« Nous prions tous pour une journée sans nuages : » L’éclipse solaire du 31 août 1932 au Québec, partie 2
Bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur passionné(e) d’astronomie. Souhaitez-vous poursuivre sans plus attendre le présent exposé consacré à l’éclipse solaire d’août 1932?
Vermouilleux!
Avant d’entreprendre cet exercice de lecture, permettez-moi d’identifier certains des chercheurs britanniques éminents en route vers le Canada à bord du paquebot canadien SS Montcalm opéré par Canadian Pacific Steamships Ocean Services Limited dans le but d’observer la dite éclipse. Oui, ceux que vous avez vus sur la photographie ci-dessus il y a quelques secondes. De gauche à droite,
- avec le bras levé et un chapeau à la main, sir Frank Watson Dyson, Astronomer Royal et directeur du Royal Greenwich Observatory, à Greenwich, Angleterre,
- avec un chapeau à la main, John Forbes Cameron, mathématicien et professeur à la University of Cambridge, à… Cambridge, Angleterre, et
- avec le bras levé, Frederick John Marrian Stratton, astrophysicien et professeur à la University of Cambridge.
Le SS Montcalm quitte le Royaume Uni le 22 juillet. Une importante équipe britannique soucieuse d’observer l’éclipse se trouve à son bord avec, dit-on, 10 tonnes métriques (10 tonnes impériales / 11 tonnes américaines) d’instruments scientifiques.
Quelques chercheurs européens d’importance accompagnent la dite équipe, dont l’astronome italien Guido Horn d’Arturo, directeur du Osservatorio astronomico di Bologna, à… Bologne, Italie, et l’astronome germano-suisse Theodor Niethammer, directeur du Astronomisch-Meteorologische Anstalt der Universität Basel, à… Bâle, Suisse. L’astronome italien Giorgio Abetti, directeur du Osservatorio Astrofisico di Arcetri, situé non loin de Florence, Italie, peut, je répète peut, avoir traversé l’Océan Atlantique au même moment.
À la tête de la quarantaine de Britanniques arrivés en sol québécois se trouvent Dyson, ainsi que son bras droit, l’astronome écossais John Jackson, premier adjoint au Royal Greenwich Observatory. La Royal Astronomical Society semble parrainer l’ensemble de l’initiative britannique.
Conscient de l’importance de ses passagers, le commandant du SS Montcalm, Arthur Rothwell, leur a donné accès à un vaste espace à l’air libre d’où ils peuvent observer les cieux si le cœur leur en dit. Et le dit cœur le leur dit quelques fois en effet.
Une fois arrivé à Québec, la ville bien sûr, les membres de la délégation britannique visitent plusieurs villes nord-américaines, surtout américaines dans les faits, sans parler des Lowell Observatory et Mount Wilson Observatory, en Arizona et Californie. Ce second observatoire abrite alors le plus gros télescope au monde, le télescope Hooker, dont le miroir a un diamètre de 2.54 mètres (100 pouces).
La délégation comprend 4 groupes qui prévoient observer l’éclipse séparément, à partir de sites différents :
- le groupe du Solar Physics Observatory de la University of Cambridge, dirigé par Stratton, qui prévoit se rendre à Magog, Québec;
- le groupe du Royal Greenwich Observatory, dirigé par Jackson, qui prévoit se rendre à Parent, Québec;
- le groupe du Imperial College of Science and Technology, à Londres, Angleterre, dirigé par l’Anglais Herbert Dingle, physicien et professeur au dit collège, qui prévoit se rendre sur le site de McGill University, à Montréal, Québec;
- le groupe dirigé par l’Anglais Reginald Lawson Waterfield, hématologue, astronome amateur et directeur de la Mars Section de la British Astronomical Association, et le Tchèque Vladimir Václav Heinrich, astronome et professeur à un institut d’astronomie bien connu, le Astronomický Ústav Univerzity Karlovy, à Prague, Tchécoslovaquie, qui prévoit se rendre à Berlin, New Hampshire.
Et oui, le Imperial College of Science and Technology est bel et bien mentionné dans un numéro d’août 2022 de notre blogue / bulletin / machin. Allez vous chercher une étoile dorée, ami(e) lectrice ou lecteur. Vous avez par ailleurs raison de croire que les chercheurs de McGill University côtoient ceux du Imperial College of Science and Technology le jour de l’éclipse.
