Tirer des marchandises sur une glace mince : Le chemin de fer du pont de glace entre Longueuil, Québec, et Hochelaga / Montréal, Québec, partie 2
Bienvenue à la seconde partie de cet article sur un aspect unique de l’histoire des chemins de fer au Canada, ami(e) lectrice ou lecteur.
Lorsque nous nous sommes défilé(e)s la semaine dernière, le chemin de fer sur la glace entre Hochelaga / Montréal, Québec, et Longueuil, Québec, venait d’être inauguré, fin janvier 1880. Voyons ce qui s’est passé ensuite, d’accord?
Le premier jour du service régulier, un ou quelques trains transportent des personnes intéressées à éprouver le frisson de voyager sur la glace. Le coût? 25 cents pour un aller-retour, ce qui équivaut à environ 7.00 $ en devise 2023, ce qui n’est pas trop mal. Et non, si votre humble serviteur avait été présent à l’époque, je n’aurais pas fait cette traversée pour toute la richesse de la Terre. Suis-je un Gallus gallus domesticus, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur amusé(e)? Et comment.
Au fait, vous et moi devrions nous considérer chanceux que les poulets ont la taille qu’ils ont. Rencontrer un Gallus gallus domesticus mécontent de la taille d’un Homo sapiens adulte dans une ruelle sombre pourrait ne pas être une expérience amusante.
Ce qui me fait penser à Sylviornis, un parent pas trop, trop éloigné des poulets. Originaire de Nouvelle-Calédonie, une île de l’océan Pacifique, cet oiseau incapable de voler, un lent brouteur à première vue, pesait jusqu’à 35 kilogrammes environ (environ 75 livres). Avec sa tête tenue bien haute, un grand individu aurait pu mesurer jusqu’à 1.6 mètre (5 pieds 3 pouces). La prédation humaine ainsi que la prédation par des meutes de chiens sauvages, introduits par les dits humains, sans oublier la perte d’habitat résultant de la présence… humaine, provoque l’extinction de Sylviornis il n’y a pas plus de 3 000 ans, ce qui est bien dommage. Mais revenons à notre histoire.
Il s’avère que la voie ferrée sur la glace commence apparemment à transporter des trains composés de wagons de marchandises et / ou de wagons plats quelques jours après son inauguration. Jugée un tantinet trop lourde, la locomotive utilisée pour l’inaugurer peut être mise de côté au profit d’une machine plus légère. De fait, la puissance de la vapeur peut avoir cédé la place à la puissance des chevaux à quelques / plusieurs reprises.
Ce n’est cependant pas le seul revers. Les installations limitées disponibles à Longueuil s’avèrent problématiques. Le temps qu’il faut pour décharger les wagons de marchandises agace aussi grandement la direction de Quebec, Montreal, Ottawa & Occidental Railway Company (QMO&OR) de Montréal (?), qui espérait livrer plus de marchandises – et gagner plus de pognon. Un dégel très important à la fin février suscite également quelques inquiétudes.
Incidemment, l’épaisseur de la glace près de la voie est vérifiée trois fois par semaine. Des trous sont forés tous les 180 mètres environ (environ 200 verges). Pas plus tard que début mars, la glace atteint environ 60 à 90 centimètres (environ 2 à 3 pieds) d’épaisseur. Cela étant dit (tapé?), cependant, une très grande ouverture sur la glace, à seulement 180 mètres environ (environ 200 verges) de la voie, se rapproche progressivement mais lentement. Pour réduire la charge sur la glace, la puissance des chevaux remplace la puissance de la vapeur à la mi-mars.
La dernière traversée de la saison 1880 a lieu le tout premier jour d’avril, et ce n’est pas une blague. La voie est bientôt démantelée et entreposée à Longueuil et Hochelaga, prête à être utilisée durant l’hiver 1880-81. Tragiquement, un des travailleurs embauchés pour le travail, un Québécois du nom de Valiquette, perd la vie en glissant à travers la glace.
Au total, de 1 000 à 1 200 wagons environ effectuent la traversée en 2 mois. Des chevaux fournissent la puissance requise dans la plupart des cas. Si plus de wagons de chemin de fer et une locomotive dédiée avaient été disponibles à plein temps, beaucoup plus de marchandises auraient pu être transportées.
Pour aggraver les choses, le chemin de fer sur la glace perd de l’argent. Cela dit (tapé?), les directions de QMO&OR et de son partenaire, South Eastern Railway Company de Montréal, sont généralement satisfaites des résultats. Voyez-vous, elles ne s’attendaient pas à faire de l’argent pendant la première saison d’opérations.
Et oui, en préparation de la saison 1880-81, l’une ou les deux firmes commandent 100 wagons supplémentaires.
