D’une Lion Brewery à Waterloo à une Ranger Brewing à Kitchener, et plus encore : Un bref aperçu de l’histoire d’une brasserie ontarienne quelque peu oubliée
Guten Morgen, mein Lesefreund. Wie geht’s? Aimeriez-vous me rejoindre dans une petite escapade sur la route de briques jaunes du chemin de la mémoire jusqu’à un jardin à bière en plein air près de chez vous? Vermouilleux! Le sujet du numéro de cette semaine de notre intellectuellement enrichissant et stimulant blogue / bulletin / machin est une brasserie. Prenez une chope de bière sans alcool et quelques bretzels géants, et rejoignez-moi à une table à l’ombre.
Il était une fois, entre 1837 et 1840, à Waterloo, Canada-Ouest, la moitié ouest de la province du Canada, l’Ontario actuelle, un récent immigrant germanophone du nom de Georg « George » Rebscher ayant ouvert une brasserie. Cette ouverture est un événement assez important dans l’histoire de la bière au Canada. Voyez-vous, Rebscher est apparemment le gentilhomme qui introduit les bières à fermentation basse, en d’autres termes les lagers, dans la communauté bièrophile d’Amérique du Nord.
Personnellement, votre humble serviteur préfère les bières à fermentation basse belges, en d’autres mots les ales belges, mais ne nous attardons pas. Tous les goûts sont dans la nature, même si les bières belges sont clairement incroyaables. Remarquez, quelques / plusieurs bières allemandes à fermentation haute ou basse sont tout aussi incroyaables, mais je digresse.
En 1842, le fils de Rebscher, Wilhelm « William » Rebscher, ouvre une brasserie et auberge, la British Crown, à Waterloo. Malheureusement, ce gentilhomme décède à un âge assez jeune en 1856.
Il se trouve que, peu de temps avant le décès du jeune Rebscher, un autre immigrant germanophone avait loué son local. Peu de temps après ce décès mais toujours en 1856, Adam Huether acquiert le dit local. Ainsi naît Lion Brewery. Son fils, Christoff « Christopher » Huether, reprend la firme en 1860.
Soit dit en passant, Huether est apparemment prononcé ho-tir plutôt que you-zeur.
À un moment donné plus tard, peut-être en 1870, les Huether embauchent un entrepreneur pour construire un hôtel sur la propriété. Le Huether Hotel devient rapidement le meilleur établissement de ce type dans la région. Il doit sa renommée en partie à la qualité de la bière et de la nourriture qu’il sert.
Christopher Huether décède en septembre 1898. Malheureusement, la propriété est fortement hypothéquée à l’époque. Le testament de Huether stipule que son héritier devrait attendre un an avant de pouvoir acheter les dits Huether Hotel et Lion Brewery. En attendant, Christopher Nicholas « Chris » Huether devrait payer chaque versement hypothécaire.
Neuf jours avant la fin de la période d’un an, Huether rate un paiement. En conséquence, les Huether Hotel et Lion Brewery sont vendus aux enchères. L’acheteuse est Theresa Kuntz, née Bauer, la veuve de Louis Kuntz, qui est propriétaire de Louis Kuntz Park Brewery (Registered? Limited), également située à Waterloo.
Même si votre humble serviteur se rend compte que le sujet de cet article n’est pas la famille Kuntz, je m’en voudrais de ne pas mentionner que Kuntz Brewery Limited, une dénomination sociale adoptée en 1910, devient un des membres de Brewing Corporation of Ontario Limited de Toronto, Ontario, en mars 1930. Elle devient Carling-Kuntz Breweries Limited de Waterloo en octobre 1936, et une division de ce qui est alors Brewing Corporation of Canada Limited de Toronto. Incidemment, cette dernière firme devient Canadian Breweries Limited en avril 1937.
