« La bombe qui tuera le marsouin » – Un usage choquant de la puissance aérienne dans le Québec de l’entre-deux-guerres : Le bombardement des bélugas du fleuve Saint-Laurent, partie 3
Permettez-moi de vous souhaiter sans plus attendre la bienvenue dans cette 3ème et avant dernière partie de notre article sur un usage choquant de la puissance aérienne dans le Québec de l’entre-deux-guerres, soit le bombardement de bancs de bélugas qui vivent dans les eaux du fleuve Saint-Laurent.
Si, si, la 3ème et avant dernière partie. Votre humble serviteur a préféré subdiviser son texte en 4 parties de longueur raisonnable au lieu de 3 parties d’une longueur déraisonnable. Il n’y a pas de quoi.
Commençons sans plus attendre notre lecture hebdomadaire.
Alors que la saison de chasse aux bélugas approche, un hebdomadaire de Montréal, Le Bulletin des agriculteurs, mentionne dans un numéro de janvier 1929 que
D’après certains experts on croit que ce sont les Esquimaux [sic] qui ont chassé les marsouins [sic] des solitudes des eaux de la Baie d’Hudson et de l’Ungava. Les sauvages [sic] font du bruit pour effrayer ces animaux. Si ce moyen vaut quelque chose, ajoute M. Perrault, nous nous en servirons pour les chasser vers le nord.
On croit rêver.
Et oui, le mot sauvages était couramment utilisé au Québec jusqu’aux années 1940, voire 1950, pour décrire les Premières Nations et les Inuits. Le mot Esquimaux, en anglais Eskimos quant à lui, a été utilisé au moins jusqu’aux années 1970, sinon plus tard.
Une coopérative de pêcheurs québécois fait appel à une approche de chasse vraisemblablement plus efficace vers février 1929. L’aviateur canadien d’origine écossaise Colin Spencer “Jack” Caldwell, alors en route pour Terre-Neuve où il doit guider la flotte de navires impliqués dans la chasse aux phoques, effectue un bref arrêt sur la Côte-Nord. Votre humble serviteur ne sait malheureusement pas si le ou les vols qu’il effectue, à supposer qu’il y en ait eu, sont couronnés de succès.
Et oui, ce Caldwell est celui qui est mentionné dans la 1ère partie de cet article.
Incidemment, le susmentionné Perrault est le ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries du Québec, l’avocat Joseph-Édouard Perrault.
Début mars 1929, lors de l’examen du budget du ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, Perrault répond à plusieurs questions touchant aux déprédations des bélugas, répétant de nouveau qu’environ 100 000 de ces cétacés hantent les eaux de l’estuaire et du golfe du fleuve Saint-Laurent.
En réponse à un discours présenté quelques jours plus tard par le député gouvernemental qui représente les gens de la Côte-Nord du Québec, l’avocat Edgar Rochette, un député de l’opposition officielle, l’avocat Albéric Blain, affirme que les bélugas consomment environ 2 millions de tonnes métriques (environ 2 millions de tonnes impériales / environ 2.2 millions de tonnes américaines) de poisson par an. Ce qui revient à dire que les bélugas québécois consomment plus de 4 fois plus de poissons que tous les pêcheurs canadiens n’en capturent en 1929. Je ne plaisante pas.
Comme nous avons pu le constater dans la 1ère partie de cet article, il s’agit là d’un chiffre totalement ridicule. Il nécessiterait en effet la présence de 250 à 300 000 bélugas dans l’estuaire et le golfe du fleuve Saint-Laurent. Le nombre total de ces cétacés dans cette région du monde est en fait de 25 à 40 fois plus petit.
Oserai-je affirmer que vous et moi connaissons des exemples récents de politiciens qui prétendent appuyer leurs propos sur des preuves scientifiques solides alors que, dans les faits, ils et elles ignorent la réalité pour défendre un point de vue idéologique chuchotée par on ne sait qui? Vous avez probablement raison, ami(e) lectrice ou lecteur, je n’oserai pas.
Et oui, Rochette continue d’implorer Perrault de faire quelque chose. Certains de ses électeurs commencent en effet sérieusement à s’impatienter.
