Il décolle à 100 kilomètres/heure, vole à 100 kilomètres/heure et atterrit à 100 kilomètres/heure, plus ou moins : La saga du Curtiss JN-4 Canuck
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur aimerait commémorer, avec vous dans la mesure du possible, le 60ème anniversaire de l’acquisition, par le Musée national de l’aviation, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, d’un exemplaire d’un type d’aéronef qui joue un rôle fort important dans l’histoire de l’aviation canadienne.
De fait, le Canuck a plus de premières aéronautiques canadiennes sous ses, euh, ailes que tout autre type de machine volante : premier aéronef véritablement produit en série au Canada, premier aéronef à effectuer des missions de type militaire au Canada, premier aéronef produit au Canada à être exporté en grande quantité, premier aéronef au Canada à opérer sur skis, ne serait-ce qu’à titre expérimental, premier aéronef à effectuer un vol postal au Canada, premier aéronef à effectuer un levé aérien au Canada, et premier aéronef à être vu de près par d’innombrables Canadiennes et Canadiens.
L’aéronef en question est le Curtiss JN-4 Canuck, ou Curtiss JN-4 (Can.) Canuck, qui se trouve dans la section Première Guerre mondiale de ce faaabuleux musée. (Bonjour, MMcC!)
Et oui, le titre de cet article est inspiré par les paroles prononcées, si ma mémoire est bonne, par le premier astronaute canadien, Joseph Jean-Pierre Marc Garneau, dans une vidéo présentée il y a plusieurs années dans un minithéâtre du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. L’auteur / journaliste canadien Pierre Francis de Marigny Berton tient des propos similaires en anglais. Berton est-il mentionné dans un numéro de juillet 2019 de notre blogue / bulletin / machin? Oui, il l’est. Garneau, quant à lui, est mentionné dans un numéro d’août 2021.
Construit en 1918, le Canuck du musée compte parmi les 680 machines de ce type livrées à la Aviation Section du United States Army Signal Corps (USASC), une force aérienne connue sous le nom de United States Army Air Service (USAAS) à partir de mai 1918. Il sert presque certainement servi à Love Field, près de Dallas, Texas, site d’une école de pilotage du USAAS, pendant les derniers mois de la Première Guerre mondiale.
Vendu aux surplus de guerre après la fin du conflit, le Canuck est utilisé à des fins civiles indéterminées. Edward T. Faulkner (1894-1970) de Honeoye Falls, New York, l’achète en 1925 ou 1926, à George Reece de Naples, New York. Faulkner utilisant somme toute rarement son Canuck, il le met dans sa grange en 1932. L’aéronef demeure à cet endroit pendant environ 30 ans.
Au printemps 1961, Kenneth Meredith « Ken » Molson, un gentilhomme mentionné à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis juillet 2018, contacte Herbert S. Fyfield, Junior de Redding, Connecticut. Le conservateur fondateur du Musée national de l’aviation avait entendu dire que ce collectionneur d’aéronefs pourrait avoir en sa possession des composants d’un Canuck et d’une machine très similaire, le Curtiss JN-4 Jenny. Fyfield indique que les informations de Molson sont inexactes. Il a en sa possession les composants d’une paire de Jenny. Cela dit, Fyfield souligne que Faulkner a un Canuck. Un Molson ravi écrit une lettre à ce gentilhomme en juin 1961 mais n’obtient pas de réponse.
À un moment donné au cours de l’été 1961, Molson apprend que le directeur par intérim de l’Histoire de l’humanité des Musées nationaux du Canada est intéressé à acquérir un Canuck. De fait, ce géologue et paléontologue bien connu du nom de Dr Loris Shano Russell a récemment demandé au Musée canadien de la guerre de faire précisément cela. Les efforts du musée n’ont pas abouti. Molson est assez surpris. Il informe rapidement Russell que le Musée national de l’aviation souhaite vivement obtenir un Canuck. De fait, Molson suggère peut-être à Russell qu’ils se rendent tous les deux à Honeoye Falls pour voir l’aéronef de Faulkner.