Il convient également de noter que l’existence même du chemin de fer sur la glace aurait, je répète aurait, pu forcer Grand Trunk Railway Company of Canada (GTR) de Montréal à réduire (considérablement?) ses tarifs de fret sur la route entre Québec, Québec, et Boston, Massachusetts.
Toujours désireux de transporter des marchandises sur le fleuve Saint-Laurent, South Eastern Railway et QMO&OR utilisent apparemment des barges remorquées par un remorqueur dès que la navigation entre Hochelaga et Longueuil devient possible. Comme mesure à plus long terme, ils prévoient financer la construction d’une paire de traversiers ferroviaires à vapeur qui doivent être prêts en août 1880. On parle même d’un tunnel.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, on dirait qu’un seul traversier à vapeur à roues latérales, un navire apparemment connu sous le nom de SS South Eastern, est en fait construit par Montreal Marine Works (Limited?), un chantier naval montréalais respecté appartenant à un important constructeur naval francophone, Augustin Cantin. La compagnie qui exploite ce navire est la Compagnie de navigation de Longueuil.
Lancé en juillet 1881, le traversier ferroviaire aurait fait sa première traversée du fleuve Saint-Laurent en septembre. Initialement utilisé pour transporter du fret, le navire transporte sa première charge de 4 wagons chargés ce même mois. De fait, au plus tard à la première semaine d’octobre, SS South Eastern a transporté pas moins de 400 wagons sur le fleuve Saint-Laurent. Mis en cale sèche pour réparer des dommages à sa coque à un moment donné en octobre ou novembre, il est remis en service bien avant la fin de ce dernier mois.
Avant que j’oublie, saviez-vous que William Notman, le co-patron du fameux studio de photographie Notman & Sandham de Montréal est apparemment le président de la dite Compagnie de navigation de Longueuil? Le monde est petit…
Curieusement, la bien connue firme Beauchemin & Fils (Limitée?) de Sorel, Québec, exploitée par Joseph Hyacinthe, Louis Philippe et Moïse Beauchemin, est également mentionnée comme étant le fabricant du traversier à vapeur à roues latérales. Mieux encore, la paire de moteurs à vapeur construits pour être utilisés sur ce navire est apparemment fabriquée par E.E. Gilbert & Sons (Limited?) de Montréal.
Alors quoi, dites-vous (tapez-vous?), ami(e) lectrice/lecteur blasé(e)? Alors quoi!? Je vous ferai savoir que Ebenezer Edwin Gilbert est un des premiers ingénieurs en mécanique, un ingénieur autodidacte à coup sûr mais quand même sacrément bon, qui vient au monde dans ce qui est maintenant le Canada. En fait, il naît à Montréal, dans ce qui est alors le Bas-Canada, en septembre 1823.
Gilbert est reconnu pour la qualité et le caractère innovant des moteurs à vapeur qu’il développe pour des navires et stations de pompage d’eau municipales, sans oublier son travail de pionnier dans le forage sous-marin.
Il suffit de mentionner le moteur du bateau à vapeur à aubes SS Montreal, le plus gros et le plus puissant construit à ce jour dans ce qui est alors la province du Canada. Achevé en 1860, ce navire effectue encore ses trajets réguliers entre Montréal et Québec lorsque Gilbert quitte cette Terre en février 1889, à l’âge de 65 ans, mais revenons à notre récit.
Le succès relatif de la saison 1880 incite les promoteurs du chemin de fer sur la glace à réessayer durant l’hiver 1880-81. De fait, la construction de la voie commence au début de janvier 1881 et s’achève en quelques jours. Si la glace du côté de Longueuil s’avère remarquablement lisse et exempte de bourguignons, celle du côté d’Hochelaga s’avère beaucoup plus difficile à travailler. Compte tenu du nombre de wagons qui attendent à Hochelaga (jusqu’à 1 500?), la vitesse est de mise. De fait, les ouvriers travaillent aux flambeaux à au moins deux reprises. Louis Adélard Senécal et quelques autres grosses légumes se pointent au moins une fois pour les encourager à procéder rapidement.
Pour une raison ou pour une autre (bonne qualité de la glace ou besoin de vitesse?), la voie ferrée installée en travers du fleuve Saint-Laurent en 1881 est nettement plus courte que celle utilisée en 1880. Plutôt que de faire un grand détour, sa trajectoire entre Longueuil et Hochelaga est presque une ligne droite.
