Une vision d’avenir pour une firme à bout de souffle : L’automobile légère et économique française Mathis VL333
J’ai une confession à faire, ami(e) lectrice ou lecteur. Je ne suis pas un grand amateur d’automobiles. Si je reconnais volontiers l’importance culturelle, émotionnelle, financière, industrielle, mythique, politique, pratique, religieuse (?), sociale, technologique, etc., de ce mode de transport, le fait est que, vers 2019, le transport routier expédie dans l’atmosphère de notre bonne vieille Terre environ 18% des émissions anthropiques mondiales de dioxyde de carbone. Ça n’est pas rien.
Cela étant dit (tapé ?), votre humble serviteur doit avouer avoir un petit penchant pour les automobiles un tant soit peu inhabituelles. Vous comprendrez bien sûr que cette introduction alambiquée, alliée à la photographie qui se trouve ci-haut, donnent le coup d’envoi à un texte sur une automobile dont vous n’avez jamais entendu parler, une automobile française, la Mathis VL333 / Mathis VEL333 / Mathis Type 333 – les lettres VL et VEL signifiant Voiture légère et Voiture économique légère.
Émile Ernest Charles Mathis, né, peut-être, Emil Ernst Karl Mathis, voit le jour à Straßburg, Empire allemand, l’actuelle Strasbourg, France, en mars 1880. Il se lance en affaires dès 1898 avec l’ouverture du Auto-Mathis-Palast, une firme bien connue dans son patelin qui entretient, répare et vend des automobiles.
Mathis se joint au personnel du fabricant d’automobiles allemand De Dietrich et Compagnie en 1902 et se lie d’amitié avec la toute jeune personne (20 ans!) qui gère les aspects techniques de la production des automobiles de la firme, l’Italien Ettore Arco Isidoro Bugatti – un géant de l’histoire de l’automobile.
De fait, Mathis et Bugatti se lancent en affaires en 1904. Ne disposant pas d’une usine pour produire les automobiles qu’ils conçoivent, des machines connues sous le nom de Hermes-Simplex, les deux jeunes hommes confient ce travail à une société respectée, Elsässische Maschinenbau-Gesellschaft. Celle-ci fabrique entre 15 et 60 exemplaires de ces véhicules.
Pour une raison ou pour une autre, Mathis et Bugatti mettent fin à leur collaboration vers 1906-07. Ce dernier se lance dans la conception d’automobiles de sport et de prestige rapides, puissantes et coûteuses. Mathis, quant à lui, souhaite produire des véhicules économiques.
Mathis fonde une firme dont le nom m’échappe. Sa Mathis Babylette de 1912 compte parmi les premiers vélomoteurs / vélomobiles / vélocars / cyclecars / automouches réussis.
Au moment où la Première Guerre mondiale commence, en 1914, Mathis, francophile avoué mais prudent, se voit conscrit contre son gré dans la Deutsches Heer. S’il demeure loin du front, le fait est que la vie de soldat ne lui plaît guère.
Au cours d’un voyage d’affaires en Suisse, en 1916 peut-être, pour le compte du gouvernement allemand, Mathis décide de passer en France – possiblement avec le pognon que le dit gouvernement lui a remis pour acheter des camions et d’autres items.
Une fois la paix revenue, Mathis fonde Mathis Société anonyme dans sa patrie d’adoption. Cette firme grandit au fil des ans et devient un des 4 plus importants fabricants d’automobiles français de la période de l’entre-deux-guerres.
En 1930, Mathis tente de forger une alliance avec un constructeur automobile américain – une idée pour le moins originale. Les coentreprises impliquant des constructeurs automobiles ne courent en effet pas les rues à cette époque. Le partenaire de Mathis est nul autre qu’un co-fondateur du géant automobile américain General Motors Corporation – une firme mentionnée à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018. L’homme d’affaires français espère (sérieusement?) être en mesure de vendre en Europe 100 000 automobiles Mathis fabriquées aux États-Unis par Durant Motors Incorporated. William Crapo Durant n’ayant pas réussi à financer le projet, ou à financer son usine en fait, Durant Motors ferme ses portes au cours de l’été 1931.
Fortement affecté par la crise économique des années 1930, Mathis s’associe, vers octobre 1934, avec Ford Société anonyme française, une filiale de Ford Motor Company placée sous le contrôle de la filiale britannique du géant automobile américain, Ford Motor Company Limited. Matford Société anonyme voit le jour. Les automobiles qui portent ce nom au fil des mois sortent en fait des ateliers de Mathis.
