Un jeune prodige américain de l’aube de l’ère spatiale devenu professeur au Propulsion Research Center de la University of Alabama in Huntsville : James Bertram Blackmon, voici votre vie, partie 2
Bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur planant, et bienvenue dans la seconde et dernière partie de notre regard sur la vie du fabricant de fusées adolescent et ingénieur adulte James Bertram « Jim / Jimmy » Blackmon. C’est toute une histoire si je puis le dire (taper?).
En septembre, et oui, nous sommes encore en l’an 1956. En septembre, affirmais-je, Blackmon est l’invité d’honneur d’un épisode de l’émission télévisée Synopsis, diffusée par WBTV, une station indépendante basée à Charlotte, Caroline du Nord, la plus ancienne station de télévision de cet état (1949) si vous devez le savoir, propriété de Jefferson Standard Life Insurance Company. Les téléspectatrices et téléspectateurs, qui comprennent probablement les fiers parents de Blackmon, voient l’adolescent et son père lors de leur visite en août 1956 de Redstone Arsenal, un centre de recherche et développement de fusées situé près de Huntsville, Alabama, et contrôlé par une agence de la United States Army, la Army Ballistic Missile Agency (ABMA).
Pendant qu’il est en ondes, Blackmon reçoit plus de 600 mètres (2 000 pieds) de film tournés au cours de cette visite. L’adolescent reçoit a également un projecteur qu’il pourra utiliser pour regarder ces 50 à 55 minutes de séquences filmées.
Exposée dans le bâtiment de l’administration centrale de Redstone Arsenal pendant quelques jours, la fusée de Blackmon revient rapidement à Charlotte. Le nombre de résidentes et résidents de la ville qui veulent la voir est tel que l’adolescent accepte d’exposer sa création dans les bureaux de Charlotte de la American Trust Company pendant quelques semaines, en septembre et début octobre. Blackmon entrepose ensuite sa fusée dans la résidence familiale, fort possiblement dans le grenier.
La United States Army et les médias américains ne sont pas les seules organisations impressionnées par les réalisations de Blackmon. Nenni. Le comité qui choisit le gagnant d’un prix / bourse pour les jeunes décerné par la American Rocket Society (ARS) est également très impressionné. Blackmon, qui se trouve être le tout premier récipiendaire de la toute nouvelle récompense, reçoit le chèque de 1 000 $ offert par Chrysler Corporation en novembre 1956, lors d’un banquet organisé par l’ARS et Chrysler, dans un hôtel chic de New York, New York. Ce banquet est le point culminant de la 11ème réunion annuelle de l’ARS.
Croiriez-vous que Blackmon, le plus jeune constructeur de fusées aux États-Unis, dit-on (tape-t-on?), reçoit son chèque du commandant de ABMA, le général de division John Bruce Medaris? L’argent serait utilisé pour les études universitaires de Blackmon. Soit dit en passant, cette somme correspond à environ 10 750 $ en devise canadienne de 2023. Et oui, la fusée est exposée au banquet.
Soit dit en passant, 5 autres personnes reçoivent un prix lors du banquet. L’un d’eux est le physicien et ingénieur ouest-allemand Hermann Julius Oberth, un des pères controversés de la fuséologie et de l’exploration spatiale, qui vit aux États-Unis à l’époque. Oberth, qui est mentionné dans un numéro de janvier 2021 de notre blogue / bulletin / machin, travaille pour ABMA, en tant qu’ingénieur-conseil, sur de futures idées de projets spatiaux civils.
La seconde plus jeune personne honorée lors du banquet est Donald Lane Crabtree, 20 ans, étudiant en deuxième année d’ingénierie à Purdue University, qui reçoit le prix étudiant pour le meilleur article étudiant sur la propulsion par réaction et fusée. Crabtree devient par la suite un ingénieur en conception automobile respecté chez General Motor Corporation, un géant de l’industrie automobile américaine mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018, et…
Pourquoi un important constructeur automobile comme Chrysler est-il impliqué dans un prix / bourse pour les jeunes lié à la fuséologie, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Ne savez-vous pas que cette firme fabrique également des armes de destruction massive dans les années 1950 et 1960 – un cas de transformation de socs de charrue en épées, si je puis dire (taper?)? En 1956, par exemple, Chrysler commence la production du missile balistique à courte et moyenne portée à tête thermonucléaire ABMA / Chrysler SSM-A-14 / M8 Redstone, le premier gros missile balistique de la United States Army.
