Ce merveilleux fou volant et sa drôle de machine
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Votre humble serviteur aimerait vous offrir quelque chose de spécial cette semaine. Si vous le permettez, j’aimerais m’éloigner de notre approche habituelle et anniversairiale pour traiter d’une acquisition reçue en mars 2004, il y a 15 ans ce mois-ci, par le Musée de l’aviation du Canada, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. Cette acquisition, dis-je, illustre l’ampleur et la profondeur de la formidable collection de ce musée national. Alors, êtes-vous prêt(e)? Oui? Allons-y alors. Et oui, l’illustration en haut de cet article est extraite du numéro du 26 août 1967, oui 1967, et non 1969, du Canadian, le supplément hebdomadaire illustré du The Toronto Daily Star, un des grands journaux quotidiens canadiens de l’époque.
Notre histoire commence, non, pas en mars 2004. Elle ne commence pas non plus en juillet 1999, avec la réception d’un premier lot de matériel provenant de la même source / donateur. Notre histoire, dis-je, commence beaucoup plus tôt que cela, en 1936 pour être plus précis, dans le canton de North Grimsby, près de Saint Catherines, Ontario, avec la naissance de Stanley John « Stan » Sheldrake, le susmentionné donateur. Passionné par l’aviation depuis l’enfance, ce gentilhomme commence à voler à l’âge de 17 ans. De fait, Sheldrake obtient une licence de pilote privé en 1954 après avoir suivi des cours au Calgary Flying Club.
Aussi excitant que puisse être le pilotage d’un avion léger / privé, Sheldrake est bientôt intrigué par l’idée de sauter d’un aéronef en parfait état de vol pour voir comment on se sent. En d’autres termes, il développe une passion pour le parachutisme. Membre actif du Saint Catherines Parachute Club, à Saint Catherines, un des plus anciens, sinon le plus ancien au Canada, Sheldrake effectue environ 350 sauts. Il peut ouvrir une école de parachutisme au début des années 1960.
Comme vous le savez sans doute, ami(e) lectrice ou lecteur de plus en plus averti(e), le parachutisme est un sport aérien reconnu depuis 1951 par la Fédération aéronautique internationale, l’organisation mondiale basée à Paris responsable de l’enregistrement de tous les types de records liés à l’aviation. Certes beaucoup moins populaire que le baseball ou le hockey, le parachutisme marque néanmoins de son empreinte le monde du sport. Sa popularité conduit même à la création d’une série télévisée hebdomadaire américaine. Ripcord est diffusée pour la première fois sur les ondes en juin 1961. Ses protagonistes principaux sont 2 parachutistes professionnels qui possèdent une petite société fictive. Le dernier épisode de la série est diffusé en septembre 1963. Votre humble serviteur se souvient vaguement d’avoir regardé des épisodes de la version doublée de Ripcord, Les hommes volants, à un moment donné entre le milieu et la fin des années 1960. Il semble que je ne sois pas le seul spectateur. Croiriez-vous qu’un club de parachutisme de Montréal, Québec, important à la fin des années 1960, s’appelle Les hommes volants Incorporé?
A propos, j’ai récemment rencontré 2 personnages de bande dessinée très intéressants qui sont fortement liés au parachutisme. Ces personnages féminins insolites, Sue and Sally Smith, Flying Nurses, font leur apparition aux États-Unis, dans leur propre album de bandes dessinées, vers novembre 1962. Joltin « Joe » Sinnott, membre du prestigieux Will Eisner Comic Book Hall of Fame depuis 2013, dessine ces braves et indépendantes sœurs jumelles et infirmières parachutistes du Emergency Corps, un groupe médical fictif basé aux États-Unis qui fournit de l’aide dans le monde entier. Il écrit également le scénario de leurs aventures, qui se termine vers novembre 1963. Sinnott encre ensuite presque tous les grands titres du géant de la bande dessinée Marvel Comics Incorporated, une entreprise connue en 2019 sous le nom de Marvel Worldwide Incorporated.
Qui est ce dénommé Eisner, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous plaisantez, n’est-ce pas? Vous ne savez pas qui est William Erwin « Will » Eisner? Vraiment? Je suis choqué et consterné. Eisner est un des géants de la bande dessinée du 20ème siècle, mais revenons à notre histoire.
