Chez Perron, tout est bon : Un géant de l’horticulture québécoise et canadienne, Wilfrid-Henri Perron (1897-1977)
J’ai une terrible confession à faire, ami(e) lectrice ou lecteur. Je n’ai pas le pouce vert. Loin de là. Cela étant dit (tapé?), j’aime bien les plantes et les fleurs. C’est dans ce contexte que j’aimerais pondre un bref texte sur un géant de l’horticulture québécoise et canadienne, Wilfrid-Henri Perron.
Notre saga commence en avril 1897 avec la naissance de Perron, à Saint-Philippe-de-Chester, aujourd’hui Chesterville, Québec. Son enfance et sa jeunesse sont somme toute sans histoire, à cela près que sa passion pour la culture des fleurs et légumes, à l’intérieur du domicile familial, agace parfois ses frères et sœurs. La famille Perron compte alors parmi les rares familles protestantes (méthodistes) de la région.
Et oui, Perron doit son prénom au premier ministre Henri Charles Wilfrid Laurier, le premier premier ministre francophone du Canada (1896-1911) et un gentilhomme mentionné dans des numéros de juillet 2019 et novembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin.
Incidemment, le second francophone à obtenir le poste est Louis Stephen Saint-Laurent, plus de 50 ans plus tard (1948-57). St-Laurent est mentionné dans des numéros de juillet 2019 et octobre 2020 de ce même blogue / bulletin / machin.
Perron obtient un certificat spécialisé en français de McGill University de Montréal, Québec, en 1917. Il enseigne le français et l’anglais pendant quelques mois en 1916-17.
En 1917, Perron s’enrôle dans l’Artillerie canadienne de campagne, un service du Corps expéditionnaire canadien créé afin de combattre outremer pendant la Première Guerre mondiale. Il s’entraîne au Royaume-Uni jusqu’à la signature de l’Armistice, en novembre 1918.
C’est au cours de son séjour au Royaume-Uni que Perron acquiert ses premières notions solides en horticulture. Il suit en effet au moins un cours offert par le Khaki College of Canada, ou Khaki University of Canada, un ensemble d’environ 15 à 20 centres d’enseignement créés en 1917 dans des camps et hôpitaux militaires avec l’aide d’une ou quelques branches canadiennes de la Young Men’s Christian Association. Plus de 50 000 soldats canadiens assistent régulièrement à des cours dans divers domaines (agriculture, commerce, langues et science pratique), présentés sous forme de conférences, entre 1917 et 1919. Environ 230 000 soldats canadiens, soit plus du tiers (!) du Corps expéditionnaire canadien, assistent à une ou quelques conférences.
Croiriez-vous que l’activiste politique / critique / dramaturge / polémiste irlandais George Bernard Shaw compte parmi les conférenciers qui participent à cette initiative des plus appréciée? Permettez-moi de mentionner également George MacKinnon Wrong, directeur du Department of History de la University of Toronto, à Toronto, Ontario, et Frank Hawkins Underhill, professeur d’histoire à la University of Saskatchewan, à Saskatoon, Saskatchewan, qui devient après la guerre un critique social / essayiste / historien / journaliste / penseur politique bien connu.
Un des fondateurs du Khaki College of Canada est le colonel Henry Marshall Tory, le président de la University of Alberta, à Edmonton, Alberta, avant la Première Guerre mondiale et président fondateur du Carleton College, l’actuelle Carleton University de Ottawa, Ontario. Tory est mentionné dans un numéro de février 2021 de notre blogue / bulletin / machin.
Le Khaki College of Canada / Khaki University of Canada occupe un place non négligeable mais un peu oubliée dans l’histoire de l’enseignement supérieur au Canada
Et oui, Perron profite de l’occasion qui s’offre à lui pour visiter quelques grands centres horticoles britanniques.
Perron revient d’Europe en 1919 et entame des études en horticulture au Macdonald College de McGill University, à Sainte-Anne-de Bellevue, Québec. Il paye ses études en gardant des enfants, en rédigeant de brefs articles sur l’horticulture, en supervisant le personnel de la ferme de recherche en horticulture du Macdonald College, en tondant des pelouses, en travaillant pour un maraîcher, et en vendant des abonnements à des quotidiens montréalais (Le Devoir, The Gazette et La Presse).
