Un prolifique auteur de bande dessinée belge qui mérite d’être mieux connu : Le père de Dan Cooper, héros canadien, Albert Weinberg (1922-2011), partie 1
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, ami(e) lectrice ou lecteur, j’aimerais vous entretenir aujourd’hui d’un prolifique auteur de bande dessinée belge qui mérite d’être mieux connu, un gentilhomme des gentilshommes que votre humble serviteur a rencontré en septembre 1994, au Musée de l’aviation du Canada, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, lors d’une soirée entourant une exposition temporaire et itinérante qui met en lumière l’élément le plus connu de son œuvre. (Bonjour, MD et SD!) J’agis de la sorte car Albert Weinberg voit le jour en avril 1922, il y a pour ainsi dire un siècle jour pour jour, à Liège, Belgique.
Weinberg se dirige initialement vers la profession juridique, un domaine où il fait des études en droit civil et commercial, des études interrompues par la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Belgique par l’Allemagne nationale-socialiste. Au cours du service militaire obligatoire qu’il effectue une fois la paix revenue, Weinberg impressionne ses amis de régiment par la qualité de ses esquisses. De fait, en 1947, son intérêt pour la bande dessinée l’amène à devenir assistant du dessinateur de bande dessinée belge Victor Hubinon, un des grands noms de la bande dessinée aéronautique du 20ème siècle. Tous deux travaillent alors pour World Press, une agence belge de distribution de bandes dessinées fondée par l’homme d’affaires belge Georges Troisfontaines.
Weinberg est-il un autodidacte en matière de bande dessinée? Oui, il l’est.
Weinberg donne un coup de main à Hubinon pour au moins une des aventures de deux jeunes garçons et grands amis, qui ne sont pas aviateurs, entendons-le bien, Blondin, blanc et sérieux, et Cirage, noir et aventureux. Et non, Blondin n’est pas le véritable héros de cette bande dessinée publiée dans l’hebdomadaire illustré Petits Belges, puis dans l’hebdomadaire illustré Spirou, ainsi que sous forme d’albums, 10 en tout, publiés entre 1942 et 1956. Et oui, un héros de bande dessinée noir est vraiment inhabituel pour l’époque.
Weinberg donne également un coup de main à Hubinon pour la bande dessinée de guerre Tarawa : Atoll sanglant, publié initialement entre octobre 1948 et novembre 1949 dans l’hebdomadaire illustré belge Le Moustique. Ce récit violent, bien documenté mais fortement manichéen raconte comment des troupes américaines parviennent, en novembre 1943, à capturer, au prix de lourdes pertes, l’atoll de Tarawa, dans les îles Gilbert, alors occupé par des troupes japonaises qui sont tout simplement oblitérées.
Croiriez-vous qu’Hubinon prête ses traits à un des journalistes fictifs présents dans le récit? Il fait de même pour son scénariste, le Belge Jean-Michel Charlier, un des grands scénaristes de la bande dessinée francophone du 20ème siècle, ainsi que pour Weinberg. Ce dernier prête ses traits à Tim Barkley, un journaliste aux cheveux frisés.
Weinberg donne par ailleurs un coup de main à Hubinon pour la bande dessinée Joë la Tornade, dont le héros éponyme est un pilote détective, ou vice versa, américain qui aime faire usage de ses poings. De fait, c’est Weinberg qui semble dessiner et scénariser les deux tiers de ce récit paru en 1947-48 dans l’hebdomadaire illustré belge Bimbo, un récit où son nom n’apparaît d’ailleurs nulle part. En toute honnêteté, force nous est d’admettre que les noms de Hubinon et de son scénariste, Charlier, n’apparaissent pas davantage. Craignant de s’attirer les foudres de la direction de Spirou, ces derniers imaginent un pseudonyme, Charvick, pour signer cette œuvre.
Weinberg donne par ailleurs apparemment donne un coup de main à un jeune dessinateur et scénariste de bande dessinée belge promu à un brillant avenir. Willy Maltaite, mieux connu sous le nom de plume de Will, travaille en effet à cette époque sur sa première histoire, Le Mystère de Bambochal, publié à compte d’auteur en 1950.