Ne voulant pas risquer de perdre des ventes à cause de son nom à demi germanique, une réelle possibilité en temps de guerre vous l’admettrez, surtout lorsque le Royaume-Uni semble menacé d’invasion, Carling-Kuntz Breweries devient Carling Breweries Limited en juillet 1940. Elle devient un élément de Carling-O’Keefe Limited de Toronto en avril 1973. À son tour, cette firme fusionne avec Molson Breweries of Canada Limited de Montréal, Québec, une filiale de Molson Companies Limited, également de Montréal, en janvier 1989, pour former les Brasseries Molson Limitée de… Montréal. Molson Incorporated, comme la firme est alors connue, fusionne avec le géant américain de la bière Adolph Coors Company pour former Molson Coors Brewing Company en janvier 2005. En 2023, cette entreprise est connue sous le nom de Molson Coors Beverage Company.
Et oui, la moitié canadienne de ce géant brassicole est bel et bien mentionnée à quelques reprises dans notre étourdissant blogue / bulletin / machin depuis avril 2019. Fin de la digression et retour au sujet du jour.
Le transfert de propriété de Lion Brewery à la famille Kuntz, en 1898 ou 1899, entraîne un changement de lieu de la part du jeune Huether. De fait, il s’installe rapidement à Berlin, Ontario. Sa nouvelle brasserie s’appelle également Lion Brewery.
Une sorte de réorganisation a lieu fin février ou début mars 1909, ou en août 1910, à moins que deux réorganisations n’aient effectivement lieu. Quoi qu’il en soit, la brasserie devient une société par actions connue sous le nom de Berlin Lion Brewery Company Limited, je pense. Huether gère la brasserie mais cesse d’en être le propriétaire en août 1910.
La Première Guerre mondiale s’avère être une période difficile pour les brasseries et leurs propriétaires. Comme vous pouvez bien l’imaginer, les terribles pertes subies en Europe par les parties belligérantes entraînent une augmentation des demandes de sacrifices personnels au Canada. Les militants et militantes de la tempérance / prohibition saisissent l’occasion offerte par le conflit pour faire avancer leur agenda. L’alcool sous toutes ses formes est dépeint comme un ennemi mortel qui affaiblit le Canada de l’intérieur. De fait, les hommes qui boivent de l’alcool sous quelque forme que ce soit, ceux qui leur vendent cet alcool et les hommes qui produisent cet alcool font obstacle à la victoire. Je ne plaisante pas.
Les propriétaires de brasseries aux noms à consonance allemande sont confrontés à plus d’opprobre. Les propriétaires de brasseries aux noms à consonance allemande qui vivent à Berlin sont confrontés à encore plus d’opprobre. De fait, Berlin devient Kitchener à la suite d’un référendum tenu en mai 1916, un référendum en temps de guerre entaché d’intimidation et de fanatisme.
Incidemment, le comte Kitchener de Khartoum et de Broome / vicomte Broome / vicomte Kitchener de Khartoum, de la rivière Vaal et de Aspall / baron Kitchener de Khartoum et de Aspall, né Horatio Herbert Kitchener, est le secrétaire d’état à la guerre britannique entre août 1914 et juin 1916, lorsque le navire de guerre sur lequel il se trouve heurte une mine mouillée par un sous-marin allemand et coule, mettant fin à la vie de tous sauf 12 des quelque 750 personnes à bord, mais revenons à notre histoire.
La pression pour une prohibition à l’échelle provinciale s’avère finalement irrésistible en Ontario, une province où la plupart des municipalités ont une sorte de prohibition en place lorsque la guerre commence, en 1914. De fait, le Ontario Temperance Act entre en vigueur en septembre 1916. Elle interdit la vente d’alcool, mais n’interdit pas la production ou importation d’alcool. Remarquez, la production d’alcool à des fins sacramentelles ou médicinales n’est peut-être pas été affectée par cette mesure.
Et oui, les médecins ontariens prescrivent beaucoup d’alcool à partir de septembre 1916. On ne saura jamais quelle quantité de cet alcool est réellement acquise pour traiter une maladie.