Alors que de nombreux Canadiennes et Canadiens, d’un océan à l’autre, se préparent à célébrer le centenaire de la Confédération, en 1967, quelques-uns des plus aventureux envisagent la possibilité d’apporter des ballons à la fête. Des gros. Des très gros. Un de ces passionnés de l’aviation est, vous l’aurez deviné, Sheldrake qui, à l’époque, est un père de 3 enfants âgé de 30 ans environ et un vendeur dans le secteur de l’assurance.
Si je peux interrompre cette péroration pour un moment, le vol en ballon cache bien plus que ce qu’on peut voir au premier abord. Saviez-vous, par exemple, que plus d’un gaz ou mélanges de gaz peuvent être utilisés pour remplir l’hénaurme enveloppe d’un ballon? Les montgolfières contiennent de l’air chaud et ont besoin d’un brûleur pour maintenir cet air chaud. Les ballons à gaz, en revanche, contiennent un gaz plus léger que l’air et n’ont pas besoin de brûleur. Ces gaz plus légers que l’air peuvent être de l’hydrogène, de l’hélium ou du gaz d’éclairage. Pour des raisons de sécurité et / ou de disponibilité, l’hélium est le gaz de choix pour les ballons à gaz de nos jours, et…
Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous voulez savoir ce qu’est le gaz d’éclairage? Puis-je vous renvoyer à un numéro de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin où ce mélange de gaz est mentionné? Oh, je vois. Vous êtes un tantinet paresseuse / paresseux, vous savez. Au risque de paraître pédant, oserais-je dire sarcastique, le gaz d’éclairage est un mélange de gaz plus léger que l’air produit à partir de charbon et utilisé pour l’éclairage. Disponible en grande quantité à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, ce gaz hautement inflammable est beaucoup moins coûteux et bien plus facile à obtenir qu’un autre gaz plus léger que l’air tout aussi inflammable que vous connaissez peut-être mieux, à savoir l’hydrogène. Le problème est que le gaz d’éclairage fournit beaucoup moins de sustentation que l’hydrogène. Gaz ininflammable plus léger que l’air, l’hélium n’est pas utilisé pour remplir le ballon avant 1923 environ, mais revenons à notre histoire.
Le vol en montgolfière moderne est encore au berceau, au sens figuré, lorsque Sheldrake et un compagnon de parachutisme et ami d’enfance, Kenneth « Ken » Merritt, s’intéressent à cette entreprise, en 1964, après avoir découvert certains des plus vieux récits sur le travail de pionnier effectué aux États-Unis par Paul Edward « Ed » Yost. Tout à fait fascinés, Sheldrake et Merritt décident de construire leur propre ballon. Il est possible que l’idée d’en acheter un ne leur soit jamais venue à l’esprit.
La première tâche de Sheldrake et Merritt est de trouver des informations. Ils contactent des ingénieurs, des clubs de ballon et diverses entreprises dans 5 pays. Même si ces dernières préfèrent vendre plutôt que parler, un ingénieur de Goodyear Aerospace Corporation met nos amis en contact avec la Aerostat Society of Australia. Cette organisation leur donne une formule de conception de ballon et une source pour un type de tissu de polyester normalement utilisé pour fabriquer des voiles de bateau. Étant donné que le vol en montgolfière moderne est né aux États-Unis, la suggestion de l’ingénieur selon laquelle Sheldrake et Merritt contactent un groupe en Australie semble un peu étrange, mais ne nous attardons pas.
En octobre 1966, le ballon prend forme, au domicile de Sheldrake, à Smithville, Ontario. En utilisant les 2 000 dollars empruntés à une banque, ils achètent progressivement le matériel nécessaire. Au fil des semaines, Wilfred Jussen, Douglas « Doug » Hysert et Frank Dunlop rejoignent l’équipe.