Approché en mars 1929 par le quotidien La Presse de Montréal, Québec, le secrétaire de l’Association des Gaspésiens de Montréal, rédacteur de l’hebdomadaire montréalais Le Bulletin des agriculteurs et président fondateur d’une conserverie, Le Poisson de Gaspé Limitée de… Mont-Louis, Québec, Firmin Létourneau accepte volontiers de passer en entrevue. Si, le Létourneau mentionné dans la 2ème partie de cet article. Le fléau qu’est le béluga compte évidemment parmi les sujets abordés.
Les pêcheurs du Québec étant outillés pour la pêche à la morue, une activité qu’ils connaissent bien, et non pas pour la chasse aux bélugas, Létourneau ne croit pas qu’ils devraient délaisser la première au profit de la seconde. Il reconnaît toutefois l’utilité de se débarrasser de ce cétacé.
Pour ce faire, Létourneau suggère de leur bloquer le passage au niveau du détroit de Cabot, large d’environ 110 kilomètres (environ 70 milles), entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Un bombardement systématique des bancs de bélugas permettrait selon lui d’atteindre cet objectif. Le gouvernement fédéral, responsable des pêcheries aux Îles-de-la Madeleine et dans les provinces maritimes pourrait sans doute appuyer cet effort, vraisemblablement par l’entremise du Corps d’aviation royal canadien, comme on appelle alors l’Aviation royale du Canada.
De fait, alors que s’achève le printemps 1929, le nouveau ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries du Québec, Hector Laferté, supervise la préparation un plan d’action. Il décide d’offrir une récompense pour chaque béluga tué dans l’estuaire ou le golfe du fleuve Saint-Laurent.
Pour faciliter la chasse aux bélugas, le ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries achète quelques centaines de fusils spéciaux qu’il met à la disposition des pêcheurs à de bonnes conditions.
Pour répondre à la question qui se condense dans votre petite caboche, l’arrivée de Laferté au dit ministère survient lors d’un remaniement ministériel, en avril 1929. Ce remaniement est en grande partie attribuable à la santé défaillante de Joseph-Édouard Caron, ministre l’Agriculture depuis novembre 1909 et membre du Conseil législatif du Québec, le sénat de la province à toutes fins pratiques, une institution abolie en décembre 1968.
Un des bélugas capturés et tués par l’équipe de Joseph Lizotte, Rivière-Ouelle, Québec. Anon., « –. » L’Action catholique, 13 juin 1929, 1.
Il va de soi que les chasses organisées par des gens tels que Joseph Lizotte, un résident de Rivière-Ouelle, Québec, mentionné dans la 2ème partie de cet article, peuvent contribuer au succès de l’entreprise.
De fait, fort de l’appui d’environ 25 fermiers de la région de Rivière-Ouelle, Lizotte capture et tue près de 190 bélugas en mai 1929, et ce à l’aide de pièges placés le long de la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Il espère tirer de cette capture un profit d’environ 6 000 $, une somme qui correspond à environ 105 000 $ en devises de 2024. Lizotte espère évidemment augmenter ses captures tout au long de l’été.
Des rumeurs commencent par ailleurs à circuler, en juin, je pense, selon lesquelles le ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries s’est assuré les services d’une petite firme de transport aérien dont un des hydravions serait utilisé pour bombarder les bélugas. L’objectif ici ne serait peut-être pas de les tuer mais plutôt de les disperser afin de faciliter la tâche des chasseurs opérant à partir de chaloupes.
Vous vous souviendrez bien sûr, ami(e) lectrice ou lecteur, que la personne choisie pour diriger l’enquête visant à trouver des moyens de se débarrasser des bélugas, le zoologiste américain Glover Morrill Allen, avait conclu dans un rapport qu’il ne serait pas pratique de bombarder les bélugas, mais revenons à notre histoire.
Un représentant du ministère, Eugène Comeau, se rend sur la Côte-Nord vers le début de juillet afin d’organiser la capture de bélugas, à l’aide de filets ou d’autres moyens.
Les rumeurs concernant le bombardement des bélugas ne tardent pas à être confirmées.
