Parlons d’art, humaines et humains. Tous les humains. Plus fort maintenant. Aidez-moi. – Wolfram F. Niessen, John Cullen Nugent et les sculptures grandeur nature en alliage d’aluminium de grues blanches créées pour le Regina Municipal Airport
Parlons (lisons ?) en effet d’art, d’art aéroportuaire pour être plus précis, ami(e) lectrice ou lecteur.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les aérogares des plus grands aéroports du Canada ne sont en aucun cas d’immenses bâtiments. De fait, on pourrait dire que, physiquement et émotivement, ils ressemblent beaucoup à des stations d’autobus. Au fur et à mesure que le désir accumulé des passagères et passagers de voyager est libéré, ces aérogares deviennent de plus en plus achalandées. En 1946, environ 837 000 personnes voyagent par avion au Canada. En 1956, environ 3 924 000 personnes font de même, soit une augmentation d’environ 16.7 % par an. Assez naturellement, les aérogares du Canada deviennent rapidement inadéquates. Elles sont jugées vétustes, honteuses et / ou embarrassantes.
En conséquence, le ministère des Transports du Canada lance un projet de construction d’aérogare au milieu des années 1950. Ce projet mène à l’inauguration, entre 1958 et 1968, de 8, je crois, grands bâtiments de ce type situés dans de grands aéroports en Alberta (Edmonton), Colombie-Britannique (Vancouver), Manitoba (Winnipeg), Nouvelle-Écosse (Halifax), Ontario (Ottawa et Toronto), Québec (Montréal) et Terre-Neuve (Gander). Pas moins de 14 bâtiments de taille moyenne sont construits dans 14 aéroports de taille moyenne.
Et oui, le Musée national de l’aviation, comme s’appelle le Musée de l'aviation et de l'espace du Canada, à Ottawa, lorsqu’il ouvre ses portes en octobre 1960, un heureux événement commémoré dans un numéro d'octobre 2020 de notre blogue / bulletin / machin absolument super, se trouve dans l’aérogare de l’aéroport de Uplands, près de Ottawa, mais je digresse.
La direction du ministère des Transports veille à ce que les 22 nouvelles aérogares achevées au cours des années 1950 et 1960 ne soient pas vétustes, honteuses et / ou embarrassantes. De fait, chacune d’elles est conçue par des cabinets d’architectes locaux, sous la supervision de l’architecte en chef du ministère entre 1952 et 1967, William Alexander « Alex » Ramsay, comme des ensembles complets de Style international qui rehausseraient la réputation des aéroports canadiens tant au pays qu’à l’étranger. Chaque ensemble d’aérogares comprend des meubles de design contemporain distincts et des œuvres d’art commandées développées en conjonction avec l’apparence et le ressenti du dit bâtiment. On pourrait soutenir que l’objectif du projet d’aérogare est de présenter le Canada comme un pays moderne, sophistiqué et uni, mais diversifié.
Croiriez-vous qu’une partie des archives personnelles de Ramsay se trouvent au Musée de l'aviation et de l'espace du Canada? Est-ce que je vous mentirais, ami(e) lectrice ou lecteur? Allez, répondez à la question.
A première vue, la moitié d’un pour cent des coûts de construction des terminaux de l’aéroport est allouée à ces œuvres d’art. Ces œuvres sont réalisées par des artistes canadiens de renom.
Malheureusement, à l’époque, certaines personnes expriment leur mécontentement à l’idée que l’argent des contribuables soit utilisé pour acquérir des œuvres d’art alors que de nombreuses communautés rurales manquent de nécessités pratiques telles que des routes et des pistes d’atterrissage. D’autres personnes expriment leur mécontentement à l’idée que l’argent des contribuables soit utilisé pour acquérir des œuvres d’art abstraites. Soupir.
Au risque de m’attirer les foudres de personnes similaires, de telles opinions rappelleraient peut-être 73 mots de la célèbre nouvelle de 1943 Le Petit Prince du comte Antoine Marie Jean-Baptiste Roger de Saint-Exupéry :
Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi: « Je suis un homme sérieux! Je suis un homme sérieux ! » et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon!
On pourrait soutenir que le projet de construction d’aérogares est la conséquence du rapport révolutionnaire de 1951 de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences, également / mieux connue sous le nom de Commission Massey, du nom de son commissaire, Charles Vincent Massey, un gentilhomme mentionné dans des numéros de mai 2019 et octobre 2021 de notre blogue / bulletin / machin.
Parmi les autres conséquences de la Commission Massey, mentionnons la création du Conseil des arts du Canada, la fondation de la Bibliothèque nationale du Canada, l’actuelle Bibliothèque et Archives Canada, la préservation des lieux historiques du Canada et le transfert de pognon fédéral aux universités canadiennes.
Et oui, en 1951-52, répétant en perroquet sa routine habituelle d’autonomie provinciale, désolé, désolé, toujours vigilant dans sa défense de la dite autonomie contre la malveillance du gouvernement fédéral, le premier ministre du Québec, Maurice Le Noblet Duplessis, une personne mentionnée à maintes reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis janvier 2018, interdit formellement aux directions des universités québécoises de recourir au dit pognon pour la gestion de leurs établissements. Cette situation ne change qu’après la mort du chef bleu, en septembre 1959, et la défaite de son parti aux élections générales de juin 1960.