Avec votre permission, votre humble serviteur va maintenant citer, en traduction, un dirigeant de Chrysler, Thomas F. « Tom » Morrow, vice-président des produits de défense et spéciaux : « Chrysler est fière d’honorer Jimmy en tant que constructeur de missiles à un autre. » Ouah…
Le matin après avoir reçu le chèque de 1 000 $, Blackmon est interviewé, en direct, à la télévision, par nul autre que David Cunningham « Dave » Garroway, le très populaire animateur de la très populaire émission quotidienne d’actualités et débats télévisés américaine Today, la toute première émission quotidienne d’actualités et débats télévisés sur la planète Terre. Oui, ce Today là. Plutôt bien, hein? Et oui, la fusée est là. Bien sûr. Et nous savons toutes / tous les deux où vous avez vu une photo de Blackmon et Garroway, n’est-ce pas? Au début de cette seconde partie de notre article, bien sûr.
Croiriez-vous que Blackmon partage la vedette avec le directeur de la Guided Missile Development Division de Redstone Arsenal, Wernher Magnus Maximilian von Braun? C’est plutôt grisant pour un jeune de 17 ans, n’est-ce pas?
Et oui, mon observatrice / observateur ami(e) lectrice ou lecteur, Garroway est mentionné dans un numéro de janvier 2023 de notre incroyaaable vous savez quoi. (Bonjour, MMcC!)
En mars 1957, Chrysler annonce qu’elle distribuerait un livret illustré de 8 pages sur Blackmon et sa fusée à des professeurs de sciences, à des membres de la United States Army, aux membres de l’ARS et à des administrateurs scolaires partout aux États-Unis. La photographie sur la couverture du dit livret peut bien être celle que vous, ami(e) lectrice ou lecteur, avez vue au début de la première partie de cet article.
Et si vous pensez que le prix / bourse pour les jeunes est le seul prix que Blackmon obtient, vous vous trompez lourdement. J’en ai rencontré au moins trois autres, mais revenons à notre histoire.
Incidemment, à ce moment-là, et très probablement bien avant cela, Blackmon trouve l’attention des médias quelque peu gênante.
Comme il est laissé entendu dans la première partie de cet article, Blackmon fréquente la Phillips Academy, à Andover, Maine, vers 1955-57, sinon plus tôt. Votre humble serviteur a-t-il besoin de vous informer que la fusée y est exposée pendant un certain temps en 1957? C’est ce que je pensais.
À l’automne de cette année-là, Blackmon rejoint le corps étudiant en génie aéronautique du California Institute of Technology, une université de recherche privée à Pasadena, Californie. Il réussit très bien. De fait, Blackmon obtient son baccalauréat ès sciences en ingénierie en 1961.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur téléphile, Pasadena est la ville où se déroule la très populaire comédie de situation télévisée américaine The Big Bang Theory.
Incidemment, Blackmon teste une fine fusée à combustible solide de 1.7 mètre (5 pieds 6 pouces) de haut fin septembre 1957. Assemblée avec l’aide d’une paire d’ingénieurs de la Charlotte Army Missile Plant, près de Charlotte, des ingénieurs que Blackmon refuse poliment de nommer, la dite fusée est basée sur un dessin trouvé dans un magazine.
Lancée depuis une plage isolée de Caroline du Nord, près de la frontière avec la Caroline du Sud, dans une zone où les aéronefs ne circulent pas, la fusée fonctionne à merveille. Elle atteint une hauteur d’environ 1 200 mètres (4 000 pieds), terminant sa course à une courte distance au large, dans l’océan Atlantique. Du début à la fin, l’événement dure au mieux 15 secondes. Qu’une personne ait ou non le temps de photographier ou filmer le voyage de la fusée n’est pas clair.