À peine de retour d’un bref séjour sur la Côte-Nord début juillet, Laferté annonce en effet la signature d’un contrat avec Laurentian Air Express Limited de Québec, Québec. Le ministre annonce par ailleurs qu’une flottille d’environ 50 petits bateaux portant des hommes armés va se lancer à l’assaut des bélugas, et ce sous la direction du susmentionné Comeau, qui l’a mise sur pieds.
Un poste de télégraphie installé pour l’occasion à Saint-Joseph-des-Sept-Îles / Seven Islands, aujourd’hui Sept-Îles, Québec, la plus importante municipalité de la Côte-Nord, je pense, va signaler le passage des cétacés aux résidents des principales localités de la région.
Laferté conclut son annonce en affirmant que si cette double attaque visant à se débarrasser des bélugas sans les exterminer ne donne pas de résultats satisfaisants, il n’aura d’autre choix que de commercialiser la chasse à ces animaux en formant des coopératives et en distribuant des subventions. Cette chasse se ferait à l’aides de filets, ou de pièges similaires à ceux utilisés par Lizotte, et…
Vous avez raison, ami(e) lectrice ou lecteur. Le moment est venu d’entrer de piquer dans le vif de notre sujet.
Laurentian Air Express est une toute nouvelle venue dans l’industrie québécoise / canadienne du transport aérien. Cette petite firme voit en effet le jour en avril 1929.
Son président a pour nom Louis Cuisinier. Si, si, ce Cuisinier-là. Le directeur technique d’un petit transporteur aérien, Canadian Transcontinental Airways Limited de Montréal, qui compte parmi les personnes qui volent à la rescousse de l’équipage du Junkers W 33 Bremen qui, en avril 1928, se pose tant bien que mal sur l’île Greenly, ou île Verte, une petite île québécoise située à l’entrée du détroit de Belle-Isle, tout près de Blanc-Sablon, Québec, et de la frontière Québec-Labrador.
Pourquoi le dit équipage se pose-t-il sur ce caillou, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Croiriez-vous que pas plus les pilote et propriétaire allemands de l’aéronef, Hermann Köhl et le baron Ehrenfried Günther von Hünefeld, que son navigateur irlandais, James Michael Christopher Fitzmaurice, ne savent où ils se trouvent après avoir complété la première traversée est-ouest de l’Océan Atlantique?
Votre humble serviteur doit avouer ne pas avoir trouvé d’informations sur les premières années du médecin / pilote et vétéran de la Première Guerre mondiale franco-canadien qu’est Cuisinier.
Ceci étant dit (tapé?), un Louis Cuisinier complète une thèse à la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université de Lyon, à… Lyon, France, en 1903. Une personne portant ce même nom de famille est quant à lui étudiant à l’École du Service de Santé Militaire de Lyon, je pense, cette même année 1903.
Quoiqu’il en soit, Cuisinier sert apparemment dans les forces armées françaises pendant la Première Guerre mondiale.
Le bon docteur et sa famille immigrent au Québec, oui, la province, à un moment donné après la fin du conflit. Cuisinier semble tout d’abord pratiquer la médecine dans la région du lac Saint-Jean. Il déménage à Québec, oui, la ville, avec sa famille au plus tard en 1925. Une petite annonce parue en novembre dans un important quotidien de cette ville, Le Soleil, atteste en effet de sa présence. Et voici la majeure partie de son contenu :
Le docteur Louis Cuisinier
Médecin accoucheur de la faculté de Paris, ancien externe des hôpitaux de Lille, décoré de la Croix de guerre, a l’honneur de faire connaître qu’il est installé à Québec – 44, rue St-Louis.
Ancien élève de la clinique médicale des enfants malades et maternités de Paris, le Docteur CUISINIER s’intéressera spécialement aux maladies des enfants et des femmes.
S’il est vrai que Cuisinier occupe le poste de directeur technique de Canadian Transcontinental Airways vers 1927-29, il n’est certes pas directeur d’un quelconque Bureau topographique et d’arpentage aérien du Dominion, comme le laisse entendre un article de journal de l’époque. Ceci étant dit (tapé?), la participation de Cuisinier au sauvetage de l’équipage du Bremen fait de lui une célébrité locale.