Dès 1935, les relations entre Mathis et Ford Motor, celle-ci ayant pris le contrôle de sa filiale française cette année-là, se dégradent rapidement. Les ventes ne semblent pas atteindre les niveaux espérés. Pis encore, le géant américain, qui détient la majorité (52%? 60%?) des parts de Matford et, partant, le bon bout du bâton, impose à Mathis de lui remettre ses parts et à mettre fin à la production de ses automobiles, quelques peu vieillottes il faut l’avouer. L’homme d’affaires français poursuit Ford Motor et obtient des dommages et intérêts, mais en 1939 seulement.
Le bail de l’usine de Mathis détenu par Ford n’expirant qu’en avril 1940, la firme continue de produire des automobiles et des camions de marque Matford jusqu’à cette date. Mathis espère alors relancer les activités de sa firme.
Ford Motor, pendant ce temps, ne demeure pas les bras croisés. La firme entreprend en effet la construction d’une usine ultra moderne, à Paris, qui ne produit aucun véhicule avant la défaite de la France, en juin 1940. Entre cette date et la libération de Paris, en 1944, Ford Société anonyme française est contrôlée par Ford-Werke Gesellschaft mit beschränkter Haftung, la fort coopérative filiale allemande de Ford Motor, et produit des véhicules utilisés par les forces armées allemandes.
Dissoute officieusement et unilatéralement en juin 1940, par Ford Motor, Matford cesse officiellement d’exister en juin 1941.
Et oui, Ford Motor, la firme américaine bien sûr, est mentionnée à quelques / plusieurs reprises dans notre vous savez quoi, et ce depuis décembre 2018. Sa filiale britannique, quant à elle, apparaît dans les pages de cette publication à quelques reprises depuis décembre 2018.
Vers 1936, Mathis fonde Mathis Aviation Société anonyme (?). Cette firme entreprend la conception d’un moteur avancé, complexe et puissant, le Mathis Véga, qui, suite à la défaite de la France en 1940, ne dépasse pas l’étape du prototype. La production de moteurs peu puissants destinés aux avions légers / privés débute toutefois après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Choqué par la défaite de la France aux mains de l’Allemagne national-socialiste, en juin 1940, et craignant peut-être que sa fuite pendant la Première Guerre mondiale n’a pas été oubliée, Mathis se rend vite aux États-Unis. Il fonde Matam Corporation vers octobre et se lance dans la production d’obus anti-aériens, avec beaucoup de succès il faut le dire (taper?).
Croiriez-vous que Mathis fournit apparemment des plans de son usine française aux United States Army Air Forces afin de faciliter son bombardement? Votre humble serviteur doit avouer avoir certains doutes concernant la véracité de cette information.
Une des dernières décisions prises par Mathis avant son départ peut, je répète peut, être le lancement d’un projet d’automobile légère et économique sous la direction de Jean Édouard Andreau, un ingénieur spécialisé en aérodynamique. Ce véhicule est, vous l’aurez deviné, la susmentionnée Mathis VL333 / Mathis VEL333 / Mathis Type 333.
La désignation même de ce véhicule avancé et fort original, pour ne pas dire futuriste, fournit quelques éléments à son sujet. C’est une automobile triplace (2 personnes à l’avant et 1 à l’arrière) à 3 roues, l’élimination de la 4ème roue entraînant l’élimination des 4èmes amortisseur, essieu, frein, pneu, roue et suspension. Le troisième 3 de la désignation de la VL333 correspond à sa consommation de carburant, enfin presque. Cette automobile consomme en effet 3.7 litres/100 kilomètres (plus de 76 milles/gallon impérial / près de 64 milles/gallon américain).
La VL333 s’inspire peut-être un tant soit peu de l’automobile à 3 roues conçue par Andreau en 1935 dans le cadre d’une compétition organisée par la Société des ingénieurs de l’automobile.