Très conscients que les inspecteurs de l’organisation ayant le pouvoir de réglementer tous les aspects de l’aviation civile au Canada doivent inspecter leur ballon, ils prennent dûment pris contact avec le ministère des Transports à un moment donné, fin 1966 ou début 1967. Cela va sans dire, mais votre humble serviteur le dira quand même, que ce ministère n’a aucune norme ou procédure que ce soit en matière de ballons ou de vol en ballons. Au fil des semaines, ses inspecteurs visitent l’usine de ballons du sous-sol de Sheldrake à 5 reprises.
En janvier 1967, les 5 hommes participent à la cinquième Saint Paul Winter Carnival Hot Air Balloon Race, tenue annuellement à Saint Paul, Minnesota. Croiriez-vous qu’aucun d’entre eux n’a vu un ballon de près avant ce moment? Au Minnesota, nos amis rencontrent des aéronautes pionniers comme Donald Louis « Don » Piccard et Deke Sonnichsen. Ils en apprennent beaucoup sur l’art subtil de l’inflation et du vol des ballons. L’équipe entendent aussi parler de la planification d’une compétition excitante proposée par Sonnichsen, la Palm Springs Aerial Tramway International Balloon Race, qui se tiendra à Palm Springs, Californie, dans le cadre d’un événement de longue date appelé Desert Circus Week.
Bouillonnant d’enthousiasme, l’équipe termine son ballon. Spirit of Canada, comme on l’appelle, est prêt à voler début avril 1967. Il est gonflé avec succès le 9 avril, mais ne vole pas. Il y a trop de vent. Les personnes et les journalistes présents ce jour-là sont un peu déçues.
Sheldrake met Spirit of Canada à l’essai le 11 avril. Comme ses coéquipiers, il n’a ni formation ni expérience. Le vol ne dure que 8 minutes. Après avoir grimpé à environ 150 mètres (environ 500 pieds), Sheldrake accroche un énorme chêne en tentant d’atterrir. L’enveloppe du ballon est sérieusement endommagée.
Pendant les réparations, le ministère des Transports délivre un certificat d’enregistrement pour Spirit of Canada le 14 avril. Le permis de vol délivré à ce moment précise qu’il ne peut voler que pendant la journée, dans des conditions météorologiques conformes aux règles de vol à vue, en dehors de l’espace aérien contrôlé. Comme dans le cas des avions de construction amateur, le ballon ne peut pas transporter de passagers, du moins au début.
Cette restriction est quasiment superflue puisque Sheldrake n’a pas de licence de pilote de ballon et ne peut pas transporter de passagers jusqu’à ce qu’il en obtienne une. Encore une fois, il va sans dire que le ministère des Transports n’a que des brouillons de règlement pour l’octroi de licences aux pilotes de ballon. Ces documents obligent la personne qui aspire à devenir pilote à effectuer au moins 8 vols d’une durée moyenne de 2 heures. Encore une fois, il va sans dire que le ministère des Transports n’a pas d’instructeur de vol en ballon qualifié. En conséquence, le ministère conclut que Sheldrake devra satisfaire à ses exigences en effectuant 16 heures de vol en solo.
Quoi qu’il en soit, après avoir réparé l’enveloppe du Spirit of Canada, Sheldrake et ses amis se rendent en Californie pour voler avec des aéronautes américains expérimentés. Ils laissent derrière eux la grande, lourde et encombrante nacelle en tubes d’acier utilisée pour le premier vol. Sheldrake s’envolerait avec une petite nacelle en bois légère et facilement démontable fabriquée par Hysert, qui se trouve être un menuisier. La nacelle en tubes d’acier est rarement utilisée à partir de ce moment.
Sheldrake et Spirit of Canada effectuent leur deuxième vol à Palm Springs le 21 avril, sous la supervision de Sonnichsen. Il se trouve que la Federal Aviation Administration (FAA), l’organisation ayant le pouvoir de réglementer tous les aspects de l’aviation civile aux États-Unis, ne s’attend pas à ce que les futurs pilotes effectuent un nombre spécifique de vols d’une durée tout aussi précise afin d’obtenir une licence de pilote de ballon. À cause de cela, Piccard, qui est un examinateur de la FAA, est en mesure de délivrer une licence de pilote de ballon américaine à Sheldrake.