Incidemment, fin décembre 1927, Canadian Transcontinental Airways lance le premier service régulier (bihebdomadaire?) de courrier aérien vers la Côte-Nord, et ce entre Saint-Étienne-de-Murray-Bay, aujourd’hui La Malbaie, Québec, et Saint-Joseph-des-Sept-Îles, et ce via l’île d’Anticosti, également au Québec. Le point de départ initial des aéronefs est la bonne ville de Québec.
Ce qui prenait auparavant environ 3 semaines en hiver, avec des attelages de chiens, peut maintenant être fait en environ 3 heures. Soit dit en passant, croiriez-vous que les sacs de courrier destinés à des villages situés le long du chemin sont apparemment poussés par la porte sans l’aide d’un parachute? La neige profonde est jugée suffisante pour amortir leur chute. Je ne plaisante pas, mais je digresse. Beaucoup. Désolé.
Avant d’entreprendre sa campagne de bombardement, Cuisinier effectue quelques vols d’essais vers la mi-juillet 1929, à bord du premier aéronef opérationnel de sa firme, soit un petit hydravion à flotteurs allemand Klemm L 25 ou, plus exactement, d’un AKL-25 fabriqué sous licence aux États-Unis par Aeromarine-Klemm Corporation. Et oui, quelques charges explosives ou bombes artisanales sont larguées du haut des airs.
Le Curtiss-Robertson Robin utilisée par Laurentian Air Express Limited de Québec, Québec, pour bombarder les bélugas habitant les eaux du fleuve Saint-Laurent. Anon., « Le marsouin est un cétacé très difficile à détruire. » La Presse, 16 novembre 1929, 39.
Cuisinier se rend à Montréal, à l’usine de Curtiss-Reid Aircraft Company Limited plus précisément, vers la fin juillet, afin de prendre livraison de l’hydravion à flotteurs Curtiss-Robertson Robin acheté au début de ce mois par Laurentian Air Express. Il ne tarde pas à rentrer à Québec, oui, la ville, où, dit-on, l’attendent 3 autres aéronefs qui doivent participer à l’expédition.
Étant donné que Laurentian Air Express possède un total de 2 aéronefs à l’époque, le Robin et le susmentionné AKL-25, on peut supposer que les dépêches sont inexactes, ou qu’une autre entreprise aiderait la firme de Cuisinier. Votre supposition est aussi bonne que la mienne.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur assidu(e), Curtiss-Reid Aircraft, une filiale du récemment créé géant aéronautique américain Curtiss-Wright Corporation, est bel et bien mentionnée dans quelques numéros de notre mémorable blogue / bulletin / machin, et ce depuis mars 2019.
Et oui, encore, Curtiss-Wright est mentionné à moult reprises dans cette même publication, et ce depuis novembre 2017, mais je digresse. Votre faute.
Intriguée par ce qui se prépare, la direction d’un influent quotidien canadien, The Toronto Daily Star de… Toronto, Ontario, envoie un de ses journalistes sur la Côte-Nord. Contrairement à ce qu’il avait espéré, Allan Gordon Sinclair doit y aller par bateau, et...
Si, si, ce Sinclair-là. Celui qui est panéliste à l’émission de télévision Front Page Challenge de Canadian Broadcasting Corporation (CBC) entre juin 1957 et son décès, en mai 1984. Au cas où vous ne le sauriez pas, Front Page Challenge est un jeu télévisé sur l’actualité et l’histoire diffusée de juin 1957 à février 1995, mais je digresse.
Votre humble serviteur doit-il mentionner que CBC est mentionnée à de fort nombreuses reprises dans notre vous savez quoi, et ce depuis septembre 2018? C’est bien ce que je pensais. Passons à autre chose.
Croiriez-vous que Sinclair affirme (sérieusement?) avoir rencontré la grande actrice de cinéma suédoise Greta Garbo, née Greta Lovisa Gustafsson, sur un paquebot ancré dans le port de Montréal, vers le mois d’août 1929? À cet égard, il est à noter que, au fil des ans, diverses personnes émettent des doutes concernant la véracité de certains incidents rapportés par Sinclair.
