Ombres et lumière dans le ciel du Québec : Un premier regard sur la vie et l’époque de l’aéronaute et parachutiste foraine féminine québécoise Florida Lanthier
Ce n’est pas tous les jours qu’un sujet de notre blogue / bulletin / machin occupe la première page d’un journal, qu’il soit quotidien ou hebdomadaire. Nenni. C’est pourtant le cas aujourd’hui. L’édition du 8 novembre 1951 de l’hebdomadaire Photo-Journal de Montréal, Québec, porte en gros titres les quelques mots suivants : « Florida Lanthier, sans son parachute – Lire en page 3. » Votre humble serviteur doit avouer avoir été intrigué.
Il s’avère que Lanthier compte parmi les rares aéronautes foraines francophones féminines québécoises, la seule peut-être. Je dois avouer connaître bien peu de choses sur sa jeunesse. Elle serait née vers 1891, par exemple et c’est à peu près tout ce que j’ai pu trouver.
Selon des documents officiels, Lanthier épouse Adalbert C. Gadoury en juin 1912. Elle indique toutefois au journaliste de Photo-Journal qui la visite en novembre 1951 qu’elle épouse Gadoury vers 1905, alors qu’elle a 14 ans et lui environ 16 ans. Je ne sais trop que penser. La cérémonie de juin 1912 vient peut-être officialiser une cohabitation qui dure depuis environ 7 ans.
Aussi effarant que ce mariage soit, le fait est qu’il est parfaitement légal au Québec de l’époque, tant et aussi longtemps pour le pater familias de Lanthier donne son consentement. En effet, le Code civil du Bas-Canada, entré en vigueur en 1866, stipule que les seuils d’âge pour contracter mariage sont de 14 ans pour les garçons et 12 ans pour les filles. On croit rêver.
Soit dit en passant, la Commission des droits civils de la Femme créée par le gouvernement du Québec recommande en 1930-31 que ces seuils d’âge passent à 16 et 14 ans. Le dit gouvernement semble accepter ces recommandations.
Pour se marier au Québec en 2021, il faut avoir au moins 18 ans. Une personne âgée de 16 ou 17 ans pout toutefois se marier si elle obtient l’autorisation d’un tribunal, mais revenons à notre histoire.
C’est apparemment au cours des années 1900, possiblement vers 1906, que Gadoury se découvre une passion pour l’aérostation. Plus précisément, il espère gagner beaucoup de pognon – une aspiration tout à fait légitime bien sûr. Son maître à voler est l’aéronaute et parachutiste forain Alphonse Stewart, « le roi des airs » montréalais. Gadoury travaille alors peut-être à temps partiel. On peut par ailleurs se demander s’il participe aux activités de Stewart en tant qu’assistant au sol ou aéronaute / parachutiste. J’ai tendance à favoriser l’hypothèse no 1, ne serait-ce qu’au début.
Contrairement à ce que votre humble serviteur pensait, Stewart semble être un aéronaute francophone – un rara avis à l’époque.
J’ai bien peur de ne pas avoir d’informations sur les premières secondes, minutes et heures de la carrière aérostatique de Stewart. Les premières ascensions que j’ai trouvées se tiennent en effet en juin et septembre 1903, respectivement à Montréal, au parc Royal, et à Toronto, Ontario, dans le cadre de la Toronto Industrial Exhibition, l’actuelle Canadian National Exhibition. Dans le premier cas, Stewart prend l’air pour distribuer des billets pour un événement quelconque. Aucun saut en parachute n’a lieu de jour-là.
Croiriez-vous que Stewart se trouve en Australie en janvier 1908? Si, si, en Australie. Il effectue sa première envolée dans l’hémisphère austral au cours de ce même mois, à partir d’un parc d’amusement aujourd’hui disparu, à Sydney. La tournée de Stewart prend fin à Melbourne, en février, lorsqu’il se fracture une jambe après avoir chuté du toit d’une maison où il venait de se poser comme une fleur, mais revenons à Gadoury.
Vers 1903, alors qu’il a environ 14 ans, Gadoury se joint au personnel de Canadian Railway News Company, une firme montréalaise qui vend des journaux, magazines et sandwiches dans des gares. En 1917, par exemple, les fonctions qu’il occupe lorsqu’il ne s’envoie pas en l’air consistent à transporter des journaux entre Montréal et Ottawa, Ontario.
