Un véhicule très réussi et, oserais-je le taper, un gougeur de pente de l’industrie des tracteurs agricoles : le Moline Universal Tractor
Je vous offre une salutation agricole en cette journée de décembre, ami(e) lectrice ou lecteur. À supposer que vous soyez passionné(e) d’aviation, votre humble serviteur a bien peur de ne pas avoir grand-chose à vous mettre sous le croc aujourd’hui. Désolé.
Avez-vous par hasard lu le fascinant article paru dans un numéro de novembre 2021 de notre blogue / bulletin / machin sur le tracteur de jardin / motoculteur Beeman Junior ou Modèle G de la firme américaine Beeman Garden Tractor Company? Ah, comme c’est dommage. Vous me forcez par conséquent à vous casser les pieds avec les quelques mots suivants…
Alors que le 20ème siècle commence, en 1901 et non en 1900, compte tenu de la nature sensible de leurs cultures, des propriétaires de fermes maraîchères aux États-Unis utilisent principalement de la main-d’œuvre humaine, ainsi que de la main-d’œuvre équine, pour planter et cultiver ces cultures. Et oui, votre humble serviteur avoue volontiers que je n’avais aucune idée de ce qu’était / est une « truck farm, » c’est-à-dire une ferme dédiée à la production de légumes qui sont ensuite vendus au public, en d’autres termes une ferme maraîchère.
Maintenant je vous demande, ami(e) lectrice ou lecteur, pensez-vous que les propriétaires de maraîchages américains laisseraient passer l’opportunité de remplacer leur main d’œuvre humaine et équine par des machines, fiables bien sûr, afin de réduire leurs frais généraux de production et d’élargir leur marge bénéficiaire? Le pape est-il polonais, euh, argentin?
Remarquez que certains propriétaires de petites fermes sont peut-être également disposés à envisager la possibilité de remplacer leur vieux canasson. Fin du cassage de pieds.
Ce souhait se teint toutefois d’une certaine inquiétude liée à la perte de contrôle ressentie par ces agriculteurs lorsqu’ils opèrent un tracteur qui, à la différence du vieux canasson, ne va pas nécessairement garder la même trajectoire sans intervention humaine. Ils doivent choisir entre regarder vers l’avant pour s’assurer que le tracteur, souvent trop gros pour leurs besoins journaliers, va où ils veulent ou regarder vers l’arrière pour voir comment se comporte l’outil remorqué par le dit tracteur.
C’est pour répondre à ces types de besoins que Universal Tractor Manufacturing Company voit le jour aux États-Unis en 1914. Un prototype de ce véhicule peut, je répète peut, être fabriqué par un fabricant de véhicules hippomobiles américain bien connu, Ohio Carriage Manufacturing Company.
Le concept même du Universal Motor Cultivator, soit 2 roues avant propulsées par un moteur et 2 roues arrière plus petites pour soutenir le conducteur et y attacher les outils, avec un système d’articulation entre ces 2 sections, en fait un véhicule particulièrement agile. De fait, c’est le premier tracteur articulé réussi sur le marché. Avec son moteur et roues motrices placées devant l’agriculteur qui le conduit, les commandes de la colonne de direction, de l’accélérateur et des freins du Universal Motor Cultivator ressemblent un peu beaucoup aux rênes tendues d’un véhicule hippomobile.
De par son concept, le Universal Motor Cultivator est plus adapté à la culture en rangs que la plupart des tracteurs de son époque. Ce même concept à roues motrices avant s’avère par ailleurs familier aux agriculteurs dont les outils de travail étaient / sont, ne l’oublions pas, tirés par des chevaux. Capable de tirer outils de travail pour le moins variés (charrues, faucheuses, herses et planteuses), le Universal Motor Cultivator est par ailleurs des plus polyvalent. En effet, une poulie à courroie montée à l’avant peut faire fonctionner une scie à bois, une pompe, une machine à laver, un décortiqueur de maïs ou un broyeur d’aliments, entre autres choses. Mieux encore, le Universal Motor Cultivator n’est pas particulièrement coûteux.
Impressionné par le Universal Motor Cultivator, une firme américaine se porte acquéresse de Universal Tractor Manufacturing vers décembre 1915. De fait, la firme en question vend alors des charrues pouvant être utilisées avec ce véhicule.
Aux dires de certains, Moline Plow Company s’intéresse depuis 1913 à la conception d’une charrue motorisée. De mèche avec une firme américaine bien connue, International Harvester Company, elle fabrique quelques (5?) prototypes qui s’avèrent plus que médiocres. En quête d’autres idées, la direction de la firme finit par conclure qu’il serait plus sage d’acquérir les droits de production d’un véhicule qui fonctionne que de tenter d’en concevoir un en priant le ciel qu’il ne soit pas un citron – ou une lime. Désolé.
