale pour l’aviation militaire de la Suisse. Anon., “Maffei vole pour l’aviation militaire à Soleure et à Sion.” La Suisse Sportive, 17 mai 1913, 3 067.
Le fier propriétaire du Type XI qui vient d’arriver à Montréal, Jean Versailles, un agent d’immeubles, mécène des sports et sportif enthousiaste (courses de yacht, de motocyclette et d’automobile par exemple) bien connu et riche, est apparemment le premier individu privé au Québec / Canada à posséder un aéroplane. Sa passion pour les choses de l’air remonte apparemment à 1909.
Le Type XI en question traverse l’Atlantique, non, pas en vol, mais entreposé en toute sécurité dans la soute du SS Sardinian, un cargo mixte appartenant à Allan Line Steamship Company Limited de Montréal. Un reportage déclare que cette machine volante était destinée à Blériot lui-même, avant que la commande de Versailles n’arrive bien sûr.
Ouais, bien sûr.
Désolé.
Saviez-vous que le Sardinian est le navire à bord duquel Guglielmo Giovanni Maria Marconi, un jeune Italien brillant, beau et ambitieux mentionné dans des numéros de décembre 2018 et avril 2019 de notre blogue / bulletin / machin, traverse l’océan Atlantique, en novembre / décembre 1901, avec son matériel de télégraphie sans fil / radio, pour mettre en place une station à St Johns, Terre-Neuve – un Dominion indépendant et souverain à cette époque. Le monde est petit, n’est-ce pas?
En décembre, Marconi et son assistant entendent le premier signal radio jamais envoyé au-dessus de l’Atlantique – ou c’est ce qu’ils prétendent. Vous voyez, ami(e) lectrice ou lecteur, cette expérience connue mondialement, ce tournant dans l’histoire de l’humanité n’est peut-être qu’un vieux mythe usé. Les conditions atmosphériques sont telles et le matériel utilisé si primitif que de nombreux spécialistes de la propagation des ondes radio pensent que Marconi et son assistant souhaitaient, ont besoin oserons nous-dire, d’entendre quelque chose à un tel point qu’ils confondent des bruits atmosphériques avec le signal qu’ils attendaient.
Croiriez-vous que la collection du Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa, Ontario, comprend 4 cerfs-volants qui peuvent, je répète peuvent, avoir été utilisés au cours de cette expérience? Mais revenons à notre histoire.
Versailles est vraiment très heureux de son acquisition. Vous voyez, il doit sauter à travers pas mal de cerceaux avant de mettre la main sur un aéroplane. Versailles avait commandé un petit nombre de machines de 2 firmes françaises de fabrications d’aéroplanes. Celles-ci ne peuvent toutefois honorer leur part des contrats. En d’autres mots, aucune de ces firmes ne peut livrer un aéroplane à Versailles.
Profondément agacé, Versailles obtient ce qu’il désire par l’entremise de G. Husson, le directeur de Franco-American Automobile Company de Montréal, une firme mentionnée dans un numéro de mars 2020 de notre blogue / bulletin / machin qui se trouve à être le représentant canadien des Établissements Blériot Aéronautique, une compagnie sœur / frère de la Société anonyme des Établissements L. Blériot, un manufacturier français bien connu de phares pour voitures à chevaux et voitures sans chevaux / automobiles.
À ce stade, votre humble serviteur aimerait s’excuser de ne pas avoir souligné que Franco-American Automobile ne doit pas être confondue avec 2 éphémères firmes américaines, Franco-American Automobile Company et Franco-American Car Company, fondées au cours des premières années du 20ème siècle.
L’arrivée du Type XI fait sensation à Montréal. Elle fait la première page de La Presse, un des plus importants journaux quotidiens de langue française au Québec / Canada. La présence de cet aéroplane met également en appétit quelques individus qui demandent à Versailles s’il est disposé à vendre le Type XI.
En l’espace de quelques jours, l’intérêt de Versailles pour l’aviation entraîne sa nomination en tant que directeur d’un comité créée par le Automobile and Aero Club of Canada Incorporated, une riche organisation, pour organiser des événements aéronautiques à Montréal.
Détail intéressant, un article de bonne taille publié vers cette époque dans La Presse déclare que les premiers vols d’une machine volante plus lourde que l’air, en d’autres mots un aéroplane, ont eu lieu… 3 ans et demi plus tôt, en octobre et novembre 1960, désolé, 1906, près de Paris, France. Le premier d’entre eux n’est guère plus qu’un saut de puce mais le second couvre une étonnante distance de 220 mètres (720 pieds).