Aussi bénéfique que soit le nouveau tracé pour les exploitants du chemin de fer sur la glace, de nombreuses personnes qui doivent fréquemment traverser le fleuve Saint-Laurent sont loin d’être satisfaites. Ce nouvel itinéraire est parfois inconfortablement proche du chemin emprunté par ces individus. Le bruit des locomotives pourrait effrayer les chevaux qui tirent leurs traîneaux. Si les autorités municipales de Longueuil ne se penchent pas sur cette affaire, elles pourraient être poursuivies par quiconque aurait un accident causé par un cheval paniqué.
Une locomotive va sur la glace au début de janvier, avant que quelques touches finales à la voie ne soient mises en place. Elle rencontre des wagons de chemin de fer au milieu du fleuve et les transporte jusqu’à une rive du fleuve Saint-Laurent que je n’ai pas encore identifiée. Des chevaux quittent alors Longueuil et remorquent pas mal de wagons jusqu’au milieu du fleuve. Une locomotive quitte Hochelaga peu de temps après et transporte les dits wagons jusqu’à une rive du fleuve Saint-Laurent que je n’ai pas encore identifiée. Convaincu que le chemin de fer sur la glace est prêt à être utilisé, l’équipe attelle une locomotive à 18 wagons, je crois, et la regarde traverser le majestueux fleuve Saint-Laurent.
Ce même premier jour de fonctionnement, un train n’est qu’à 180 à 280 mètres environ (environ 200 à 300) verges du rivage à Longueuil lorsqu’il saute de sa voie, se renverse d’un côté, passe à travers la glace et coule. Toutes les quelques personnes à bord sauf une ont le temps de tenir compte de l’avertissement crié par le chauffeur et sautent en toute sécurité sur la glace. L’ingénieur / conducteur de train n’est pas aussi rapide. Il tombe à l’eau et a de la chance de s’en sortir avec sa vie.
Curieusement, quelques reportages soulignent qu’un des individus à bord de la locomotive, le chauffeur peut-être, est le fils du surintendant général de QMO&OR. Cela n’est pas possible, car Senécal n’a pas de fils. Il a cependant deux filles.
Divers aspects de l’accident survenu au chemin de fer sur la glace entre Hochelaga, Québec, et Longueuil, Québec. Anon., « Sketches on the ice railroad, a locomotive gone astray. » Canadian Illustrated News, 15 janvier 1881, 41.
Bien que la cause… Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous souhaitez en savoir plus sur l’illustration que vous venez de voir? De la musique à mes oreilles. Voici une traduction de leurs légendes…
En haut à gauche – Grande effervescence chez les locaux
En haut – Carte du pont de glace-chemin de fer, d’une rive à l’autre
En bas – L’accident
Votre humble serviteur s’est permis d’exclure des vues du site de l’accident vu de loin et regardant à la fois vers Hochelaga et Longueuil, ainsi qu’un dessin de trois personnes vérifiant l’épaisseur de la glace, mais revenons à notre histoire.
Bien que la cause de l’accident ne peut pas être entièrement établie, il est possible que le train avec les 18 wagons ait affaibli / fissuré la glace. Remarquez, un changement d’épaisseur de la glace et / ou un tourbillon sur le site de l’accident ayant affecté l’épaisseur de la glace peut également avoir joué un rôle.
L’équipe du chemin de fer sur la glace installe rapidement une petite voie de contournement à une certaine distance de l’énorme trou dans la glace, ce qui permet à la circulation de reprendre le lendemain, je pense. Cependant, la nouvelle locomotive affectée au chemin de fer sur la glace tombe rapidement en panne, ce qui signifie que des chevaux doivent être utilisés pendant un certain temps.
Le renversement d’un chariot tiré par des chevaux le lendemain de l’accident alors que celui-ci monte une déclivité pour éviter une collision avec un traîneau tiré par des chevaux montre à quel point l’état des glaces sur le fleuve Saint-Laurent est préoccupant.
Entre-temps, de grandes quantités d’eau, sans parler de beaucoup de foin et branches, sont jetées autour du trou béant pour renforcer son périmètre afin qu’un trio de grosses grues puisse être ancré près de son bord. Au moment où ce travail est complété, la glace a environ 2.15 mètres (environ 7 pieds) d’épaisseur.
L’équipe chargée de soulever la locomotive est, dit-on, dirigée par un maître charretier local, Louis Laurier, je crois. Ceci étant dit (tapé?), un gentilhomme de Sorel, Québec, du nom de Charles ou Moïse Champagne est responsable de l’équipe de plongée. Vêtu du lourd et encombrant scaphandre utilisé à l’époque, ce dernier doit descendre 3 fois sans succès dans les eaux glaciales du fleuve Saint-Laurent avant de croiser la locomotive de QMO&OR, intacte mais couchée sur le flanc, à environ 9 mètres (30 pieds) sous l’eau.