Quoi qu’il en soit, à partir de septembre 1916, Berlin Lion Brewery semble devoir réduire ses effectifs. Elle survit en fabriquant de la bière légère pour le marché local. Qu’elle exporte ou non de la bière régulière / forte aux États-Unis n’est pas clair.
Alors que la majeure partie du Canada est… sèche, certaines villes québécoises peuplées d’irréductibles « mouillés, » Montréal et Hull surtout, résistent encore et toujours aux prohibitionnistes. Que Berlin Lion Brewery exporte ou non de la bière régulière / forte vers ces villes n’est pas clair.
Et si vous pensez que les vertueux résidents d’Ottawa, Ontario, ne traversent jamais au grand jamais la rivière des Outaouais pour se rincer le gosier à Hull, votre humble serviteur a un pont avec votre nom dessus.
Même si l’Armistice de novembre 1918 met fin aux combats, le Ontario Temperance Act demeure en vigueur. Produire de la bière légère est une option. Il peut également être possible pour les brasseries d’exporter des bières régulières / fortes vers d’autres pays et provinces. Reste à savoir si ces ventes sont légales ou non. Comme nous le savons toutes / tous les deux, il y a un énorme marché illégal aux États-Unis depuis le début de la prohibition dans ce pays, en janvier 1920. Au Québec, par contre, la Commission des liqueurs de Québec, un monopole d’état créé en mai 1921, serait peut-être devenu une cliente.
Et les choses restent là jusqu’aux élections générales provinciales de décembre 1926. Bien conscient que la prohibition n’est plus aussi populaire qu’elle l’a été, le premier ministre sortant indique qu’il est prêt à changer la donne s’il est élu. George Howard Ferguson remporte cette élection générale. En mai 1927, la prohibition prend fin en Ontario. Et oui, le Liquor Control Board of Ontario voit le jour cette même année.
Les choses changent aussi pour notre brasserie. Huether Brewing Company Limited, une nouvelle identité d’entreprise adoptée vers 1919-20, je pense, suspend ses activités de brassage en 1920 parce qu’elle n’a pratiquement aucune commande. Remarquez, une firme de transformation de noix de coco loue au moins une partie de la brasserie, et ce pendant environ 2 ans.
Huether Brewing redémarre ses activités brassicoles en 1924.
En août 1925, le procureur général de l’Ontario, William Folger Nickle, annule la licence de Huether Brewing. Voyez-vous, la firme a vendu une quantité indéterminée de bière contenant plus du 4.4 % d’alcool permis par le Ontario Temperance Act à un propriétaire d’hôtel de Toronto. La brasserie doit larguer quelques gestionnaires et accepter de payer une caution avant que Nickle n’accepte de lui donner une autre licence.
Incidemment, la reconnaissance par Huether Brewing d’être responsable de la livraison du breuvage trop puissant signifie que le propriétaire de l’hôtel voit sa peine de prison remise. Un beau geste, si je le dis moi-même.
Croiriez-vous qu’une des personnes au cœur de Huether Brewing, un des fils de « Chris » Huether en fait, Carl Huether, témoigne en avril 1927, devant la Commission royale des douanes et de l’accise créée pour examiner d’éventuels problèmes de carence et corruption au sein du ministère des Douanes et de l’Accises, un ministère plutôt troublé qui devient le ministère du Revenu national en mars 1927? De fait, il le fait. Huether admet qu’au moins la moitié de la bière régulière / forte produite par cette brasserie entre 1924 et 1926 est vendue et livrée en Ontario. Il va sans dire que ces ventes et livraisons vont à l’encontre du Ontario Temperance Act. Dans de nombreux / la plupart des cas, les chauffeurs des camions qui transportent la bière ont des formulaires de déclaration d’exportation qu’ils peuvent agiter pour dissiper les soupçons.
Avant que j’oublie, Nickle démissionne du Executive Council of Ontario, autrement dit du cabinet de l’Ontario, en octobre 1926. Et oui, la dite démission est une conséquence directe de la volonté du susmentionné Ferguson de changer la façon dont l’alcool serait vendu en Ontario.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur incorruptible, la Commission royale des douanes et de l’accise déterre d’innombrables cas de corruption tant au niveaux provinciaux que fédéral. On pourrait dire que le ministère du Revenu national pue horriblement. Le rapport de la commission est déposé en janvier 1928, mais revenons à notre histoire.