Finalement, mais pas nécessairement chronologiquement, ce travail commençant en effet dès 1947, semble-t-il, Weinberg donne un coup de main à Hubinon pour au moins deux des premières aventures d’un certain Buck Danny.
En 1947, en Belgique, Charlier, Hubinon et Troisfontaines créent une bande dessinée aéronautique, Buck Danny, pour Spirou. Occupé par ses affaires, Troisfontaines se retire toutefois rapidement. Charlier s’occupe dès lors des scénarios et, pendant quelques années, de certains aspects du dessin.
Pilotes militaires américains pendant la Seconde Guerre mondiale, Danny et ses amis reprennent du service en 1951, au cours de la guerre de Corée. Leur allégeance, United States Navy ou United States Air Force (USAF), est mal définie pendant plusieurs années. Cela étant dit (tapé?), le dessin de Buck Danny, un classique de la bande dessinée aéronautique, s’améliore constamment et atteint une précision extrême.
Hubinon planche sur Buck Danny jusqu’à son décès, en janvier 1979, à l’âge de 54 ans. Un artiste talentueux et journaliste spécialisé en aéronautique, le Français Francis Bergèse, reprend alors le flambeau en collaboration avec Charlier. Il est à noter que Bergèse, Charlier et Hubinon sont des pilotes privés. Responsable des scénarios après le décès de Charlier, en juillet 1989, à l’âge de 64 ans, Bergèse cède la place à un nouveau duo dont le premier album sort des presses en 2013.
Pas moins de 20 millions d’exemplaires (!) des 58 albums (!) détaillant les aventures de Buck Danny paraissent entre 1948 et 2020 (!). À peine 3 ou 4 sont traduits en anglais, ce qui est bien dommage, mais je digresse. Revenons au personnage principal de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin.
Entre 1949 et 1956, Weinberg réalise moult illustrations pour divers magazines. Il crée par ailleurs au moins 3 bandes dessinées pour Héroïc-Albums, un hebdomadaire illustré belge fort important à cette époque. Votre humble serviteur doit avouer ne pas savoir sous quelle profession placer Richard Deville. Cela étant dit (tapé?), le héros éponyme de Luc Condor est un aventurier / archéologue qui hante l’Amérique du Sud alors que le tout aussi éponyme héros de Roc Météor est un aventurier interplanétaire / intersidéral. Tous trois sont également sans peur et sans reproche.
C’est apparemment à la demande du fameux auteur de bande dessinée belge Paul Cuvelier que Weinberg collabore, anonymement il faut l’avouer, à une histoire publiée en 1949-50 dans le fameux hebdomadaire illustré belge Tintin, grand rival de Spirou, Corentin chez les peaux-rouges. Ce récit relate les aventures d’un adolescent français en sol américain un peu avant le milieu du 19ème siècle.
Entre 1952 et 1955, Weinberg dessine par ailleurs (anonymement?) les couvertures de trois albums de la version française publiée en Belgique d’un classique de la bande dessinée western, Red Ryder, créé aux États-Unis en 1938. L’anonymité peut être utile dans ce cas-ci, compte tenu du fait que Spirou publie des aventures du héros éponyme de cette bande dessinée de manière épisodique entre 1939 et 1951 environ.
C’est au bas de l’échelle que Weinberg se joint à l’équipe de Tintin au début de 1950. Un des premiers projets important sur lequel il travaille consiste à soumettre des idées de gags ou situations qui permettraient au directeur artistique du magazine, Georges Prosper Remi, dit Hergé, de bonifier le scénario d’une histoire sur lequel ce géant de la bande dessinée du 20ème siècle travaille avec plus ou moins de succès depuis 1947. Cette histoire, dont les premières planches paraissent dans Tintin en mars 1950, est une plus importantes et impressionnantes aventures que vit le héros créé par Hergé. Cette aventure de Tintin, dis-je, c’est Objectif Lune.
