Il a vraiment continué longtemps, longtemps, longtemps : Un bref aperçu de la carrière canadienne de l’avion d’entraînement à réaction Lockheed / Canadair Silver Star, partie 2
Bienvenue dans cette édition spéciale de la Journée nationale de l’aviation de notre blogue / bulletin / machin. Comme vous l’avez peut-être remarqué, le plus récent numéro du dit blogue / bulletin / machin avait atteint la longueur moyenne que je me permets pour vous casser les pieds. D’où cette édition spéciale qui votre humble serviteur va commencer sans plus tarder.
Le premier Canadair Silver Star quitte le sol en décembre 1952. Curieusement, il peut, je répète peut, être muni d’un moteur Rolls-Royce Nene livré par une importante firme française.
Détail intéressant, ne serait-ce que pour votre humble serviteur, la collection du sublime Musée de l’aviation et de l’espace du Canada à Ottawa, Ontario, comprend un Nene fabriqué par… une importante firme française, la Société d’exploitation des matériels Hispano-Suiza.
Cette firme produit de nombreux Nene sous licence afin d’équiper des versions améliorées fabriquées en France de l’avion de chasse à réaction de Havilland Vampire, les SNCASE SE 532 Mistral et SE 535 Mistral, ainsi que le premier avion de chasse à réaction 1 000 % français, le Dassault MD 450 Ouragan.
Remarquez, la firme australienne Commonwealth Aircraft Corporation assemble apparemment un petit nombre de Nene montés par la suite sur des Vampire fabriqués sous licence en Australie par de Havilland Aircraft Proprietary Limited, une filiale d’un avionneur britannique mentionné à plusieurs reprises depuis février 2018 dans notre vous savez quoi, de Havilland Aircraft Company Limited.
C’est toutefois l’Union des républiques socialistes soviétiques qui produit le plus grande nombre de Nene, sans aucune licence de production. Le Klimov RD-45 et son dérivé, le Klimov VK-1, propulsent un des plus importants avions de chasse du 20ème siècle, le Mikoyan-Gourevitch MiG-15, un aéronef représenté dans la spectaculaire collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada sous la forme d’un WSK Lim-2 fabriqué en Pologne. Soit dit en passant, le VK-1 est fabriqué sous licence en Pologne, ainsi qu’en Chine et Tchécoslovaquie.
Comment un des moteurs à réaction les plus puissants du monde fait son chemin vers un pays dont l’antagonisme envers le Royaume-Uni n’est pas un secret d’état mériterait d’être raconté. En 1946, avant que la Guerre froide ne commence vraiment à mordre, un gouvernement britannique nouvellement élu autorise Rolls-Royce à exporter des Nene vers l’URSS. Cet effort bien intentionné, bien que quelque peu naïf, pour améliorer les relations avec le gouvernement soviétique est un cadeau du ciel pour l’industrie aéronautique de cette dictature.
Voyez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur, aucun moteur de conception soviétique ne peut être comparé au Nene. Le bureau d’études expérimentales dirigé par Vladímir Yákovlevitch Klímov reçoit donc immédiatement l’ordre de rétroconcevoir le moteur britannique afin de le produire en série en URSS, mais revenons à notre histoire. Encore. Désolé.
Comme vous l’avez lu et vu dans la première partie de cet article, le ministre de la Défense nationale du Canada, Brooke Claxton, un bourreau de travail brillant et innovateur, accepte le premier Silver Star remis à l’Aviation royale du Canada (ARC), en février 1953. Cette cérémonie de prise de possession ne se déroule toutefois pas exactement comme prévu. Nenni. Le rude climat canadien joue en effet les trouble-fêtes.
Le jour dit, l’avion de transport Douglas Dakota de l’ARC qui doit transporter Claxton, le maréchal de l’Air Charles Roy Slemon, chef d’état-major de l’air, d’autres dignitaires et quelques journalistes décolle avec environ 45 minutes de retard pour raison de faible visibilité au sol. Et oui, le Dakota en question part de la base de l’ARC de Rockcliffe, près d’Ottawa, qui se trouve à deux pas du site occupé en 2023 par le stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Et oui, l’illustre collection de ce géant muséal comprend un exemplaire du pendant civil du Dakota, soit un Douglas DC-3. (Bonjour, EG!)