De nombreux badauds regardent les procédures avec beaucoup d’intérêt, ce qui agace et inquiète les personnes impliquées dans l’opération de sauvetage. Voyez-vous, si un des câbles utilisés pour soulever la locomotive ou un des câbles des ancrages utilisés pour stabiliser les derricks venait à lâcher, de nombreux badauds pourraient être gravement blessés – ou pire. De fait, un des câbles lâche plus tard alors que la locomotive quitte son tombeau liquide mais, heureusement, personne n’est blessé. L’équipe a le temps d’attacher des câbles à la locomotive avant qu’elle ne coule une seconde fois au fond du fleuve.
Un quotidien montréalais, La Patrie, trouve beaucoup de choses qu’il n’aime pas dans les articles publiés dans le quotidien pro-gouvernemental La Minerve, également montréalais. Selon ce journal non pro-gouvernemental, trois individus du nom de Beauchemin, Fréchette et Seigman (Sigman? Seligman?) sont chargés de l’opération de sauvetage. Seigman est celui qui plonge dans le fleuve Saint-Laurent. De fait, il doit descendre au moins une demi-douzaine de fois pour sécuriser les chaînes nécessaires au levage de la locomotive, qui n’est pas parfaitement intacte.
Curieusement, La Patrie rapporte que La Minerve rapporte que l’eau au fond du fleuve Saint-Laurent est… tiède. Cela n’est toutefois pas exact. Cette dernière affirme en effet que les plongeurs affirment que la température de l’eau est confortable.
Quoi qu’il en soit, la locomotive est hissée hors de l’eau à la fin janvier et remorquée jusqu’à un atelier de Longueuil, à proximité, en utilisant une voie temporaire. Elle est apparemment de retour sur la bonne voie, sans jeu de mots, à la mi-février, et…
Vous avez une question, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur attentive / attentif ? Merveilleux. Parlez, s’il vous plaît. La personne Beauchemin mentionnée il y a quelques secondes est-elle un des propriétaires de la firme bien connue Beauchemin & Fils (Limitée?) de Sorel, Québec, opérée par Joseph Hyacinthe, Louis Philippe et Moïse Beauchemin et mentionnée dans la première partie de cet article comme étant un possible fabricant du traversier à vapeur à roues latérales SS South Eastern? Hmm, je n’y avais pas pensé, mais c’est certainement une possibilité. Bien joué, mais c’est vous qui digressez cette fois. Revenons à la saison d’exploitation de 1881 de notre chemin de fer sur la glace.
Des conditions douces et pluvieuses se révèlent rapidement problématiques pour les exploitants du dit chemin de fer. Des fissures apparaissent dans la glace. Pour maintenir le service, les ouvriers insèrent de longues poutres en bois sous la voie pour répartir la charge. Des chevaux sont utilisés en lieu et place d’une locomotive pour réduire davantage la charge sur la glace.
En mars, alors que le printemps arrive à Montréal, les ouvriers commencent à démanteler le chemin de fer sur la glace. Chaque morceau est enlevé et entreposé quelques jours avant la fin du mois. Au total, la voie ferrée sur la glace a été en place, mais pas nécessairement opérationnelle remarquez, pendant une dizaine de semaines.
Curieusement, ce même jour où le printemps arrive à Montréal, un quotidien de Québec, Le Journal de Québec, rapporte que, pas tout à fait un mois auparavant, un chemin de fer sur la glace est inauguré entre Oranienbaum et le port insulaire de Kronshtadt, deux localités situées à proximité de Sankt-Peterburg, Empire russe. Le Journal de Québec semble croire que la dépêche qu’il cite affirme que le dit chemin de fer est le premier du monde. Votre humble serviteur s’inscrit en faux. D’autres sources qui mentionnent l’inauguration déclarent simplement que le chemin de fer sur la glace entre Oranienbaum et Kronshtadt est le premier de l’Empire russe.
Cela étant dit (tapé?), le chemin de fer sur la glace russe est une pièce d’ingénierie beaucoup plus impressionnante que celle du Québec. Ouais, il l’est. D’une longueur d’environ 22.5 kilomètres (14 milles), il peut apparemment accueillir des trains transportant jusqu’à 500 tonnes métriques (500 tonnes impériales / 550 tonnes américaines) de fret, mais je digresse.
Malgré l’accident majeur mentionné plus haut, les gens derrière le chemin de fer sur la glace du Saint-Laurent, ou du moins certains / plusieurs d’entre eux, n’abandonnent pas. Le temps est cependant exceptionnellement clément à Montréal à la fin de 1881. En conséquence, la construction de la voie ne débute qu’à la fin de janvier 1882. Compte tenu du nombre de wagons qui attendent à Hochelaga, la vitesse est assurément de mise.