Deux personnes de Windsor, Ontario, ayant de l’expérience dans l’industrie brassicole s’étaient joints à l’équipe de direction de Huether Brewing en février 1927, lorsque son propriétaire, le susmentionné « Chris » Huether, en mauvaise santé depuis un certain temps, vend la firme à un groupe d’hommes d’affaires. Ces deux personnes, deux Ontariens, qui sont peut-être, je répète peut-être francophones, William Paul Renaud et Arthur Joseph « Art » Diesbourg, prennent progressivement le contrôle de Huether Brewing. Ce dernier devient à un moment donné le président de la firme.
Il faut se demander si le dit groupe d’hommes d’affaires sait que leurs prédécesseurs à la tête de Huether Brewing ont apparemment cuisiné les livres pour maintenir la firme à flot. De fait, on pourrait dire que la firme est pratiquement en faillite en février 1927.
Et oui, Huether Brewing expédie de la bière aux États-Unis, au diable la prohibition. Au printemps 1928, un chauffeur de camion nouvellement embauché et inexpérimenté arrive au port du lac Érié de Port Stanley, Ontario, sans les formulaires d’exportation dont les douaniers ont besoin pour laisser les 150 caisses de bière qu’il transporte se diriger vers un autre port du lac Érié, à Toledo, Ohio. Les dits douaniers saisissent immédiatement l’alcool. Cette saisie est traitée au tribunal de police. Le magistrat reconnaît que la saisie est le résultat d’une erreur humaine causée par l’inexpérience. Les 150 caisses de bière sont par conséquent rendues à la brasserie afin qu’elles soient expédiées à Toledo.
En 1934, Diesbourg se retrouve mêlé à un différend relatif à un brevet impliquant un inventeur de East Windsor, Ontario. Voyez-vous, en 1932, deux employés de Huether Brewing, un Franco-Ontarien du nom d’Ernest Joseph D’Aoust et un Américain du nom de Herbert Lawrence Dickens, développent un contenant et refroidisseur de bière en acier (inoxydable?). Intrigué par ce nouveau fût de bière, Diesbourg demande qu’un prototype soit fabriqué en interne, ajoutant qu’il financerait le développement de l’idée si elle s’avère satisfaisante. Le premier prototype s’étant avéré trop fragile, un prototype plus costaud est produit en externe, dans la ville voisine de Walkerville, Ontario.
Le second prototype s’avère si prometteur que, en juillet 1932, Renaud envoie à D’Aoust un chèque de 100 $, une somme qui correspond à environ 2 060 $ en devises 2023, ajoutant que Huether Brewing reprend la production du nouveau fût. D’Aoust, Dickens, Diesbourg et Renaud signent en août un accord selon lequel les inventeurs du fût auraient une moitié d’intérêt dans le projet que Diesbourg et Renaud financeraient.
D’Aoust et Dickens déposent une demande de brevet américain en juillet, apparemment en toute connaissance de cause de la part de leurs partenaires commerciaux. Le dynamique duo dépose une demande de brevet canadien en août, apparemment en toute connaissance de cause de la part de leurs partenaires commerciaux. Ces brevets sont délivrés respectivement en octobre 1933 et mars 1934.
Désireux d’améliorer le fût, D’Aoust suggère quelques améliorations au concept de base en 1933. Diesbourg offre de ramasser les composants requis à Montréal. En décembre 1933, environ 2 jours avant Noël en fait, D’Aoust demande à Diesbourg s’il a ramassé les dits composants. Ce dernier ne l’a pas fait. De fait, il déclare qu’il a été conseillé au susmentionné Renaud de ne pas utiliser de fûts en acier pour entreposer / livrer de la bière. Un D’Aoust de plus en plus désemparé entend alors dire que les brevets n’ont aucune valeur. Diesbourg le congédie sur champ.