Soit dit en passant, le groupe dirigé par Stratton doit avoir pour voisin un groupe américain dirigé par un astronome canado-américain renommé, Samuel Alfred Mitchell, directeur du Leander McCormick Observatory de la University of Virginia. Le dit groupe comprend des chercheurs d’au moins 3 autres universités américaines.
Votre humble serviteur n’est toutefois pas en mesure de confirmer que les chercheurs américains sont eux aussi logés dans la maison centrale du Hermitage Club, un club de golf privé situé près de Magog, un club très chic qui compte parmi ses membres des Montréalais fortunés.
Au moins deux chercheurs de Dalhousie University, à Halifax, Nouvelle-Écosse, peuvent rejoindre les équipes basées à Magog vers la fin août. On peut en dire autant d’un astronome anglais et directeur du Union Observatory, situé en Afrique du Sud, Harry Edwin Wood, sans oublier le directeur anglo irlandais du Armagh Observatory, en Irlande du Nord, Royaume-Uni, William Frederick Archdall Ellison.
En ce qui a trait à la question qui calcine vos lèvres, ami(e) lectrice ou lecteur, le groupe du Royal Greenwich Observatory se rend à Parent, un village isolé se trouvant à environ 300 kilomètres (environ 185 milles) au nord de Montréal, parce que c’est l’endroit accessible où l’éclipse solaire totale sera visible le plus longtemps, dit-on.
Je vous prie instamment de noter que le groupe de la University of Cambridge comprend un jeune physicien canadien, William Lusk « Bill » Webster, qui œuvre au Cavendish Laboratory, le laboratoire de physique de renommée mondiale de cette prestigieuse université.
Il est à noter que, pendant la Seconde Guerre mondiale, Webster occupe divers postes importants au Royaume-Uni (Directorate of Scientific Research du Ministry of Supply et Air Defence Research and Development Establishment du War Ministry et / ou au Radar Research and Development Establishment du Ministry of Supply) et aux États-Unis (British Central Scientific Office du British Supply Council in North America et bureau américain du Department of Scientific and Industrial Research).
Notons par ailleurs que le frère aîné de Webster, John C. Webster, Junior, est bien connu au sein de la communauté aéronautique canadienne. Fasciné par l’aviation, ce pilote privé montréalais meurt à Saint-Hubert, Québec, dans l’écrasement de son avion privé, en août 1931, alors qu’il pratique des manœuvres de voltige aérienne en prévision de la venue à cet endroit, en août, du Trans-Canada Air Pageant, la plus importante activité aéronautique ayant lieu au Canada pendant la période de l’entre-deux-guerres.
Dévasté par la mort de son fils, John C. Webster, Senior, lance la John C. Webster Memorial Trophy Competition. Le trophée Webster est accordé annuellement (1932-39 + 1947-54 + 1980-2019) au meilleur pilote amateur / privé canadien. Le célèbre sculpteur canadien Robert Tait MacKenzie imagine pour ce trophée une figure en bronze du personnage mythologique grec Icare représentant la jeunesse et le vol.
Le trophée Webster est exposé pour ainsi dire en permanence au stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, mais revenons à notre histoire.
Avant que je ne l’oublie, saviez-vous que l’hélium est découvert en août 1868 alors que l’astronome français Pierre Jules César Janssen observe l’astre du jour lors d’une éclipse solaire totale? L’astronome anglais Joseph Norman Lockyer découvre lui-aussi ce gaz rare à peine quelques jours plus tard.
Mieux encore, le susmentionné Dyson organise une double expédition dont le but est d’utiliser l’éclipse solaire totale de mai 1919 pour observer la position de certaines étoiles à partir de Sobral, Brésil, et de l’île de Principe, qui fait alors partie de la colonie portugaise de São Tomé et Príncipe, au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest. Ces observations montrent que la position de ces étoiles, situées près du Soleil pendant l’éclipse, diffère de leur position à d’autres moments, ce qui montre que leur lumière est courbée par la gravité massive de notre étoile, ce qui prouve la validité de la théorie générale de la relativité proposée par le physicien théoricien allemand Albert Einstein.