Vers cette époque, lorsqu’elle a les pieds sur terre, Lanthier est placière dans un cinéma de Montréal.
Il est à noter que, à une date indéterminée, fort probablement au cours des années 1910, Lanthier fait apparemment partie de la troupe du fameux homme fort québécois Hector Décarie. Elle affirme plus tard être une boxeuse redoutable qui n’hésite pas à mettre au défi toute jeune femme de sa taille de la rencontrer dans un ring. De fait, croiriez-vous que, vers le début des années 1950 ou la fin des années 1940, elle flanque un œil au beurre noir à un jeune voyou qui tente de l’attaquer?
Gadoury ou Albert Farley, comme il se fait appeler, afin de faire plus sérieux peut-être, les aéronautes de l’époque étant avant tout anglophones et surtout américains, fait son apparition dans les journaux, au Québec et en Ontario, en juin 1911.
Il va de soi que votre humble serviteur n’a pas déterré tous les articles qui relatent ses aventures, de même que celles de Lanthier ou Stewart. Je m’en excuse à l’avance, mais revenons à la première apparition connue de Farley.
Des quotidiens de Montréal, dont La Presse, La Patrie et Le Devoir, publient une publicité de Daoust Realty Limited de Montréal invitant la population de la métropole du Canada à participer à une fête champêtre dans le secteur de la Terrasse Bernard du quartier de l’est de l’île de Montréal connu sous le nom de Longue-Pointe.
Maxime Daoust, un agent d’immeubles montréalais bien connu et président fondateur de Daoust Realty, souhaite mousser la vente de terrains qu’il possède dans ce coin de pays. Il souhaite attirer des clients potentiels à l’aide de chants patriotiques et d’un concert réalisé par un ensemble local. Cela étant dit (tapé?), Daoust compte bien davantage sur l’attrait exercé par une course de ballons mettant en vedette, d’une part, Stewart et son épouse, et, d’autre part, un nouveau pilote qui est, vous l’aurez deviné, nul autre que Farley.
Si les gros titres de la publicité font part d’une course, le texte en caractères plus petits mentionnent plutôt que les montgolfières de foire de Stewart et Farley doivent décoller en même temps et évoluer dans les airs pendant quelques temps. Stewart, son épouse et Farley doivent par la suite sauter en parachute. Et oui, il faut toujours lire attentivement les petits caractères, ami(e) lectrice ou lecteur.
La presse montréalaise n’ayant pas publié un seul mot sur les envolées de juin, votre humble serviteur se demande si elles ont lieu.
Entre juin 1911 et septembre 1914, des quotidiens montréalais publient quelques publicités de Daoust Realty concernant des fêtes champêtres et des terrains à vendre dont les sauts en parachute ne sont pas mentionnés par la suite. Votre humble serviteur se demande par conséquent si Stewart et Farley y effectuent la moindre envolée.
Une liste de ces événements de 1 ou 2 jours suit :
- en juin 1911, à la Terrasse Bernard;
- en septembre 1911, au Parc Coteau Rouge, à Longueuil, Québec, près de Montréal;
- en juin-juillet 1912, au Parc Coteau Rouge; et
- en septembre 1914, au Parc Coteau Rouge.
Un entrefilet publié en octobre 1914 mentionne que des descentes en parachutes impliquant Stewart ainsi que Farley et son épouse doivent avoir lieu à Laprairie, Québec, près de Montréal. C’est là la première mention de Lanthier en tant qu’aéronaute foraine que j’ai trouvée à ce jour. Et non, la presse montréalaise ne mentionne pas cet événement par la suite.
Votre humble serviteur doute fort que toutes ces envolées de Stewart et Farley soient annulées. Je veux bien admettre que la guigne et la poisse existent, mais pas pendant 3 ans.
Les premières informations concernant des envolées et sauts en parachute actuellement réalisées par Farley et Stewart concernent celles qui se déroulent le 1er août 1915, en après-midi, à Longue-Pointe, au Parc Dominion, un des plus imposants parc d’amusement au Canada à l’époque. Le duo dynamique quitte le sol à bord de la même montgolfière de foire. Stewart s’offre le luxe de sauter avec 2 parachutes. Il ouvre le second après s’être débarrassé du premier. Farley prend l’air une seconde fois en soirée. Un projecteur suit sa descente pratiquement jusqu’au sol. Lanthier s’étant cassé une jambe quelques semaines auparavant, dans des circonstances indéterminées, elle préfère demeurer sagement au sol.