À l’insu de D’Aoust, Diesbourg avait récemment demandé des brevets canadiens qui couvrent à la fois les améliorations de D’Aoust et le fût lui-même. Ces brevets sont délivrés en novembre 1933 et février 1934.
D’Aoust est naturellement indigné lorsqu’il voit des fûts comme celui qu’il a conçu dans l’entrepôt d’une brasserie au printemps 1934. Il poursuit Diesbourg. Le juge de la Supreme Court of Ontario qui juge la cause, Arthur Courtney Kingstone, tranche en sa faveur en novembre 1934, qualifiant les actes de Diesbourg de répréhensibles, injustes et frauduleux. La production et vente des fûts doivent s’arrêter immédiatement. De plus, Diesbourg ne peut disposer de ses brevets. Ce dernier fait rapidement appel de ce verdict. Les directions de la douzaine de brasseries canadiennes qui ont commencé à utiliser des fûts similaires à ceux utilisés par Huether Brewing retiennent leur souffle.
Le juge en chef de la Ontario Court of Appeal conclut en mars 1935 que seule la Cour de l’Échiquier du Canada, l’actuelle Cour fédérale, et non la Supreme Court of Ontario, peut annuler les brevets de Diesbourg. Sir William Mulock permet donc un appel de Diesbourg contre la décision de Kingstone et rejette la poursuite.
Pour répondre à la question qui couve à l’intérieur de votre petite caboche, D’Aoust et Dickens n’ont pas inventé le premier fût de bière en métal. Des références à des fûts non en bois peuvent être trouvées dans les journaux dès 1904. Que ces fûts soient effectivement utilisés ou non est autre chose, bien sûr. Cela étant dit (tapé?), au moins une brasserie allemande utilise des fûts en acier (inoxydable?) au début de la Première Guerre mondiale, en 1914.
Huether Brewing subit une autre réorganisation en octobre 1936. Diesbourg et Renaud choisissent de nommer la firme Blue Top Brewing Company Limited d’après son produit (ou ses produits?) le plus populaire, la lager (et la bière de type ale?) Blue Top. Cette marque est apparemment la plus vendue à Kitchener pendant une décennie ou plus. Elle faisait apparemment plus que tenir tête aux bières produites par la susmentionnée Carling-Kuntz Breweries. La toupie bleue, en anglais blue top, créée par un artiste inconnu peut être vue dans toute la ville, des enseignes géantes aux petits porte-clés.
Remarquez, la direction de la firme pense également que c’est un moment aussi bon qu’un autre pour abandonner le nom Huether, un nom qui est constamment mal prononcé comme you-zeur plutôt que comme le bon ho-tir. Je plaide volontiers coupable à ce délit mineur.
Saviez-vous que, en 1937, Blue Top Brewing peut, je répète peut, être la seule brasserie ontarienne à remporter un prix lors de l’édition 1937 du British Empire Bottled Beer Competition, qui se tient à Londres, Angleterre, en octobre?
Même ainsi, la vie n’est pas nécessairement trop amusante pour une petite brasserie régionale comme Blue Top Brewing. Remarquez, cela n’a pas été très amusant non plus pour sa prédécesseuse, Huether Brewing. Voyez-vous, les grandes brasseries n’hésitent pas à user de leur pouvoir au sein de Brewers Warehousing Company Limited, une firme créée en 1927 pour vendre de la bière aux entreprises et particuliers ontariennes par l’intermédiaire de son réseau de magasins de détail et gros, pour faire tout ce qu’elles peuvent pour anéantir les petits joueurs.
Un individu cynique, mais pas votre humble serviteur bien sûr, pourrait se demander si le comportement des deux méga brasseries qui contrôlent Brewers Retail Incorporated en 2023 est si différent.