Le rôle joué dans ce projet par l’astronome, mathématicien et physicien anglais Arthur Stanley Eddington est d’une telle importance que celui-ci est communément appelé expérience d’Eddington, mais revenons à notre histoire.
Le jour suivant le départ du SS Montcalm, soit le 23 juillet, la page des enfants du grand quotidien montréalais La Presse comprend un texte de la directrice de cette page hebdomadaire, Grand Maman, qui n’est probablement pas grand-mère, voire même une femme. Intitulé « Cette éclipse totale du soleil, » le texte en question explique de quoi il retourne. Grand Maman mentionne l’utilisation de matériel, verres sombres / fumés ou pellicules photographiques par exemple, pour bien observer l’éclipse – des outils qui n’offrent peut-être pas une protection adéquate. De fait, Grand Maman ne mentionne pas le danger pour la vision que pose une éclipse.
Le 31 juillet, un astronome amateur français réputé quitte l’Europe à bord du paquebot britannique RMS Ascania de Cunard Steamship Company Limited. Le ministère de l’Éducation nationale français envoie le comte Aymar Eugène de La Baume Pluvinel au Québec, à Louiseville, plus précisément, dans le but d’observer l’éclipse. Celui-ci ayant 71 ans, on peut supposer qu’une petite équipe l’accompagne. Il suffit de mentionner un jeune astronome français, Daniel Barbier, de l’Observatoire de Marseille, à… enfin, vous savez où. Au moins deux autres astronomes français, dont Jean Bosler, directeur de ce même observatoire, se joignent à l’équipe à la fin août.
Le frère Magloire-Robert, né Étienne Poitras, de la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes, professeur de sciences (physique, mathématiques et astronomie) au Collège Mont Saint-Louis de Montréal, un des rares astronomes francophones québécois de l’époque, prévoit lui aussi se rendre à Louiseville vers la fin août.
Des membres de la Société royale d’astronomie du Canada prévoient également se rendre à Louiseville, tout comme des membres du Service météorologique fédéral, comme on appelle alors le Service météorologique du Canada.
Il est à noter que quelques universités américaines prévoient envoyer au Québec des équipes plus ou moins importantes. Il en va de même pour au moins une université canadienne hors Québec. Clarence Augustus Chant, à l’époque le seul et unique astronome de la University of Toronto, à… Toronto, Ontario, dirige l’équipe en question. Considéré par certain(e)s comme le père de l’astronomie canadienne, ce gentilhomme est bien sûr mentionné dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin, et ce depuis avril 2019. Chant et ses gens se rendent à Saint-Alexis-des-Monts, dans la région de la rivière Saint-Maurice.
Si l’Observatoire fédéral, situé à Ottawa, ne demeure pas en reste, le fait est que son personnel ne commence à se préparer qu’un peu avant la mi-août. L’équipe dirigée par Robert Meldrum Stewart, un astronome et mathématicien canadien, rien de moins que l’astronome fédéral en fait, se rend elle aussi dans la région de Saint-Alexis-des-Monts.
N’oublions pas non plus l’équipe dirigée par le directeur de l’École supérieure de chimie de l’Université Laval, à Québec, Québec, l’abbé Alexandre Vachon, et un professeur de la Faculté des arts de cette institution, l’abbé Rosario Benoit. La dite équipe se rend quelque part dans les Cantons de l’Est. L’équipe du directeur de l’Académie commerciale de Québec, à… Québec, le frère Germain de la Congrégation des Frères des écoles chrétiennes, se rend quant à elle à Magog. Et oui, tous ces hommes sont des membres du clergé catholique.
Arthur Villeneuve, ingénieur et professeur (génie électrique) à l’École polytechnique de Montréal, dirige l’équipe de professeurs et anciens étudiants de cette institution qui entend étudier l’impact de l’éclipse sur la réception et transmission de signaux radiotélégraphiques sur le site du Collège Bourget, une école secondaire fondée en 1850, à Rigaud, Québec, par la Congrégation des clercs de Saint-Viateur.