Pour aggraver les choses, la glace se brise à deux endroits, créant des trous béants de plusieurs mètres (verges) de largeur. Compte tenu des problèmes associés au déplacement de la voie vers un endroit plus sûr et du risque que la glace se brise là aussi, les ouvriers ne peuvent que boucher les trous existants. On craint de plus en plus que la mauvaise qualité de la glace n’empêche l’exploitation du chemin de fer sur la glace en 1882.
Quoi qu’il en soit, la première traversée s’effectue quelques jours avant la mi-février. Ce même jour, peu après avoir quitté Longueuil, le mécanicien d’un train est horrifié de voir la glace couler, puis craquer sous son poids. Il donne toute la puissance du moteur de la locomotive et espère pour le mieux. La glace se brise rapidement en quelques gros blocs. L’augmentation de la vitesse est peut-être la seule chose qui empêche le train de sombrer. Au lieu de cela, il atteint une partie de la voie où la glace est plus épaisse. La circulation entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent est immédiatement interrompue.
Deux jours plus tard, des travailleurs se rendent prudemment sur la glace pour examiner la voie. Ils découvrent que la zone brisée est gelée. La voie n’a besoin que de réparations mineures. Les trains commencent à la traverser le même jour. Leurs équipages ne sont peut-être pas trop ravis de la décision de leurs supérieurs.
Plus tard le même jour, alors qu’un train à destination de Longueuil atteint le point médian de la voie ferrée sur la glace, une locomotive et deux des trois wagons sautent de la voie. Cette fois-là, la glace tient. Les ouvriers se rendent rapidement sur les lieux. La locomotive et les wagons sont bientôt remplacés sur la voie.
Cependant, le trafic régulier ne reprend apparemment pas immédiatement, car certains problèmes, peut-être d’importantes congères, continuent d’affliger le chemin de fer sur la glace jusqu’à la deuxième semaine de février. Une hausse des températures ne fait qu’empirer les choses. Alors que les opérations reviennent lentement à la normale, les travailleurs surveillent de près les importantes ouvertures dans la glace présentes entre Longueuil et l’île Sainte-Hélène.
Quelques jours après le début de la seconde quinzaine de février, alors qu’une locomotive est inactive à Longueuil, un chauffeur met la vapeur pour une raison ou une autre. La locomotive commence rapidement à se déplacer vers des wagons de chemin de fer sur la voie. Incapable de l’arrêter parce qu’il ne sait pas comment, le chauffeur devient très, très nerveux. Heureusement, le conducteur peut sauter à bord de la locomotive et l’arrêter avant qu’une collision ne se produise.
Début mars, la locomotive ne remorque qu’un seul wagon à la fois. Prendre une charge plus lourde semble bien trop risqué. De fait, des chevaux peuvent être mis en service pour réduire davantage la charge sur la glace. Quoi qu’il en soit, tout le trafic est interrompu plusieurs jours avant la mi-mars. La voie est rapidement démontée et entreposée. Au total, le chemin de fer sur la glace est opérationnel pendant un maigre 4 semaines en 1882, et…
Vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Que transportent les trains qui profitent du service offert par le chemin de fer sur la glace d’Hochelaga à Longueuil, demandez-vous? Une bonne question. Comme vous pouvez bien l’imaginer, les chargements varient d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre, etc. Cela étant dit (tapé?), on peut affirmer avec un bon degré de certitude que beaucoup de foin, du vrai foin, pas de l’argent bien sûr, est transporté en 1882. L’année précédente, des pommes de terre sont transportées en grande quantité. En 1883, le principal produit d’échange est le bois, mais revenons à notre histoire.
Comme on peut l’imaginer, les difficultés du chemin de fer sur la glace ne passent pas inaperçues à Québec. Oui, la ville, pas la province. Le gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau, semble-t-il, en a assez.
En février 1882, le susmentionné Senécal vend la moitié ouest (Montréal-Ottawa) de QMO&OR à un géant canadien du transport mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis avril 2018, Canadian Pacific Railway Company (CPR) de Montréal. Il aurait empoché un profit personnel de 100 000 $, soit environ 2 800 000 $ en devises de 2023. Senécal ne serait-il pas en situation de conflit d’intérêt, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? C’est fort possible, sinon probable, mais n’oubliez pas que Senécal et le premier ministre Chapleau sont de bons copains.
En tant que surintendant général de QMO&OR, ce qui signifie qu’il est un employé du gouvernement provincial, Senécal est également fortement impliqué dans la vente de la moitié est (Montréal-Québec) de cette firme à North Shore Railway Company of Montréal (?). Fait intéressant / choquant, il est également un membre en coulisse du syndicat financier derrière cet achat. La participation de Senécal est toutefois rendue publique en mars, une révélation qui fait grand bruit à l’Assemblée législative du Québec. L’opposition officielle est outrée, ce qui est à prévoir, mais certains / plusieurs membres du caucus de Chapleau ne sont pas trop contents non plus. Cependant, ce déplaisir n’éclate apparemment pas au grand jour. En conséquence, la transaction controversée est approuvée. N’oublions pas que Senécal et Chapleau sont de bons copains.