Une fois le Dakota arrivé à Cartierville, Québec, où se trouve l’usine de la firme qui doit produire des T-33 au Canada, Canadair Limited, des vents violents et de fortes chutes de neige forcent son équipage à se poser non loin de là, l’aéroport de Montréal (Dorval), à… Dorval, Québec. Claxton et les autres passagers du Dakota prennent place à bord d’automobiles pour se rendre à Cartierville. Ce périple hivernal dure environ 30 minutes.
La cérémonie de prise de possession du premier Silver Star fabriqué au Canada commence en fin de compte avec environ 75 minutes de retard. Elle comprend évidemment des discours, le premier prononcé par James Geoffrey « Geoff » Notman, le président et gérant général de Canadair rappelons-le, et le second par Claxton. Ces gentilshommes inspectent le Silver Star et jettent un coup d’œil rapide sur la chaîne de montage. L’événement se conclut par un buffet auquel les journalistes ne sont pas invités.
Meme si votre humble serviteur est loin d’en être sûr, j’ai l’impression que le nom Silver Star associé aux Lockheed T-33 fabriqués au Canada est mentionné pour la première fois en février 1953, lors de la susmentionnée cérémonie. Ce descripteur combine les mots Star, extrait de Lockheed F-80 Shooting Star, un descripteur que vous connaissez déjà, ami(e) lectrice ou lecteur, et Silver, extrait de Silver Dart, un descripteur que vous connaissez également déjà, et… Soupir… Ne me dites pas que l’expression Silver Dart ne vous dit rien. La première machine volante motorisée plus lourde que l’air ayant effectué un vol en sol canadien en février 1909? Ahh, je me disais aussi. Vous vous en êtes rappelé(e).
Cela étant dit (tapé?), force m’est d’admettre que l’expression Silver Star / Silver Star Medal identifie également la troisième plus haute décoration de combat militaire pouvant être décernée à un membre des forces armées américaines. Je doute fort que l’équipe entourant Claxton ait ignoré ce petit détail.
Les premiers Silver Star fabriqués par Canadair entrent en service en 1953.
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, le gouvernement fédéral remet environ 120 Silver Star à 4 pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), soit la France, la Grèce, le Portugal et la Turquie, dans le cadre de son programme d’aide mutuelle.
La United States Air Force (USAF) envisage (sérieusement?) à un certain moment, vers 1951-52 semble-t-il, d’acheter des Silver Star mais les négociations à cet effet tournent court.
Canadair fabrique en fin de compte environ 655 Silver Star entre 1952 et 1959.
Une longue digression si vous me le permettez. Le programme d’aide mutuelle canadien voit le jour vers la fin des années 1940, alors que la Guerre froide se fait de plus en plus présente. (Bonjour, EG et VW!) Ne l’oublions pas, l’OTAN voit le jour en avril 1949 pour protéger l’Europe occidentale contre une agression soviétique.
Dévastée lors de la Seconde Guerre mondiale, les industries de défense des pays d’Europe occidentale, exception faite du Royaume-Uni, ne peuvent pas fabriquer l’équipement nécessaire au rééquipement de leurs forces armées. L’aide ne peut venir que d’Amérique du Nord. Le Canada, et les Etats-Unis, commencent par se débarrasser de montagnes de matériel de guerre datant du conflit. Ce faisant, le gouvernement fédéral préserve l’image de marque de Canada, tout en stimulant l’économie du pays. Il faut en effet de nouvelles armes pour remplacer celles qui se dirigent vers l’Europe. Ne l’oublions pas, les forces armées canadiennes commencent elles aussi à réarmer.
L’invasion de la Corée du Sud par son voisin du nord, en juin 1950, bouleverse toutes les prévisions. Le réarmement des pays occidentaux prend de la vitesse. Si les membres européens de l’OTAN, y compris le Royaume-Uni, ont grand besoin de matériel moderne, le fait est que leurs économies demeurent bien fragiles. Soyons brutal, ils ne sont pas en mesure de payer pour tout ce dont ils ont besoin.
Le gouvernement fédéral pèse le pour et le contre et décide de maintenir son programme d’aide mutuelle. L’industrie aéronautique canadienne, et Canadair en particulier, n’ont pas à regretter cette décision. Les commandes placées dans le cadre de l’aide mutuelle permettent à de nombreuses firmes canadiennes de rentabiliser leur production. Du coup, le potentiel de l’industrie aéronautique nationale s’accroît de façon substantielle.