Farley et Lanthier prennent l’air au Parc Dominion le 8 août, en après-midi. Farley effectue un second vol en soirée. Le texte de l’article de journal contenant des informations sur ces envolées ne mentionne pas l’utilisation de parachutes. Il laisse ainsi entendre que la montgolfière de foire qui emporte Farley et Lanthier se pose dans des arbres, ce qui complique passablement leur retour sur le plancher des vaches.
Le vol effectué au Parc Dominion par Farley le 14 août en soirée est plus mouvementé encore. Son saut se termine en effet dans le fleuve Saint-Laurent. Pis encore, le parachute de Farley se pose sur lui et il échappe de justesse à la noyade.
Stewart éprouve lui aussi de sérieuses difficultés plus tôt en journée. Une bourrasque ayant pour ainsi dire renversé la montgolfière, l’aéronaute doit se débattre pour la stabiliser. Son saut se termine lui aussi dans le fleuve Saint-Laurent.
Et non, le parachutisme de foire n’est pas une occupation particulièrement sécuritaire.
La montgolfière de foire de Stewart et Farley ayant disparu suite au vol de ce dernier, les envolées du 15 aout doivent être annulées. De fait, votre humble serviteur ne sait pas si des envolées ont lieu les 21 ou 22 août.
Cela étant dit (tapé?), Stewart et Lanthier prennent l’air le 28 août en après-midi, au Parc Dominion bien sûr, à bord d’une montgolfière de foire. Leurs sauts en parachute se déroulent sans la moindre anicroche. Farley s’envole seul en soirée. Son saut s’avère lui aussi sans histoire. Les 3 aéronautes peuvent, je répète peuvent, prendre l’air les 4 et 5 septembre.
Farley et Lanthier prennent l’air à Sherbrooke, Québec, la ville natale de votre humble serviteur, le 7 septembre 1916, en après-midi, dans le cadre de la Great Eastern Exhibition. L’envolée qui doit avoir lieu en soirée doit être annulée à cause du vent.
Stewart, Farley et Lanthier participent également à l’édition 1916 de la Central Canada Exhibition, à Ottawa, en septembre. Les deux premiers s’envolent à bord d’une montgolfière de foire. Stewart s’offre le luxe de sauter avec 2 parachutes. Il ouvre le second après s’être débarrassé du premier. Farley, quant à lui, voit l’enveloppe du dit ballon se déchirer peu avant le décollage. Les aéronautes peuvent, je répète peuvent, reprendre l’air 1 ou 2 jours plus tard.
Stewart, Farley et Lanthier sont de retour à Ottawa en septembre 1917. Cette dernière semble s’envoler avec Stewart ou son époux. C’est toutefois seul que Farley prend l’air en soirée, devant les foules venues visiter la Central Canada Exhibition. Un projecteur suit son ascension et sa descente, et ce pratiquement jusqu’au sol.
En juin 1918, un certain George Farly est à Québec, Québec, mais il semble que Lanthier y soit aussi. Laissez-moi vous expliquer. Lors d’un vol dans cette ville, à une date indéterminée, Lanthier apprend à ses dépens que ce n’est pas une bonne idée d’emballer un parachute lorsqu’il est mouillé. En effet, celui-ci ne s’ouvre que très près (15 mètres / 50 pieds?) du sol. Lanthier a si peur qu’elle s’évanouie. Elle indique qu’une des personnes qui la ranime est l’homme fort et agent de police montréalais bien connu Wilfrid Cabana.
Il se trouve que, vous l’aurez deviné, Cabana est à Québec en juin 1918 pour se produire au Parc de l’Exposition, l’endroit même où se produit Farly / Farley.
Il est à noter que Lanthier replie elle-même son parachute avant chacune de ses envolées. Elle effectue peut-être plusieurs douzaines de sauts au cours de sa carrière.