Vous vous souviendrez que le pilote du dit aéroplane, un Brésilien riche et sans peur mentionné quelques fois dans notre blogue / bulletin / machin depuis novembre 2018, Alberto Santos Dumont, établit en novembre 1906 les 3 premiers records mondiaux (distance, altitude et durée de vol) réalisés à bord d’un aéroplane à être homologués par la Fédération aéronautique internationale, l’organisation mondiale basée à Paris responsable de l’enregistrement de tous les types de records liés à l’aviation mentionnée quelques / plusieurs fois dans cette même publication exceptionnellement intéressante depuis janvier 2018.
Vous et moi savons toutes / tous deux que Santos Dumont n’est pas le premier être humain à faire un vol contrôlé et soutenu dans un aéroplane motorisé. Cet honneur appartient à Orville and Wilbur Wright, 2 pionniers de l’aviation connus mondialement mentionnés quelques fois dans notre vous savez quoi depuis août 2018.
À dire vrai, la machine d’allure étrange pilotée par Santos Dumont n’est, disons, pas vraiment contrôlable, mais revenons à notre histoire.
Le Type XI doit voler, quelque part au nord-est de Montréal, à un hippodrome peut-être, à la fin du printemps ou début de l’été 1910, au plus tard. Versailles ne sait pas s’il va piloter l’aéroplane lui-même ou engager quelqu’un pour prendre sa place. Si cette dernière option semble préférable compte tenu du fait que Versailles n’a strictement aucune expérience du pilotage d’aucun type de machine volante, la vérité est que personne à Montréal n’a la moindre expérience du pilotage d’un plus lourd que l’air. Un journaliste travaillant pour La Presse se demande si Versailles pourrait vouloir choisir un individu, d’accord, d’accord, un homme qui sait comment piloter un ballon.
Curieusement, et je dois volontiers admettre que mon absence en foi en l’humanité est peut-être par trop visible, il se trouve que La Presse compte peut-être parmi son personnel une personne qui sait comment piloter un ballon. Ce rara avis rare est Émile Auguste Albert Barlatier, le rédacteur des sports mécaniques d’origine française du quotidien montréalais à partir de la fin de 1910 ou du début de 1911, et un employé du journal pour un certain temps avant cette date semble-t-il.
Croiriez-vous que Barlatier peut, je répète peut, être un employé de La Presse depuis 1905? Ceci expliquerait le fait qu’il semble effectuer un vol en ballon près de Montréal en novembre de cette même année avec un autre employé du quotidien, Lorenzo Prince.
Le problème avec cette information est que je ne peux pas trouver la moindre chose sur ce vol dans La Presse, ce qui est bien suspect. De fait, je pense sérieusement que ce vol peut ne pas avoir eu lieu, et que Barlatier vient au Canada bien plus tard.
Quoiqu’il en soit, en 1905, Prince, est un nom très connu dans la métropole du Canada. Vous voyez, en mai, juin et juillet 1901, lui et le chef des nouvelles locales de La Presse, Augustin Marion, prennent part à une course autour du monde lancée par le fameux journal quotidien parisien Le Matin.
Le dit journal, mentionné dans un numéro d’avril 2019 de notre vous savez quoi, veut voir s’il est possible, en 1901, de battre le temps dont le héros fictif Phileas Fogg a besoin pour faire le tour de notre circulaire, si, si circulaire, et non pas plate, planète.
L’auteur de Le tour du monde en 80 jours, un roman publié en 1872, Jules Gabriel Verne, un gentilhomme mentionné dans plusieurs numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis juin 2018, indique qu’il est convaincu que le temps de Fogg peut être battu. Il souhaite la meilleure des chances à l’écrivain et journaliste de Le Matin, Gaston Stiegler, qui doit tenter l’aventure.
Vous vous souviendrez que le long métrage Le tour du monde en 80 jours est mentionné dans un numéro de mai 2019 de notre vous savez toujours quoi.
En fin de compte, Stiegler bat le temps de Fogg. De fait, il complète le trajet Paris-Paris en moins de 64 jours.
En autant que votre humble serviteur le sache, Prince complète son voyage autour du monde Montréal-Montréal en 63 jours. En d’autres mots, il le fait plus vite que Stiegler. Ceci étant dit (tapé?), Le Matin et le reste de la France / du monde (?) s’en moquent éperdument.