Avant que je ne l’oublie, il n’est que trop vrai que l’intérêt de la Commission Massey pour le raffinement et le goût est un tantinet élitiste. Il est également vrai qu’elle n’a pas grand-chose à dire sur la préservation et la promotion de l’art et de la culture autochtones. Ceci étant dit (tapé?), son rapport a été / est / continuera d’être un moment marquant de l’histoire culturelle du Canada.
Une des conséquences de la Commission Massey est la magnifique et énorme murale nonfigurative / abstraite qui orne les murs de l’aérogare principale de l’aéroport international de Winnipeg entre 1964 et 2011. Connue sous le nom de Northern Lights, elle est conçue par le célèbre artiste canadien John Graham.
Malgré les efforts acharnés d’amateurs d’art et d’autres personnes, Winnipeg Airports Authority Incorporated ne voit apparemment pas le besoin d’installer Northern Lights dans le nouveau terminal inauguré officiellement en octobre 2011. Les autorités municipales sont apparemment dans l’ensemble également indifférentes. Oserait-on demander si les personnes impliquées dans ces décisions sont des messieurs cramoisis? Vous pourriez mais je ne le ferai pas.
En fin de compte, la murale faisant époque de Graham est donnée au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada (Bonjour, MMcC!), où elle était / est entreposée.
Aussi fascinante que Northern Lights ait été, soit et sera, l’œuvre d’art public aéronautique que j’aimerais porter à votre attention aujourd’hui vient de Regina, Saskatchewan. Elle était exposée dans la cour de sculpture de l’Aéroport international de Regina.
Cette œuvre d’art est constituée d’une paire de grues blanches en alliage d’aluminium grandeur nature, l’une en vol et l’autre en train de décoller.
Lorsque les Européens lancent leur invasion dévastatrice (génocidaire?) des Amériques, dans les années 1490, la grue blanche, une des 2 espèces de grues originaires d’Amérique du Nord et le plus grand oiseau (jusqu’à 1.6 m (5.25 pieds)) sur le continent, peut être trouvée à travers l’Amérique du Nord. En 2021, à peine 600 de ces êtres magnifiques, sauvages ou captifs, partagent encore avec nous la biosphère terrestre.
Pourquoi la grue blanche passe près de disparaître, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur ? Regardez-vous simplement dans un miroir. Homo sapiens s’empare d’une grande partie de son habitat. Non seulement cela, mais notre espèce chasse aussi sans pitié les grues blanches pour leur viande et leurs plumes. D’autres messieurs au visage cramoisi peut-être? Désolé.
Un sculpteur canadien à succès, le regretté William Ayton « Bill » Lishman, également connu sous le nom de « Father Goose, » est le premier à utiliser des aéronefs ultralégers pour guider des jeunes oiseaux lors de leur premier vol de migration, dans l’espoir de réintroduire des espèces en danger de disparition dans leur ancien habitat. Le premier vol de migration guidée au monde est réalisé par Lishman, un collègue et 18 bernaches du Canada, en octobre 1993, entre l’Ontario et la Virginie. Ce voyage et événement médiatique réussi et très médiatisé conduit à la création en 1994 de Operation Migration, un organisme de bienfaisance enregistré. Des avions ultralégers sont par la suite utilisés pour conduire des cygnes trompettes et des grues blanches.
Les activités de Lishman inspirent le tournage de Le premier envol. La première mondiale de la version anglaise de ce film familial américain très populaire primé avec des images époustouflantes de bernaches du Canada en vol a lieu au Toronto International Film Festival, en septembre 1996.
Et oui, Lishman est mentionné dans des numéros d’avril et juillet 2019 de notre vous savez quoi. Mieux encore, la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend 2 ultralégers utilisés par ce gentilhomme, qui n’est certainement pas un champignon : un Ultralight Flying Machines Easy Riser de conception américaine sérieusement modifié, un des tout premiers aéronefs ultralégers largement disponibles et l’avion même utilisé par Lishman au cours de ses premières expériences, et un Cosmos Écho de conception française composé d’une aile et d’une nacelle des 2 aéronefs ultralégers utilisés pour le premier vol de migration guidée au monde, évoqué plus haut.
Même si le nom du célèbre sculpteur et éducateur canadien John Cullen Nugent était / est souvent / généralement associé aux grues blanches en alliage d’aluminium, ces sculptures sont en fait créées par un naturaliste et sculpteur de Regina, Wolfram F. Niessen, qui travaille comme un artiste d’exposition au Saskatchewan Museum of Natural History, à Regina, une institution connue en 2021 sous le nom de Royal Saskatchewan Museum.
La conception des sculptures est basée sur un concept développé par une décoratrice d’intérieur professionnelle de Regina. Diplômée en design d’intérieur (1946) de la University of Manitoba, à Winnipeg,… Manitoba, et chargée de cours là-bas pendant un certain temps, Elizabeth Victoria « Betty » Gillespie, née Elizabeth Victoria « Betty » Spence, à Regina, voit ce concept comme un symbolisation de l’intersection des routes est-ouest des principales sociétés aériennes canadiennes et des grandes routes migratoires nord-sud des oiseaux suivies, entre autres, par la grue blanche.