Pour répondre à votre inévitable question, la suprêmement populaire Garbo ne se pointe à Montréal apparemment qu’une seule fois, fin octobre 1936. Elle réussit à se déplacer d’une gare à une autre sans être détectée, laissant dans son sillage une meute de journalistes frustrés, mais je digresse.
Approché par Sinclair, Cuisinier affirme que le bombardement des bélugas qui va débuter sous peu au Québec s’inspire de bombardements qui ont eu lieu en Norvège, Suède et Union des républiques socialistes soviétiques. De fait, affirme de nouveau le bon docteur, c’est le succès de ces campagnes de bombardement qui a fait fuir les bélugas vers les eaux du fleuve Saint-Laurent.
Comment Cuisinier arrive-t-il à cette conclusion, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur sceptique? Eh bien, il déclare que des centaines de bélugas avaient été marqués lors des campagnes de bombardements en Europe du Nord. Certains, sinon plusieurs de ces animaux se trouvent maintenant dans le fleuve Saint-Laurent.
Y a-t-il du vrai dans ces déclarations, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur avide de réponses? Ou est-ce que Sinclair fabule? Votre humble serviteur n’en a vraiment aucune idée mais le manque de preuves crée certainement quelques doutes.
La campagne de bombardement, oserai-je dire la guerre déclarée aux bélugas, commence un peu après le début du mois d’août, un tout petit peu plus tard que prévu semble-t-il, avec le départ de Cuisinier vers Saint-Joseph-des-Sept-Îles. Cuisinier s’envole en fait en compagnie de deux pilotes de Laurentian Air Express, Édouard Octave « Fizz » Champagne et J. Armand Gagnon.
Comme vous le savez fort bien, Champagne, alors chef pilote de la firme, est mentionné dans un numéro de septembre 2023 de notre exceptionnel blogue / bulletin / machin.
En parallèle avec la dite campagne de bombardement, pas moins de 230 à 250 pêcheurs armés de fusils se lancent à l’assaut des bancs de bélugas. Ils utilisent peut-être des armes fournies par le ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries. Leurs munitions proviennent en fait de ce ministère.
Vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Pourquoi la date de lancement de la campagne de bombardement est-elle retardée un tantinet? Une bonne question. Voyez-vous, Cuisinier doit s’occuper d’une quinzaine d’applications à l’École aéronautique de Québec que Laurentian Air Express a lancée en juillet dans la municipalité de paroisse de Sainte-Foye, Québec, à deux pas de Québec, oui, la ville. Plus de 50 personnes suivent déjà des cours, un total qui impressionne plus d’une personne dans la région de Québec.
Après quelques vols de reconnaissance effectués sur la Côte-Nord, Cuisinier en vient à la conclusion que Havre-Saint-Pierre, Québec, un village situé à environ 220 kilomètres (environ 140 milles) à l’est de Saint-Joseph-des-Sept-Îles, constituerait la base d’opérations la plus appropriée.
Un hangar ne tarde pas à être aménagé afin d’accueillir en toute sécurité les bombes artisanales qui seraient utilisées pour éliminer une partie des bancs de bélugas, et ce possiblement sous la supervision d’un employé qualifié de Canadian Explosives Limited de Hamilton, Ontario.
Les bombes artisanales d’environ 45 kilogrammes (environ 100 livres) utilisées lors des attaques sont en effet fournies par ce fabricant d’explosifs / peintures / plastiques / tissus enduits / vernis. Elles sont arrivées sur place par navires, avec tout le matériel (carburant, huile, etc.) dont Cuisinier et son équipe ont besoin. Un des dits navires est le SS North Shore, le navire de la firme britannique Clarke Steamship Company Limited qui dessert la Côte-Nord. Le second est une goélette non identifiée.
Il est à noter que Cuisinier et les autres pilotes éprouvent de la difficulté à détecter les bancs de bélugas qui, dit-on, se déplacent constamment.