Le troisième vol de Sheldrake est celui qu’il effectue à la susmentionnée Palm Springs Aerial Tramway International Balloon Race. Les 7 ballons s’envolent près du pic San Jacinto, à une altitude d’environ 2 500 mètres (8 200 pieds). Le gagnant serait celle / celui ayant parcouru la plus longue distance en une heure. Le tout aussi susmentionné Yost remporte la course. Sheldrake se class quatrième et remporte un prix de 500 $. Il a parcouru une distance de plus de 19 kilomètres (environ 12 milles) en 49 minutes environ.
Sheldrake et Spirit of Canada effectuent leur quatrième vol à Hamilton, Ontario, le 14 mai, à l’occasion d’un spectacle aérien international du Centenaire. À dire vrai, leur vol est le premier de la journée. Une foule d’environ 60 000 personnes s’exclame lorsque Sheldrake s’envole vers le ciel. L’atterrissage ne se déroule pas comme prévu. C’est une journée venteuse et le ballon heurte le sol avec force. Sheldrake se casse le nez quand il heurte un réservoir d’essence. Il est transporté dans un hôpital voisin et est opéré. Sheldrake y passe presque une semaine. Le vol de Hamilton est digne de mention parce que le ministère des Postes du Canada le reconnaît comme étant le premier au cours duquel un ballon transporte du courrier au Canada.
Stanley John Sheldrake, à gauche, et Kenneth Merritt. Les deux hommes portent un casque pour leur sécurité lorsqu’ils pilotent Spirit of Canada. Peter Calamai, « Lots of hot air and a high old time. » Canadian, 26 août 1967, 11.
Au total, Sheldrake effectue plus de 24 vols au cours de l’été 1967, plusieurs d’entre eux lors d’événements du Centenaire. En avril 1968, il possède les 16 heures d’expérience de vol requises par le ministère des Transports. À ce moment, le dit département a un examen écrit prêt à être utilisé. Sheldrake le passe haut la main. Il est le premier à passer un examen de licence de pilote de ballon au Canada. La licence de pilote de ballon de Sheldrake, la première au Canada, est délivrée le 13 juin 1968.
Cela étant dit (tapé?), une source contemporaine déclare qu’un gentilhomme de la Colombie-Britannique du nom de Zygmunt Skorupski obtient une licence de pilote de ballon au début de 1967. On doit se demander si cette licence n’est pas américaine. Votre humble serviteur n’a pas encore trouvé d’information sur cet individu, mais revenons à notre histoire.
Étant donné que sa licence lui accorde le privilège de former des pilotes de ballon en devenir, Sheldrake ne perd pas de temps pour former les autres membres de l’équipe. Ce privilège inhabituel, qui est peut-être révoqué quelques années plus tard, joue un rôle important dans l’augmentation rapide du nombre de pilotes de ballons au Canada.
Un vol que votre humble serviteur souhaite souligner dans cet article est celui qui a lieu fin juin ou début juillet 1967, à Ottawa, depuis un terrain situé devant le Musée national des sciences et de la technologie, l’actuel Musée des sciences et de la technologie du Canada, un musée sœur / frère du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. Sheldrake se dégage de ses lourdes attaches terrestres avec un illustre passager, Robert William « Bob » Bradford, conservateur de la division de l’aviation et de l’espace du musée et futur directeur du Musée national de l’aviation, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. Un gentilhomme plus agréable que lui serait difficile à trouver. Bradford est également un des meilleurs et des plus célèbres peintres de l’air canadiens du 20ème siècle. La collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada comprend plusieurs de ses peintures. Et oui, vous auriez raison de penser que le vol de Sheldrake est le premier à se dérouler à Ottawa depuis de nombreuses décennies.
Le vol au Musée national des sciences et de la technologie n’est qu’une des nombreuses activités préparées par le personnel pour les premières célébrations annuelles du musée liées au 1er juillet. Plus de 20 000 personnes voient aussi 10 voitures anciennes et antiques circuler. De plus, elles / ils assistent avec stupéfaction à la prestation d’une gigantesque grue de chemin de fer.
Spirit of Canada emporte également 300 enveloppes spécialement cachetées commémorant ce vol, ainsi que celui fait en juin 1858 à Ottawa par un certain Thaddeus Sobieski Constantine Lowe. Croiriez-vous que ce vol est l’un des premiers, sinon le premier réalisé par cet aéronaute américain doué, célèbre et quelque peu arrogant?