En août 1918, Farley et Lanthier sont de retour à Québec. Ils effectuent apparemment plusieurs vols et sauts à partir du parc entourant un des plus vieux édifices de la ville, la Maison du Duc de Kent. Le mois suivant, Stewart et Farley sont encore une fois de retour à Ottawa, dans le cadre de la Central Canada Exhibition.
Soit dit en passant, le duc de Kent est le prince Edward de la maison de Hanovre, le père de Alexandrina Victoria, autrement dit la reine Victoria – une monarque mentionnée dans des numéros de novembre 2018 and mars 2021 de notre blogue / bulletin / machin. Il vit à Québec entre 1791 et 1794, avec l’amour de sa vie (1790-1818), la Française Julie de Saint-Laurent ou, plus exactement, Alphonsine Thérèse Bernardine Julie de Montgenêt de Saint-Laurent, née Thérèse Bernardine Montgenêt.
Le bon duc épouse la princesse de Leiningen, née Marie Louise Victoire de la maison Saxe-Cobourg-Saalfeld, en mai 1818, toutefois, afin de produire un héritier ou héritière pour le trône britannique. Ses deux frères se marient eux aussi en 1818, pour la même raison. Si je peux me permettre une certaine impudence, Alexandrina Victoria étant née en mai 1819, c’est le duc de Kent et son épouse qui remporte le jeu de trône, mais je digresse.
Farley prend l’air à Ottawa en septembre 1919, de nouveau dans le cadre de la Central Canada Exhibition. Sa montgolfière de foire disparaît suite à un saut en parachute par ailleurs sans incident. Elle est retrouvée à environ 13 kilomètres (8 milles) du site de l’exposition.
Quelques-uns des derniers sauts en parachute de Farley mentionnés dans les quotidiens consultés par votre humble serviteur se déroulent à Ottawa, en septembre 1920, 1921 et 1922, et à Québec, en septembre 1922. Ces sauts se déroulent habituellement fort bien. À Ottawa, en 1920, toutefois, il effectue un saut à partir d’une montgolfière de foire avec non pas 2 mais 3 parachutes qu’il ouvre l’un à la suite de l’autre. Farley se pose sur le toit d’une maison et tombe sur le sol. Il est un tant soit peu sonné. En 1921, Farley utilise une nouvelle montgolfière de foire relativement petite. Incomplètement remplie d’air chaud, elle ne monte pas très haut. Farley choisit de faire le saut quand même. Son troisième parachute a à peine le temps de s’ouvrir. Farley atterrit parmi des arbres.
À Québec, il saute d’un aéroplane mais ne parvient à ouvrir son parachute que bien près du sol.
Les derniers sauts en parachute de Farley peuvent, je répète peuvent, se dérouler à Ottawa, en septembre 1923. Il utilise pour ce faire une montgolfière de foire toute neuve, fabriquée par une firme ottavienne bien connue spécialisée dans les produits textiles, Grant-Holden-Graham Limited. Lors d’un de ces vols, le ballon déguerpit. On le retrouve à environ 13 kilomètres (8 milles) du site de la Central Canada Exhibition. Cela étant dit (tapé?), Farley peut avoir sauté lors de l’édition de 1925 de cette exposition.
Farley ou, comme on l’appelle souvent, le professeur Farley, un descripteur couramment utilisé pour décrire les aéronautes des 19ème et 20ème siècles, fait apparemment une forte impression sur les bonnes personnes de la capitale notionnelle. Désolé. Pour citer, en traduction, un article d’août 1954 trouvé dans un des principaux quotidiens de cette ville, The Ottawa Citizen,
Le professeur avait un penchant pour le tabac à chiquer et l’utilisation de grossièretés, et ses exclamations explosives à la bande de spectateurs qui maintenaient le ballon pendant qu'il se remplissait de fumée d’huile d’un grand feu alimenté au kérosène, étaient considérés comme des classiques dans l’art du blasphème.
Amen. Désolé. Encore.
Au fil des ans, avec ou sans Lanthier, Farley prend l’air dans de nombreuses municipalités du Québec (Granby, Laprairie, Longue-Pointe, Longueuil, Montréal, Québec, Sainte-Rose, Sainte-Thérèse, Sherbrooke, etc.) et de l’Ontario (Brockville, Kingston, Ottawa, Renfrew, etc.).
