« J’ai préféré être un ingénieur de pointe » Le plus important pionnier de la fuséonautique dont vous n’avez jamais entendu parler, l’ingénieur et inventeur français Louis Damblanc, partie 2
Bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Comment allez-vous? […] Bien, bien.
Maintenant que le nom du pionnier de l’exploration spatiale français Louis Damblanc ne vous est plus inconnu, le moment est maintenant venu de voir en quoi le nom de cet ingénieur mérite d’être connu.
En mars 1932, Damblanc effectue une série d’essais fusées à propergol solide à Saint-Cyr-l’École, France, en banlieue de Paris, en collaboration avec l’Institut aérotechnique, un établissement de recherche situé dans cette petite ville. Il souhaite obtenir des données précises sur les performances des moteurs des dites fusées et ce dans le but ultime de mettre au point des fusées (militaires? postales? autres?) pouvant atteindre de hautes altitudes et / ou parcourir de longues distances.
Ces expériences sont réalisées avec l’appui de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions, un organisme créé sous un autre nom en 1919 sous la tutelle du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts.
Damblanc mène ses expériences avec des fusées anti-grêle utilisées pour prévenir la formation de gros grêlons lors d’orages et de fusées lance-amarre utilisées pour lancer un câble afin de permettre le sauvetage d’équipages de navires naufragés près des côtes.
Le banc d’essais de Louis Damblanc, Saint-Cyr-l’École, France. Deux enregistreurs se trouvent sur la base du dit banc d’essais. Louis Damblanc, « Les fusées autopropulsives à explosifs. » Recherches et Inventions, avril 1935, 112.
Soit dit en passant, Damblanc conçoit et fabrique lui-même son banc d’essais, un dispositif de type quasi-révolutionnaire pour l’époque. Ce banc d’essais et l’outillage qui l’entoure sont en effet capables d’enregistrer (simultanément?) de nombreuses variables, et ce de manières automatique et permanente. Finis les instants fiévreux pendant lesquels le concepteur d’une fusée devait tout noter à la main, de peur de perdre des données.
Et oui, vous avez parfaitement raison de le croire, ami(e) lectrice ou lecteur, Damblanc prend soin de filmer au ralenti pour ainsi dire tous les essais des moteurs-fusées. Il va jusqu’à enregistrer le son produit lors des dits essais.
En somme, c’est un véritable programme de recherche que l’ingénieur français met sur pieds.
Et vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur fuséophile… Damblanc envisage-t-il quelques, voire plusieurs applications civiles ou militaires pour les fusées à venir? Oui, bien sûr, du transport de ravitaillement aux vols postaux. De fait, Damblanc songe à les munir de parachutes-hélicoptères, en d’autre mots de parachutes dont la descente est freinée une voilure tournante.
Conscient de l’utilité, sinon de la nécessité de minimiser la taille et le coût des fusées à venir, Damblanc envisage également la possibilité de les lancer à partir de canons plus ou moins imposants.
Ce concept est profondément similaire à celui d’un projet militaire canado-américain de recherches à haute altitude développé indépendamment, le High Altitude Research Project (HARP), en existence entre 1961 et 1967.
De fait, un des deux gigantesques canons du HARP tire le premier d’une longue série de projectiles à ailettes Martlet en février 1963. En novembre 1966, un d’entre eux atteint une altitude d’environ 179 kilomètres (environ 111 milles), du jamais vu. Aucun Martlet n’est en fin de compte placé en orbite toutefois, et ce même si cela était l’objectif du projet.
Ceci étant dit (tapé?), un Martlet qui n’est jamais lancé fait partie de la collection de l’incomparable Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, mais revenons à Damblanc.
Croiriez-vous que la direction de l’École militaire spéciale de Saint-Cyr, à… Saint-Cyr-l’École, exige apparemment que Damblanc achète une assurance? Ces officiers craignent en effet que des bâtiments de l’école ne soient endommagés, voire détruits, au cours de ses expériences.
Si diverses personnalités du monde des sciences assistent aux essais de Damblanc, le personnel de la Section technique de l’aéronautique du ministère de la Guerre décline apparemment l’offre de celui-ci de voir de quoi il retourne.