Blackmon, ses parents et quelques ingénieurs de Douglas Aircraft Company Incorporated qui travaillent à la Charlotte Army Missile Plant, avec leurs familles, une vingtaine de personnes en tout, accroupies en toute sécurité derrière une dune de sable, sont tout simplement ravis. Oserait-on dire aux anges? Désolé.
Vous vous souviendrez bien sûr que Douglas Aircraft, une avionnerie américaine bien connue et respectée s’il en est, exploite la dite Charlotte Army Missile Plant.
Croiriez-vous que le lancement est mentionné par au moins 80 ou plus quotidiens américains? Selon un journaliste amusé, en traduction, « La sécurité entourant le test fait ressembler les tirs de missile ‘secrets’ des militaires à Cap Canaveral, Flo., à des feux d’artifice dans un bocal à poissons. »
Mémo à moi-même : note cette expression pour une utilisation future. Maintenant, oui, maintenant, parce que tu as la capacité d’attention d’un épagneul cocker qui s’ennuie et que tu es passablement oublieux. Maintenant!
[Musique du jeu télévisé américain Jeopardy jouant en arrière-plan.]
Désolé, ami(e) lectrice ou lecteur. Se disputer avec soi-même n’est pas toujours amusant, surtout quand on perd, mais revenons à notre sujet.
Le mécanisme de tir de la fusée est, euh, unique. Il se compose d’une part d’une batterie d’automobile et de quelques fils électriques et, d’autre part, d’un micro-interrupteur relié à la fusée par quelques fils. Un petit morceau de carton plaqué contre le micro-interrupteur empêche le passage du courant de la batterie. Lorsque Blackmon donne le signal, un des gentilshommes présents sur le site éjecte le petit morceau de carton en lui tirant dessus avec un fusil depuis une distance d’environ 180 mètres (600 pieds). Je ne plaisante pas.
Cette fois-là, Blackmon ne contacte pas la Civil Aeronautics Administration (CAA) ou toute autre organisation gouvernementale pour obtenir l’autorisation de tester sa création. À première vue, le jeune homme n’est pas dérangé par la CAA ou toute autre organisation gouvernementale. Cependant, on peut avoir demandé à Blackmon de ne plus agir de cette façon. Si jamais l’adolescent a envie de tirer une autre fusée, la CAA lui demande de contacter son bureau de Charlotte pour s’assurer que rien de fâcheux ne se produise.
Il va et va encore sans dire que quiconque envisage de tester une fusée doit suivre ces conseils et contacter les organisations appropriées.
Au début de 1958, sinon plus tôt, le nombre de testeurs putatifs de fusées augmente en effet aux États-Unis, ce qui concerne grandement diverses autorités gouvernementales aux niveaux local, étatique et national. Le risque d’explosion est toujours présent, tout comme celui d’une collision en vol ou d’un impact au sol.
Et oui, l’article de septembre 1957 sur le lancement réussi du test de Blackmon publié dans The Charlotte News partage la première page avec une nouvelle un peu plus significative.
Voyez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur, c’est en septembre 1957 que 9 étudiantes et étudiants afro-américain(e)s aux scores élevés tentent de fréquenter la Little Rock Central High School à Little Rock, Arkansas – une école secondaire blanche comme neige depuis sa fondation. Des millions d’Américain(e)s caucasien(ne)s bouillent de rage. À la rentrée des classes, en septembre 1957, le gouverneur de l’Arkansas, Orval Eugene Faubus, fait appel à la Arkansas National Guard pour empêcher ces incroyablement braves jeunes personnes de pénétrer dans leur école. Cet usage de la force militaire contre quelques adolescent(e)s sans défense fait le tour du monde. L’image de marque des États-Unis, le bastion de la liberté, dit-on, en prend pour son rhume. Avec raison.