Seriez-vous terriblement contrarié(e), ou plus contrarié(e) que d’habitude, ami(e) lectrice ou lecteur, si votre humble serviteur saisissait cette opportunité pour pontifier sur Lowe? Il se trouve que ce gentilhomme est fortement impliqué dans un des conflits les plus meurtriers du 19ème siècle, la Guerre civile américaine.
Au printemps 1861, alors que le conflit débute, quelques aéronautes offrent leurs services au gouvernement légitime de l’Union / États-Unis dirigé par Abraham Lincoln. De ce lot, seul Lowe a les contacts lui permettant de financer une démonstration à Washington, District de Columbia, à proximité / sur le site actuel d’un des plus célèbres musées de l’air et de l’espace au monde, le National Air and Space Museum de la Smithsonian Institution.
Le 18 juin 1861, Lowe, un opérateur télégraphique et un employé de la American Telegraph Company effectue un vol captif à bord de Enterprise. On a suggéré que ce ballon à gaz est nommé en l’honneur du ballon utilisé lors de la bataille de Fleurus, L’Entreprenant. Votre humble serviteur n’est vraiment pas si sûr, mais ne nous attardons pas. Quoiqu’il en soit, le télégramme envoyé à Lincoln et au commandant en chef de l’armée de l’Union, le lieutenant-général Winfield Scott, est le tout premier à être envoyé depuis une machine volante. Il a l’effet d’une bombe; les journaux consacrent des colonnes entières à Lowe et à son entreprise.
Et oui, Enterprise était / est / sera le nom du vaisseau commandé par James Tiberius « Jim » Kirk, un personnage cinématographique et télévisé flamboyant bien que fictif mentionné dans un numéro de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
Enterprise, le ballon bien sûr, et ses passagers sont remorqués jusqu’à la Maison Blanche, où Lincoln a eu le loisir et le plaisir d’étudier le ballon à partir d’une fenêtre du premier étage. Le président est impressionné et invite Lowe à passer la nuit chez lui. Les 2 hommes parlent loin dans la nuit. Lowe explique qu’il souhaite créer une unité d’observation de ballons captifs équipée d’un télégraphe pour rester en communication permanente avec les officiers au sol, et…
Qu’y a-t-il? Vous n’avez aucune idée de ce que sont la bataille de Fleurus ou L’Entreprenant? Soupir. Pour paraphraser Miranda Priestly, la redoutable rédactrice en chef de magazine de mode du célèbre film à succès Le diable s’habille en Prada, sorti en 2006, je suis très déçu.
Brève leçon d’histoire et oui, il y aura un test. L’année est 1793. La jeune république française lutte pour sa survie face à une large coalition d’états hostiles comprenant la Russie, le Royaume-Uni, la Prusse, les Provinces-Unies (Pays-Bas actuels), l’Espagne et l’Autriche. En avril, afin de mieux utiliser les meilleurs cerveaux du pays, la plus haute autorité du gouvernement, le Comité de salut public, crée un organe chargé d’étudier de nouvelles armes. La Commission aux Épreuves est dirigée par un membre influent du comité, Louis-Bernard Guyton de Morveau, dont la fascination pour la montgolfière remonte à 1784. Cette année-là, en avril, le chimiste français vole à bord d’un ballon de sa propre conception équipé de rames, pour contrôler son vol. Et oui, les rames s’avèrent totalement inutiles, mais revenons à notre digression.
Guyton de Morveau convainc rapidement ses collègues du Comité de salut public de l’importance potentielle de disposer de ballons d’observation captifs sur les champs de bataille. Vers la mi-juillet, il soumet un rapport à cet effet. Le comité approuve le plan à l’unanimité, à condition que les scientifiques trouvent un moyen de produire l’hydrogène nécessaire sans utiliser certains produits rares, tels que l’acide sulfurique. Les premiers essais ont un tel succès que le Comité de salut public envoie immédiatement un ballon au front. Le commandant de l’armée à laquelle il est affecté fait preuve de peu d’enthousiasme, pas plus que ses troupes. Pis encore, le ballon est déjà un peu endommagé et ne peut pas tenir la cadence avec les troupes lors de leurs déplacements. On le renvoie à Paris.