Qu’en est-il de Marion, vous demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur inquiète / inquiet ? Ne craignez point. Il complète également son voyage autour du monde. Marion arrive à Montréal environ un mois après Prince, toutefois, et il n’est pas d’humeur à rire. Vous voyez, il est arrêté et détenu par les autorités russes alors que le dynamique duo du Québec voyage à bord du Kitaysko-Vostochnaya Zheleznaya Doroga, en d’autres mots le chemin de fer construit et contrôlé par l’Empire russe qui traverse la Mandchourie, une vaste région de l’Asie du nord-est aux limites mal définies. Prince parvient d’une manière ou d’une autre à convaincre les dites autorités qu’il est blanc comme neige. Je ne peux que présumer que son compagnon et patron est d’accord.
Oserais-je interrompre cette péroration inutile pour déclarer que Barlatier est mentionné dans des numéros de mars et mai 2019 de… Je ne devrais pas, vous dites? Fort bien. Passons.
Mais pas maintenant.
En 1903, à Marseille, France, Barlatier, un journaliste à cette époque à première vue, et un avocat du nom de Henri Blanc commencent à envisager la possibilité de fabriquer un aéroplane. En 1905, ils font voler des cerfs-volants. L’année suivante, Barlatier et Blanc testent un modèle réduit motorisé de leur aéroplane, dont les ailes sont inspirées par celles de la pie. En 1906, forts de l’aide financière d’un homme d’affaires et sportif enthousiaste de l’endroit, Morpugo Lavalli, ils complètent un monoplan inspiré par ce modèle. Il s’avère incapable de voler. Barlatier et Blanc peuvent avoir testé un autre modèle réduit motorisé en 1907. Ils testent un second monoplan en mars 1908. Il s’avère lui aussi incapable de voler. Barlatier, président du Automobile Club de Marseille à cette époque, décide apparemment de jeter l’éponge peu de temps après.
Blanc, quant à lui, conçoit un nouvel aéroplane à bord duquel il parvient à décoller, brièvement, en août 1909. Cette machine effectue par la suite quelques brefs vols. Elle n’est pas très bonne, une caractéristique qu’elle partage avec la grande majorité des aéroplanes conçus à cette époque.
Avez-vous le temps pour une brève digression, ami(e) lectrice ou lecteur? Je ne veux pas m’imposer.
Vous souvenez-vous d’une brève péroration sur le mot tourte dans un numéro d’avril 2020 de notre vous savez quoi? Non? Soupir. Ça ne fait rien. Croiriez-vous que le père de Barlatier, l’industrialiste et compositeur Albert Auguste Marie Barlatier, travaille à quelques reprises avec un parolier / dramaturge / compositeur bien connu nommé Francis… Tourte, né Louis François Tourte? Le monde est effectivement vraiment petit, n’est-ce pas?
De fait, vous vous demandez sans doute si, comme la fameux capitaine Jack Sparrow, un gentilhomme (?) mentionné dans des numéros de septembre 2018 et octobre 2019 de notre blogue / bulletin / machin, votre humble serviteur écrit un plan à l’avance, ou improvise au fur et à mesure. À vous de décider.
Revenons maintenant à notre histoire. Versailles indique que le Type XI serait bientôt transporté à Pointe-aux-Trembles, près de Montréal, où il possède d’immenses étendues de terrain, après avoir payé tous les frais de douanes bien sûr. Le premier vol de cet aéroplane serait un événement auquel il inviterait toutes les Montréalaises et Montréalais. Il y en a certains / plusieurs qui pensent / espèrent que le dit vol aurait lieu avant la fin mai.
Croiriez-vous que des rumeurs circulent à l’effet qu’une grande organisation montréalaise, soit publique soit privée, offrirait un magnifique prix à l’individu qui réaliserait le premier vol contrôlé et soutenu d’un aéroplane motorisé à Montréal?
« C’est une ère de progrès qui commence, déclare un journaliste non nommé de Le Devoir, un nouveau journal quotidien montréalais qui existe encore en 2020. Avant peu on pourra villégiaturer par voie aérienne. Qui sait si la livraison des malles ne pourra pas se faire prochainement par ce moyen rapide et direct. »
Ce même journaliste non nommé mentionne que le susmentionné Blériot ne visiterait pas la métropole du Canada en 1910. Des négociations à cet effet ont récemment échoué. Un de ses ingénieurs, le frère de Marie Joseph Adrien Leblond de Brumath, le principal de l’Académie commerciale catholique of Montréal, une école commerciale je crois, ne viendrait pas non plus. Et oui, des négociations à cet effet ont aussi récemment échoué.
Une digression totale si je peux me le permettre et je m’en excuse mais comme le dit si bien le sympathique mais quelque peu dérangé Sparrow, votre humble serviteur n’a pas pu résister.