La carrière aéronautique de Lanthier, quant à elle, semble prendre fin une fois la Première Guerre mondiale terminée. Quelques / plusieurs aviateurs canadiens formés pendant le conflit effectuent en effet des démonstrations de vol qui comprennent parfois des sauts en parachute. Il suffit de songer au parachutiste québécois Louis Boily, apparemment actif entre 1922 et 1930.
En matière de coolitude, en anglais le mot est coolness, je ne plaisante pas, les montgolfières de foire ne font pas le poids face à des machines modernes telles que le Curtiss JN-4 Canuck, un avion d’entraînement présent dans la stupéfiante collection du Musée de l’aviation et de l’Espace, à Ottawa.
Veuillez noter que ce qui suit peut fort bien déranger de nombreuses lectrices ou lecteurs. Je dois avouer avoir été moi-même plutôt dérangé. Je ne m’attendais pas du tout aux coups de théâtre qui suivent.
En avril 1924, à Montréal, 9 hommes masqués interceptent un camion transportant des fonds de la Banque d’Hochelaga de Montréal. Le conducteur et un des hommes masqués périssent suite à cette attaque par ailleurs minutieusement préparée. Les 8 criminels survivants s’enfuient avec la colossale somme d’environ 140 000 $, soit environ 2 100 1000 $ en devise de 2021.
De nombreuses personnes sont arrêtées au cours des jours suivants, dont un ex-membre du service de police de la métropole du Canada, la Sûreté de Montréal, Louis Morel, le cerveau de cette sombre affaire. Lors de son procès, ce dernier affirme que des membres actifs de la Sûreté de Montréal baignent dans ce m*rdier.
Amédée Geoffrion, le rapporteur de la ville de Montréal et ex-député à l’Assemblée législative de la province de Québec, avoue quant à lui avoir sous son aile bienveillante le quartier chaud de Montréal, le tristement célèbre « Red Light, » où il n’impose que de légères amendes aux tenanciers et tenancières de maisons de débauche, ainsi qu’à leurs employées.
Morel et 3 de ses complices, des membres du crime organisé montréalais, dont le « roi du Red Light, » Tony Frank, né Arcangelo di Vincenzo, sont exécutés par pendaison en octobre.
Outré(e)s par ce qu’elles et ils lisent dans les journaux, de nombreuses Montréalaises et Montréalais exigent la tenue d’une enquête judiciaire. Le Cour supérieure de la province de Québec place un de ses hommes, le juge puîné François Louis Alfred Coderre, à la tête de la dite enquête. Celui-ci commence à siéger en octobre 1924.
Les efforts déployés par le Comité des seize, un groupe montréalais fondé en 1917 et férocement opposé à la prostitution, qui tire à boulets rouges sur la corruption au sein de la Sûreté de Montréal et du Comité exécutif de cette même ville, font en sorte que les travaux de Coderre portent en grande partie sur la prostitution.
Une des personnes plus ou moins forcées à témoigner est un propriétaire de garage, le sergent Frank Bond de la Sûreté de Montréal. Ce dernier reconnaît avoir payé le bail d’une résidence où demeure Lanthier. Bond affirme toutefois avoir effectué ce paiement pour la dépanner, rien de plus.
En effet, une femme ne peut pas signer de bail au Québec à cette époque. De fait, ce n’est qu’en 1964 que les Québécoises mariées accèdent aux droits de droits légaux et de propriété que les hommes détiennent depuis l’époque de Noé et de l’arche. On croit rêver, mais je digresse. Et oui, les femmes mariées vivant ailleurs au Canada accèdent à ces mêmes droits bien des années, voire quelques décennies, auparavant. On pourrait être tenté de faire à ce stade un commentaire sur le caractère distinctif de certaines sociétés, mais cela pourrait ne pas être bien reçu.
Lors de son témoignage devant Coderre, en décembre 1924, Lanthier déclare être contremaîtresse dans une manufacture de vêtements de Montréal, selon toute vraisemblance Samuel Hart & Company Limited. Environ 35 jeunes femmes sont sous ses ordres. Lanthier dit travailler depuis 1919 environ. Elle ajoute être séparée de Gadoury / Farley parce que celui-ci ne travaillait pas assez fort pour la faire vivre.