Un autre clou dans les traverses du chemin de fer sur la glace est enfoncé au début d’avril 1882 lorsqu’une firme nouvellement créée, Montreal & Sorel Railway Company de Montréal, commence à faire circuler des trains de Saint-Lambert, Québec, près de Longueuil, vers Sorel, via le Great Victoria Bridge. South Eastern Railway peut, je répète peut, avoir conclu un accord avec cette firme à un moment donné, afin qu’elle aussi puisse utiliser le pont. Mais le pire reste à venir.
En décembre 1882, North Shore Railway vend la moitié est de QMO&OR à GTR et Senécal fait plus de pognon. Et oui, il fait encore plus de pognon lorsque GTR vend cette même moitié est de QMO&OR au CPR, en 1885, mais revenons à notre histoire.
Comme vous pouvez bien l’imaginer, la vente des deux moitiés de QMO&OR change la façon dont le chemin de fer sur la glace fonctionne pendant l’hiver 1882-83. North Shore Railway n’en a pas besoin car sa relation amicale avec GTR signifie que ses trains peuvent emprunter le Great Victoria Bridge sans aucun problème. CPR, quant à lui, n’a besoin du chemin de fer sur la glace que pour transporter une partie du matériel et de l’équipement nécessaires à la construction de son chemin de fer transcontinental qui progresse alors rapidement. Cela laisse pratiquement South Eastern Railway comme le seul utilisateur sérieux du chemin de fer sur la glace.
Par chance, Mère Nature semble sourire un peu sur South Eastern Railway durant l’hiver 1882-83. La construction du chemin de fer sur la glace commence au cours de la seconde semaine de janvier. Les premiers trains quittent Hochelaga peu après le milieu du mois. Ceci étant dit (tapé?), le trafic sur la voie accuse une baisse de 50 % par rapport à 1882.
L’occasion de rehausser la notoriété du chemin de fer sur la glace se présente à la fin janvier lorsque Montréal accueille le premier d’un quintette de carnavals d’hiver axés sur des activités sportives (glissade, hockey, patinage, raquette, etc.). De fait, des reportages publiés au moins aussi loin que Selma, Alabama, déclarent que le dit chemin de fer serait une grande attraction. Des trains spéciaux d’excursion circulent apparemment toutes les heures au moins à certains moments entre Hochelaga et Longueuil, avec retour. À première vue, ils s’avèrent très populaires auprès des touristes et, probablement, des résidents locaux également.
Un peu avant la mi-mars, une forte tempête de neige met fin aux opérations jusqu’à ce que la voie puisse être dégagée – par des hommes avec des pelles. Une autre tempête de neige frappe une semaine plus tard, ce qui a entraîné encore plus de pelletage. Pelleter, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Est-ce tout ce qui peut être fait en 1883? Eh bien, c’est le cas. Voyez-vous, contrairement à ses rivaux terrestres, le chemin de fer sur la glace ne peut pas être dégagé par des chasse-neige sur rail. Eh bien, il aurait peut-être été possible d’utiliser des chasse-neige, mais auriez-vous osé mettre un de ces véhicules coûteux, numériquement déficients et lourds sur la glace du fleuve Saint-Laurent?
Les opérations régulières se poursuivent jusqu’au début d’avril lorsqu’un grand dégel s’abat sur la région de Montréal. Un ordre vient d’en haut pour démonter la voie. Cet ordre arrive à point nommé. Voyez-vous, l’équipage du dernier train a de la chance de ne pas passer à travers la glace. Au total, le chemin de fer sur la glace est en place mais pas nécessairement opérationnel pendant environ 11 semaines en 1883, pour un grand total d’environ 8 mois de présence sur la glace entre 1880 et 1883.
Aussi efficace qu’il ait été depuis 1880, la triste vérité est que le chemin de fer sur la glace reste comme toujours à la merci de la température.
Le pire reste à venir cependant. Voyez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur, South Eastern Railway est, si votre humble serviteur peut utiliser le nom d’un de ses groupes de rock préférés, en « dire straits, » soit dans une situation désespérée. (Mark Freuder Knopfler est super!) La situation atteint un tel état critique que, au début d’octobre 1883, ses administrateurs le transférèrent entre les mains des détenteurs des firmes qui détiennent les obligations du chemin de fer. Étant donné que la majorité de ces obligations sont détenues par CPR, les mesures prises par les administrateurs de South Eastern Railway font de ce géant le propriétaire de facto du chemin de fer.