À la lecture du rapport rédigé par Jean-Marie Joseph Coutelle, un chimiste et physicien réputé qui a accompagné le ballon, le Comité de salut public ordonne la création d’un centre d’essai et de fabrication de ballons près de Versailles. Coutelle est nommée pour diriger les expériences. Croiriez-vous qu’il est un ancien collaborateur de Jacques Alexandre César Charles, un homme plein d’esprit et d’enthousiasme, le physicien conférencier le plus populaire à Paris au début des années 1780 et l’homme qui se charge de la conception et de la fabrication du premier ballon à gaz au monde? Le 1er décembre 1783, Charles teste ce ballon avec 1 des 2 fabricants d’instruments de physique qualifiés, 2 frères si vous devez le savoir, qui l’ont aidé, mais revenons à notre digression. Encore. Pardon. Que puis-je dire, j’aime les ballons.
Coutelle met à l’essai le premier ballon captif construit dans le nouveau centre, L’Entreprenant, à la fin du mois de mars 1794. Le Comité de salut public est on ne peut plus satisfait des résultats des essais. Début avril, il ordonne la formation d’une compagnie d’aéronefs, la première unité aérienne militaire au monde. Coutelle est nommé commandant.
Il est à noter qu’une unité de milice montréalaise, le 65e régiment (Carabiniers Mont-Royal), constitue une compagnie d’aérostiers plus ou moins officielle qui semble avoir emprunté à quelques reprises, vers 1911-12, le ballon à gaz français de La Presse, un quotidien à succès, ainsi que son pilote, Émile Barlatier, le rédacteur des sports mécaniques du quotidien, lui aussi d’origine française. Cette compagnie quelque peu éphémère est la première unité aérienne militaire au Canada.
Euh, où étions nous? Oh oui. Les événements commencent à se dérouler rapidement après la nomination de Coutelle. Au début de mai, la compagnie d’aérostiers se rend à Maubeuge, dans le nord de la France, pour soutenir les efforts de ses défenseurs. Coutelle et un officier effectuent un vol d’essai début juin. L’armée française les acclame. Dans le camp ennemi, la réaction est très différente. Les officiers et les soldats sont complètement perplexes devant cette étrange apparition. Ils n’ont aucune idée de ce qu’elle fait là-haut. Ils le découvrent rapidement. Jour après jour, l’équipage de L’Entreprenant observe tout ce qui se passe sur le champ de bataille et en rend compte à la minute près au commandant français. Malgré tous les efforts déployés, l’artillerie ennemie ne peut pas toucher le ballon. Le Comité de salut public, ravi, commandé 6 autres ballons.
La compagnie d’aérostiers reçoit l’ordre de rejoindre les forces françaises combattant aux Pays-Bas autrichiens, la Belgique d’aujourd’hui. Elle quitte Maubeuge, qui est presque cernée, au beau milieu de la nuit. Les opérations aériennes reprennent aux Pays-Bas autrichiens à la fin du mois de juin. Peu de temps après, on ordonne à la compagnie d’aérostiers de se rendre sur un plateau près de Fleurus. Pendant plus de 10 heures, Coutelle et un officier assistent à la bataille, rapportant tout ce qui se passe. À la fin, les forces ennemies se retirent. Un officier français stupéfait note en plaisantant qu’une armée sans ballon ressemble à un duelliste se battant les yeux bandés.
Une seconde compagnie d’aérostiers est formée en juin 1794, suivie en octobre par la fondation d’une école de vol en ballons. Entre-temps, L’Entreprenant continue à voler. Les perspectives d’avenir, si prometteuses qu’elles soient, changent rapidement alors que le style des combats change, passant de la guerre statique à la guerre mobile. Les ballons, qui mettent du temps à se déplacer et à être préparés au vol, s’avèrent encombrants. Certains officiers semblent aussi jaloux de la réputation des aéronautes.