Quoiqu’il en soit, une petite équipe canadienne fait rapidement le voyage vers le sud. Faulkner écouté poliment ses visiteurs expliquer l’importance du Canuck dans l’histoire de l’aviation canadienne. À son tour, il leur explique qu’ils ne sont en aucun cas les premiers à s’intéresser à son Canuck. Faulkner montre aux Canadiens une pile de lettres sans réponse de 10 à 13 centimètres (4 à 5 pouces) d’épaisseur. Lui et ses invités conviennent apparemment que des négociations ne devaient pas être menées par courrier. Molson revient donc à Honeoye Falls en novembre 1961. Russell l’accompagne peut-être. Et oui, c’est Russell qui réussit à arracher les 9 000 $ requis par Faulkner des mains du Secrétariat d’état, le ministère fédéral qui contrôle à l’époque tous les musées nationaux du Canada. Molson est très reconnaissant pour cet effort en coulisse.
Une équipe du musée, deux personnes en fait, se rend à Honeoye Falls en février 1962 pour ramener la précieuse machine au Canada, dans un fourgon de déménagement. Ces gentilshommes se rendent vite rendu compte qu’il faut démonter une aile et peut-être les deux. Voyez-vous, ces gros éléments du Canuck sont entreposés sur les chevrons de la grange. Faulkner les a mis là, avec une certaine aide, en 1932. À un moment donné plus tard, toute la grange est déplacée de l’autre côté d’une route – avec les composants Canuck à l’intérieur. Faulkner condamne alors la porte de la dite grange et taille une nouvelle porte sur le côté opposé celle-ci, scellant les éléments du Canuck entreposés sur les chevrons.
Et c’est ce qui explique pourquoi les deux personnes du Musée national de l’aviation se voient forcés de grimper sur les dits chevrons pour démonter les ailes du Canuck. Votre humble serviteur a-t-il mentionné que la porte de la grange doit rester ouverte pour qu’ils puissent voir ce qu’ils font – et voir où ils doivent mettre les pieds pour ne pas tomber des chevrons? Laisser la porte ouverte ne laisserait-il pas entrer les vents froids qui soufflent à l’époque, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Et comment, ami(e) lectrice ou lecteur, et comment. Aaah, le bon vieux temps…
Le Canuck est un des premiers aéronefs acquis par le Musée national de l’aviation après son ouverture, en octobre 1960.
Au moment de son acquisition par le musée, le Canuck présente une cellule assez complète, moteur et hélice compris. Il a même du tissu d’origines sur ses ailes. Des instruments d’origine, toutefois, seul le manomètre à huile est encore en bon état. Certains autres sont endommagés ou, pis encore, manquants.
Cela étant dit (tapé?), Molson décide de présenter le Canuck au public qui visite la base de l’Aviation royale du Canada située à Rockcliffe, Ontario, en banlieue de Ottawa, dans le cadre de la Journée de la force aérienne, en juin. Remarquez, il est fort possible que la décision d’exposer le Canuck résulte d’une demande faite par l’Aviation royale du Canada (ARC) et par le lieutenant-colonel d’aviation Ralph Viril Manning, historien de l’air de l’ARC, un gentilhomme mentionné dans des numéros d’octobre 2020 et février 2021 de notre fabuleux blogue / bulletin / machin.
Étant donné l’importance historique du Canuck pour l’histoire de l’aviation au Canada, Molson décide également d’entreprendre sa restauration dès l’été 1962. Un local étroit situé à l’arrière de la nouvelle aérogare de l’aéroport de Uplands, près de Ottawa, là où se trouve alors le musée, est vite réservé à cet effet. L’accès à ce local s’avère un tant soit peu compliqué, l’ensemble des corridors qui y mène étant quelque peu labyrinthique. De fait, le fuselage ne pouvant accéder au local de cette façon, le personnel du musée doit l’insérer avec moult précautions par une fenêtre du second étage. Aaah, le bon vieux temps…
L’examen visuel de la structure interne du fuselage rendu possible par l’absence de tissu étant fort apprécié par les gens qui voient le Canuck lors de la Journée de la force aérienne, Molson décide de ne placer du tissu neuf que sur un côté du fuselage.