Une équipe de l’Université de Montréal, à… Montréal décide en fin de compte de s’installer sur le site de cette institution de haut savoir. À sa tête se trouvent le jésuite Joseph Ernest Gendreau, directeur des études à la Faculté des sciences de l’Université de Montréal et directeur fondateur de l’Institut du radium de Montréal et de la province de Québec, ainsi que Joseph Demers, professeur de physique à l’Université de Montréal. Incidemment, Gendreau et son institut sont mentionnés dans un numéro d’avril 2019 de notre blogue / bulletin / machin.
Avant que je ne l’oublie, la veille de l’éclipse, autrement dit le 30 août, Gendreau prononce une conférence à l’Université de Montréal. Vous en connaissez évidemment le sujet.
D’autres membres du clergé catholique, des membres de la Compagnie de Jésus / Societas Iesu plus précisément, installent des instruments sur l’Île Saint-Ignace, tout près de Saint-Ignace-de-Loyola, Québec, non loin de Sorel. Ces jésuites œuvrent à Montréal, au Scolasticat de l’Immaculée-Conception, au Collège Sainte-Marie et au Collège Jean-de-Brébeuf.
De telles expéditions ne sont pas nécessairement des parties de plaisir. Nenni. Début août 1932 par exemple, des vents violents renversent et / ou déchirent des tentes du groupe du susmentionné Solar Physics Observatory de la University of Cambridge. Une coffre à outils pesant environ 270 kilogrammes (600 livres) est renversée par ces vents. Si les précieux instruments se trouvant sous les tentes ne sont pas endommagés, des résidentes et résidents des Cantons de l’Est ne sont pas aussi fortuné(e)s.
Une dame accueillant un groupe d’amies et amis ainsi qu’un fermier escortant ses vaches vers une grange sont tuées par la foudre. Quelques granges et édifices de ferme frappées elles aussi par la foudre sont détruites par des incendies, alors que des pluies torrentielles ravagent les récoltes dans plus d’un champ.
Vers la mi-août, alors que la date de l’éclipse approche à grand pas, des représentants de McGill University rappellent aux autorités municipales (Montréal) et provinciales (Québec), ainsi qu’aux entreprise de production et distribution d’électricité, que la période d’obscurité plus ou moins totale pourrait mettre en danger la sécurité des gens qui circulent dans les rues. Cela étant dit (tapé?), les astronomes ne souhaitent pas que tous les réverbères soient allumés, gâchant ainsi leurs observations et privant Madame et Monsieur Tout-le-Monde d’un spectacle saisissant. L’absence de décision concernant une brève période de congé, une idée proposé dès avril rappelons-le, préoccupe par ailleurs un peu les chercheurs.
S’il est bien agréable de voir à quel point des scientifiques souhaitent observer l’éclipse, le fait est que d’autres personnes ont d’autres objectifs. La Société d’agriculture du comté de Sherbrooke, organisatrice de l’édition 1932 de l’Exposition agricole de Sherbrooke, tout comme des autres avant et après cette date, par exemple, entend bien profiter de cet événement astronomique pour augmenter l’affluence sur le site. De fait, si les 29 et 30 août sont les journées des décorations et des enfants, le 31 août est la journée de l’éclipse. Un concours de beauté tenu ce jour-là va donner lieu au couronnement de la Reine des Cantons de l’Est.
Votre humble serviteur est par ailleurs tombé sur une annonce publicitaire d’un petit éditeur / imprimeur / papetier de Montréal et Beauceville, Québec, L’Éclaireur Incorporée, publiée entre les 20 et 23 août dans au moins 4 quotidiens québécois, soit La Presse, La Tribune de Sherbrooke, Le Nouvelliste de Trois-Rivières et L’Action catholique de Québec. La dite annonce, parue également dans l’édition du 28 août de l’hebdomadaire montréalais Le Petit Journal, vante les mérites d’une brochure, en français je présume, qui explique les merveilles de l’éclipse. Cette publication accompagnée d’une pellicule photographique permettant d’observer le phénomène de manière plus ou moins sécuritaire se vend la modique de 30 cents, ce qui correspond à environ 6.20 $ en devise 2022. Une personne achetant une douzaine de brochures se voit accorder un rabais de 10 %. Cette publication est évidemment rarissime, pour ne pas dire introuvable en 2022.