Moline Plow voit le jour vers 1852, sous un nom fort différent. Candee, Swan & Company fabrique alors des vanneuses, râteaux andaineurs, etc. Elle entame la production de charrues vers 1865, vite baptisées charrues de Moline, des charrues pour ainsi dire identiques à celles d’une autre firme établie dans le patelin où se trouve Candee, Swan & Company, des charrues connues elles-aussi sous le nom de charrues de Moline. Cette ressemblance n’a rien de surprenant, un ex-employé mécontent de Deere, Tate & Gould Company ayant beaucoup apporté au concept de la charrue de Candee, Swan & Company.
Les 2 firmes ne tardent pas à se retrouver en cours pour savoir laquelle pourrait utiliser le nom du dit patelin dans leurs publicités. Ce nom ne pouvant pas être protégé par droit d’auteur, Deere, Tate & Gould, devenue Deere & Company vers 1868, oui, oui, cette Deere & Company là, perd sa cause en 1870, je pense. Candee, Swan & Company, quant à elle, change de nom pour devenir Moline Plow vers 1870.
Dans les années qui suivent, Moline Plow poursuit son petit bonhomme de chemin, produisant une gamme de charrues hippomobiles et d’autres outils (wagons, chariots, etc.) pour desservir le vaste marché agricole américain.
La firme absorbe par ailleurs diverses petites entreprises de construction de wagons et de voitures. Il suffit de songer à Adriance, Platt & Company, acquise en 1913 – le nom de Adriance étant mentionné dans la publicité au cœur de cet article de notre blogue / bulletin / machin, une publicité publiée dans quelques / plusieurs numéros de L’Agriculture nouvelle, un supplément agricole hebdomadaire illustré d’un des grands quotidiens parisiens / français de l’époque, Le Petit Parisien.
Vers décembre 1915, comme il est dit (tapé?) plus haut, Moline Plow fait l’acquisition de Universal Tractor Manufacturing, et ce pour mettre la main tant sur ses brevets que sur le Universal Motor Cultivator. Un tant soit peu modifié par le personnel de Moline Plow, cet excellent véhicule devient le Moline Universal Tractor, ou Moline Universal, produit à partir de l’été 1916.
Une version du Universal Tractor sortie en 1918 est le premier tracteur produit en série à être muni d’un démarreur électrique et de phares électriques, ceci à une époque où le démarreur électrique n’est pas présent sur la plupart des automobiles qui circulent en Amérique du Nord. Curieusement, le Universal Tractor ne semble pas avoir de filtre à air, ce qui réduit passablement la durée de vie de son moteur.
Moline Plow introduit une gamme complète de nouveaux outils pour accompagner cette version datant de 1918, soit des épandeurs de fumier, faucheuses, herses à disques, lieuses à grains et râteaux.
Permettez-moi de mentionner avant d’aller plus loin dans cette pontification que les moteur et châssis du Universal Tractor sont peints en rouge, alors que ses roues sont peintes en jaune.
La publicité de Moline Plow affirme que son Universal Tractor peut remplacer 6 chevaux. Cela étant dit (tapé?), son achat n’exige évidemment pas le remplacement de tous les outils tirés par des animaux qu’un agriculteur possède déjà. Ces outils comprennent des charrues, cultivateurs, faucheuses, herses, lieuses, semoirs, etc.
Un premier détail un tant soit peu inhabituel si je peux me le permettre. Le poids du Universal Tractor étant quelque peu décalé du côté gauche, en raison du positionnement de son moteur, le personnel de Moline Plow coule du béton dans la roue avant droite afin de préserver l’équilibre du véhicule.
Un second détail un tant soit peu inhabituel si je peux me le permettre. La roue avant gauche du Universal Tractor peut être relevée, permettant ainsi au véhicule de rouler à niveau lorsque l’autre roue avant roule dans un sillon. Oserais-je dire (taper?) que le Universal Tractor est un « sidehill gouger » (gougeur de pente) de l’industrie du tracteur agricole? Désolé.
Le gougeur de pente, ou Membriinequales declivitous, le nom binomial / scientifique de cette redoutable espèce de mammifère herbivore montagnarde nord-américaine, peut, je répète peut, être un cousin éloigné du dahu, ou Dahutus montanus, d’Europe occidentale. En effet, par exemple, des individus de ces espèces peuvent être dextrogyres ou lévogyres, en d’autres mots droitiers ou gauchers.