Avant que je ne l’oublie, le Silver Star est redésigné CT-133 Silver Star à une date indéterminée (1968?).
Comme il est fait allusion dans la première partie de cet article, le gouvernement canadien vend ou donne une vingtaine de Silver Star au gouvernement militaire / dictatorial de Bolivie vers 1973-74.
Le dernier Silver Star de ce qui est alors le Commandement aérien des Forces canadiennes est retiré du service en avril 2005.
Un aspect intéressant de la saga du T-33 commence au milieu des années 1970. Ayant réalisé des études théoriques et avec des modèles réduits, des ingénieurs d’une société d’état française souhaitent essayer en vol le profil d’aile dit supercritique qu’ils ont mis au point. Aérospatiale Société nationale industrielle emprunte alors un Silver Star, si, si, un Silver Star, de l’Armée de l’Air. Son personnel monte des ailes en bois recouvertes de tissu enrobé de résine sur les ailes métalliques de l’aéronef.
Ce prototype, surnommé Pégase, prend l’air en avril 1977. Il vole jusque vers 1980. Remis au mondialement connu Musée de l’Air et de l’Espace, à Le Bourget, France, non loin de Paris, ce Silver Star est détruit en mai 1990 lors de l’incendie qui ravage des hangars qui abritent une partie de la collection.
Utilisée sur de nombreux types récents d’avions de transport et d’affaires à réaction, l’aile supercritique est un type d’aile qui permet d’augmenter un peu la vitesse et de réduire un peu la consommation de carburant. Un brillant ingénieur aéronautique américain, Richard Travis Whitcomb, développe ce concept dans les années 1960. L’avion d’affaires à réaction Canadair / Bombardier Challenger est un des premiers aéronefs de série à être muni d’une aile supercritique. Un des prototypes de cette machine de renommée mondiale fait partie de la fabuleuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
Un autre aspect intéressant de la saga du T-33 commence également au cours des années 1970. C’est en effet à cette époque qu’un pilote d’essai américain (à la retraite?), Russell Patrick O’Quinn, en vient à la conclusion qu’un aéronef de combat polyvalent et relativement peu coûteux pourrait intéresser les forces aériennes de pays en développement, voire même la USAF. Conscient du fait que le T-33 est une machine à la fois désuète et disponible en grand nombre (de 1 000 à 1 500 plus ou moins en état de vol?), O’Quinn conçoit l’idée de mettre au point une version modernisée de la dite machine.
Fort de cette idée, O’Quinn contacte le gouvernement italien et / ou la Aeronautica Militare mais les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord. Il contacte par la suite des avionneries américaines, dont Lockheed Aircraft Corporation, mais celles-ci ne peuvent pas, ou ne veulent pas, l’aider financièrement.
En 1981, O’Quinn rencontre un géologiste et homme d’affaires américain impliqué dans quelques projets de modification d’avions légers / privés au cours des années 1970. Gilman A. Hill accepte d’investir dans le projet de O’Quinn. Ensemble, ils fondent Flight Concepts Limited Partnership, une société en commandite dans laquelle le duo est à la fois commandité et commanditaire. En 1982, O’Quinn commencé à créer une équipe constituée d’ingénieurs retraités de Lockheed Aircraft qui connaissent bien le T-33. La dite équipe entame alors la mise au point d’une version à 2 moteurs fortement modernisée de l’aéronef.
Flight Concepts Limited Partnership peut, je répète peut, devenir Flight Concepts Incorporated en 1982, mais la firme change apparemment de nom pour devenir Skyfox Corporation au plus tard en 1984.
Un prototype du Flight Concepts / Skyfox Skyfox vole en août 1983. La firme derrière lui se fait fort de claironner que cette machine a des performances comparables à celles d’avions d’entraînement modernes tout en coûtant deux fois moins cher. Il peut par ailleurs remplir des missions d’attaque au sol.
Et oui, le prototype du Skyfox est en fait un Silver Star.
Notre Skyfox ne doit pas être confondu avec un autre Skyfox. Nenni. Ce canidé volant particulier est un jeu de simulation de vol de combat développé entre 1981 et 1984 par un adolescent américain, Raymond « Ray » Tobey. La firme américaine Electronic Arts Incorporated publie ce jeu en 1984. Plus de 400 000 copies (!) du Electronic Arts Skyfox sont vendus, mais revenons à notre histoire.