Cette publication n’est par ailleurs pas la seule que les Québécoises et Québécois francophones féru(e)s d’astronomie peuvent se procurer en août 1932. Nenni. La Compagnie provinciale de publication Limitée de Montréal publie une brochure de 24 pages, Petite astronomie populaire décrivant les merveilles de l’univers et l’éclipse totale du soleil, 31 août 1932. Cette publication est elle aussi évidemment rarissime, pour ne pas dire introuvable en 2022.
Remarquez, il se peut que les brochures de L’Éclaireur et de Compagnie provinciale de publication ne soient qu’une seule et même brochure. Je vais poursuivre mes recherches à ce sujet.
Et oui, vous avez tout à fait raison, Chantler & Chantler Limited de Toronto vend un Eclipse-O-Scope autrement non identifié pour la modique somme de 10 cents, ce qui correspond à environ 2.05 $ en devise 2022. Fondée en 1930 par Ernest et John Chantler, cette petite firme vend des produits innovateurs en plastique. Elle fait la promotion du Eclipse-O-Scope dans quelques quotidiens francophones et anglophones de Montréal (et ailleurs???).
Une brève digression si je peux me le permettre. Un pas bon montréalais avide de pognon vole une boîte contenant 250 Eclipse-O-Scope le jour de l’éclipse. J’ose espérer qu’il n’en a pas vendu beaucoup.
Avant que je ne l’oublie, La Presse indique à son lectorat qu’il possible d’obtenir un écran protecteur non identifié en envoyant 10 cents, soit environ 2.05 $ en devises 2022, et une enveloppe de retour timbrée (?) au Yerkes Observatory, à Williams Bay, Wisconsin – le berceau de l’astrophysique moderne, exploité par la University of Chicago. Cette indication étant parue le 26 août, on peut se demander s’il n’est pas un tantinet trop tard. Enfin, passons.
Consciente de l’intérêt grandissant de nombreuses Québécoises et Québécois, La Presse publie un texte bien illustré dans la page des enfants de son édition du 20 août. « L’éclipse et notre province » est l’œuvre d’un auteur affublé d’un pseudonyme un tant soit peu amusant dérivé du nom d’un astronome / diplomate / économiste / mathématicien / traducteur polonais, le chanoine Nicolaus Copernicus. Co Pernic / C.O. Pernic y propose une série d’activités que les jeunes et moins jeunes lectrices et lecteurs du quotidien peuvent réaliser sans difficultés.
L’une d’entre elles concerne l’écoute d’une émission spéciale de la station radiophonique montréalaise CKAC, alors propriété de La Presse et dont le puissant émetteur se trouve à Saint-Hyacinthe, Québec. Pernic demande que les gens notent les différences entre les sons et mots transmis au cours du programme, et ce avant et pendant l’éclipse.
L’émission spéciale en question doit comprendre des commentaires de 3 experts, tous 3 membres du clergé, de l’église catholique, apostolique et romaine plus précisément :
- le susmentionné Gendreau,
- monseigneur Charles Philippe Choquette, vice-supérieur du Séminaire de Saint-Hyacinthe et ex-professeur émérite d’astronomie à l’Université de Montréal, et
- le susmentionné frère Magloire-Robert.
Ces experts doivent commenter l’éclipse à partir de Montréal, Saint-Hyacinthe et Montréal, par voie téléphonique.
Un article abondamment illustré de deux pages, « La nuit en plein jour dans l’après-midi du 31 août 1932, » paraît par ailleurs dans La Presse du 27 août. Un texte d’accompagnement souligne que CKAC va diffuser une causerie du frère Magloire-Robert le lendemain en soirée.
Parlant (tapant?) de station radiophonique, CFCF, alors propriété de Canadian Marconi Company de Montréal, entend offrir une excellente couverture à ses auditrices et auditeurs. Elle prévoit en effet avoir 2 postes d’observation, à Magog et Montréal, sur le site occupé par l’équipe de la University of Cambridge et sur le toit d’un édifice de McGill University.
CFCF prévoit même avoir un poste d’observation volant, soit un aéronef de Canadian Airways Limited de Winnipeg, Manitoba, la plus grande firme privée de transport aérien au Canada entre les deux guerres mondiales et une firme mentionnée dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis janvier 2018. La personne qui doit commenter le déroulement de l’éclipse à partir de ce point de vue privilégié est une des grandes vulgarisatrices scientifiques du 20ème siècle, spécialisée en astronomie, l’astronome des enfants dit-on, l’Irlando américaine Mary Proctor.
