L’introduction du Canada à un jeu de drones mortel : Un trop bref aperçu de la carrière canadienne de l’aéronef sans pilote tactique SAGEM Sperwer, partie 1
Salutations, ami(e) lectrice ou lecteur, et mille excuses. Incapable de retenir davantage mes tendances de fana de l’aviation, votre humble serviteur s’est égaré dans la forêt enchevêtrée qu’est l’approvisionnement militaire. Si, je l’ai fait. Et je vous emmène avec moi dans ce bateau. Plus précisément, je voudrais démêler l’histoire convolutée d’un matériel militaire, l’aéronef sans pilote tactique SAGEM Sperwer, dont l’acquisition est annoncée par le ministère de la Défense nationale il y a 20 ans ce mois-ci, en août 2003, et…
D’accord, d’accord, vous m’avez eu. Votre humble serviteur veut également mettre en valeur un des innombrables objets de la collection de classe mondiale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Maintenant, pour répondre à la question qui se fond progressivement dans votre petite caboche, un aéronef sans pilote tactique est un aéronef sans pilote (ASP) / drone d’une certaine taille capable de fonctionner jusqu’à quelques heures à une altitude relativement basse (jusqu’à 5 000 mètres environ (16 500 pieds environ) peut-être) pour aider une force militaire à atteindre un certain objectif. Un ASP tactique est beaucoup plus gros qu’un ASP lancé à la main et beaucoup plus petit qu’un ASP à long rayon d’action.
Alors, êtes-vous prêt(e)? Vermouilleux! Continuons.
La Société d’applications générales de l’électricité et de la mécanique (SAGEM) est fondée à Paris, France, en 1925 par un jeune ingénieur du nom de Marcel Môme. La firme grandit rapidement en diversifiant ses activités, des caméras et projecteurs cinématographiques aux systèmes de distribution d’électricité.
En 1939, SAGEM devient un acteur important de l’industrie téléphonique française en rachetant la Société d’applications téléphoniques, une firme de communication devenue par la suite la Société anonyme de télécommunications (SAT).
Bien que ce factoïde puisse vous sembler sans intérêt ou importance, ami(e) lectrice ou lecteur, la vérité est que SAT est une des trois firmes impliquées dans le développement du projet d’ASP à réaction Canadair CL-289 quelques décennies plus tard. Les autres firmes sont Dornier Gesellschaft mit beschränkter Haftung de l’Allemagne de l’Ouest et Canadair Limited de Cartierville, Québec, Canada, une société de la couronne à l’époque.
Testé avec succès en mars 1980, je pense, le CL-289 ou, comme on l’appelle officiellement, le Canadair AN/USD-502, entre en service avec la Heer, en d’autres termes l’armée allemande, en novembre 1990. Plus de 250 CL-289 sont finalement livrés à ce service et à l’Armée de Terre de la France. Et non, compte tenu de le taille décroissante de son engagement européen auprès de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, le ministère de la Défense nationale ne juge pas bon de commander cet ASP très réussi. Incidemment, l’Esercito italiano, autrement dit l’armée italienne, reçoit un certain nombre de CL-289 d’occasion vers 2002.
Et oui, il y a un CL-289 dans l’étonnante collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, mais revenons à notre histoire.
Au début des années 1990, SAGEM est bien connue pour son implication dans la fibre optique, les lignes de transmission à haute tension, les décodeurs de télévision payante, les équipements de télécommunications, etc. Aussi impressionnants que soient les progrès de la firme, nous prenons toutefois de l’avance sur notre histoire.
On pourrait dire que l’histoire du Sperwer commence en mars 1983, avec le premier vol d’un drone cible, le Banshee, conçu par la firme anglaise Piper Target Technology Limited, une firme connue plus tard sous le nom de Target Technology Limited (TTL). Ce drone piloté à distance à faible coût s’avère être un des plus réussis, sinon le plus réussi au monde dans sa catégorie. Plus de 5 000 de ces petits drones cibles à pistons sont construits sur une période d’une vingtaine d’années, sinon plus, par TTL et, comme cette firme devient apparemment, Meggitt Defence Systems Limited, une filiale de la firme de production aérospatiale et de défense anglaise Meggitt Public Limited Company.
Au fil des ans, des Banshees servent dans près de 40 pays à travers le monde.
À la fin des années 1980 ou au tout début des années 1990, TTL développe une version de surveillance du Banshee. Connu sous le nom de Spectre, cet ASP a un rayon d’action et une endurance accrues, ainsi qu’une charge utile plus importante. Votre humble serviteur ne peut pas dire si les ASP de surveillance apparemment acquis par la Pãkistãn Fãuj, ou armée pakistanaise, en 2001 sont des Spectre en soi ou une sorte de version de surveillance du Banshee.
Une petite digression si vous me le permettez. Compte tenu de la nature secrète du commerce mondial des armes, vous voudrez peut-être noter que les informations précédentes, ainsi que les informations qui suivent, ne sont pas basées sur des conversations secrètes dans des ruelles sombres. Ces informations pourraient donc s’avérer inexactes pour un historien examinant ce dossier en 2123, à condition que notre espèce ne se trucide / zigouille pas elle-même auparavant bien sûr.