Perron obtient son baccalauréat en science agricole en 1923. Mieux encore, il remporte le prix décerné (annuellement?) par le ministre de l’Agriculture du Québec, à l’époque Joseph-Édouard Caron – le premier agriculteur à occuper le poste depuis 1867. On croit rêver.
Une brève digression si vous me permettez. Croiriez-vous que le Musée de l’aviation de Montréal occupe au moins un édifice sur le site du Macdonald College? Le dit musée voit le jour en 1998 grâce aux efforts de Hubert Martyn Pasmore, le président fondateur de Fairchild Aircraft Limited de Longueuil, Québec – une avionnerie québécoise / canadienne bien connue mentionnée à quelques reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis août 2018. Et oui, Pasmore est quant à lui mentionné dans un numéro de mai 2021 de cette même publication, mais revenons au personnage principal de notre récit d’aujourd’hui.
Perron décroche un emploi avec un important grainetier de Montréal, Dupuy & Ferguson Limited, à l’automne 1923. De nombreux maraîchers de la région montréalaise ne tardent pas à découvrir les multiples talents de ce jeune diplômé, ce qui entraîne une augmentation du chiffre d’affaires de Dupuy & Ferguson. De fait, Perron devient gérant des ventes en 1927.
Cette même année 1927, Perron obtient une bourse d’étude de deux ans grâce à une recommandation du principal et vice-chancelier de McGill University, sir Arthur William Currie, le commandant du Corps canadien, la principale unité du susmentionné Corps expéditionnaire canadien, entre 1917 et 1919. La dite bourse permet à Perron de se rendre en France et, plus précisément, à l’École nationale d’horticulture et, par la suite, à l’École théorique et pratique d’arboriculture, situées à Versailles et Saint-Mandé, non loin de Paris.
Si Perron profite de l’occasion qui s’offre à lui pour visiter des grands centres horticoles allemands, belges, britanniques, français et italiens, il n’en néglige pas pour autant ses études. Nenni. Croiriez-vous qu’il complète son cours de 2 ans en 1 an? Mieux encore, son diplôme porte la mention « très bien. »
De retour à Montréal en 1928, Perron demande à la direction de Dupuy & Ferguson de lui accorder une augmentation de salaire. Celle-ci refuse. Perron ne tarde pas à remettre sa démission. Il souhaite se lancer en affaire à son propre compte. Il a en effet quelques économies et des amis prêts à l’aider.
En novembre 1928, un trio d’avocats montréalais, Maurice Dugas, Léon Faribault et Gordon M. Webster, fondent une firme aux multiples activités liées aux plantes, W.H. Perron & Company Limited, connue un peu plus informellement sous le nom de W.H. Perron & Compagnie Limitée.
Détail intéressant, cette dernière raison sociale semble apparaître pour la première fois dans Gazette officielle du Québec en 1974. À cette époque, la firme se trouve à Laval, Québec, depuis environ 20 ans.
Décorateur paysagiste émérite, Perron oriente les activités de la firme éponyme vers la vente de semences et d’accessoires de jardins, de même que de services de décoration paysagiste, le tout dirigé vers une clientèle de jardiniers amateurs et de professionnels.
Le premier catalogue de semences de W.H. Perron, alors rédigé en anglais seulement car sa clientèle potentielle est majoritairement anglophone, paraît à l’automne 1929.
Le premier d’une longue série de catalogues de vente par correspondance bilingues publiés et distribués gratuitement par W.H. Perron paraît en 1930. Perron en rédige lui-même les textes, sur la table de la cuisine de sa résidence. Les semences vendues par W.H. Perron proviennent alors de l’étranger (États-Unis, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, etc.).
Croiriez-vous que, avant même la fin des années 1930, plus de 100 000 exemplaires de cet ouvrage sont publiés? Les dits exemplaires se trouvent dans des foyers canadiens (Nouveau-Brunswick, Ontario et Québec) et américains (Nouvelle-Angleterre).
Le dit catalogue, un des plus complets en Amérique du Nord et le seul à être disponible en français et en anglais, initie quelques générations de Québécoises et Québécois aux techniques de production agricole. C’est au plus tard en 1935 que ces personnes voient ou entendent pour la première le slogan bien connu de la firme : Chez Perron tout est bon.