Et si vous croyez à cette histoire, ami(e) lectrice ou lecteur, j’ai un exemplaire en état de vol du Avro CF-105 Arrow à vendre pour une bouchée de pain. Il est dans une grange en Saskatchewan. Argent comptant seulement, pas de cryptomonnaie, mais revenons à notre récit.
Il est à noter que, selon certains, le Universal Tractor est noté pour une certaine tendance à basculer. D’aucuns disent que ce véhicule peut se cabrer comme un taureau de rodéo lorsqu’on le met en marche arrière sans charge remorqué, ce qui peut s’avérer dangereux, voire fatal, dans une grange dont le plafond est un peu bas.
Cela étant dit (tapé?), le Universal Tractor est à ce point populaire que l’importante firme américaine Allis-Chalmers Manufacturing Company entame la production, en 1918, du tracteur pour cultures en lignes Allis-Chalmers Modèle 6-12. Jugeant que ce véhicule de qualité peu coûteux enfreint ses brevets, Moline Plow proteste avec véhémence. De fait, Allis-Chalmers Manufacturing peut, je répète peut, avoir payé des réparations à sa rivale.
Croiriez-vous que plus de 15 autres firmes américaines produisent des véhicules à 3 ou 4 roues plus ou similaires au Universal Tractor à la fin des années 1910 et / ou au début des années 1920? Je ne plaisante pas. Et non, la direction de Moline Plow n’est pas amusée.
Croiriez-vous par ailleurs que Moline Plow peut, je répète peut, avoir produit environ 20 000 Universal Tractors en 1918?
Avant que ne l’oublie, partie 1, le Universal Tractor semble être mentionné pour la première fois dans un quotidien canadien en janvier 1918. Le dit quotidien est The Calgary Daily Herald de Calgary, Alberta. On peut y trouver une publicité de la firme General Supplies Limited de Calgary vantant les mérites du véhicule de Moline Plow. Des Universal Tractor participent par ailleurs à au moins 2 démonstrations de tracteurs en sol canadien en 1918, à Coburg, Ontario, et Brandon, Manitoba.
Avant que ne l’oublie, partie 2, la collection du Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, à Ottawa, Ontario, une institution sœur / frère du miraculeusement bon Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, comprend un Universal Tractor.
Et non, le Universal Tractor n’est pas le seul tracteur produit par Moline Plow. Celle-ci produit en effet un Orchard Tractor, pour les propriétaires de vergers, et un Road Tractor, pour les propriétaires de routes. Désolé. Ce véhicule est en fait un tracteur utilisé pour des travaux routiers. Ces 2 tracteurs semblent être produits (en petit nombre?) vers la fin des années 1910 et / ou le début des années 1920.
Un camion muni du même moteur que ces tracteurs, le moteur de la version de 1918 du Universal Tractor en fait, afin de simplifier la production, sort d’usine vers la fin de 1920. Il ne semble pas être produit en grande quantité.
Soucieuse de diversifier davantage ses activités, Moline Plow entre dans le secteur automobile en 1916 avec des véhicules de prix moyens mais de bonne qualité produits par sa division Stephens Motor Works.
Soucieuse à son tour de diversifier davantage ses activités, le fabricant d’automobiles américain Willys-Overland Company acquiert une participation majoritaire dans Moline Plow en septembre 1918. Cette dernière continue toutefois à fonctionner sans changement de marque.
Bien que Moline Plow soit un des plus importants (cinquième?) fabricants d’équipement agricole au monde au début de la Première Guerre mondiale, elle a largement dépassé ses capacités financières et doit beaucoup d’argent à ses créanciers au moment où les années 1910 prennent fin.
Vous voyez, Moline Plow expédie des milliers et des milliers de faucheuses, lieuses et moissonneuses vers l’Empire russe en 1917. Au risque de simplifier exagérément les choses, cet empire cède la place à la Rossiïskaïa Sovietskaïa Respoublika, puis à la Rossiïskaïa Sovietskaïa Federativnaïa Sotsialistitcheskaïa Respoublika, suite à de la Révolution d’octobre. Et oui, le nouveau gouvernement instauré par la force par le Rossiïskaïa Kommounistitcheskaïa Partiia (bol’chevikov) refuse de payer les factures du gouvernement impérial. Pensez donc. Enfin, si on ne peut pas faire confiance à un bolchevique, à qui peut-on faire confiance?
Et oui, c’était une question rhétorique. Du sarcasme? Oui, Sheldon.