En septembre 1887, les opérations du South Eastern Railway sont prises en charge par CPR.
À ce moment-là, cette firme peut traverser le fleuve Saint-Laurent à sa guise. Voyez-vous, des trains commencent à traverser le pont ferroviaire du CPR entre Kahnawake, une communauté des Premières Nations, une communauté Kanien’kehá:ka pour être plus précise, sur la rive sud du fleuve, et Lachine, Québec, sur l’île de Montréal, fin juillet 1887.
Le susmentionné Senécal décède en octobre 1887, à l’âge de 58 ans, neuf mois environ après avoir réalisé son ambition de longue date de se joindre au Sénat du Canada. Le décès de ce spéculateur sans scrupules ou brillant entrepreneur, votre choix, clôt sans doute définitivement le livre de la saga du chemin de fer du pont de glace entre Hochelaga et Longueuil.
Incidemment, le traversier à vapeur à roues latérales SS South Eastern qui complémente le dit chemin de fer est vendu à Richelieu & Ontario Navigation Company Limited de Montréal, une compagnie détenue / contrôlée par, vous l’aurez deviné, Senécal, jusqu’à sa mort enfin.
N’ayant pas besoin de transporter des wagons de chemin de fer, cette firme enlève les rails à bord du navire. SS South Eastern sert de traversier entre Longueuil, l’île Sainte-Hélène et Montréal jusqu’en 1890, date à laquelle il est vendu à Canadian Pacific Car & Passenger Transfer Company de Prescott, Ontario, une firme qu’il ne faut pas confondre avec CPR. Le navire reste apparemment en service jusqu’à la fin des années 1890.
Et ainsi se termine notre voyage sur la voie ferrée du temps. Veuillez accepter mes excuses pour la longueur de ce texte. Mes tentatives d’être bref ne sont pas encore totalement couronnées de succès. À plus et…
Et puis zut, votre humble serviteur ne peut tout simplement pas laisser passer une jolie petite histoire sans l’insérer à cette dernière station de notre article sur le chemin de fer sur la glace. Vous vous souvenez peut-être que, en mars, j’avais facilement admis que j’avais eu, que j’avais et que je continuerais vraisemblablement d’avoir une forte affinité pour l’inhabituel, l’étrange, le bizarre, etc. Eh bien, voici la confirmation de cette faille dans ma constitution génétique.
À la mi-octobre 1882, le propriétaire du Club House Hotel de Longueuil, un gentilhomme du nom de McGuire, est au quai de Longueuil pour affaires lorsqu’il aperçoit, en traduction, « se prélassant sous la surface, apparemment endormi, un monstre énorme et hideux. » Peu de temps après, un agent du South Eastern Railway du nom de Twohey, le capitaine du traversier à vapeur du chemin de fer à roues latérales SS South Eastern ainsi que certains villageois sont attirés vers l’endroit et voient ce qui semble être un énorme serpent avec un dos tacheté de noir et un ventre blanchâtre. À en juger par les nombreux anneaux de la bête, les témoins pensent qu’elle doit mesurer au moins 12 mètres environ (environ 40 pieds) de long.
Même si quelques modes d’attaque sont proposés pour faire face au serpent d’eau géant, aucun des témoins ne se porte volontaire pour mener la charge. Au bout de quelques heures, la bête reste là où elle est, ne faisant de mal à personne et n’étant blessée par personne. À un moment donné, cependant, le serpent d’eau s’éloigne silencieusement et furtivement.
Incidemment, il y a des vrais de vrais serpents d’eau au Québec. De fait, la couleuvre d’eau est assez commune dans cette province. Le plus gros individu jamais repéré / capturé est une femelle d’environ 1.5 mètre (environ 5 pieds) de long. Chercher à énerver un serpent de cette taille à faible distance n’est peut-être pas une bonne idée, ami(e) lectrice ou lecteur. Une morsure serait très douloureuse. Les membres de cette espèce d’ophidien totalement inoffensive sont généralement beaucoup plus petits, avec une longueur moyenne d’environ 70 à 80 centimètres environ (environ 27.5 à 31.5 pouces). Même alors, la morsure d’un serpent de cette taille se défendant contre un humain agaçant ne sera peut-être pas oubliée de sitôt, mais je digresse.