Une autre brève digression si vous me le permettez. TTL et Boeing Canada Technology Limited de Winnipeg, Manitoba, une filiale de Boeing of Canada Limited de Winnipeg, je pense, elle-même une filiale du géant aérospatial américain Boeing Company, collaborent à la fin des années 1980 pour développer le Vindicator II, un drone cible qui semble être dérivé du Banshee.
Les forces armées canadiennes ont déployé, depuis 1999, et peuvent encore déployer un certain nombre de Vindicator II, sous la désignation Meggitt CU-162 Vindicator. Un de ces drones cibles très réussis se trouve dans la collection de classe mondiale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Si vous devez le savoir, Boeing du Canada est mentionné dans des numéros de mars 2019 et d’octobre 2021 de notre fascinant blogue / bulletin / machin. Boeing, d’autre part, est mentionné à plusieurs reprises dans cette même publication, et ce depuis novembre 2017.
Quoi qu’il en soit, SAGEM est intrigué par les ASP de TTL et acquiert leurs droits de production français. N’oublions pas que les ASP semblent promis à l’époque à un avenir prometteur et rentable, surtout lorsqu’ils sont développés à des fins militaires.
SAGEM développe rapidement, si, ami(e) lectrice ou lecteur, au début des années 1990, son premier ASP de surveillance, une version française du Spectre à toutes fins utiles, le SAGEM Crécerelle. La firme paie ce travail avec son propre pognon, en tant que projet privé.
Un aéronef sans pilote tactique SAGEM Crécerelle de l’Armée de Terre, quelque part en France, date inconnue. http://www.defense.gouv.fr/terre/decouverte/materiels/renseignement/crecerelle (page Web consultée en 2009)
Pendant ce temps, des problèmes non révélés avec l’Eurodrone Brevel, un ASP de surveillance à pistons franco-allemand en cours de développement, provoquent un certain malaise au sein de l’Armée de Terre. En 1993, elle ne peut plus attendre et commande des Crécerelle. Cet ASP entre en service en 1995. Au moins une douzaine sont produits. Le Crécerelle est un des premiers ASP de conception européenne à devenir opérationnel en Europe.
Une version à plus grand rayon d’action, la Crécerelle-LR, à l’étude vers 2003 pour l’Armée de Terre, n’est apparemment pas produite, et le Brevel non plus, du moins pas sous ce nom.
Voyez-vous, l’Armée de Terre abandonne le programme Brevel à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. La Heer acquiert toutefois un certain nombre de Rheinmetall DeTec Kleinflugzeug für Zielortung (KZO), comme le Brevel devient connu lorsqu’il devient un programme entièrement allemand. Les livraisons commencent en novembre 2005. Une soixantaine de KZO sont livrés à la Heer.
Incidemment, le Groupement d’intérêt économique Eurodrone est formé en 1989 par Matra Société anonyme et Messerschmitt-Bölkow-Blohm Gesellschaft mit beschränkter Haftung, un géant allemand de l’aérospatiale mentionné dans un numéro d’avril 2019 de notre étonnant blogue / bulletin / machin, et… Oui, ce Messerschmitt-là, et c’est vous qui digressez, ami(e) lectrice ou lecteur.
En 1994, SAGEM développe une version plus rapide et à plus long rayon d’action du Crécerelle spécifiquement pour le marché de l’exportation. Remarquez, la firme sait aussi que l’Armée de Terre est plutôt satisfaite de ses Crécerelle, et peut être été intéressée à en acquérir une version améliorée.
Fait intéressant, SAGEM envisage également la possibilité de produire sous licence une version du General Atomics MQ-1 Predator, un ASP américain à long rayon d’action mis en service par la United States Army à l’été 1995.
Un aéronef sans pilote tactique SAGEM Sperwer de la Koninklijke Landmacht, quelque part en Suède, mai 2006. Nederlands Instituut voor Militaire Historie, 2154_D060511IG1762.
Quoi qu’il en soit, le Crécerelle largement redessiné, plus grand, plus carré, plus puissant et beaucoup plus lourd que son prédécesseur, connu sous le nom, vous l’aurez deviné, de Sperwer, un mot prononcé spair-oueure, est commandé par la Koninklijke Landmacht à la mi-1996. Un prototype de cet ASP vole apparemment plus tard cette année-là. La Koninklijke Landmacht, ou armée néerlandaise, reçoit apparemment environ 35 Sperwer et 4 stations au sol. Les livraisons commencent apparemment en 1999.
Des commandes supplémentaires arrivent rapidement, de la Armén, ou armée suédoise, par exemple, qui commande une dizaine de Sperwer et 3 stations au sol. Ces Sperwer, connus localement sous le nom de SAGEM UAV 01 Ugglan, sont peut-être spécialement équipés pour faire face aux hivers glaciaux de la Suède. La Hærens, ou armée danoise, signe également une commande, pour une dizaine de Sperwer et 2 stations au sol. Ces Sperwer sont connus localement sous le nom de Tårnfalk. La Ellinikós Stratós, ou armée grecque, commande à son tour une quinzaine de Sperwer et 4 stations au sol, mais je ne peux pas dire si ces ASP reçoivent le nom d’un volatile local, et…
Si, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe, les mots sperwer, ugglan et tårnfalk font tous référence à des oiseaux de proie, à savoir un épervier, un hibou et une crécerelle.