Comme toutes les brasseries canadiennes, Blue Top Brewing se retrouve mêlée au débat sur la prohibition qui bouillonne à la surface à la fin de 1942, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage. Un abstinent de toute une vie mentionné à plusieurs reprises dans notre pétillant blogue / bulletin / machin depuis avril 2018, le premier ministre William Lyon Mackenzie « Rex » King, en vient à croire que les brasseries font du pognon à tout casser en raison de la Seconde Guerre mondiale et de l’augmentation dans la consommation de bière qui s’en suit. À la mi-décembre 1942, lors d’une allocution à la radio, il annonce son attention de contrôler la consommation de bière au Canada. Imbiber de l’alcool, déclare King, augmente les risques d’accidents à la fois sur le front industriel et sur le front de combat proprement dit.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, il semble que Blue Top Brewing se porte plutôt bien à l’époque. Une augmentation des ventes a entraîné la construction d’un ajout à son département d’embouteillage en 1941, par exemple.
L’arrêté en conseil émis par le gouvernement fédéral à la mi-décembre, si, de 1942, limite le volume de bière vendu annuellement, entre novembre 1942 et octobre 1943 par exemple, par la brasserie X, Y ou Z à un maximum de 90 % du volume produit au cours des 12 mois entre novembre 1941 et octobre 1942.
La direction de Blue Top Brewing pète un plomb. Elle publie une publicité d’une demi-page / pleine page intitulée « A Word of Warning To The Public, » en français un mot d’avertissement au public, à la fin de janvier 1943 dans quelques quotidiens et hebdomadaires publiés à, près ou loin de Kitchener, du The Waterloo Chronicle de… Waterloo au North Bay Daily Nugget de… North Bay, Ontario, et au The Sault Daily Star de Sault Ste. Marie, Ontario. Bien qu’elle promette de coopérer pleinement, la dite direction déclare que les privilèges des hommes canadiens sont menacés par des prohibitionnistes qui déforment les faits en la matière.
Cette petite éruption crée une vague de tsunami bien moins forte que le plomb pété par le président bien connu de la susmentionnée Canadian Breweries et gestionnaire non rémunéré au ministère des Munitions et de l’Approvisionnement, Edward Plunkett « E.P. / Eddie / Excess Profit » Taylor. Ce dernier écrit une lettre à l’éditeur en réponse à 3 éditoriaux publiés en janvier 1943 par un quotidien d’Ottawa, Ontario, The Journal. Cette lettre est publiée en février 1943. Taylor dénonce publiquement mais poliment la décision unilatérale prise par King, un individu qui est, en traduction, « à peu près le membre le moins qualifié du gouvernement pour faire une recommandation au Cabinet quant à la quantité de bière que les travailleurs acharnés du Canada doivent recevoir en temps de guerre. »
King n’est pas amusé. Du tout. Les dirigeants de brasseries d’un océan à l’autre ont le souffle coupé. Certains d’entre eux prennent immédiatement leurs distances avec Taylor.
Au début de mars 1943, Joseph Roméo Liguori Lacombe, chef et unique député du Parti canadien et ancien député québécois du parti gouvernemental dirigé par King qui a voté contre l’entrée du Canada dans la Seconde Guerre mondiale, demande au premier ministre s’il a l’intention de nationaliser les brasseries, et si oui, pourquoi. King répond que, si une telle nationalisation doit avoir lieu, une annonce serait faite en temps voulu.
Le rusé King n’a aucune intention de faire une telle chose, bien sûr. Il sait qu’une telle décision diviserait son cabinet et son parti, sans parler du pays dans son ensemble. Il peut vouloir mettre la crainte de… King dans l’industrie brassicole. King semble réussir.
Quoi qu’il en soit, Blue Top Brewing se porte plutôt bien jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Diesbourg n’a pas cette chance. Il est alité par une maladie grave pendant la majeure partie de 1945.