Croiriez-vous que le musée ne dispose d’aucun plans de Canuck? Cela étant dit (tapé?), le personnel peut s’appuyer sur un document d’époque et une collection de photographies. L’un et l’autre s’avèrent indispensables. Un grand modèle réduit très détaillé, réalisé vers 1918 par le personnel de la firme qui a fabriqué le Canuck, Canadian Aeroplanes Limited de Toronto, Ontario, fournit également des renseignements très précieux.
Le texte qui suit provient d’une section du site Web du musée qui ne semble plus être disponible. Et oui, je suis paresseux et où voulez-vous en venir exactement?
Le fuselage fut entièrement démonté, puis restauré en deux étapes. On travailla d’abord sur la partie comprise entre l’habitacle arrière et la queue, avant de passer à la section avant. Toutes 1es pièces métalliques furent nettoyées et réparées ou revêtues par galvanoplastie. Quant aux pièces en bois, elles furent toutes nettoyées et vernies; du nombre, il n’a fallu en remplacer que trois : le support horizontal droit du siège, le gros membre vertical gauche à hauteur de la station no 3 et la pièce de soutien transversale du berceau moteur au même niveau. C’est à ce stade des travaux qu’on a découvert le numéro de série américain 39158 sur le longeron supérieur gauche du fuselage, à hauteur de l’habitacle arrière, ce qui a permis d’établir l’identité de l’appareil.
Par la suite, les techniciens ont nettoyé et verni le plancher de l’habitacle, enlevé et replaqué toutes 1es commandes de vol et confectionné un nouveau manche à balai avant avec son socle afin de remplacer la pièce grossière qu’avait fabriquée un des anciens propriétaires. Les panneaux de capotage d’origine, qui étaient très usés et qui présentaient des fissures, ont été remplacés par de nouveaux. La plage arrière du fuselage, qui était en très mauvais état et qui ne correspondait pas au dessin d’origine, fut remplacée par une pièce dont la conception fut largement inspirée de la maquette de Canadian Aeroplanes.
Un nouveau tableau de bord fut confectionné suivant 1’agencement authentique et l’on réussit à trouver des exemplaires de tous les instruments, feux et autres accessoires d’origine, à l’exception de l’indicateur de vitesse, dont il a fallu réaliser une reproduction. De nouvelles manettes furent installées dans l’habitacle avant, la société Deloro Stellite [Incorporated] ayant généreusement accepté de fournir le bloc manettes. Les sièges furent réparés et rembourrés. Ed Carlson de Spokane (Washington) fit don d’un J’eu de ceintures de sécurité authentiques, qui ont servi de modèle à la confection de nouvelles sangles pour les deux habitacles; Deloro Stellite a fabriqué les pièces coulées. Les plans de queue étaient généralement en bon état. Les organes en bois n’ont nécessité que des réparations mineures, après quoi ils furent nettoyés et vernis. Quant aux membres tubulaires, leurs surfaces internes ont été enduites d’huile de lin pour 1es protéger contre la corrosion. Le bord de fuite des gouvernes de profondeur, rongé par la corrosion, avait besoin d’être remplacé et comme le Musée n’était pas en mesure de réaliser de nouvelles pièces de la longueur voulue, Canadair [Limited] a généreusement fourni un nouvel ensemble.
Le train d’atterrissage n’exigeait qu’un nettoyage et une nouvelle finition, mais les roues à rayons étaient rouillées et leur remise en état aurait nécessité un démontage complet. Heureusement, Canadair, encore une fois, proposa de les nettoyer dans ses ateliers avec une machine aux ultra-sons.
Dans l’ensemble, les ailes n’avaient besoin que de réparations mineures. Toutefois, l’appareil avait subi un accident lors duquel la ferrure d’encastrement du longeron avant supérieur gauche avait été arrachée et la nervure caisson d’extrémité avait été gravement endommagée. Les réparations effectuées à l’époque étant très sommaires, il a fallu réparer le longeron et façonner une nouvelle nervure-caisson. Il a fallu également fabriquer de nouvelles pièces pour remplacer tous les bords de fuite ainsi que les quatre ailerons qui étaient voilés.
Le moteur [Curtiss] OX-5 livré avec l’appareil fut révisé et exposé à part, un second OX-5 ayant été installé à bord de l’appareil après révision. L’hélice de fabrication américaine qui équipait l’appareil au moment de sa prise en compte fut remplacée par une hélice reçue en don de Canadian Aeroplanes, qui fut remise en état et installée.