Curieusement, Lanthier affirme au journaliste du Photo-Journal qui lui rend visite en 1951 que Gadoury / Farley meurt en 1919, lors de la pandémie grippale de 1918-21.
L’intervention de Bond pour ce qui est de son bail et au moins un témoignage amènent un avocat de l’enquête judiciaire à demander à Lanthier si elle n’était pas, en fait, une tenancière de maison de débauche, avant de changer d’adresse. Si tel est le cas, Bond, que Lanthier dit connaître depuis 1916, assurait tout simplement la protection de son commerce illicite. Lanthier nie fermement cette accusation, tout comme Bond et le frère de Lanthier, qui avait vécu chez elle pendant un certain temps. De fait, elle refuse de s’en laisser imposer par l’avocat.
On est en droit de se demander si Lanthier et d’autres témoins réalisent plus ou moins consciemment que l’enquête judicaire dirigée par Coderre est un éléphantidé qui va accoucher d’un muridé.
Et oui, les muridés forment une famille de petits mammifères appartenant à l’ordre des rongeurs qui batifolent sur la Terre depuis 17 à 22 millions d’années. J’applaudit vos connaissances en paléontologie, ami(e) lectrice ou lecteur, mais revenons à notre souris – ou mulot. (Bonjour, EP!) Désolé. Revenons à notre sujet.
Rendu public en mars 1925, le Rapport d’enquête sur la police de Montréal dénonce le Comité exécutif de Montréal et, plus encore, la Sûreté de Montréal. Cette dernière est, selon Coderre, inefficace, mal encadrée et sans direction compétente. Le premier, quant à lui, s’implique pas mal trop dans l’administration du service de police. N’oublions pas que c’est le Comité exécutif de Montréal qui choisit Pierre Bélanger comme chef / surintendant incompétent, voire corrompu du dit service de police, vers décembre 1918.
De fait, Coderre recommande que le syndicat des policiers de Montréal, l’Union fédérale de la Police no 62, un ferment d’indiscipline et une école d’insubordination, ses mots pas les miens, affiliée au Congrès des Métiers et du Travail du Canada, soit dissout. Qu’il le soit ou pas n’est pas clair, et ce malgré le fait que le Conseil privé refuse, en juillet 1927, de renverser un jugement de la Cour suprême du Canada à cet effet, mais je digresse.
Fortement embarrassées et ulcérées par le rapport de Coderre, les autorités municipales de Montréal, soit les Conseil municipal et Comité exécutif, réalisent toutefois assez rapidement qu’il peut être tabletté sans conséquences graves. Si votre humble serviteur peut se permettre de paraphraser l’écrivain français de France Louis Hémon dans son célèbre roman misérabiliste Maria Chapdelaine – Récit du Canada français, paru en 1914 (feuilleton quotidien – Paris), 1916 (livre – Montréal) et 1921 (livre – Paris) et alors porté aux nues par les élites de droite laïques et cléricales du Québec et de France, au pays de Montréal rien ne doit mourir et rien ne doit changer.
De fait, Bélanger demeure en poste jusqu’en septembre 1928. Euh, en fait, il est suspendu, réintégré et disculpé. Bélanger choisit alors de démissionner.
Oserais-je dire (taper?) que le quartier chaud de Montréal rapporte trop de pognon, directement ou indirectement, à trop de gens, non respectables et respectables, pour qu’il soit rayé de la carte?
Lanthier, quant à elle, disparaît des dits journaux avant même la fin de 1924. Elle ne semble pas être inquiétée par la justice montréalaise, québécoise ou canadienne.
Lanthier réapparaît en 1951, lorsqu’elle apparaît en première page du numéro du 8 novembre de Photo-Journal.
L’article est fort intéressant mais l’absence quasi-totale de dates ne permet pas de faire le lien entre les récits de Lanthier et les informations publiées dans les journaux. Elle affirme par exemple effectuer son premier vol avec le susmentionné Stewart. Son époux étant malade le jour où il doit prendre l’air, à Longueuil, Lanthier se porte volontaire. Assistante au sol de son époux et de Stewart depuis un bon bout de temps, elle connaît fort bien l’équipement utilisé. Ce baptême de l’air se déroule sans encombre. Il peut, je répète peut, avoir lieu vers 1906. Lanthier a alors 15 ans.