Weinberg suggère certaines lectures à Hergé, dont au moins une qui contient des œuvres d’un artiste / concepteur / illustrateur américain connu entre tous, un des pères de l’art astronomique / spatial, Chesley Knight Bonestell, Junior.
Aux dires de certain, c’est à Weinberg qu’on doit un personnage secondaire mais crucial d’Objectif Lune et de la seconde partie de l’aventure lunaire de Tintin, On a marché sur la Lune, l’ingénieur Frank Wolff, qui, suite à d’importantes dettes de jeu, devient un espion à la solde d’une puissance étrangère non identifiée.
Croiriez-vous que le personnage de Wolff peut, je répète peut, s’inspirer en partie d’une personne bien réelle? Emil Julius Klaus Fuchs est un physicien germano-britannique qui fournit volontairement des informations importantes et secrètes à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) alors qu’il contribue à la mise au point des premières armes nucléaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté au Royaume-Uni en février 1950, Fuchs est condamné à 14 ans de prison – la peine maximale dans son cas. Ce triste personnage est libéré en juin 1959, pour bonne conduite, et émigre aussitôt en Allemagne de l’Est, où il devient une des grosses légumes de la communauté scientifique de ce paradis du prolétariat. Fuchs passe l’arme à gauche en janvier 1988, à l’âge de 76 ans.
Vous ne croyez pas que Fuchs inspire Wolff, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur un tant soit peu sceptique? Fort bien. Permettez-moi donc de souligner que, en Allemand, les mots « wolf, » avec un seul f, et « fuchs » signifient respectivement loup et… renard, mais revenons à notre récit.
Weinberg semble également dessiner quelques éléments d’une œuvre d’Edgard Félix Pierre Jacobs, un géant de la bande dessinée belge mieux connu sous le nom d’Edgar P. Jacobs. L’œuvre en question compte parmi les meilleures aventures d’une des grandes équipes de héros de papier de la bande dessinée francophone, les Britanniques Francis Blake et Philip Mortimer, respectivement chef de l’agence britannique de contre-espionnage et de sécurité, le MI5, et physicien nucléaire. Le titre de l’aventure en question? Le Mystère de la Grande Pyramide évidemment. Ce récit est initialement publié dans Tintin, entre mars 1950 et mai 1952.
En 1962, Weinberg crée une nouvelle bande dessinée. Les aventures extraordinaires d’Alain Landier, ce dernier étant un médecin, ethnologue et explorateur fasciné par les civilisations disparues, lui permettent d’exprimer son intérêt pour divers types de phénomènes dits fortéens. Une vingtaine de récits assez courts (environ 4 pages chacun) paraissent dans Tintin entre 1962 et 1971.
En 1969-70, Tintin publie une bande dessinée, Giovanni di Celli, où Weinberg relate les aventures et mésaventures d’un pilote (italien?) sur un fond d’espionnage. Cette œuvre éphémère semble être publiée initialement, en 1969, dans un magazine illustré italien, Corriere dei Piccoli.
Mentionnons par ailleurs que le quotidien belge Le Soir publie 6 récits d’aventures sous-marines liées à l’espionnage créés par Weinberg en 1970-71. Les Aquanautes paraissent ainsi quotidiennement pendant plus de 450 jours. Cette bande dessinée n’est toutefois pas la première œuvre de Weinberg qui paraît dans Le Soir. Nenni. Entre 1955 et 1969, l’artiste réalise une vingtaine de courtes histoires humoristiques, collectivement connues sous le nom de Le Vicomte, relatant les mésaventures d’un… vicomte non identifié.
Et oui, perspicace ami(e) lectrice ou lecteur, Weinberg semble s’intéresser fortement à l’espionnage. Cela n’est guère surprenant. Après tout, sa carrière s’amorce au début d’une période cruciale du 20ème siècle, la Guerre froide. (Bonjour, EG et EP!)
Tout cela étant dit (tapé?), c’est pour tout autre chose que Weinberg devient fameux de par le monde. Vous en apprendrez plus sur ce autre chose la semaine prochaine.
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