Comme le travail d’enduisage présentait des risques d’incendie et n’était pas autorisé dans les locaux du Musée, l’entoilage et l’enduisage furent effectués par Personal Plane Services selon les spécifications du Musée. La méthode d’entoilage du JN-4(Can.) était particulière et il a fallu une recherche minutieuse pour en cerner tous les détails.
Fin de la citation.
Le Canuck est peint aux couleurs et marques d’une machine de la 85ème escadrille d’entraînement canadienne. Ces couleurs et marques incluent évidemment l’insigne de cette unité, un magnifique chat noir.
Et non, ces couleurs et marques ne sont pas portées par le Canuck avant cette époque. Ce sont des couleurs et marques bidon. Avant de péter une coche, ami(e) lectrice ou lecteur, vous voudrez peut-être noter que cette pratique, mal vue en 2022, est assez courante et acceptée dans les années 1960.
Le personnel du musée complète la restauration du Canuck en mai 1964.
Il est à noter que le capot de la véritable machine de la 85ème escadrille d’entraînement canadienne n’est pas vert. Nenni. Il est brun kaki. Et oui, le musée pourrait songer un jour ou l’autre à repeindre son Canuck. (Bonjour, EG!)
Souhaitez-vous en savoir plus long sur le Canuck et son histoire, ami(e) lectrice ou lecteur avide de savoir? Oui? J’en suis ravi.
Votre pot-de-vin est dans le courrier. Faites-moi confiance.
Notre histoire commence en 1914, dans les semaines et mois qui suivent le début de la Première Guerre mondiale. Curtiss Aeroplane Company, une société fondée par Glenn Hammond Curtiss, un ex-membre de la Aerial Experiment Association (AEA), souhaite en effet convaincre le gouvernement fédéral / canadien de créer une force aérienne. Tant cette importante société que John Alexander Douglas McCurdy, son principal représentant canadien, espèrent par ailleurs fournir des aéroplanes et pilotes au Royaume-Uni. Ces premiers efforts échouent.
Vous vous souviendrez évidemment que Curtiss est mentionné dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2018. Il en va de même de McCurdy, mentionné à plusieurs reprises depuis septembre 2017, mais revenons à notre récit. Oh oui, la AEA est mentionnée à quelques / plusieurs reprises yadda yadda depuis octobre 2018 et Curtiss Aeroplane est mentionnée dans des numéros de septembre 2017, septembre 2020 and juillet 2021 de notre yadda yadda itou.
Au début de 1915, Curtiss Aeroplane signe un contrat avec la force aérienne de la Royal Navy britannique, le Royal Naval Air Service (RNAS), visant à former des pilotes au Canada. La Curtiss Flying School ouvre ses portes à Toronto, en mai 1915. Elle offre une formation sur avions et hydravions. Espérant que le RNAS va commander des avions ou hydravions, Curtiss Aeroplane fonde Curtiss Aeroplanes & Motors Limited à Toronto, en février 1915. Comme de fait, le RNAS ne tarde pas à commander 50 aéroplanes Curtiss JN-3 à la nouvelle firme. Pour une raison ou pour une autre, toutefois, tout juste 18 sont produits, en 1915.
Cela étant dit (tapé?), ces biplans biplaces sont les premiers aéronefs produits en série au Canada, de même que les premiers aéronefs produits en série pour un client étranger. En effet, 12 des 18 JN-3 sont exportés vers le Royaume-Unis, les 6 autres volant avec la Curtiss Flying School.
Il est à noter que 80 à 85 JN-3 fabriqués par Curtiss Aeroplane sont exportés vers le Royaume-Unis. De fait, à peine 2 exemplaires de la centaine de JN-3 produits aux États-Unis et au Canada portent les couleurs américaines. Ils servent au sein de la Aviation Section du USASC.