Et oui, j’ai été mordu, une fois, par un petit serpent taureau, je crois, il y a bien 40 ans, quand j’avais des cheveux. (Soupir…) Elle a fait couler du sang, une petite goutte ou deux. Détacher les mâchoires de cet ophidien de mon doigt sans le blesser s’est avéré un peu compliqué. Pourtant, je n’éprouve aucune rancune envers ce serpent. Il n’a pas fait tout son possible pour me capturer, bien au contraire. J’ai eu ce que je méritais, mais revenons à notre histoire de cryptide, un cryptide étant un animal dont l’existence n’est pas reconnue par la communauté scientifique, pour de très bonnes raisons : dans l’ensemble, ces animaux, qu’il s’agisse de créatures lacustres ou de grands hominidés, n’existent tout simplement pas, mais je digresse. Encore.
Tant qu’on y est… Et vous, ami(e) lectrice ou lecteur indigné(e), avez une question. Et le calmar géant? N’est-ce pas un cryptide qui s’est avéré réel? Eh bien, au risque de secouer un nid de frelons, on pourrait dire que le calmar géant n’a jamais vraiment été un cryptide. Voyez-vous, environ 60 rapports concernant des spécimens vus / examinés de près de telles bestioles sont connus pour exister pour les années antérieures à 1882. Le plus ancien date de 1546. Le nombre d’autres spécimens vus / examinés d’aussi près mais jamais signalés ne sera bien sûr jamais connu. Le nombre total de créatures lacustres, grands hominidés ou fées des dents examinées avec le même détail est de… zéro, et revenons à notre histoire.
Tant qu’on y est, et si vous n’y voyez pas d’inconvénient, il y a eu autrefois au moins un serpent dont la corpulence rivalisait avec celle du serpent d’eau de Longueuil. Je ne plaisante pas. Titanoboa vivait il y a 58 à 60 millions d’années dans l’actuelle Colombie. La comparaison des fossiles mis au jour avec des ossements de serpents similaires vivants aujourd’hui (python, boa et anaconda par exemple) conduit des paléontologues à affirmer que cet ophidien pouvait atteindre une longueur allant jusqu’à 13 mètres (environ 43 pieds). Il aurait pu peser près de 1 150 kilogrammes (près de 2 550 livres). Ayoye!
Et oui, il y a eu des affirmations selon lesquelles des serpents aussi gros, sinon plus, que Titanoboa vivent encore en Amérique du Sud, dans le bassin de l’Amazone. Fin de la seconde digression. Désolé et… faites de beaux rêves.
Le soir venu, tout Longueuil est en effervescence avec des nouvelles concernant l’observation du serpent d’eau géant.
Croiriez-vous qu’un avocat du nom de Charles L. Gethings rapporte que, quelques jours auparavant, alors qu’il est sur le fleuve Saint-Laurent avec quelques dames, un énorme quelque chose émerge de l’eau alors que le ciel s’assombrissait, à la tombée de la nuit? Pis encore, ce quelque chose poursuit le petit groupe sur une distance considérable. Les dames sont naturellement très alarmées, déclare Gethings. Personnellement, j’ai l’impression qu’il est tout aussi alarmé que ses compagnes, mais je digresse.
Au lendemain de l’extraordinaire observation de McGuire, un pourcentage non négligeable de la population masculine de Longueuil se trouve dans des bateaux transportant toutes sortes de machins plus ou moins utiles destinés à capturer le serpent d’eau géant et / ou à le tuer afin que sa carcasse puisse être exposée dans le salles d’une institution muséale récemment inaugurée (août 1882?) située sur le site de ce qui est alors McGill College et familièrement connu sous le nom de Peter Redpath Museum.
Vous vous souvenez de la scène similaire dans le film à suspense à grand succès de 1975 (!) Les dents de la mer, n’est-ce pas? Les Homo sapiens mâle peuvent parfois être incroyablement idiots. Je veux dire, poursuivre un serpent d’environ 12 mètres (environ 40 pieds) de long dans des chaloupes? Voyons…
Selon le reportage que votre humble serviteur a découvert, les entourloupes qui se déroulent près de Longueuil s’avèrent irrésistibles pour un journaliste d’un quotidien de Montréal, The Montreal Daily Star, ou pour son éditeur, Hugh Graham. Remarquez, il est également possible que certains témoins se soient un peu amusés aux dépens du dit journaliste, qui publie un article que votre humble serviteur a été aux anges de paraphraser dans les paragraphes précédents.
The Montreal Daily Star n’aurait cependant pas publié d’article sur l’accueil réservé à son journaliste lorsqu’il va voir le capitaine du SS South Eastern pour obtenir des informations. Voyez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur, le bon capitaine rit. Il n’y a pas de serpent, affirme-t-il, seulement un morceau de roche. Il emmène ensuite le journaliste sur le site de l’observation pour prouver son point de vue. Là, le dit journaliste voit un gros morceau de roche plat qui crève la surface de l’eau plus ou moins fréquemment à une de ses extrémités.
À plus.