À dire vrai, Gillespie / Spence choisit la grue blanche pour son concept en raison de sa beauté, de sa puissance, de sa rareté et de son caractère unique. En 1961, moins de 40 (!) grues blanches sauvages partagent encore la biosphère terrestre avec nous.
Les informations utilisées par Gillespie / Spence pour préparer le dit concept sont fournies par Fred G. Baird, Junior, un expert de la grue blanche qui est également directeur du Saskatchewan Museum of Natural History.
Le projet attire l’attention du député local dès le début. En tant que membre du parti au pouvoir, Kenneth Hamill « Ken » More facilite les choses.
Et non, ni Niessen ni Gillespie / Spence ne sont mentionné(e)s dans l’article trouvé dans le numéro du 18 novembre 1961 du Weekend Magazine du quotidien The Ottawa Citizen au cœur du numéro de cette semaine de notre vous savez quoi.
De fait, le nom de Niessen n’apparaît nulle part sur la plaque qui identifie l’œuvre d’art qu’il a créée. Le seul nom sur la dite plaque est celui de Gillespie. Niessen est naturellement déçu. Nugent estime que la contribution de Niessen aurait dû être reconnue. Le directeur de la Norman MacKenzie Art Gallery, un musée d’art de Regina affilié au Regina College, comme l’actuelle University of Regina s’appelle à l’époque, l’artiste abstrait et professeur bien connu Ronald Langley Bloore, est choqué de voir sur la plaque le nom de Gillespie, qui n’est rien d’autre que la contractante du projet, mais pas celui de l’artiste.
L’explication de Gillespie est que Niessen a choisi pour une raison ou une autre de ne pas signer ses sculptures. Elle a offert la plaque au Regina Municipal Airport, comme l’aéroport est appelé à l’époque, pour expliquer ce que sont les dites sculptures.
La véritable production des grues blanches en alliage d’aluminium dure près d’un an. Niessen commence ce processus en modelant les oiseaux en plâtre de Paris sur une armature en acier. Ces oiseaux en plâtre sont ensuite transférés dans de la cire. Niessen retouche ces oiseaux de cire avant de les emmener à la fonderie de cire perdue St. Mark’s Shop à Lumsden, Saskatchewan – un établissement unique au Canada dont l’exploitant est, vous l’aurez deviné, nul autre que Nugent. Croiriez-vous que les grues de Niessen puissent, je répète, puissent être la première œuvre d’art produite par le St. Mark’s Shop?
Les grues blanches en alliage d’aluminium sont peut-être mises en montre en avril 1961.
Né à Krefeld, Allemagne, en août 1923, Niessen émigre apparemment au Canada au début des années 1950. En effet, en 1954, il sculpte une des 5 plaques illustrant l’histoire du téléphone qui ornent le bâtiment de la société de la couronne Saskatchewan Government Telephones, l’actuelle Saskatchewan Telecommunications Holding Corporation, ou SaskTel, à Regina. La sculpture de Niessen représente Alexander Graham Bell en train de parler à son assistant, Thomas Watson, lors de ce qui pourrait être décrit comme le premier appel téléphonique au monde, en mars 1876, à Boston, Massachusetts.
Et non, Bell n’a jamais été Canadien. C’est un Écossais, c’est-à-dire un sujet britannique, qui devient citoyen américain naturalisé en 1882. À l’époque, toute personne née ou naturalisée au Canada est également sujet britannique.
En 1958, Niessen est enseignant au Regina College. Il obtient une maîtrise en beaux-arts de la Michigan State University en 1963. À cette époque, il est apparemment artiste d’exposition au Michigan State University Museum. Niessen enseigne à la University of Regina, à… Regina, au début des années 1960, avant de déménager à la University of Wisconsin-Stout, à Menomonie, Wisconsin, en 1964. Il enseigne à la Northern Michigan University, à Marquette, Michigan, dans les années 1970.
Connue (légalement ?) à l’époque sous le nom de Ben Monte Auburn Lancaster, Niessen décède en septembre 2004, à l’âge de 81 ans. « Betty » Gillespie, quant à elle, quitte ce monde en septembre 1996. Elle a 71 ans. Nugent, finalement, décède en mars 2014, à l’âge de 93 ans.
Votre humble serviteur serait ravi de vous informer que les grues blanches de Niessen sont toujours exposées à l’Aéroport international de Regina. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Les sculptures disparaissent à un moment donné, peut-être lors d’une rénovation au milieu des années 1980. Leurs coordonnées actuelles sont inconnues.
Malheureusement, aucun des 22 susmentionnées aérogares achevées dans les années 1950 et 1960 ne demeure complète en 2021. De fait, peu d’entre elles existent encore. Pour reprendre des mots prononcés assez souvent par un regretté bénévole du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, sic transit gloria mundi.
Vous appréciez le Réseau Ingenium? Aidez-nous à améliorer votre expérience en répondant à un bref sondage!