Au printemps de 1916, des représentants canadiens et, surtout, britanniques se penchent sur des propositions inspirées d’un projet présenté par un financier torontois d’origine britannique, Augustus George Cuthbert Dinnick. Ce projet se résume en deux coups de cuillère à pot : formation d’équipages dans une école placée sous le contrôle de la Royal Navy et de la British Army, et fabrication d’avions d’entraînement dans une usine qui, elle aussi, appartiendrait aux Britanniques. Ces discussions bilatérales découlent de l’intérêt manifesté par le Imperial Munitions Board (IMB), un organisme britannique créé en novembre 1915 par le Ministry of Munitions britannique et des hommes d’affaires canadiens afin de superviser la production de matériel de guerre au Canada.
Et pourquoi un organisme britannique est-il créé en 1915 afin de superviser la production de matériel de guerre au Canada, vous demandez-vous? Et bien, très peu de temps après le début de la Première Guerre mondiale, le War Office, autrement dit le département / ministère britannique en charge de la British Army, approche le ministère de la Milice et de la Défense du Canada pour voir si des obus d’artillerie peuvent être produits au Canada.
Le talentueux et charismatique ministre de la Milice et de la Défense, Samuel « Sam » Hughes, nomme un Shell Committee, ou comité des obus, en septembre 1914 pour superviser cette production au nom du War Office. Lorsque la sérieuse inclination de Hughes envers le patronage et le clientélisme conduit à une pillerie généralisée, un premier ministre britannique inquiet, David Lloyd George, envoie un ami de confiance au Canada pour enquêter. Les nouvelles sont mauvaaaaises.
Les Britanniques poussent à la création de ce qui devient le IMB, une décision approuvée par un premier ministre canadien inquiet. Robert Laird Borden est très conscient que son ministre a mal géré et continue de mal gérer l’effort de guerre du Canada. Un Hughes de plus en plus isolé et impopulaire, en particulier au Québec où cet orangiste est perçu à juste titre comme un francophobe anticatholique, est pratiquement contraint de démissionner en novembre 1916, mais revenons à notre histoire – et aux aéroplanes.
Malheureusement, et malgré les efforts évoqués avant notre parenthèse Hughes-ienne, les parties demeurent très éloignées. Les militaires britanniques sont sceptiques et le gouvernement fédéral, toujours dirigé par Borden, refuse poliment de s’impliquer financièrement.
A la fin de l’été 1916, la situation commence à changer peu à peu. Les pertes du RFC atteignent en effet un seuil critique. Il faut agir et augmenter les effectifs. Les projets d’écoles et d’usine au Canada revêtent dorénavant une importance vitale, d’autant plus que de nombreux jeunes Canadiens, des anglophones surtout, semblent souhaiter voler au secours de la mère-patrie. Au mois d’octobre, Borden et son gouvernement acceptent la mise en place du programme d’entraînement britannique. A partir de cet instant, les progrès sont rapides.
Le IMB achète tous les biens et avoirs de Curtiss Aeroplanes & Motors et une usine nationale, ou National Factory, la susmentionnée Canadian Aeroplanes, fait son apparition en décembre. Elle peut déjà compter sur un contrat très important : 200 JN-3.
Le RFC (Canada) / Imperial RFC, devenu la Royal Air Force (Canada), ou RAF (Canada), en avril 1918, fait également son apparition, afin de superviser le programme d’entraînement.
Canadian Aeroplanes compte parmi les 7 usines nationales établies au Canada par le IMB. Cette organisation souhaite utiliser ces usines pour attirer vers le Canada des commandes qui, autrement, ne peuvent qu’aller aux États-Unis, un pays neutre encore à cette époque.
La petite usine de Curtiss Aeroplanes & Motors ne répondant pas aux besoins du vaste programme de formation envisagé par les Britanniques, Canadian Aeroplanes entreprend la construction d’une usine ultramoderne, ailleurs à Toronto. Fortement accaparé par de nombreux dossiers, le gouvernement fédéral préfère ne pas participer au programme d’entraînement de pilotes mis sur pied au Canada par le Royaume-Uni. Tout au plus accepte-t-il de financer la construction de l’usine de Canadian Aeroplanes.
Répondant à un souhait exprimé par son client, le RFC, Canadian Aeroplanes modifie un tant soit peu les plans du JN-3. Le premier avion d’entraînement Curtiss JN-4 Canuck vole en janvier 1917. La production débute rapidement et les contrats ne tardent pas à s’additionner.