Oserai-je dire que ces difficultés sont un tantinet difficile à comprendre étant donné qu’on prétend qu’il y a de 100 à 150 000 bélugas dans l’estuaire et dans le golfe du fleuve Saint-Laurent? Trop controversé, affirmez-vous encore et toujours, ami(e) lectrice ou lecteur? Un mec ne peut-il pas avoir une opinion?
Le jour même de la première attaque, je pense, L’Action catholique, un quotidien hyper conservateur de Québec, oui, la ville, appuyé par l’église catholique, apostolique et romaine du Québec, non, la province, publie un article sur la chasse aux bélugas qui contient une phrase un tant soit peu insensible. Je vous laisse juger : « Le gouvernement provincial a chargé un aviateur, le Dr. Louis Cuisinier, de faire si c’est possible une fricassée de la populeuse colonie de marsouins [sic] en les bombardant du haut d’un avion. »
La première attaque ne tarde pas à être suivie par quelques / plusieurs autres. Cuisinier se dit satisfait des résultats. De fait, les prises de poissions semblent, je répète semblent, s’améliorer après tout juste 4 ou 5 attaques.
Ceci étant dit (tapé?), les bombes artisanales ne sont pas aussi efficaces que prévu. Voyez-vous, celles-ci sont munies d’une fusée à temps, supposément allumée avec… une allumette, qui provoque leur explosion environ 30 secondes après leur impact avec les eaux du fleuve Saint-Laurent. Comme vous pouvez l’imaginer, les bélugas se trouvant près des points d’impact choisissent apparemment de ne pas traîner pour voir ce qui se passerait, surtout après la première explosion. Ils déguerpissent aussi vite que leur queue peut les porter. Du coup, les explosions ne les affectent guère, pensent Cuisinier et son équipe.
Dans les faits, ces explosions sont certainement très douloureuses et dommageables pour des animaux à l’ouïe extrêmement fine comme les bélugas.
Le susmentionné Sinclair est d’avis que l’approche de bombardement utilisée par Cuisinier et son équipe est assez hasardeuse. Cuisinier et son équipe se moquent d’une telle idée.
Quoiqu’il en soit, Cuisinier demande que soient livrées de nouvelles bombes artisanales munies de fusées percutantes provoquant leur explosion au moment de l’impact avec les eaux du fleuve Saint-Laurent. Et non, ami(e) lectrice ou lecteur prudent(e), ces fusées percutantes ne rendraient probablement pas l’approche de bombardement utilisée par Cuisinier et son équipe moins hasardeuse.
Sinclair vole au moins une fois avec Champagne et Cuisinier. De fait, le journaliste affirme qu’ils l’ont laissé haut et sec dans un village sans aucun lien avec le monde extérieur après qu’il se soit éloigné pendant que les deux hommes fignolaient le moteur de l’aéronef. Heureusement, Champagne et Cuisinier reviennent et récupèrent un très soulagé Sinclair.
Après une semaine passée sur la Côte-Nord, Cuisinier rentre à Québec, oui, la ville. Un pilote de Laurentian Air Express quitte alors la ville aux commandes d’un aéronef de la firme, présumément le Robin.
Cuisinier se retrouve bientôt sur la touche. Voyez, vous, il se fracture un bras dans un accident d’automobile un peu avant la mi-août.
Interrogé vers cette époque par des journalistes, le premier ministre du Québec affirme ne pas avoir reçu de nouvelles à partager, si ce n’est l’accident survenu à Cuisinier. Louis-Alexandre Taschereau ajoute toutefois être confiant que le bombardement des bélugas sera couronné de succès.
Quoiqu’il en soit, encore, le dit bombardement attise l’imagination d’un membre de l’équipe d’un hebdomadaire humoristique / satirique montréalais, Le Canard. Un numéro d’août contient en effet les lignes suivantes :
Le Dr Louis Cuisinier fait la guerre aux marsouins [sic] qui se nourrissent trop gloutonnement des poissons du St-Laurent.
Si les gros poissons mangent les petits, c’est comme dans la politique. Les gros députés mangent les petits électeurs.
Un hebdomadaire montréalais, Le Petit Journal, jette un pavé bien plus gros dans la mare en publiant un texte intitulé « Les bombes du Dr Cuisinier sur les marsouins [sic] seraient de l’argent jeté à l’eau » un peu après la mi-août.