En 1795, la seconde compagnie d’aérostiers se rend à Strasbourg et y passe 3 ans sans rien faire. Pis encore, la première compagnie est capturée en 1796. Les aéronautes sont relâchés l’année suivante. L’envoi de cette unité en Égypte avec le corps expéditionnaire dirigé par un jeune général brillant mentionné dans un numéro de décembre 2017 de notre blogue / bulletin / machin, Napoléon Bonaparte, né Napoleone di Buonaparte, prend fin soudainement lorsque le navire transportant le matériel, moins le ballon, coule en juillet 1798 dans le port d’Alexandrie. En février 1799, sur les recommandations de Bonaparte, le gouvernement français dissout l’école de vol en ballons et les compagnies d’aérostiers. Mais revenons à notre histoire. Finalement. Désolé. Désolé.
Malgré le succès de sa démonstration à Washington, le statut de Lowe au sein de l’armée de l’Union est encore très incertain du fait de la présence d’un aéronaute rival, John Wise, qui reçoit le mandat du chef du Corps of Topographical Engineers de l’armée de l’Union, le major Hartman Bache, de fournir un ballon d’observation. L’enveloppe du dit ballon est malheureusement détruite en juillet en cours de transport.
À la fin du mois de juillet, Lowe effectua un vol libre de reconnaissance au-dessus de Washington pour déterminer si les forces des États confédérés d’Amérique préparent une attaque. Des soldats de l’armée de l’Union lui tirent dessus et il atterrir au milieu d’un secteur occupé par les Confédérés. Le soir, Léontine Lowe, déguisée en femme de fermier, va chercher son mari et son ballon.
Embarrassé par l’incident, Lowe va de nouveau voir Lincoln, qui écrit une note demandant à Scott de rencontrer l’aéronaute. Scott, malheureusement, ne croit pas aux ballons. Incapable de le rencontrer, malgré plusieurs tentatives, un Lowe furieux se plaint à Lincoln, qui va avec lui au bureau de Scott. Une semaine plus tard, Lowe devient l’aéronef officiel de l’armée de l’Union. À la fin du mois d’août, Bache lui demande même de construire un tout nouveau ballon d’observation, Union.
Au cours des semaines et mois suivants, Lowe consolide progressivement sa position. Ses nombreux vols d’observation sont si efficaces que les forces confédérées, exaspérées, sont contraintes de camoufler toutes leurs positions. En outre, l’aéronaute peut compter sur le soutien du commandant en chef d’une importante armée, le major général George Brinton McClellan. Grâce à lui, Lowe obtient enfin l’autorisation de construire 6 ballons supplémentaires et d’établir un corps de ballons militaires, pilotés par des pilotes qui resteraient des civils.
En août, John La Mountain, un rival de Lowe, prend l’air pour observer les positions confédérées en Virginie. Ce vol, par ailleurs ordinaire, est à noter, car il décolle du pont d’un petit navire de transport de l’armée de l’Union – une première mondiale. Le même mois, l’armée de l’Union achète une barge qui, une fois modifiée, devient le premier porte-aéronef à être mis en service. Un ballon basé sur le George Washington Parke Custis effectue sa première mission en novembre 1861.
Curieusement, les aéronautes de l’Union sont malheureusement sous-utilisés. Certains sont même ridiculisés par des officiers. Les frasques et la conduite générale de nombreux pilotes n’aident pas la cause du vol en ballon. Au total, les ballons ont joué un rôle important au cours d’une seule bataille, en mai / juin 1862. Le limogeage de McClellan, en novembre, prive Lowe de son seul soutien important dans l’armée de l’Union. Il effectue ses derniers vols en mai 1863. Le corps de ballons disparaît peu après.
Cela étant dit (tapé?), quelques aéronautes civils ayant servi sous Lowe continuent à voler. En août 1863, un aéronaute germano-américain du nom de John H. Steiner, né Johann Steiner, effectue un bref vol captif avec un officier de cavalerie dans l’armée du royaume de Württemberg, un état membre de la Confédération allemande. Après s’être rendu aux États-Unis, comme nombre de ses collègues européens, pour voir à quoi ressemble un conflit moderne, le jeune lieutenant est ravi par son vol. Son nom est, vous l’aurez deviné, comte Ferdinand Adolf August Heinrich von Zeppelin. Et oui, il est mentionné dans des numéros de décembre 2017 et décembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
Saviez-vous qu’un descendant de Lowe du nom de Florence Leontine « Pancho » Lowe Barnes est la propriétaire d’un bar de l’ouest américain très prisé des pilotes d’essais américains de la fin des années 1940 et des années 1950? Vous le saviez? Je suis impressionné.