Soit dit en passant, Perron encourage (financièrement?) un de ses jeunes frères à entreprendre des études à la Cornell University, à Ithaca, New York. En 1937, Louis Joseph Perron devient le premier architecte paysagiste francophone diplômé au Québec, et au Canada. Employé par son frère pendant de nombreuses années, et ce depuis 1927-28 environ, il ouvre son bureau d’architecte en 1948. À la fois modeste et brillant, Perron compte parmi les pionniers de l’urbanisme québécois et canadien. Ses réalisations se comptent par centaines, au Québec et en Ontario, mais revenons à son frère aîné, le Perron qui nous préoccupe aujourd’hui.
Les commandes postales reçues par W.H. Perron, déjà fort satisfaisantes au cours des années 1930, augmentent considérablement au cours de la Seconde Guerre mondiale. Vous savez évidemment, féru(e) d’histoire vous l’êtes, ami(e) lectrice ou lecteur, que de très nombreuses personnes demeurant dans les villes du Canada ensemencent plus de 200 000 jardins potagers, dits jardins de la Victoire, au cours de ce terrible conflit. Comment ces personnes obtiennent-elles les semences nécessaires? Par la poste, dites-vous? Bonne réponse. Vous avez droit à une étoile dorée, et… Une étoile dorée, pas trois! Soupir…
Croiriez-vous que le ministère de l’Agriculture fédéral ne voit pas d’un très bon œil la création de cette multitude de jardins potagers d’un océan à l’autre? Il craint que le manque d’expérience des jardiniers en herbe n’entraîne un gaspillage de ressources, que ce soit des semences ou des fertilisants. Ce n’est qu’en 1943, après de nombreuses protestations et une fois le risque de pénurie passé, que le ministère donne sa bénédiction aux jardins de la Victoire, mais je digresse.
À partir de 1959, les clientes et clients de W.H. Perron peuvent acheter des arbres, arbustes et plantes vivaces produites sur des terrains appartenant à la firme. Cela étant dit (tapé?), la firme peut avoir exploité une pépinière avant cette date.
Une brève digression si vous me le permettez. Votre humble serviteur n’a pas la moindre idée de la place occupée par Perron entre 1928 et 1969. Était-il un des dirigeants ou le seul dirigeant? Ce statut change-t-il au fil des décennies? Mystère…
Perron prend sa retraite en 1969. Son fils ainé, l’agronome Henri Wilfrid Perron, reprend le flambeau. Cela étant dit (tapé?), Perron père continue de cultiver, expérimenter, greffer, planter et transplanter dans une maisonnette qui se trouve sur une pépinière de la firme familiale. Il entame par ailleurs la rédaction d’un livre qu’il souhaite laisser en héritage aux jardiniers et horticulteurs, ainsi qu’à sa famille.
Début mai 1971, une importante maison d’édition de Montréal, les Éditions de l’Homme Limitée, lance l’Encyclopédie du jardinier horticulteur rédigée par Perron père, une brique abondamment illustrée (couleur et noir et blanc) de plus de 400 pages destinée aux jardiniers et horticulteurs amateurs / en herbe. Les critiques de l’époque sont unanimes pour vanter la qualité de cet ouvrage de qualité, rédigé par un des experts québécois / canadiens en la matière. De fait, les plantes mentionnées par Perron père dans son encyclopédie, son premier et dernier ouvrage, se retrouvent toutes en sol québécois.
L’Encyclopédie du jardinier horticulteur est le premier ouvrages du genre destiné au grand public depuis la parution de l’ouvrage Embellissons nos demeures de l’abbé architecte paysagiste Gérard Bossé, en 1947 – un détail que Perron père mentionne à au moins un journaliste venu l’interviewer.
De fait, croiriez-vous que le sous-titre de ‘Encyclopédie du jardinier horticulteur est « Embellissons nos demeures en approfondissant nos connaissances en horticulture? »
L’ouvrage de Perron père fait partie d’une collection lancée en 1971 par les Éditions de l’Homme. L’Encyclopédie de l’Homme comprend apparemment 7 titres parus entre 1971 et 1979 :
- l’Encyclopédie du jardinier horticulteur,
- l’Encyclopédie des antiquités du Québec : Trois siècles de production artisanale,
- l’Encyclopédie de la maison québécoise,
- l’Encyclopédie des oiseaux du Québec,
- l’Encyclopédie du Québec (2 volumes),
- l’Encyclopédie de la chasse au Québec, et
- l’Encyclopédie de la santé de l’enfant.
Mais je digresse.