Et voici la digression. Pendant un certain temps (des semaines? des mois?) au cours de 1910, La Presse offre des prix aux enfants qui reconnaissent leur photographie dans une colonne spéciale du journal et se rendent à ses bureaux. Les dits prix sont une somme de 1 $, une assez bonne somme pour 1910, et un aéroplane Chantecler, un jouet inventé par le Montréalais J. Renaud-Egret.
Il est possible que le nom de ce jouet s’inspire du titre d’une pièce française bien connue mais pas très populaire de 1909 intitulée, euh, Chantecler, de Edmond Eugène Alexis Rostand. Ce poète et dramaturge renommé a écrit la très populaire pièce de 1897 Cyrano de Bergerac, soit dit en passant, et oui Virginie, il y a eu un Cyrano, mentionné dans un numéro de février 2018 de notre vous savez quoi.
Au 17ème siècle, l’auteur / satiriste / soldat français Hector (?) Savinien de Cyrano de Bergerac imagine des voyages vers d’autres mondes. Dans L’Autre Monde, ou, Les états et empires de la Lune et du Soleil, publié posthumément en 1657, par exemple, le héros de l’histoire est soulevé de la terre de France par la rosée contenue dans des bouteilles attachées autour de sa taille. S’il est vrai que ce voyage interplanétaire s’avère infructueux, un atterrissage réussi est effectué en Nouvelle-France.
Notre héros construit ensuite un ornithoptère, en d’autres mots une machine volante à ailes battantes, à Québec, la capitale de la Nouvelle-France. Le premier vol d’essai se terminé par un écrasement douloureux. De retour dans sa chambre, notre héros met de la moelle de bœuf sur une grande partie de son corps meurtri. Pendant ce temps, des soldats qui ont trouvé l’ornithoptère dans les bois l’amènent sur la place de la ville où ils y attachent des fusées de feu d’artifice, pour célébrer l’anniversaire de Saint-Jean le Baptiste, le 24 juin.
Réalisant ce qui va se passer, notre héros furieux se précipite vers sa machine mais ne peut enlever les fusées avant que les premières ne se déclenchent. L’ornithoptère décolle et commence à grimper, à grimper et à grimper. Il retombe finalement sur Terre, mais notre héros est si proche de la Lune à ce moment-là que l’attraction entre notre voisin et la moelle, un fait scientifiquement prouvé et si vous croyez à ça j’ai un pont que je voudrais vendre, est si grande qu’il se retrouve là-bas, faisant un alunissage sûr bien sûr, pour continuer ses aventures, mais revenons à notre vous savez quoi – l’histoire bien sûr.
Vous pourriez être attristé(e), ou pas, d’entendre (lire?) que Versailles ne prend possession de son Type XI qu’à la fin mai, presque 2 semaines après l’arrivée à Montréal du navire qui l’a transporté. Pourquoi ce retard, vous demandez-vous? Pour citer Hellboy, le héros grincheux qui aime les nachos et les chats du très populaire film éponyme de 2004, laissez-moi aller voir.
[Musique du jeu-questionnaire télévisé américain Jeopardy jouant dans votre caboche.]
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur. Les raisons pour lesquelles les efforts de Versailles pour prendre possession de son Type XI s’avèrent si chronophages sont un tantinet complexes. S’il est vrai que la bureaucratie était / est (sera?) la bureaucratie, il semble que certains individus non nommés ne s’avèrent pas très coopératifs, pour des raisons inconnues. Un représentant de La Presse peut avoir tiré certaines ficelles pour aider les choses.
Quoiqu’il en soit, l’énorme caisse contenant l’aéroplane partiellement désassemblé quitte un hangar dans le port de Montréal et est hissé à bord d’un camion hippomobile spécialement équipé qui appartient à Shedden Forwarding Company Limited de Montréal.
La caisse se rend lentement à Pointe-aux-Trembles, avec une automobile conduite par des représentants de La Presse pour lui tenir compagnie. Il pleut à boire debout, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour le contenu de la caisse.
À la fin, la caisse et son contenu arrivent à Pointe-aux-Trembles. La caisse est amenée au sol et ouverte, à côté du hangar qui a été construit pour abriter le Type XI. L’aéroplane est alors soigneusement extrait de la caisse. Il serait prêt à voler 1 ou 2 jours plus tard, ou du moins c’est ce que prétend La Presse.
Le journal note avec une certaine tristesse que, si l’aviation française peut compter sur quelques riches mécènes prêts à offrir d’importants prix aux pilotes, personne à Montréal n’s offert ne serait-ce qu’une médaille pour récompenser l’individu encore inconnu qui effectuerait le premier vol d’un aéroplane motorisé au Québec.