Une brève digression si vous me le permettez. La désignation même du Canuck porte à confusion. Voyez-vous, Curtiss Aeroplane conçoit sa propre version modifié du JN-3, baptisée, vous l’aurez deviné, JN-4. Cette machine est toutefois surnommée Jenny, comme cela est dit (tapé?) au début de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin. Les historiens et passionnés d’aviation qui examinent des photographies de Canuck et Jenny s’arrachent les cheveux depuis un siècle tant il peut être difficile d’identifier laquelle des deux machines se trouvent devant eux. Votre humble serviteur ne cède toutefois pas à cette exaspération. Nenni. Pas de crise de colère Canuck-ienne pour moi. Nenni. Mon calme olympien et mon alopécie androgénétique m’empêchent d’aller là et...
Qu’avez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? La signification de cette expression du terroir / pays vous échappe? Soupir… La qualité de l’éducation offerte en ce monde a bien diminué depuis ma lointaine jeunesse. Enfin, sachez-donc que alopécie androgénétique signifie calvitie masculine. Cur simplici vocabulo uti si tam bene complicatum verbum facit officium? En d’autres mots, pourquoi utiliser un mot simple si un mot compliqué fait si bien son travail? N’est-ce pas là la devise des conservateurs des musées du monde entier? (Bonjour EG, EP, etc.!) Désolé.
Veuillez noter que le Canuck est parfois / souvent désigné JN-4 (Can.) pour le distinguer de son quasi-homonyme américain, mais je digresse.
La Aviation Section du USASC suit de près les progrès de Canadian Aeroplanes. Le président américain, Thomas Woodrow Wilson, déclare en effet la guerre à l’Empire allemand en avril 1917. Du coup, le USASC a grand besoin d’aéroplanes. En juillet 1917 et, une seconde fois, en 1918, il commande des Canuck. Le USASC commande évidemment des Jenny. De fait, ce service et la United States Navy commandent plus de 6 000 exemplaires de cette machine. Aux dires de certains, plus de 90 % des pilotes militaires formée aux États-Unis pendant la Première Guerre apprennent à piloter à bord de Jenny ou Canuck.
Les écoles du RFC (Canada) / RAF (Canada) reçoivent en fin de compte environ 530 Canuck. Plus de la moitié des 1 210 aéroplanes produits, soit 680 Canuck, sont livrés à la Aviation Section du USASC. Il s’agit là du premier exemple d’exportation d’importance d’aéronefs produits en série au Canada.
Une brève digression si vous me le permettez. Le capitaine Brian Peck et le caporal C. W. Mathers, tous deux membres de la Royal Air Force (RAF), effectuent le premier vol postal aérien official au Canada à bord d’un Canuck, transportant environ 120 lettres de Montréal, Québec, à Toronto, le 24 juin 1918. Et oui, votre humble serviteur sait que le cachet de la poste sur les enveloppes dit 23 juin. Dans les faits, ce vol historique est presque accidentel.
Voyez-vous, Peck (et Mathers?) prévoi(en)t initialement voler de Toronto à Montréal afin de ramener une caisse de whisky destinée à bien arroser le mariage d’un collègue. Voyez-vous, encore, le gouvernement dirigé par William Howard Hearst impose la prohibition en Ontario en 1916, afin d’aider l’effort de guerre du Canada. Les vineries de même que les diverses brasseries et distilleries ontariennes demeurent toutefois ouvertes afin de desservir le marché d’exportation, principalement américain, mais pas le marché local. Hearst, soit dit en passant, est mentionné dans un numéro de décembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin.
Peck obtient la permission de se rendre à Montréal sous le prétexte d’y effectuer d’une démonstration de voltige et un largage de tracts pour encourager le recrutement dans la RAF. Des représentants de la Canadian Division of the Aerial League of the British Empire ont toutefois vent de l’affaire. Le vol de Peck serait selon eux un bon moyen de démontrer l’utilisation d’aéroplanes pour livrer le courrier. La RAF (Canada) juge l’idée excellente. Peck peut ou non être d’accord avec cette évaluation.