Contacté par le maire outragé de Little Rock, Woodrow Wilson Mann, le président Dwight David « Ike » Eisenhower utilise les pouvoirs que lui octroie son office pour prendre le contrôle de la Arkansas National Guard et envoyer sur place des troupes de la United States Army. Pour la première fois depuis la Guerre civile américaine, le gouvernement des États-Unis envoie des troupes dans un état qui s’était soulevé contre lui. La tension est à son comble. Jour après jour, des soldats maintiennent une foule dangereusement hostile à distance des Little Rock Nine (« Neufs de Little Rock »), comme on appelle les 9 étudiantes et étudiants. L’année scolaire 1957-58 est un cauchemar de tous les instants pour ces jeunes personnes. Cela étant dit, la crise de Little Rock constitue bel et bien un point tournant dans l’histoire des États-Unis. La vie des Noir(e)s compte!
Le racisme systémique n’est pas un mythe. Refuser de reconnaître ce simple fait pour plaire à une base politique est, oserai-je dire, décevant, ou pire encore.
Comme nous le savons toutes / tous les deux, Eisenhower est mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mars 2018.
Au cours des étés 1958 et 1959, Blackmon travaille pour la division Defense and Special Products de Chrysler. Il travaille apparemment sur le moteur du très secret ABMA / Chrysler SM-78 Jupiter, le premier missile balistique à moyenne portée à tête thermonucléaire de la United States Army, entré en service en 1958.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur politiquement averti(e), les sites de lancement de Jupiter mis en place en Italie et Turquie en 1961 constituent une des raisons pour lesquelles le gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques met en place des sites de lancement de missiles balistiques à moyenne portée à tête thermonucléaire à Cuba en 1962, déclenchant ainsi la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962, et rapprochant le monde de la destruction totale plus qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire, mais revenons à notre récit.
Après avoir obtenu son diplôme, en 1962, Blackmon rejoint le personnel de la division Missile and Space Systems de Douglas Aircraft. Peu de temps après, il commence à travailler pour une maîtrise à la University of California, Los Angeles. Jongler avec les deux s’avère difficile, mais Blackmon y parvient. De fait, il obtient sa maîtrise ès sciences en ingénierie et sciences appliquées en 1967. Mieux encore, Blackmon obtient un doctorat en ingénierie et sciences appliquées de la University of California, Los Angeles en 1972.
Blackmon rejoint le personnel de McDonnell Douglas Astronautics Company, une filiale du géant aérospatial américain McDonnell Douglas Corporation, en 1977. Il est directeur de programme. En 1984, Blackmon devient gestionnaire de systèmes spatiaux avancés. Il est une des personnes qui va à McDonnell Douglas Space Systems Company lorsque McDonnell Douglas Astronautics est démantelé pour former McDonnell Douglas Space Systems et McDonnell Douglas Electronic Systems Company, en 1988. En 1989, Blackmon devient cadre supérieur des systèmes spatiaux avancés. En 1992, il gravit une autre marche de l’échelle et accepte le poste de directeur du développement des programmes avancés et du soutien à la production.
Au fil des ans, Blackmon et ses collègues publient de nombreux articles et brevètent diverses idées.
Vers 2000, Blackmon rejoint le personnel du Propulsion Research Center de la University of Alabama in Huntsville, à… Huntsville, Alabama, en tant que professeur-chercheur en génie mécanique et aérospatial. Il est apparemment encore au travail en mars 2015 lorsque la fusée achevée en 1956 est sortie de sa caisse en bois pour la première fois depuis des décennies. Elle a toujours l’air bien.
James Bertram Blackmon (à droite) jetant un coup d’œil sur la partie inférieure de la fusée achevée en 1956, Propulsion Research Center de la University of Alabama in Huntsville, Huntsville, Alabama, mars 2015. Le directeur de la centre, Robert A. Frederick, Junior, est sur place pour aider. Reid Creager, « Rocket boy revisited. » The Charlotte Observer, 20 avril 2015, 1C.
Blackmon prend sa retraite à un moment donné au cours de la seconde moitié des années 2010.
Si votre humble serviteur peut s’exprimer ainsi, la fusée Blackmon serait un ajout intéressant à l’admirable collection du National Air and Space Museum, à Washington, District de Columbia. Je vous dis ça comme ça, moi.
À plus.