Vue cette situation, La Presse annonce au tout, tout début juin qu’elle donnerait une magnifique coupe en argent à l’individu qui effectuerait le premier vol de 1 mille (1.6 kilomètre) en ligne droite, sans aucun arrêt intermédiaire, au Québec.
Un coup de théâtre vient toutefois changer la donne avant même la fin mai. Versailles accepte de vendre son Type XI, sous certaines conditions, à un Montréalais du nom de William Carruthers. Cet exploitant céréalier, enthousiaste de course de chevaux et mécène de l’automobile bien connu mentionné dans un numéro de mars 2020 de notre blogue / bulletin / machine ne veut pas dire combien de pognon / fric a été dépensé pour acquérir le dit aéroplane. Carruthers indique toutefois que le Type XI volerait à Pointe-aux-Trembles peu après son retour d’un voyage aux États-Unis.
Ce qui est curieux au sujet d’un article publié dans La Presse à la fin mai est le fait qu’il semble dire que le Type XI n’est pas encore à Pointe-aux-Trembles et que le hangar sur le site est encore incomplet. Votre humble serviteur doit admettre que je suis plutôt perplexe. Prenons un risque, intrépide ami(e) lectrice ou lecteur, et choisissons comme hypothèse de travail la possibilité que le dit article soit inexact.
Quoiqu’il en soit, le Type XI de Carruthers n’a pas encore pris l’air lorsqu’il est placé en exposition pour une brève période de temps, en juin, au parc Dominion, un des plus grands parcs d’amusement au Canada, situé à une certaine distance du centre-ville de Montréal. J. Sullivan, un électricien travaillant au dit parc qui est profondément intéressé par l’aviation, est présent chaque fois qu’il le peut (Bonjour, bénévoles de musée du monde entier, et merci!) pour répondre aux questions du public.
Qu’en est-il de Versailles? Abandonne-t-il l’aviation, vous demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Nenni, dis-je. De fait, Versailles commande un plus grand aéroplane, un biplan cette fois, de la première avionnerie en Europe, et la seconde au monde, après celle des susmentionnés frères Wright, Appareils d’aviation Les frères Voisin. Il peut, je répète peut, l’avoir fait via le représentant canadien de cette firme française, la tout aussi susmentionnée Franco-American Automobile.
Lorsque le Type XI est finalement assemblé, à la toute, toute fin de mai, Le Presse décrit ce fait comme étant les débuts de l’aviation au Canada. Vous et moi savons toutes / tous les 2 que ceci n’est pas vrai. On peut dire que l’aviation au Canada débute en février 1909 avec le vol contrôlé et soutenu du Aerodrome No. 4 Silver Dart.
Ce vol est réalisé par un jeune ingénieur canadien, John Alexander Douglas McCurdy, le concepteur du Silver Dart. Cet aéroplane fabriqué aux États-Unis est la machine la plus réussi développée par, vous l’aurez deviné, la Aerial Experiment Association (AEA), un groupe fondé en 1907 par l’inventeur américain, si, si, américain, d’origine écossaise Alexander Graham Bell. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, vous avez bien raison de penser que Bell, McCurdy et la AEA nous sont connu(e)s. Elle et ils sont mentionné(e)s dans plusieurs numéros précédents de notre blogue / bulletin / machin :
- McCurdy, depuis septembre 2017,
- Bell, depuis octobre 2018, et
- la AEA, également depuis octobre 2018.
Mais revenons à notre Type XI.
Son moteurs tourne pour la première fois en Amérique du Nord à la toute, toute fin de mai, le jour où l’aéroplane est finalement complété en fait.
Versailles monte à bord du Type XI et est photographié par une des personnes envoyées par La Presse pour immortaliser cette occasion propice. Le nouveau propriétaire de l’aéroplane, le susmentionné Carruthers, est également là, tout comme le tout aussi susmentionné Husson et quelques / plusieurs autres personnes.
Un journaliste non nommé de La Presse déclare qu’il est sûr que des aéroplanes seraient bientôt utilisés en grand nombre. Ils sont après tout fort supérieurs aux dirigeables et moins agaçants que les automobiles, qui effraient / blessent / tuent tant les piétons que les animaux et ont besoin de routes de bonne qualité.
Comme c’est le cas dans toutes les grandes villes du monde occidental, l’aviation, en 1910, attire beaucoup d’attention à Montréal.