À partir de 1937, Damblanc complète de nombreuses fusées ayant plus d’un étage – une première mondiale du 20ème siècle. Une bonne partie d’entre elles prennent l’air et fonctionnent parfaitement, comme le montre la photographie suivante.
La seule photographie connue de votre humble serviteur montrant une des fusées à 2 étages de Louis Damblanc en vol, Saint-Cyr-l’École, France, 1935. Le photographe a saisi l’instant qui suit la séparation du second étage de la fusée et la mise en marche de son moteur. A. Ananoff, « Reparlons des fusées gigognes. » L’Aérophile, 1 avril 1947, 102.
Ces expériences peuvent, je répète peuvent, être réalisées sous l’égide l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions.
Comme vous pouvez l’imaginer, Damblanc met au point un dispositif assurant la séparation des étages de ses fusées. Ce dispositif est le premier du genre au monde.
Certains des moteurs-fusées à propergol solide de Damblanc comptent parmi les plus performants de leur époque.
Damblanc obtient le propergol solide en question, une poudre noire comprimée de haute qualité, grâce aux bons soins d’une institution qui s’y connaît vraiment en poudres, l’École centrale de pyrotechnie du ministère de la Guerre, à Bourges, France, dans la région centrale du Berry.
Croiriez-vous qu’un des moteurs-fusées testée par Damblanc est le plus puissant testé jusqu’alors en France? Le jet de gaz brûlants qu’elle émet fait une bonne dizaine de mètres (près de 35 pieds) de haut. Wah!
C’est par ailleurs dans le cadre de ces expériences que Damblanc supervise le lancement d’une fusée à 3 étages, la plus puissante fusée lancée en France avant 1950 et le lancement de la première fusée Véronique, conçue par les ingénieurs du Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques.
Détail intéressant, ne serait-ce que pour votre humble serviteur, quelques semaines, voire même quelques jours à peine, séparent les lancements des deux premières fusées à 3 étages mises à l’essai sur notre grosse bille bleue, en 1937. Si Damblanc lance la première, le fait est qu’une équipe écossaise, la Paisley Rocketeers’ Society, lance une fusée de ce type fin décembre de cette même année.
En fin de compte, au cours de la seconde moitié des années 1930, entre 1937 et 1939 semble-t-il, Damblanc supervise environ 360 lancements de fusées, dont au moins 120 au Champ de tir du Polygone à Bourges. Il conçoit lui-même pas moins de 150 de ces fusées.
Damblanc utilise un dispositif inclinable pour effectuer ces lancements. Et non, le dit dispositif ne semble pas être incliné lors des lancements. Damblanc réalise fort bien qu’une fusée qui ne serait pas lancée tout droit vers le haut pourrait ne pas être retrouvée.
Des fusées signalisatrices conçues par Damblanc peuvent, je répète peuvent, être utilisées dans le désert du Sahara en 1938, et ce par une équipe française civile ou militaire non-identifiée.
Et oui, le brevet d’invention français touchant aux fusées à étages octroyé à Damblanc en juin 1936 est le premier du genre au monde, une priorité reconnue en décembre 1960 par le Internationaal Octrooi Instituut, un organisme européen basé aux Pays-Bas.
Inventeur prudent, Damblanc prend la précaution d’obtenir des brevets d’invention similaires au Royaume-Uni, au Japon, aux États-Unis et en Allemagne.
En lançant sa première fusée ayant plus d’un étage, Damblanc donne vie à un concept imaginé dès 1929 par le pionnier russe / soviétique de la cosmonautique Constantin Édouardovitch Tsiolkovski. Ce concept, c’est la fusée à étages ou fusée-gigogne ou, comme le dit (tape?) Tsiolkóvskiy, le kosmicheskiy raketnyye poyezd, en français train-fusée spatial, un énorme vaisseau spatial muni de 20 fusées à 1 étage que Tsiolkóvskiy imagine aller vers la Lune en 2017, mais revenons à Damblanc et…
Goddard obtient un brevet d’invention américain touchant aux fusées à étages dès juillet 1914, dites-vous, ami(e) lectrice ou lecteur qui aime mettre les points sur les i? Et un médecin français, André Bing, avait fait de même en 1911? J’admets mon erreur.