En 1975, un professeur d’horticulture ornementale renommé à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval de Québec, Québec, Roger Van den Hende, prend sa retraite. La dite faculté souhaite toutefois continuer à développer la recherche et l’enseignement dans ce domaine. Conscients à la fois de ce fait et de l’engouement du grand public pour l’horticulture, Perron père, des membres de sa famille et la firme familiale remettent une importante somme d’argent à la faculté en 1976, et ce afin de créer une chaire qui devient par la suite la Chaire en horticulture ornementale W.H. Perron. La dite chaire existe encore en 2021. Son titulaire est le professeur émérite Jacques-André Rioux.
Perron père quitte ce monde en août 1977, à l’âge de 80 ans.
Une réorganisation de W.H. Perron peut, je répète peut, avoir lieu en 1987. En effet, le Groupe W.H. Perron Incorporé voit le jour en janvier de cette année-là. Mentionnons par ailleurs que Henri Wilfrid Perron prend sa retraite en 1989.
Ces événements peuvent être liés au fait qu’un groupe d’employé(e)s et de gestionnaires de l’extérieur acquièrent les parts de la firme détenues par la famille Perron, prenant ainsi le contrôle du Groupe W.H. Perron.
L’achat d’une importante firme canadienne de vente de semences par correspondance, Dominion Seed House Incorporated de Georgetown, Ontario, en 1993, marque les débuts de l’expansion du Groupe W.H. Perron hors des frontières du Québec.
Cela étant dit (tapé ?), vers 1993-94, la firme vend les centres de jardinage W.H. Perron de même que la marque de commerce W.H. Perron à une importante firme canadienne de vente de semences par correspondance, White Rose Crafts and Nursery Sales Limited de Unionville, Ontario.
Délectée d’une partie de sa charge, une des plus importantes firmes canadiennes de vente de semences par correspondance voit ainsi le jour en 1994 : Norseco Incorporée de Laval. Les divisions qui postent les dites semences sont HortiClub au Québec et Dominion Seed House ailleurs au Canada.
Malheureusement, tout ne baigne pas dans le fertilisant liquide pour White Rose Crafts and Nursery Sales. L’achat des centres de jardinage W.H. Perron et de la marque de commerce éponyme, sans parler de la place de plus en plus grande qu’occupent des magasins grande surface, font peu à peu disparaître les profits de la firme. White Rose Crafts and Nursery Sales doit avoir recours à la protection de la loi sur les faillites en novembre 1998.
Le redressement des finances de la firme, qui devient White Rose Home and Garden Centres Limited en 1999, entraîne la fermeture de 10 de ses 42 magasins, y compris les 8 qui se trouvent au Québec – apparemment jugés moins essentiels. Le dit redressement ne parvient toutefois pas à sauver les meubles. White Rose Home and Garden Centres doit déclarer faillite en juin 2002. En août, un homme d’affaires de Vancouver, Colombie-Britannique, se porte acquéreur de 24 magasins qui ouvrent de nouveau leurs portes sous la bannière de White Rose Home and Garden Centres. Neuf magasins ayant fermés leurs portes au plus tard en janvier 2004, la firme doit déclarer faillite encore une fois.
Vous vous demandez sans doute ce que fait Norseco fait pendant tout ce temps. Si, si, ne le niez pas. Le fait est que les choses vont plutôt bien merci. En 2013, alors que les commandes placées en ligne gagnent en importance, HortiClub change de nom pour (re)devenir W.H. Perron. Trois ans plus tard, en 2016, la marque de commerce Dominion Seed House disparaît, ce qui fait de W.H. Perron la seule marque de commerce de Norseco. Celle-ci compte en 2021 parmi les plus importantes firmes canadiennes de vente de semences par correspondance / internet.
Verriez-vous une quelconque objection à écouter la chanson Je ferai un jardin, datant de 1975, de l’actrice / chanteuse / écrivaine / humoriste / scénariste québécoise Clémence Irène Claire DesRochers – une grande artiste née à Sherbrooke, Québec, tout comme votre humble serviteur?
Je dois avouer bien aimer la version chantée par Renée Claude, née Marie Suzy Renée Bélanger, une grande chanteuse mentionnée dans des numéros de juillet 2018 et septembre 2020 de notre blogue / bulletin / machin, et une des figures phares des années 1970 au Québec, une époque pleine d’espoir et de liberté, une époque pendant laquelle le Québec connaît un grand essor culturel.