Et voici le test. Vrai ou faux, la nacelle du ballon français capturé en 1796 survit, peut-être, au moins jusqu’au début de la Première Guerre mondiale? Allez, c’est une question facile. La réponse est Vrai. Votre humble serviteur se souvient d’avoir vu une photo de cette nacelle dans un magazine du début du 20ème siècle. Au moins, je pense m’en souvenir. Je vieillis, vous savez, mais revenons à notre histoire.
Comme plusieurs avant / après lui, Sheldrake pense pouvoir gagner de l’argent avec un ballon. En 1968, il met de côté les vols de démonstration en faveur d’une opération commerciale de vol en ballons à temps plein avec quelques contrats promotionnels. Dans le cadre de cette entreprise, Sheldrake construit également 2 autres ballons pour un géant canadien du brassage, Labatt Brewing Company.
Le premier, le soi-disant Blue Balloon, est immatriculé en juin 1969. Le second, qui peut être sans nom, suit en 1970. Sheldrake pilote Blue Balloon et Spirit of Canada à quelques reprises au cours de l’été 1969. Il pilote le premier pour le compte de Labatt Brewing, tandis que le second est piloté pour le compte d’une société américaine, Minnesota Mining and Manufacturing Company, une firme mieux connue sous le nom de 3M. Il se trouve que cette dernière fait la promotion de son protecteur de tissu Scotchguard avec le slogan « Fearless Fashions. » Et oui, vous l’aurez deviné, Sheldrake est rapidement présenté comme étant le « Captain Fearless. » Les gens du marketing chez Labatt Brewing aiment également ce nom, mais ils préfèrent le plus familier « Capt’n Fearless. » Même si Sheldrake admet volontiers qu’il n’est pas sans peur, les deux sobriquets lui collent à la peau.
Les activités en ballon de Sheldrake impliquent de nombreux vols brefs dans des centres commerciaux et des foires. À 2 reprises, il vole alors qu’un hélicoptère transportant une équipe de tournage pour les publicités de Labatt Brewing filme Blue Balloon par un beau temps ensoleillé. Le second vol a lieu dans les Montagnes rocheuses, à l’ouest de Calgary, Alberta, fin mai 1970. Un changement imprévu dans la direction du vent entraîne Sheldrake vers l’ouest plutôt que vers l’est. Dès que l’équipe de tournage dans l’hélicoptère obtient les images nécessaires, il descend au niveau du sommet des arbres. La nacelle du ballon se coince entre 3 arbres sortant d’un rebord. Une équipe de secours en montagne de Calgary passe environ 8 heures à descendre Sheldrake et le ballon.
Sheldrake pilote les ballons de Labatt Brewing partout au Québec, en Ontario et dans l’Ouest canadien jusqu’en 1975. Ayant réalisé que les enveloppes des montgolfières se détériorent en raison de la chaleur du brûleur, ainsi que du déballage, inflation, pilotage, désinflation et remballage, il en fabrique des nouvelles pour les 2 ballons de Labatt Brewing. Sheldrake fabrique également un ballon, son quatrième, pour un individu du nom de Terry G. Stevenson.
Sheldrake se retire du vol en ballons en 1975. Il peut certainement être fier de ses réalisations. Sheldrake joue un rôle crucial en initiant les Canadiennes et Canadiens à la montgolfière. Il convainc le ministère des Transports que la montgolfière est une forme de vol légitime, et prouve que les ballons peuvent constituer un outil de publicité et de promotion très efficace.
Stanley John Sheldrake meurt en novembre 2008, à l’âge de 72 ans. Il nous manquera.
Votre humble serviteur souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont fourni des informations. Toute erreur contenue dans cet article est de ma faute, pas de la leur.
Portez-vous bien, ami(e) lectrice ou lecteur, et revenez me voir.