Ce qui peut bien être la première avionnerie de la ville, la Compagnie de moteurs et d’aéroplanes Valois, voit le jour, sur papier seulement semble-t-il, en mai 1910. Ses promoteurs sont des Montréalais bien connus. Ils comprennent le gérant de la ville et 3 avocats. L’un d’entre eux est nul autre que Robert Taschereau, un proche parent de Louis-Alexandre Taschereau, ministre des Travaux publics dans le gouvernement dirigé par Lomer Gouin. Assez âgé en 1910, Achille Valois ne semble compléter qu’un modèle réduit de son aéroplane à ailes multiples à décollage et atterrissage verticaux.
L’individu qui donne son nom à la Compagnie de moteurs et d’aéroplanes Valois arrive au Québec vers 1884. Chef monteur chez Marinoni Société anonyme, une firme française et un pionnier de la fabrication de presses rotatives pour les journaux, Valois installe un de ces (très?) gros équipements dans les ateliers du quotidien La Presse. Le monde est petit, ne pensez-vous pas, ami(e) lectrice ou lecteur? Il semble par la suite demeurer dans la métropole du Canada, où il supervise l’entretien de la dite presse rotative pendant un nombre d’années inconnu.
Ce qui peut bien être la seconde avionnerie de Montréal, International Aviation Association Limited, voit le jour, de nouveau sur papier seulement semble-t-il, en juin 1910. Son mandat comprend la production de divers types de machines volantes (ballons, aéroplanes, etc.), l’organisation de meetings aériens, etc., etc., etc. Les promoteurs de la firme ne sont peut-être pas aussi bien connus que ceux de la Compagnie de moteurs et d’aéroplanes Valois. International Aviation Association n’a peut-être même pas produit un modèle réduit des machines volantes qu’elle prévoyait produire, mais revenons au Type XI. Encore.
Votre humble serviteur s’en voudrait si je ne mentionnais pas que le Type XI de Carruthers est impliqué dans un des événements aéronautiques les plus significatifs tenus au Canada avant la Première Guerre mondiale, et le tout premier spectacle / meeting aérien tenu au Canada. Le dit événement est la Grande semaine d’aviation de Montréal, tenue entre le 25 juin et le 5 juillet 1910. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, ça fait beaucoup de tenus.
Jusqu’à un certain point, la Grande semaine d’aviation de Montréal doit son existence à un autre événement, un événement annuel, l’exposition d’automobiles et de bateaux tenue à Montréal en mars – un événement mentionné dans un numéro de mars 2020 de notre vous savez quoi.
La présence de 2 aéroplanes à cet événement fait sensation et ses organisateurs concluent qu’il est grand temps que la métropole du Canada offre à ses citoyennes et citoyens la chance de voir des pilotes et aéroplanes en action. D’autres dirigeants communautaires sont d’accord. Le susmentionné Automobile and Aero Club of Canada se met au travail. Incidemment, le site choisi est à Pointe-Claire / Lakeside, à environ 25 kilomètres (15 milles) du centre-ville de Montreal, près des rives du lac Saint-Louis.
Vous pourriez être ravi(e) d’entendre (lire?) que le Type XI de Carruthers n’est pas le seul aéroplane de son type présent à la Grande semaine d’aviation de Montréal. Ce second Type XI appartient également à un homme d’affaires et automobiliste montréalais bien connu, R. Baker Timberlake, qui veut peut-être apprendre tout seul comment piloter au cours du meeting aérien.
L’aéroplane de Carruthers, quant à lui, doit être piloté par un aviateur et mécanicien français peu connu nommé Paul Miltgen, également épelé Miltzen, Miltjen, Miltjean et Mietgen, et parfois appelé Gustave Milgen, qui est engagé expressément pour ce travail.
Miltgen amorce son implication dans l’aviation en 1909. En octobre de cette année, cet aviateur encore novice arrive aux États-Unis avec un Type XI, fort possiblement le tout premier aéroplane étranger amené dans ce pays. Des journaux américains rapportent que cet aéroplane appartient à Ralph Saulnier, le frère d’un fameux pionnier français de l’aviation du nom de Raymond Victor Gabriel Jules Saulnier, alors chef mécanicien aux Établissements Blériot Aéronautique.
Le problème avec cette information est que Ralph n’est pas un nom très français. De fait, il semble que ce gentilhomme n’a aucun lien de parenté avec Saulnier. Votre humble serviteur se demande si Saulnier, l’Américain, n’est pas, en fait, un résident / citoyen américain qui espère faire la démonstration du Type XI afin de vendre quelques exemplaires de ce type d’aéroplanes à de riches Américains.