Et oui, la Aerial League of the British Empire est mentionnée dans un numéro de janvier 2022 de notre blogue / bulletin / machin. Vous vous souviendrez bien sûr que cette organisation est connue sous le nom de Air League en 2022, le mot empire restant en travers de la gorge d’innombrables personnes dont les terres ont été ravagées / pillées / occupées / exploitées / envahies par le Royaume-Uni.
Au fait, savez-vous pourquoi le Soleil ne se couchait jamais sur l’Empire britannique? Tout simplement parce que Dieu elle-même ne faisait pas confiance aux Anglais dans l’obscurité. Désolé. Chose intéressante, une des premières versions de ce bon mot, voire même la première, peut, je répète peut, provenir du Québec. Je ne plaisante pas.
À Montréal, Québec, lors d’un débat acrimonieux au cours de Guerre anglo-boer / Guerre des Boers / Guerre sud-africaine / Seconde Guerre des Boers de 1899-1902, un député indépendant québécois bien connu, Joseph Napoléon Henri Bourassa, tente d’expliquer, en bon anglais, son opposition à ce terrible conflit lorsqu’un chahuteur, qui n’aurait probablement pas pu commander une tasse de thé en français si sa vie en dépendait, crie que, vous l’aurez deviné, le soleil ne se couche jamais sur la gloire de l’Empire britannique. Vif d’esprit, Bourassa répond apparemment que cela ne fait que prouver que, vous l’aurez encore deviné, même Dieu ne fait pas confiance aux Britanniques dans l’obscurité.
Avertissement - La digression suivante pourrait être très dérangeante.
Saviez-vous que, entre juin 1901 et mai 1902, environ 24 000 civils sud-africains noirs et environ 28 000 civil(e)s boers, dont environ 22 000 enfants, meurent de causes diverses, surtout la faim et la maladie, dans les camps de concentration britanniques. Si, si, les camps de concentration britanniques. Très, très respectueusement, qui donc croyez-vous semble avoir inventé ce type de camp? Le but de l’exercice est de forcer la reddition des soldats boers qui combattent encore. En d’autres termes, s’ils refusent de se rendre, leurs familles sont emprisonnées dans les camps, après la destruction de leurs fermes.
Les 28 000 morts boers représentent environ 10 % de la population boer – et un pourcentage bien plus grand (20 à 25 % peut-être, voire même davantage?) de la population enfantine. En termes de 2022, ces pourcentages représentent environ 6 700 000 de civil(e)s britanniques mort(e)s, y compris 2 800 000 à 3 500 000 enfants britanniques morts, sinon plus.
Faut-il s’étonner que de très nombreuses et nombreux Boers vouent une haine féroce aux Britanniques et Anglo-Sud-Africains pendant des années après la fin de la Guerre des Boers?
Incidemment, des jeunes Canadiens anglophones qui s’étaient enrôlés avec enthousiasme pour combattre dans la guerre des Boers sont tout simplement horrifiés par ce que le haut commandement de la British Army ordonne à bon nombre d’entre eux de faire. Ils ne s’étaient pas enrôlés pour systématiquement détruire des fermes, confisquer des animaux, et forcer des femmes, enfants et personnes âgées en pleurs et terrorisées dans des camps de concentration. L’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais n’est peut-être pas aussi glorieux que le croyaient ces jeunes Canadiens.
Une pensée si je peux me le permettre. On peut se demander si, lorsqu’ils sont à l'école, ces jeunes Canadiens sont soumis à des tirades patriotiques / jingoïstes similaires à celles que l’enseignant allemand connu sous le nom de Kantorek inflige à ses élèves dans le roman allemand classique de 1929 Im Westen nichts Neues, en français À l'Ouest, rien de nouveau, rédigé par un vétéran de la Première Guerre mondiale, Erich Maria Remarque, né Erich Paul Remark. Je vous dis ça comme ça, moi.
Et oui, le gouvernement britannique dirigé par le marquis de Salisbury, né Robert Arthur Talbot Gascoyne-Cecil, déploie beaucoup d’efforts pour minimiser / dissimuler l’étendue de ce qui pourrait bien être un crime contre l’humanité. Fin de la digression.