Au printemps 1947, Diesbourg et Renaud ne sont peut-être pas en bons termes. À en croire un représentant d’un géant brassicole canadien, Molson Brewery Limited de Montréal, qui leur a récemment parlé, Diesbourg veut éjecter Renaud – et vice versa. L’accord qui lie les deux hommes fait cependant obstacle à leurs souhaits, tout comme les problèmes auxquels ils seraient confrontés en essayant de retirer du pognon de Blue Top Brewing. En d’autres termes, Diesbourg et Renaud, sans doute le plus fiable de la paire, sont plutôt bien coincés ensemble. Mais le pire est à venir.
Voyez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur à juste titre inquiète / inquiet, en 1948, un lot de mauvaise bière échappe au personnel de contrôle de la qualité de Blue Top Brewing. Comme vous pouvez l’imaginer, la réputation de la brasserie en souffre beaucoup. Remarquez, les produits de la brasseries ont apparemment une mauvaise réputation en Ontario à cette époque, ce qui aggrave le problème. De nouveaux produits avec des noms différents améliorent le bilan de la firme, mais seulement dans une certaine mesure.
En avril 1949, le dit Renaud est élu président de Blue Top Brewing. On pourrait dire qu’il commande un navire qui coule lentement. Votre humble serviteur ne peut pas dire si Diesbourg est toujours impliqué dans la firme. Quoi qu’il en soit, il décède en février 1953, à l’âge de 58 ans.
Une publicité malheureusement beaucoup plus d’actualité aujourd’hui, en juin 2023, qu’elle ne l’était en avril 1952. Les saisons des incendies des années 2020 pourraient s’avérer bien pires que tout ce que les braves gens de l’Ontario de 1952 auraient pu imaginer. Les climatonégationnistes doivent sérieusement sortir leur caboche de leur c*l. Désolé, désolé. Remarquez, certain(e)s politicien(ne)s et industrialistes devraient s’abstenir de les acclamer. Anon., « Ranger Brewing Company Limited. » The Windsor Daily Star, 22 avril 1952, 11.
Blue Top tire sa révérence en avril 1952 et Ranger Brewing Company Limited voit le jour, ce qui n’empêche pas ce navire de continuer à s’enfoncer.
La susmentionnée Canadian Breweries acquiert presque toutes les actions en circulation de cette firme en août 1953. À son tour, Brasserie Dow Limitée de Montréal, une filiale / division bien connue de Canadian Breweries acquiert ces mêmes actions en septembre. En octobre, Ranger Brewing devient Dow Kingsbeer Brewery (1953) Limited – ou Dow Kingsbeer Brewery Limited. La production de produits de Ranger Brewing s’arrête rapidement lorsque la production de produits de Dow Brewery commence à Kitchener afin de répondre à une demande croissante pour ces bières en Ontario.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur perspicace, vous avez tout à fait raison. Ranger Brewing est la première brasserie ontarienne acquise par Dow Brewery.
Vous serez peut-être content(e) d’entendre (lire ?), ou pas, à votre choix, ami(e) lectrice ou lecteur, que, entre décembre 1953 et novembre 1955, la brasserie Dow Kingsbeer publie une série de vignettes publicitaires illustrées qui comportent des dessins individuels d’inventions un peu farfelue datant de la seconde moitié du 19ème siècle.
Les dites illustrations proviennent de la Bettmann Archive, sans doute la toute première collection d’images disponible commercialement, lancé vers 1929-30 par le chef du département des livres rares de la Staatliche Kunstbibliothek, elle-même un département des Staatlichen Museen zu Berlin. Otto Ludwig Bettmann s’enfuit aux États-Unis en 1935 pour éviter la persécution dans l’Allemagne nationale-socialiste.
Une des vignettes publicitaires illustrées publiées par Dow Kingsbeer Brewery. L’invention un peu farfelue décrite ici est la Air-Conditioned Chair, ou chaise à air climatisé, de 1878. La boîte sous le siège peut, je répète peut, être la source d’alimentation de l’invention. Anon., « Dow Kingsbeer Brewery Limited. » The Windsor Daily Star, 18 février 1954, 32.