Remarquez, Bing n’est pas non plus le premier Homo sapiens qui a eu l’idée de la fusée à étages. Nay. De fait, personne ne sait vraiment qui a eu cette idée avant toute autre personne.
Ce que nous savons c’est que l’artificier et pionnier de la fuséonautique germanophone Conrad / Konrad Haas publie un texte qui mentionnent le concept de la fusée à étages avant même 1560. Mieux encore, avant l’année 1600, l’artificier / ingénieur militaire et pionnier de la fuséonautique germanophone Johann / Johannes Schmidlap / Schmidlapp conçoit, fabrique et lance des fusées à étages contenant des feux d’artifice.
Veuillez noter que votre humble serviteur utilise le terme germanophone car l’Allemagne n’existe pas au 16ème siècle. Son territoire correspond alors grosso modo au salmigondis de territoires féodaux connu sous le nom de Saint-Empire romain, une entité qui, pour citer le poète / philosophe / encyclopédiste / écrivain / dramaturge français François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire, n’est en aucune manière ni saint, ni romain, ni empire, mais je digresse.
Et oui, Arouet est bien mentionné dans des numéros de juin et octobre 2023 de notre explosif blogue / bulletin / machin.
En juin 1935, Damblanc est le récipiendaire du Prix d’astronautique, ou Prix REP-Hirsch, décerné plus ou moins annuellement depuis 1929 par le Comité d’astronautique de la Société astronomique de France, une prestigieuse organisation mentionnée dans des numéros de juin et novembre 2019 de notre tout aussi prestigieux blogue / bulletin / machin. Le dit prix et la somme d’argent qui semble l’accompagner récompensent peut-être davantage la publication d’un texte sur les essais de moteurs-fusées sur banc d’essais que les essais proprement dits.
Les nombreux essais effectués par Damblanc constituent en effet une des premières, sinon la première étude poussée de ce qui se passe à l’intérieur de moteurs-fusées à propergol solide.
Soit dit en passant, André Jean Henri Louis Hirsch est un banquier de Paris. L’acronyme REP, quant à lui, cache le pionnier de l’aéronautique et de l’astronautique français Robert Albert Charles Esnault-Pelterie.
Avant que je ne l’oublie, Hirsch supporte financièrement Aleksandr Mikhranovitch Ananoff, le jeune fana de l’espace mentionné dans la première partie de cet article, lorsque celui-ci décide de présenter des conférences destinées au grand public, en 1929.
Homme de gauche réformiste et non marxiste, Damblanc occupe le poste de maire de la petite ville de Fleurance, France, dans la région méridionale d’Aquitaine, de décembre 1928 à février 1941.
Son manque d’enthousiasme pour le gouvernement fantoche collaborationniste et autoritaire mis en place à Vichy, dans le sud de la France, après la chute de ce pays, en juin 1940, entraîne son renvoi. Il est remplacé par une délégation spéciale.
On est en droit de se demander si Damblanc sait que, vers 1942-43, un organisme américain, l’Alien Property Division du United States Department of Justice ou l’Office of Alien Property Custodian du Office of Emergency Management, je ne saurais dire lequel des deux, saisit ses brevets d’invention américains, y compris celui sur les fusées à étage, accordé en avril 1938. Une saisie on ne peut plus légale, car autorisée par une mesure législative, le Trading with the Enemy Act de 1917, qui autorise la saisie de brevets d’invention provenant de pays ennemis.
Votre humble serviteur se demande si cette saisie a lieu peu de temps après la rupture des relations diplomatiques du gouvernement américain avec le régime de Vichy, en novembre 1942, date de la prise de contrôle par l’Allemagne national socialiste de la portion sud du territoire de la France, contrôlée jusque-là par ce gouvernement fantoche, collaborationniste et autoritaire. Une prise de contrôle qui fait suite à l’assaut anglo-américain lancé contre deux possessions françaises en Afrique du Nord, à savoir l’Algérie et le protectorat français au Maroc, en novembre 1942.
S’il est vrai que Damblanc entreprend certains travaux de nature théoriques sur les fusées vers 1944-45, le fait est qu’il se réinvente à partir de la seconde moitié des années 1940.