Aux dires mêmes d’Andreau, les tout premiers exemplaires de la VL333, complétés au plus tard en juillet 1942 et essayés sur route en septembre, ont un revêtement en contreplaqué moulé. Ce matériau solide et facilement disponible bien qu’un peu lourd nécessite toutefois une main d’œuvre assez nombreuse. Pis encore, la colle utilisée se désagrégeant assez rapidement, des chocs somme toute relativement anodins entraînent des dégâts tout à fait hors de proportion. Andreau décide à une date indéterminée d’utiliser de l’aluminium fourni par le cartel L’Aluminium français, un groupe mentionné dans des numéros de septembre 2021 de notre blogue / bulletin / machin.
Quoiqu’il en soit, de retour en France vers juillet 1946, ou plus tôt, Mathis tente de faire revivre son usine et de lancer la VL333.
Le hic, et c’est un gros hic, c’est que Mathis, l’homme et la firme, tout comme l’ensemble de l’industrie automobile française d’ailleurs, sont alors embourbés jusqu’au cou dans un plan quinquennal lancé au début de 1946 par le Gouvernement provisoire de la République française, interventionniste et dominé par la gauche, qui dirige alors les destinées du pays. Le dit plan, mieux connu (et en plaisantant?) sous le nom de Plan Plon, du nom de son père spirituel, l’ingénieur Paul Marie Plon, compte parmi les éléments d’un plan de modernisation et d’équipement visant à rationaliser l’industrie automobile française et à lancer la production d’automobiles légères et économiques.
Et oui, Plon est mentionné dans un numéro de septembre 2021 de notre blogue / bulletin / machin. Et oui encore, le paragraphe précédent est très, très similaire à un autre, parue dans ce numéro de notre publication galactiquement connue.
Souhaitant maximiser la production, et les exportations, le gouvernement français n’a que faire des fabricants d’automobiles d’importance secondaire comme Mathis.
Certains aspects de la VL33 compliquent par ailleurs sa commercialisation. Sa structure monocoque en aluminium nécessite non moins de 2 000 points de soudure, par exemple. De plus, l’allure même de cette automobile peut rebuter un consommateur prudent et conservateur. Pis encore peut-être, au moment où la Seconde Guerre mondiale prend fin, en 1945, L’Aluminium français semble davantage intéressé à promouvoir l’automobile légère et économique Aluminium français-Grégoire, conçue par Jean Albert Grégoire, un gentilhomme mentionné dans des numéros de septembre 2021 de notre vous savez quoi, mais revenons à Mathis.
Croiriez-vous que son usine ne semble produire qu’une dizaine de VL333 entre 1942 et 1946?
Une automobile économique et spacieuse à 6 places dévoilée en 1948, la Mathis 666, ne connaît pas davantage de succès. Seuls 2 exemplaires de cette automobile angulaire qui passerait presque inaperçue en 2021 tant son allure est moderne quittent les ateliers de Mathis.
Remarquez, donner à sa nouvelle automobile le numéro biblique de la bête n’est peut-être pas une bonne idée. Incidemment, saviez-vous que ce nombre pourrait en fait être 616? Je ne plaisante pas.
Mathis fabrique par ailleurs 2 ou 3 exemplaires d’un véhicule utilitaire léger tous terrains, une « Jeep » française en quelques sorte, la Mathis VLR86, en 1950-51. L’Armée de terre choisit toutefois un autre véhicule pour remplacer ses U.S. Army Truck, ¼-ton, 4 × 4, Command Reconnaissance, en d’autres termes ses « Jeep, » datant de la Seconde Guerre mondiale. Le dit véhicule est lui-même remplacé assez rapidement par le ¼-Ton, 4 x 4, Utility Truck M38 américain, fabriqué sous licence en France. Et oui, vous avez bien lu, le M38 américain, un véhicule mentionné dans un numéro de septembre 2021 de notre blogue / bulletin / machin. Le monde est petit, n’est-ce pas?
De fait, ami(e) lectrice ou lecteur, vous vous demandez sans doute si, comme la fameux capitaine Jack Sparrow, un gentilhomme (?) mentionné dans des numéros de septembre 2018, octobre 2019 et mai 2020 de notre vous savez quoi, votre humble serviteur écrit un plan à l’avance, ou improvise au fur et à mesure. À vous de décider.
Déçu par l’échec de la VL333 et de la 666, Mathis prend peu à peu sa retraite. Il vend son usine à la Société anonyme André Citroën en 1954.
Et oui, cette dernière firme est mentionnée dans des numéros de mars 2019, janvier 2020 et septembre 2021 de notre blogue / bulletin / machin.
Mathis meurt en août 1956, à l’âge de 76 ans.
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