Et oui, vous avez raison, perspicace ami(e) lectrice ou lecteur, votre humble serviteur choisit cette image en réponse aux températures tropicales qui sévissent dans mon coin de pays fin juin 2023, et… Est-ce un Alligator mississippiensis que je vois en train de poursuivre un Didelphis virginiana dans l’arrière-cour du voisin? C’est juste une blague. Pour le moment. On pourra en reparler en 2038. Ce ne sera peut-être pas aussi drôle alors.
En novembre 1960, Dow Brewery acquiert la brasserie de Toronto exploitée par O’Keefe Brewing Company Limited de Toronto et annonce qu’elle fermerait la brasserie beaucoup plus petite de Kitchener exploitée par Dow Kingsbeer Brewery. Le dernier travailleur quitte le site, celui de la dernière brasserie à Kitchener en fait, en avril 1961.
Comme on peut bien l’imaginer, cette fermeture attriste plus d’un Kitchenerite. Leur maire, Joseph Ignatino Meinzinger, défronce toutefois rapidement leurs sourcils. Il croit que la direction d’une brasserie, une brasserie ouest-allemande rien de moins, pourrait être convaincue de s’installer à Kitchener. Sa proposition est très bien accueillie. De fait, une petite délégation traverse bientôt l’océan Atlantique pour chercher une brasserie intéressée par l’idée du maire.
Des représentants d’une petite brasserie ouest-allemande, Dampfbrauerei Therese Werner Witwe (Aktiengesellschaft?), dont le président de la firme, Martin Werner, se rendent à Kitchener à la fin de l’été ou au début de l’automne 1961 dans le cadre d’une enquête sur la possibilité de créer une filiale dans la ville. Ils décident rapidement que l’ancien bâtiment de Dow Kingsbeer Brewery n’est pas la voie à suivre. Construire une brasserie moderne a beaucoup plus de sens. Les Allemands de l’Ouest rentrent chez eux heureux et… rien ne se passe. Au plus tard en 1963, le conseil municipal de Kitchener a pratiquement perdu espoir.
En juillet de cette année-là, cependant, une entreprise que votre humble serviteur n’est pas en mesure d’identifier se montré intéressée par le terrain sur lequel la nouvelle brasserie ouest-allemande doit être construite. Le nouveau maire de Kitchener, Keith Hymmen, s’envole vers l’Allemagne de l’Ouest avec quelques personnes pour sonder la direction de Dampfbrauerei Therese Werner Witwe. Le susmentionné Werner accepte d’acquérir un terrain qui laisse suffisamment d’espace pour que la firme non identifiée puisse poursuivre son propre projet. Et puis… rien ne se passe.
La firme ouest-allemande annonce en février 1965 qu’elle est trop impliquée dans l’expansion de ses marchés en Europe occidentale pour lancer une filiale au Canada.
À ce moment-là, la brasserie exploitée par Ranger Brewing et ses prédécesseuses n’est plus. Le bâtiment est apparemment démoli en 1964. L’histoire ne retient pas ce que Renaud pense de cette destruction. Quoi qu’il en soit, Renaud quitte ce monde en juillet 1967, à l’âge de 71 ans.
Comme vous pouvez bien l’imaginer, ami(e) lectrice ou lecteur bièrophile, il y a eu beaucoup de changements sur la scène brassicole canadienne, ontarienne et kitchenerite au cours des décennies suivantes. En juin 2023, il n’y a pas moins de 5 brasseries à Kitchener :
- Waterloo Brewing Limited, fondée en 1984 sous le nom de Brick Brewing Company Limited,
- Short Finger Brewing Company, fondée en 2015,
- TWB Co-operative Brewing, fondée en 2016,
- Stockyards Beverage Company, fondée en 2018 et
- Counterpoint Brewing Company, fondée en 2019.
Remarquez, il y avait aussi deux brasseries artisanales à Kitchener en date du juin 2023 :
- Abe Erb, fondée en 2014, et
- Arabella Park, fondée en 2016.
Et oui, les années 2010 sont sans aucun doute une décennie effervescente à Kitchener.
C*l sec, ami(e) lectrice ou lecteur, mais buvez avec modération.