Croiriez-vous que la version doublée en français, par des acteurs françaises et français de France, de The Big Bang Theory a pour titre… The Big Bang Theory? Enfin, La Théorie du Grand Boom n’aurait-il pas été un titre on ne peut plus acceptable? Votre humble serviteur doit avouer être un tantinet agacé par, oserais-je le dire (taper?), l’anglolâtrie de nombreuses Françaises et Français. Enfin, comment ne pas grimper dans les rideaux lorsqu’on entend une Parisienne ou Parisien suprêmement élégant(e), qui n’a pas le nombril sec, dire avec son accent prodigieux capable de scinder une molécule d’oxygène qu’une de ses « bestahs » connaît certains des « pipoles » très « chills » et « swags » qui viennent d’entamer un « mastère en management » à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne? Désolé, désolé. Si, si, je vais chiller. Soupir.
L’utilisation des noms en langue russe des diverses organisations soviétiques tapés ci-haut n’est-elle pas un tantinet pédante, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Si, elle l’est, et où voulez-vous en venir? Mais revenons à notre histoire et aux ennuis de Moline Plow, et…. Pédant, moi?! Si, si, je vais chiller.
L’introduction en 1917 d’un nouveau tracteur, le Ford Fordson, produit par Henry Ford and Son Company, une firme créée par, vous l’aurez deviné, Henry Ford lui-même, un personnage mentionné dans quelques numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis août 2018, vient par ailleurs changer la donne.
Ce véhicule n’est certes pas meilleur que le Universal Tractor. Nenni. Henry Ford and Son ne produit par ailleurs pas la moindre charrue, cultivateur, faucheuse, herse, lieuse, planteuse ou semoir – une omission qui réduit l’impact du Fordson dans les mois qui suivent son entrée en service. L’utilisation d’une chaîne de montage permet toutefois de réduire son coût, ce qui permet à un plus grand nombre d’agriculteurs de se procurer un tracteur.
En guise de comparaison, les Universal Tractors ne se déplacent pas d’un poste de travail à un autre, grâce à un système de convoyeur. Chaque véhicule est construit dans un certain espace de l’usine de Moline Plow, les ouvriers apportant des pièces dans des brouettes selon les besoins.
Une fois la Première Guerre mondiale terminée, Moline Plow espère rétablir un tant soit peu ses finances en vendant de nombreux tracteurs, dans de nombreux endroits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis. Le hic, c’est que le début des années 1920 n’est pas une période heureuse pour les agriculteurs américains. Une conjoncture défavorable causée par la récession de 1919 et la dépression de 1920-21 cause des ravages dans tout le pays. La concurrence féroce qui prévaut pendant la guerre des tracteurs de 1921-22 ne fait qu’empirer les choses pour les fabricants.
Le dernier Universal Tractor sort d’usine en 1923. La dernière automobile de marque Stephens, alors produite par Stephens Motor Car Company, une firme créée par Willys-Overland en 1922, fait de même vers juillet 1924. Cette même année, Moline Plow vend son usine de tracteurs à la susmentionnée International Harvester.
L’engouement pour les véhicules similaires au Universal Tractor prend d’ailleurs fin vers cette époque. Le tracteur tel qu’on le connaît aujourd’hui, en 2021, l’emporte en effet sur son rival. Le règne du Universal Tractor et de ses cousins a duré à peine une décennie.
Avec la fin de sa production de tracteurs et d’automobiles, Moline Plow Company Incorporated, une raison sociale adoptée vers juillet 1922, se tourne vers la production de matériel. En 1925, elle devient Moline Implement Company. En 1929, celle-ci-joint ses forces à celles de Minneapolis Steel & Machinery Company et Minneapolis Threshing Machine Company, un duo d’assez importants fabricants de tracteurs, pour fonder Minneapolis-Moline Power Implement Company, elle-même un fabricant de tracteurs.
En 1938, cette dernière entame la production de ce qui peut fort bien être le premier tracteur agricole avec cabine fermée, une cabine biplace où Mathurin, le fermier de la fameuse chanson pour enfants, peut prendre place avec son épouse, sur des sièges capitonnés. Le parebrise en verre de sécurité du Minneapolis-Moline Modèle UDLX Comfortractor, ou Modèle U Deluxe, est muni d’essuie-glaces. Ce véhicule offre également à ses utilisateurs un allume cigarette, un cendrier, une chaufferette et une radio – du jamais vu dans un tracteur agricole. Le coût élevé du Comfortractor et la récession de 1937-38 font toutefois en sorte qu’il se vend mal (environ 125 exemplaires entre 1938 et 1941).
Minneapolis-Moline Power Implement est absorbée par un fabricant américain de camions et d’autobus, White Motor Company, vers 1963. La marque de commerce Minneapolis-Moline disparaît vers 1974.
Votre humble serviteur ose espérer que cette oh, bien brève pontification aura su capter votre intérêt pendant quelques minutes. À plus.
Dans la ferme de Mathurin…
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