De fait, sa secrétaire franco-américaine, Marie Sperber, tient vraiment à faire un bref vol à bord du Type XI. Cette jeune femme qui a beaucoup de cran a prouvé être capable de désassembler et réassembler le moteur de cet aéroplane. Elle ne semble pas avoir réalisé son souhait, ce qui est bien dommage.
Miltgen peut, je répète peut, avoir réalisé quelques (2?) courts vols au New Jersey au cours de l’automne 1909. À la mi-octobre, avant ou après ces prétendus vols, un des chahuteurs qui le traite de bluffeur et imposteur aurait lancé une brique sur le Type XI alors que le pilote français se prépare à décoller. Cette brique est lancée avec une force telle qu’elle brise l’hélice et endommage le moteur.
Vers cette époque, un peu avant ou après, un magasin à rayons bien connu de Washington, District de Columbia, S. Kann, Sons & Company, indique qu’il veut placer le Type XI en exposition, un projet sous la supervision du président de French-American Toy and Novelty Manufacturing Company. Intéressé par l’aviation depuis 1903, Ladis Lewkowski y supervise la production, entre autres choses, de modèles réduits d’aéroplanes capables de voler. Votre humble serviteur ne peut pas dire si ce projet est mené à bon port. Sans trop savoir pourquoi, j’en doute et voici pourquoi.
Saulnier, l’Américain, est poursuivi en justice en octobre 1909 par les susmentionnés frères Wright, pour violation de brevet. Ils ont, après tout, inventé un système de contrôle qui rend le vol contrôlé possible. Les Wright veulent des paiements de dommage et le pouvoir de détruire le Type XI. Saulnier est un des nombreux individus poursuivis par les Wright – un épisode malheureux connu sous le nom de guerre des brevets qui freine le développement de l’aviation aux États-Unis avant la Première Guerre mondiale.
Si votre humble serviteur peut se permettre quelques mots, cette bataille n’est pas la plus belle heure des Wright.
Saulnier, le Français, cofonde plus tard la Société anonyme des aéroplanes Morane-Borel-Saulnier et la Société anonyme des aéroplanes Morane-Saulnier, une des plus importantes avionneries françaises de la période avant la Seconde Guerre mondiale, et…
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous ne voyez pas pourquoi votre humble serviteur vous casse les pieds avec ces billevesées? Et bien, saviez-vous que le monoplan Borel Morane en montre au magnifiquement stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace, à Ottawa, un musée sœur / frère du susmentionné Musée des sciences et de la technologie du Canada, est apparemment fabriqué par la Société anonyme des aéroplanes Morane-Borel-Saulnier? Ce monoplan Borel Morane est le plus ancien aéronef survivant ayant volé au Canada, comme nous le savons toutes / tous les deux.
Des aéroplanes pour ainsi dire identiques produits entre 1910 et 1912 par cette compagnie et par sa prédécesseure, la Société anonyme des aéroplanes Morane-Borel, sont confusément connus sous le nom de Morane, Morane Borel and Borel Morane. Quelques personnes pleines d’esprit les appellent même Morel Borane. Des machines similaires sont également fabriquées en 1912 et plus tard par la Société anonyme des aéroplanes Morane-Saulnier et la Société anonyme des aéroplanes Borel, mais ce n’est pas tout. Croiriez-vous qu’une Société des aéroplanes Raymond Saulnier existe en 1909-10?
Ainsi donc, ais-je réussi à vous embrouiller complètement, ami(e) lectrice ou lecteur? Oui? C’est bon à entendre (lire?), car l’histoire de l’aviation avant le début de la Première Guerre mondiale, en 1914, peut être vraiment très déroutante.
Toutes ces avionneries françaises sont évidemment mentionnées dans un numéro d’octobre 2018 de notre blogue / bulletin / machin. Évidemment.
Walter Richard Brookins, 1 des 4 pilotes de l’équipe de démonstration récemment créée des susmentionnés frères Wright présente à la Grande semaine d’aviation de Montréal, est le premier aviateur à prendre l’air, le 25 juin, le premier jour du meeting aérien. Miltgen est une des personnes qui aide à préparer son biplan au décollage.
Prévu pour décoller quelques minutes après Brookins, le pilote français n’y parvient pas lors de son premier essai. Une des roues du Type XI s’enfonce dans un profond sillon. Le second essai de Miltgen se déroule comme sur des roulettes et la foule l’acclame. Il s’agit apparemment du premier vol de l’aéroplane depuis son arrivée au Québec.
Deux versions plutôt différentes de ce qui se passe par la suite sont publiées dans La Presse et un autre journal quotidien montréalais, Le Canada.