Il présente en effet des exemplaires de son épiscope / projecteur épiscopique, parfois connu sous le nom de lecteur Damblanc, et ce dès 1950. Ce dispositif permet de projeter, en plein jour semble-t-il, des images agrandies une dizaine de fois de documents opaques (cartes, dessins, etc.) placés sur une table de travail.
Votre humble serviteur se souvient d’avoir reçu un épiscope en cadeau, au milieu des années 1960, un Rainbow Crafts Magnajector pour être plus précis, la version De Luxe de ce projecteur agrandisseur en fait, mais je digresse.
Avant longtemps, Damblanc commercialise un dispositif qui est à la fois un épiscope et un dispositif capable d’agrandir des documents transparents (diapositives ou négatifs par exemple), autrement dit un rétroprojecteur ou épidiascope. Au moins un modèle de ce dispositif hybride, l’imagiscope, peut agrandir un document environ 1 600 fois, voire beaucoup plus. Wah!
Remarques, l’imagiscope peut également être utilisé pour examiner des pièces mécaniques sous de forts grossissements (jusqu’à 30 fois leur taille réelle?).
Oh, avant que je ne l’oublie, au plus tard en 1952, Damblanc met au point un lecteur de microfilm.
Vous serez sans doute ravi(e) d’apprendre que l’imagiscope connaît un certain succès commercial. Sa versatilité lui vaut des commandes de divers ministères français, Postes, Télégraphes et Téléphones, de même qu’Éducation nationale et Défense par exemple. De fait, toute communauté d’enseignement qui achète un de ces dispositifs peut se voir octroyé une petite subvention par le Musée pédagogique de Paris, un musée national ayant pour fonction d’améliorer la formation des enseignants.
Il va de soi que la versatilité de l’imagiscope lui vaut également des commandes de diverses organisations, des banques aux écoles dentaires en passant par des quotidiens et usines textiles.
Damblanc conçoit par ailleurs un prototype de visionneuse de film automatique avec support papier fonctionnant au moyen de pièces de monnaie. En effet, la maison d’édition française Hachette Société anonyme envisage de placer de tels dispositifs sur la voie publique afin de permettre aux passant(e)s de voir un sujet (actualité, publicité, etc.) choisi par la personne qui avait loué le dit dispositif. Le géant français ne tarde toutefois pas à changer d’avis.
Aussi actif qu’il soit dans le domaine de l’agrandissement d’images, Damblanc occupe un poste d’ingénieur à temps partiel dans une société d’état aéronautique française, la Société nationale d’études et de construction de moteurs d’aviation, à partir de 1956.
En juillet 1965, le ministère des Finances et des Affaires économiques de la France remet une indemnité à Damblanc en guise de compensation pour toute utilisation de deux de ses brevets d’invention par le gouvernement américain au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cette remise peut, je répète peut, avoir nécessité de longues et difficiles négociations. L’organisme responsable du programme spatial français, le Centre national d’études spatiales, peut avoir appuyé Damblanc dans ses démarches.
Un peu avant ou après cette date, le gouvernement américain remet une indemnité symbolique à l’ingénieur français, reconnaissant ainsi l’utilisation de ses brevets d’invention pendant la Seconde Guerre mondiale.
Fin septembre 1967, à Belgrade / Beograd, Yougoslavie, aujourd’hui en Serbie, lors du XVIIIe Congrès international d’astronautique, organisé comme à l’accoutumée par la Fédération internationale d’astronautique de Paris, la communauté astronautique internationale reconnaît les réalisations de Damblanc au cours des années 1930 et lui rend hommage.
Damblanc ne semble pas être présent lors de cet événement.
Ceci étant dit (tapé?), une communication qu’il a rédigée sur ses travaux des années 1930s semble être présentée ou déposée dans le cadre du premier symposium international sur l’histoire de l’astronautique, un symposium organisé par un organisme basé à Paris, l’Académie internationale d’astronautique, dans le cadre du XVIIIe Congrès international d’astronautique.
Damblanc quitte ce monde en décembre 1969, à l’âge de 80 ans.
Passablement oublié à cette époque, Damblanc l’est d’autant plus au 21ème siècle, ce qui est bien dommage, vous en conviendrez avec moi.