Un résident non-identifié mais apparemment fort cultivé de la Côte-Nord qui, selon Le Petit Journal, semble bien connaître la faune marine du fleuve Saint-Laurent et des côtes françaises affirme en effet que le béluga est trop futé pour se laisser survoler facilement par quelque chose qu’il n’a jamais vu et qui semble suivi par des explosions.
Ce résident, pour lequel des ministres québécois, peut-être Taschereau et / ou ses ministres de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, les susmentionné Laferté ou Perrault, je ne saurais dire, sont des poires, va plus loin encore.
Et mon doute est si bien partagé par les gens de la côte, qu’en voyant poindre dans le firmament, sur son avion couleur de sang, le Richthofen de la guerre au ‘marsouin’, tout le monde s’esclaffe de rire. Tartarin à la chasse aux lions n’avait pas plus de succès.
[…]
En admettant que l’aviateur arrive jamais à portée de tir, la bombe qui aura tué un marsouin [sic] annihilera peut-être un banc de harengs ou de sardines. Bref, vouloir protéger le poisson en bombardant le ‘marsouin’ à la dynamite du haut des airs, c’est comme si des policiers à la recherche d’un pickpocket se faisaient d’abord annoncer par une fanfare, puis ayant, par extraordinaire, débusqué le malfaiteur, lui tiraient dessus au milieu d’une foule de dix mille personnes.
Un détail avant que je ne l’oublie. L’hydravion à flotteurs utilisé contre les bélugas semble être de couleur orange, et non pas rouge.
Ayant acquiescé à une question du journaliste selon laquelle les bombes artisanales de Cuisinier sont, à toute fin utile, de l’argent jeté à l’eau, notre résident affirme que la création d’une station de recherche en biologie marine dans le golfe du fleuve Saint-Laurent serait bien plus utile. Il ajoute toutefois qu’il ne serait pas facile de convaincre de simples politiciens de l’importance de la recherche dans la conservation et l’accroissement des richesses piscicoles du dit golfe.
Les bélugas et les poissons vont et viennent, affirme le résident; « qui nous dit que la question ‘marsouin’ ne se réglera pas toute seule une fois de plus? »
Il est à noter que ce même résident mentionne que le terme marsouin utilisé par tout le monde semble en fait inexact. Un marsouin typique est un cétacé de petite taille. L’animal pourchassé par Cuisinier semble plutôt être le béluga, affirme-t-il, ce qui est tout à fait exact, comme vous et moi l’avons noté dans la 1ère partie de cet article.
Et vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur? Qui sont les Richthofen et Tartarin mentionnés dans l’article publié par Le Petit Journal? Une bonne question.
Le baron Manfred Albrecht von Richthofen, le fameux Baron rouge allemand, actif pendant la Première Guerre mondiale et as des as de ce conflit, est un des grands pilotes de chasse du 20ème siècle. Nous l’avons rencontré dans quelques numéros de notre très pacifique blogue / bulletin / machin, et ce depuis mai 2029, euh, désolé, 2019.
Et non, ami(e) lectrice ou lecteur patriote, von Richthofen n’a pas été abattu, en avril 1918, par un aviateur canadien servant dans la Royal Air Force, le capitaine Arthur Roy Brown. Il a été abattu par un mitrailleur australien qui tirait depuis le sol, mais revenons à notre histoire.
Tartarin ou, plus précisément, Tartarin de Tarascon est le personnage principal d’une série de 3 romans de l’écrivain / auteur dramatique français Louis Marie Alphonse Daudet, publiés entre 1872 et 1890. Français grassouillet d’âge moyen, Tartarin est un bon bougre un tant soit peu naïf, ridicule et vantard. Sa première aventure l’amène en Afrique du Nord, dans le territoire colonial français d’Algérie en fait, pour une chasse au lion qui se termine par la mort d’un pauvre félin apprivoisé aveugle et âgé qui ne méritait certes pas une telle fin.
Et c’est sur cette triste note littéraire que prend fin la 3ème partie de cet article. Puis-je compter sur vous pour revenir en ces lieux dans quelques jours?