Elle était une dame pour le moins courageuse.
Une semaine plus tard, toutefois, après avoir pris l’air en soirée, à l’île Sainte-Hélène, tout près de Montréal, Lanthier se pose dans le fleuve Saint-Laurent. Une ceinture de sécurité maintient la jeune femme à flot pendant environ une heure, jusqu’à ce que Charles Desjardins, le propriétaire fondateur du fameux magasin de fourrures Charles Desjardins & Compagnie Limitée de Montréal, ne la prenne à bord de son yacht.
Lanthier affirme prendre l’air au moins une fois à Ottawa en 1913, dans le cadre de la Central Canada Exhibition. Elle serait parvenue à atterrir tout juste en face de la loge où se trouve l’ex-premier ministre Henri Charles Wilfrid Laurier, un gentilhomme mentionné à quelques reprises depuis juillet 2019 dans notre blogue / bulletin / machin. Un vol effectué quelques jours plus tard se termine un peu moins bien. Lanthier fracasse alors le puits de lumière du studio d’un photographe ottavien.
Une digression si je puis me permettre. Si que votre humble serviteur ne trouve aucune preuve que Laurier est présent à l’édition de 1913 de la Central Canada Exhibition, il semble qu’il assiste à l’édition de 1912 de cette exposition. Fin de la digression.
Lors d’une envolée dans la région de Québec, à une date indéterminée, la montgolfière de foire que Lanthier partage avec Stewart devient prisonnière d’une poche d’air au-dessus de la chute Montmorency, à environ 150 mètres (500 pieds) du sol. Manœuvrant de son mieux les cordes de son parachute, elle parvient à se poser sur les rochers aux pieds de la chute.
En dépit de ses nombreux sauts périlleux, Lanthier affirme n’être blessée que 2 fois. Par une curieuse coïncidence, ces blessures sont des fractures à sa cheville droite.
Lanthier mentionne par ailleurs le saut suivant, qui est fort tragique : « Un jour, à la Côte-Saint-Paul, je tombai sur des fils électriques. Un brave homme du quartier, nommé Nantel je crois, grimpa dans un poteau pour m’aider, mais il commit une imprudence et fut carbonisé par le courant. »
Un commentaire un peu désobligeant si je peux me le permettre. J’ai l’impression que Maurice Desjardins, le journaliste qui parle avec Lanthier, polit un tantinet ses propos. Je doute en effet que Lanthier ait utilisé un temps de verbe comme le passé simple.
Quoiqu’il en soit, ce triste événement est on ne peut plus réel. Il se produit en août 1920, dans une municipalité, Côte-Saint-Paul, annexée à Montréal en 1910. La victime, Adori Nantel, est électrocutée mais non carbonisée. Désolé. Ce jour-là, Lanthier et Farley sautent de la même montgolfière de foire dans le cadre d’un festival destiné aux vétérans de la Première Guerre mondiale, à Ville-Émard, une autre municipalité annexée à Montréal en 1910. Ce dernier se pose sans encombre et suggère de faire venir des pompiers pour secourir son épouse. Nantel monte dans une échelle en dépit des avertissements de ces derniers. En fin de compte, Lanthier parvient à se libérer de son harnais. L’aéronaute se laisse alors tomber dans une automobile dont le conducteur est venu se placer au-dessous d’elle.
Ce qui est curieux dans cette histoire tragique, c’est que le nom de Lanthier n’apparaît nulle part dans les articles parus dans des quotidiens montréalais. Le nom que votre humble serviteur trouve dans ces textes est Eileen Vernal – un nom qui ne semble pas être présent ailleurs dans ces dits quotidiens.
Une miséreuse couturière dont la petite maison de Montréal-Nord n’a peut-être pas l’eau courante, Lanthier travaille de chez elle pour un ou quelques ateliers montréalais depuis quelques / plusieurs années au moment de son entrevue. Elle disparaît de nouveau après la publication de l’article de Photo-Journal et votre humble serviteur ne sait pas quand elle décède.
Lanthier est à bien des égards un personnage fascinant. Les aspects troublants de sa vie ne diminuent pas sa contribution à l’histoire de l’aviation au Québec et au Canada.
L’auteur de ces lignes souhaite remercier toutes les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur.
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