Un certain F.H. Coates de Winnipeg, Manitoba, peut-être, à moins que ce ne soit un certain D.P.R. Coats d’ailleurs, la remplace toutefois à la dernière minute.
À première vue, après son désistement, Proctor choisit d’écrire un bref texte pour un journal résolument conservateur de Londres, Angleterre, The Daily Telegraph, plutôt que de coopérer avec la British Broadcasting Corporation, une société de radiodiffusion britannique appartenant au gouvernement mentionnée à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2018.
CFCF prévoit faire appel au Canadian National Railways Radio Department et à la firme américaine National Broadcasting Company pour diffuser ses reportages en sol canadien et américain, et ce jusqu’en Californie.
Croiriez-vous que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada annonce la tenue d’une excursion en train entre Montréal et Sorel, Québec, le jour de l’éclipse? Mieux encore, Canada Steamship Lines Limited de Montréal annonce la tenue d’une excursion en bateau de Montréal au lac Saint-Pierre, près de Sorel. Quelques personnes familières avec l’astronomie, des professeurs (et étudiants?) de McGill University, doivent se trouver à bord du SS Richelieu afin de répondre aux questions des excursionnistes ayant des billets. Mieux encore, encore, Canadian Airways offre un service spécial entre Ottawa et Montréal le jour de l’éclipse.
Parmi les nombreuses et nombreux touristes américaines qui se rendent au Québec pour mieux voir l’éclipse, permettez-moi de mentionner Madame Hugh H. Cuthrell, autrement dit Faith Baldwin, une romancière bien connue qui a alors publié plus de 20 romans d’amour fort prisés par un public féminin. Elle espère apparemment que l’éclipse lui fournirait une intrigue intéressante. Baldwin va en fin de compte publier environ 60 romans entre 1921 et 1977, sans parler d’innombrables histoires courtes, mais je digresse.
Croiriez-vous que Francis Joseph « Shag » Shaughnessy, directeur général de l’équipe de baseball Montreal Royals de la International League, annonce vers la fin août que des lunettes fumées, fournies (gratuitement?) par Imperial Tobacco Company of Canada Limited de Montréal, une filiale de la firme britannique British American Tobacco Company Limited, doivent être distribuées le 31 août? Mieux encore au carré, la partie de baseball devant avoir lieu de jour-là entre l’équipe montréalaise et les Albany Senators de Albany, New York, serait interrompue au cours de l’éclipse afin de permettre aux spectatrices et spectateurs qui le désirent de sauter sur le terrain pour mieux observer le phénomène.
L’éclipse solaire fait même son entrée en politique provinciale vers la fin aout 1932. En effet, le premier ministre du Québec n’a pas vraiment hâte de rendre public le fait que, pour la première fois en près de 35 ans, le gouvernement provincial est confronté à un déficit, une conséquence de la crise économique qui frappe le monde de plein fouet. Louis-Alexandre Taschereau tente de plaisanter (« L’éclipse des surplus se produira en même temps que l’éclipse du soleil. ») mais quelques / plusieurs quotidiens québécois ne sont pas d’humeur à rire.
Avant que je ne l’oublie, vers la toute fin du mois d’août, le conseil municipal de Sherbrooke se prononce en faveur d’un congé civique le 31 août – une initiative proposée par la Chambre de commerce de Sherbrooke. Les lieux d’affaires sont ainsi fermés au cours de l’après-midi afin de permettre aux Sherbrookoises et Sherbrookois de… visiter le site de l’Exposition agricole de Sherbrooke et, si le cœur leur en dit, d’observer l’éclipse.
En ce qui concerne Montréal, le Comité exécutif se prononce contre un congé civique s’appliquant au personnel de la ville. Voyez-vous, la date limite du paiement des taxes de l’eau et d’affaire est en effet le jour qui suit l’éclipse, autrement dit le 1er septembre. D’aucuns chuchotent que le maire de Montréal, Louis Édouard Fernand Rinfret, aurait aimé faire preuve d’une plus grande ouverture d’esprit. Une ouverture comparable à celle des directions de grands magasins à rayons montréalais tels que Henry Morgan & Company Limited, T. Eaton Company Limited et Dupuis Frères Limitée qui ferment leurs établissements afin que leur personnel soit en mesure de voir l’éclipse – si le ciel est dégagé bien sûr.