Il est à noter que l’Armée de Terre choisit finalement le Sperwer pour remplacer ses Crécerelle. Et oui, cette décision est prise pas trop longtemps après que ce service se soit retiré du programme Brevel. La version française du Sperwer est connue sous le nom de Système de drone tactique intérimaire (SDTI). Les livraisons commencent en 2003-04. Un second lot est commandé en 2009, et un troisième en 2012, et un quatrième en 2013, pour un total d’une trentaine de SDTI / Sperwer tout neufs et un nombre inconnu de stations au sol.
Les ASP commandés en 2012-13 sont des exemplaires d’une seconde version plus grande, plus lourde et à plus long rayon d’action du Sperwer, une version testée en 2004 mais proposée pour la première fois dès 2001, je pense.
Et oui, même si c’est un système intérimaire, le SDTI demeure en service jusqu’en 2020, je pense. Encore.
Chose intéressante, en 2013, la production de la version plus grande, plus lourde et à plus long rayon d’action du Sperwer semble sur le point de démarrer en Ukraine. Les travaux doivent être effectués par Derzhavne Pidpryyemstvo « Chuhuyivs’kyy Aviaremontnyy Zavod, » en d’autres termes la société d’état « usine de réparation d’aéronefs Chuguivsky. » Ce projet sort apparemment par la fenêtre lorsque, à la suite de la révolution de la Dignité / révolution de Février / révolution de Maïdan de février 2014, l’empire du mal mieux connu sous le nom de Fédération de Russie envahit la république autonome ukrainienne de Crimée et la ville de Sébastopol, et aide des rebelles russophones dans leur prise de contrôle partielle des régions / provinces de Donetsk et Lougansk en Ukraine.
Au total, SAGEM produit environ 140 Sperwer, toutes versions confondues, ainsi qu’environ 25 stations au sol. On pourrait dire que, à son époque, le Sperwer est le plus commercialement réussi des ASP produits en Europe.
Le Sperwer est lancé à partir d’une rampe de lancement / catapulte pneumatique inclinée montée sur un camion ou remorque. Tout au long du vol, un opérateur au sol peut faire tourner la grande sphère sous le nez, une sphère qui contient une caméra vidéo, ou une caméra infrarouge pour les vols de nuit. Des images en temps réel sont renvoyées en continu à la base. Remarquez, l’opérateur peut également verrouiller la caméra vidéo sur un endroit particulier au sol pendant que le Sperwer tourne autour, sous le contrôle de son pilote.
Si quelque chose d’intéressant se présente au sol, le Sperwer peut être chargé de voler directement vers lui. Une caméra vidéo fixe dans le nez donne à son pilote une vue grand angle de sa trajectoire de vol.
La récupération du Sperwer s’effectue via un parachute, une fois le moteur coupé. Presque n’importe quel terrain plat dépourvu d’arbres peut servir d’aire d’atterrissage. Trois sacs gonflables sous le nez et les ailes amortissent l’atterrissage et réduisent les risques de dommages.
Le système Sperwer est conçu pour être relativement mobile. Les stations de contrôle au sol sont montées sur des camions, par exemple. Les différents véhicules nécessaires au contrôle des Sperwer, sans oublier la rampe de lancement et les ASP de rechange, peuvent être transportés à bord de quelques avions de transport de taille similaire au Lockheed CC-130 Hercules des forces armées canadiennes, un type de machine représenté dans la fabuleuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Le Sperwer est un peu inhabituel en ce qu’il a un moteur à pistons refroidi par liquide, produit par Bombardier-Rotax Gesellschaft mit beschränkter Haftung, une filiale autrichienne de Bombardier Incorporée, un géant industriel québécois mentionné à plusieurs reprises dans notre spectaculaire blogue / bulletin / machin depuis mars 2018. Les ingénieurs de SAGEM peuvent avoir pensé qu’un tel type de moteur serait moins bruyant qu’un moteur refroidi par air, ce qui rendrait plus difficile pour les personnes au sol de localiser un Sperwer qui bourdonne autour d’elles.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, Bombardier-Rotax est bel et bien mentionnée dans un numéro d’août 2023 de notre magnifique blogue / bulletin / machin.
L’hélice à quatre pales, à l’arrière, est en bois – un choix étrange à première vue, mais très pratique en fait. Une hélice en bois se brise facilement si un atterrissage est brutal, préservant ainsi le précieux moteur de dommages.
Et oui encore, votre instinct est tout à fait correct, ami(e) lectrice ou lecteur. Les forces armées canadiennes viennent frapper à la porte de SAGEM à un moment donné. Vous devrez cependant attendre quelques jours pour comprendre comment cela s’est passé. Désolé. Ou pas.
À plus.