Aux dires du premier, Miltgen réalise que le gouvernail de direction ne fonctionne pas pour ainsi dire immédiatement après le décollage, alors que le Type XI vole encore plutôt bas. Peu disposé à s’écraser sur la toute proche catapulte utilisée pour lancer les biplans Wright, il coupe le moteur. Une combinaison de l’inclinaison du nez causée par la tentative de virage de Miltgen et du poids de l’aéroplane accroît son angle de descente.
Aux dires du second, le moteur du Type XI s’arrête très peu de temps après le décollage, alors que l’aéroplane vole encore plutôt bas. Réalisant que toute tentative de planer vers le sol pourrait résulter en une collision avec la dite catapulte, Miltgen accroît son angle de descente.
Quoiqu’il en soit, le Type XI s’écrase. La foule retient son souffle, craignant le pire.
Presque miraculeusement, Miltgen se tire pour ainsi dire sans blessure de cet accident assez spectaculaire. Le Type XI est toutefois assez sérieusement endommagé (hélice fracassée, fuselage cassé en 2 et séparé des ailes, etc.).
Carruthers déclare aux journalistes qu’il était beaucoup plus préoccupé par l’état de Miltgen que par celui de son aeroplane. S’il est réparable, le Type XI serait réparé. S’il est irréparable, il serait mis de côté et remplacé. En fin de compte, l’aéroplane est réparable. Des travaux commencent le jour même de l’accident.
Il convient de noter que, avant son vol, Miltgen indique à au moins un journaliste que le Type XI est en assez mauvais état lorsqu’il le prend au parc Dominion. L’aéroplane a été déplacé avec laisser-aller depuis son arrivée au Québec et il n’a pas été bien protégé des éléments. Il y a même quelques pièces manquantes. Miltgen fait toutefois tout ce qu’il peut pour rendre le Type XI entièrement apte au vol. Néanmoins, le gouvernail de direction ne semble pas fonctionner trop bien et les ailes ne semblent pas parfaitement symétriques. Somme toute, Miltgen n’est pas un joyeux campeur lorsqu’il monte à bord du Type XI le 25 juin.
Quoiqu’il en soit, le Type XI de Carruthers est déclaré apte au vol au début de juillet.
Un pilote de dirigeable adolescent américain qui a perdu sa monture le 27 juin, Cromwell Dixon, frôle la catastrophe le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, lorsqu’il prend l’air à bord de cette machine – son premier vol en aéroplane. Impressionné par le courage qu’il a montré quelques jours plus tôt, la vedette de la Grande semaine d’aviation de Montréal, un Français, le comte Jacques Benjamin Marie de Lesseps, prend Dixon sous son aile et lui donne peut-être des indications sur la façon de piloter un aéroplane. Après quelques tentatives de décollage, l’aviateur en herbe réussit à prendre l’air, manquant à peine la tribune et provoquant une grande frayeur. Dixon termine ce vol bref et plutôt tumultueux avec un atterrissage maladroit dans le champ d’un fermier. Sa mère, qui, comme à l’accoutumée, est avec lui, mais au sol, est tout simplement hors d’elle.
Soit dit en passant, le Type XI de Carruthers participe également au meeting aérien de Toronto qui se tient du 8 au 16 juillet, près de Weston, à environ 16 kilomètres (10 milles) du centre-ville de Toronto, Ontario, sur une ferme modèle appartenant à un magnat minier, William G. Trethewey. Il a alors pour pilote un Américain nommé John Gale Stratton. Ce gentilhomme ne peut toutefois pas voler au cours des premiers jours du meeting aérien car il doit réparer les dommages subis par le Type XI au cours de son périple (en train?) entre Montréal et Toronto.
Stratton éprouve vite des difficultés à contrôler l’aéroplane lors de sa première tentative de voler, le 12 juillet, avant le début des activités de la journée. Il s’écrase parmi quelques arbres, ou entre 2 d’entre eux. Si Stratton se tire de cet accident avec une blessure à un bras, l’aéroplane est presque détruit. Quelqu’un suggère (sérieusement?) qu’il devrait être expédié en France pour une reconstruction. On peut se demander si le Type XI vole par la suite.
Et ainsi, encore un fois, les Hommes en noir sauvent les gens de la Terre… Désolé, mauvaise fin.
Bonne semaine.
Et juste une dernière chose, si je peux me permettre de citer le lieutenant de police Columbo, interprété à la télévision par l’irremplaçable Peter Michael Falk. Le biplan Voisin mentionné plus haut, vous savez, celui commandé par Versailles, oui, celui-là, et bien il ne se rend jamais à Montréal.