Comme vous pouvez bien l’imaginer, le susmentionné trio de grands magasins est mentionné dans des numéros précédents de notre blogue / bulletin / machin, en novembre 2021 dans le cas de Henry Morgan & Company, dans quelques numéros depuis janvier 2019 dans le cas de T. Eaton, et dans 3 numéros (décembre 2018, novembre 2021 et mai 2022) dans le cas de Dupuis Frères. Il n’y a pas de quoi.
Et oui, le 31 août, le jour même de l’éclipse, Dupuis Frères tient une vente « éclipse » au cours de laquelle elle offre des magnifiques récepteurs radio fabriqués par Northern Electric Company Limited de Montréal, valant plus de 100 $, au prix imbattable de 39 $ - ce qui correspond à en peu plus de 2 050 $ et 800 $ en devise 2022.
Comme vous pouvez bien l’imaginer, encore, la couverture journalistique atteint son point culminant alors que le mois d’août s’achève. Le 31 août, par exemple, le quotidien montréalais L’Illustration publie un portrait du jésuite et astronome néerlandais Johan Willem Jakob Antoon Stein, directeur du Vaticanum Observatorium / Specola Vaticana. Il publie par ailleurs une photographie du chef de l’équipe japonaise, l’astronome Hirayama Kiyotsugu du Tōkyō Tenmondai, l’observatoire astronomique de Tokyo, Japon. Tous deux se trouvent aux États-Unis pour observer l’éclipse.
Oserai-je souligner que l’église catholique, apostolique et romaine retire de son index des livres interdits, le Index Librorum Prohibitorum, les versions non censurées du livre faisant époque de 1543 de Copernicus De revolutionibus orbium coelestium, en français Des révolutions des orbes célestes, qui affirme que la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse, en… 1835?
Pis encore, le père de l’astronomie d’observation, de la physique moderne et de la science moderne selon certains / plusieurs et un ardent défenseur de la théorie héliocentrique de Copernicus, une théorie jugée scientifiquement fausse et théologiquement erronée sinon hérétique en 1616, Galileo di Vincenzo Bonaiuti de’ Galilei, fortement soupçonné d’hérésie pour cette défense et menacé de torture en 1633 par la Congregatio pro sancta inquisitione / Congregatio sanct inquisitionis hæreticæ pravitatis, est formellement et publiquement innocenté de tout acte répréhensible par l’église catholique, apostolique et romaine en… octobre 1992.
Une brève digression si je peux me permettre. D’accord, d’accord, une autre brève digression. Le 27 août, La Presse annonce qu’un des chercheurs français qui souhaite observer l’éclipse en sol canadien est le général Gustave Auguste Ferrié, un ingénieur et pionnier de la radiodiffusion connu mondialement. Deux jours plus tard, Georges Pelletier, le directeur d’un autre quotidien montréalais, Le Devoir, souligne que Ferrié est mort depuis plus d’un an. Gros oups. En fait, Ferrié est décédé en février 1932, à l’âge de 63 ans. Petit oups.
Autre brève digression. Un hebdomadaire humoristique / satirique montréalais, Le Canard, offre une bref commentaire à son lectorat dans son édition du 29 août : « C’est le 31 août qu’aura lieu la fameuse éclipse totale du soleil. On prétend qu’il fera aussi noir que dans la conscience d’un politicien. »
Et c’est tout ce que votre humble serviteur a l’intention de dire (taper?) sur l’éclipse solaire du 31 août 1932 et la cinquantaine (!) de groupes qui l’observent en sol canadien et américain. Je vous souhaite par conséquent une bonne…
Qu’avez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez l’air bien marri. Vous voulez savoir comment se déroule l’éclipse elle-même?! Un texte somme toute assez très court serait-il satisfaisant? Non?! L’équipe de production de la série télévisée américaine Game of Thrones a tenté le coup en 2019 et cette saison finale raccourcie ne vous a pas plu du tout, dites-vous? Ne faites pas un c*c* nerveux, ami(e) lectrice ou lecteur, je vais voir ce que je peux faire.