Peck et Mathers décollent de la base de la RAF (Canada) de Leaside, Ontario, non loin de Toronto, le 20 juin et atterrissent au terrain du Montreal Polo Club, à Bois-Franc, Québec, près de Cartierville – et de Montréal. De fortes pluies entraînent l’annulation de la démonstration de voltige, le 22 juin, et une mauvaise visibilité ne permet pas à Peck et Mathers de voler le jour suivant, le 23 juin – date prévue du vol postal.
Peck et Mathers prennent par conséquent l’air le 24 juin, avec un sac de 120 lettres – et une caisse de whisky écossais, du Old Mull si vous devez le savoir, transportée au mépris de la législation prohibitionniste ontarienne bien sûr. Leur Canuck est à ce point surchargé qu’il doit voler au ras des arbres jusqu’à Kingston, Ontario, afin de faire le plein. Cet arrêt étant imprévu, Peck et Mathers doivent remplir les réservoirs de carburant du Canuck avec de l’essence pour automobile. Le duo dynamique atterrit par la suite à la base de la RAF (Canada) de Deseronto, Ontario, où il fait le plein avec de l’essence pour aéroplanes. Un atterrissage à Leaside complète l’expédition.
Peck monte alors à bord d’une automobile, au vu et au su de tout le monde, avec le sac de courrier et se rend au General Post Office de Toronto. Mathers monte à bord d’un autre véhicule, beaucoup plus discrètement on l’imagine, et va livrer le whisky.
Curieusement, la plaque commémorative érigée par la Ontario Heritage Foundation du Ministry of Culture, Tourism and Recreation de l’Ontario pour commémorer le vol historique de Peck et Mathers ne mentionne pas la caisse de whisky, mais je digresse.
Les ateliers de Canadian Aeroplanes, tout neufs et bien équipés, tournent à un rythme tel que la firme ne tarde pas à être reconnue partout en Amérique du Nord pour sa vitesse et pour la qualité de son travail. De fait, Canadian Aeroplanes est sans nul doute la meilleure des usines nationales canadiennes.
Le coût de chaque Canuck fabriqué à Toronto baissant peu à peu au fil des mois, le RFC (Canada) économise des sommes appréciables, un privilège auquel le USASC ne semble pas avoir droit. Dommage, c’est triste.
Canadian Aeroplanes produit en 1917 un unique exemplaire du D.H.6, un biplan britannique conçu par Aircraft Manufacturing Company. Certains hauts gradés du RFC basés au Royaume-Uni souhaitent en effet qu’un second avion d’entraînement biplace soit disponible au Canada, au cas où. Canadian Aeroplanes, quant à elle, craint que ce projet ne retarde les livraisons de Canuck. Le commandant du RFC (Canada), le lieutenant-colonel Cuthbert Gurney Hoare, se penche sur la question. Le Canuck faisant assez bien l’affaire, le D.H.6 n’est pas produit en série au Canada.
D’autres hauts gradés, dont Hoare, se demandent toutefois si un monoplace un peu plus fringant, muni d’un moteur rotatif comparable à celui de nombreux avions de combat utilisés par le RFC, n’améliorerait pas la formation offerte dans les écoles de pilotage basées au Canada. L’aéroplane choisi est le Sopwith Pup, un biplan de chasse monoplace d’excellente qualité. Le moteur choisi pour la version canadienne de cet aéroplane serait produit aux États-Unis et c’est là que le bât blesse. Le moteur pouvant ne pas être disponible, le programme de production du Pup doit être abandonné.
Le premier des deux Type 504 canadiens produits vole en octobre 1918, un tantinet plus tard que prévu. La signature de l’Armistice, en novembre, entraîne l’annulation de la commande.
Et oui, la formidable collection du Musée de l’aviation et de l’espace comprend un Pup et deux Type 504.
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, le Canuck et le Jenny ont tous deux une longue carrière une fois la Première Guerre mondiale terminée. Des pilotes forains et des petits opérateurs américains et canadiens utilisent en effet des centaines de ces machines, et ce pendant plusieurs années, jusqu’aux années 1930 dans certains cas.
Amusez-vous bien, ami(e) lectrice ou lecteur. Cela étant dit (tapé?), la modération n’est pas que pour les moines. Le respect de la loi et de la simple décence non plus.
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