En 1983, Flight Concepts / Skyfox reçoit une lettre d’intention d’un organisme d’état portugais, Oficinas Gerais de Material Aeronáutico (OGMA), touchant la conversion des 20 T-33 que la Força Aérea Portuguesa (FAP) songe à faire effectuer. Croiriez-vous que OGMA est mentionnée dans un numéro de janvier 2021 de notre vous savez quoi? Mais je digresse.
Le hic, c’est que personne d’autre ne vient cogner à la porte de Skyfox, et ce même si l’aéronef attire pas mal d’attention lors de spectacles aériens. De fait, croiriez-vous que le Skyfox est au cœur de l’intrigue d’un épisode de la première saison (1984) de la série télévisée dramatique militaire d’action américaine Airwolf / Supercopter? L’équipage d’un hélicoptère militaire de haute technologie, le Airwolf / Supercopter du titre, parvient évidemment à empêcher un pilote américain de la guerre du Vietnam de voler un prototype militaire américain de haute technologie pour le donner à l’empire du mal, l’URSS bien sûr, ère reaganienne oblige, afin de sauver le fils qu’il a engendré lors de son séjour au Sud-Vietnam, mais revenons à notre sujet.
Les déboires de Skyfox et du Skyfox ne mettent toutefois pas fin au projet. Nenni. La filiale militaire du géant aérospatial américain Boeing Company commence en effet à s’y intéresser en 1985. De fait, Boeing Military Airplane Company (BMAC) acquiert les droits de production exclusifs avant même la fin de l’année. La firme pense que les clients devraient avoir la possibilité d’acheter des kits de conversion qu’ils pourraient utiliser pour convertir des T-33 en Skyfox sur leur propre sol, ou de laisser BMAC s’occuper de ce travail. Le hic, c’est que personne ne vient cogner à la porte de BMAC. Même la FAP et OGMA décident de ne pas s’engager plus avant.
BMAC se retire du projet en 1988, au grand dam de la direction de Skyfox, qui poursuit son ancien partenaire, alléguant que celui-ci n’a ni investi les sommes promises, ni tenté sérieusement de trouver des clients. L’issue de cette poursuite est une victoire pour BMAC.
En dépit de tout, la direction de Skyfox espère encore trouver un autre partenaire en 1991. De fait, elle mentionne que le Commandement aérien des Forces canadiennes a manifesté, ou peut encore manifester, un certain intérêt, sinon un intérêt certain. Au cours des années passées, la même chose peut, je répète peut, s’appliquer à la Daehanmingug Gong-Gun et / ou à la Polemikí Aeroporía, autrement dit aux forces aériennes sud-coréenne et / ou grecque.
En fin de compte, les espoirs et efforts de Skyfox ne mènent nulle part. Et oui, Boeing est mentionnée dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis novembre 2017.
Une personne un tant soit peu cynique, mais pas votre humble serviteur bien sûr, pourrait suggérer que les états-majors des forces aériennes de notre grosse bille bleue sont bien davantage intéressés par les plus récents jouets, désolé, désolé, par les aéronefs les plus performants, modernes, coûteux et complexes que par des machines solides, fiables et économiques mais basées sur une technologie un peu vieillotte.
Le seul et unique Skyfox se trouve au Rogue Valley International-Medford Airport, en Oregon, au début des années 2000. Quelqu’un (O’Quinn?) le pilote une ou deux fois à cette époque. L’aéronef appartient alors en effet apparemment au susmentionné O’Quinn. Le Skyfox quitte apparemment l’aéroport en question pour des régions inconnue vers 2013-14. Fait intéressant, son immatriculation expire en novembre 2014.
Début 2023, l’aéronef était en prêt au Palm Springs Air Museum de… Palm Springs, Californie. Une petite équipe le restaure au statut d’exposition statique. À l’époque, et vraisemblablement depuis le début des années 2010, l’aéronef appartient à la famille de feu O’Quinn.
Et c’est tout pour cette semaine, je pense. J’espère. Bonne journée nationale de l’aviation, ami(e) lectrice ou lecteur! À plus.
L’auteur de ces lignes souhaite remercier toutes les personnes qui ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur.