C’était en effet une diable de marque : Fred Magee, Fred Magee Limited de Port Elgin, Nouveau-Brunswick, et leurs produits de marque Mephisto – sans oublier quelques mots sur l’industrie canadienne du homard, partie 1
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Même si le cœur de ce numéro de notre délectable et délicieux blog / bulletin / machin ne sera pas le homard américain / canadien, votre humble serviteur s’en voudrait si je ne signalais pas que, en Amérique du Nord, ce crustacé n’est pas salué par la critique avant les années 1870 – et le développement du transport ferroviaire de passagères et passagers, un développement qui fait naître le besoin de nourrir les gens sur de longues distances et donne un sérieux coup de pouce à l’industrie touristique nord-américaine.
Voyez-vous, des gens chics qui ne savent pas que le homard est une cochonnerie goûtent du homard frais bien cuit en Nouvelle-Angleterre – et l’adorent. Une fois rentré(e)s chez eux et elles, ils et elles veulent renouveler cette expérience épicurienne mais le truc en conserves n’est plus à la hauteur. Le transport ferroviaire d’un grand nombre de crustacés vivants commence bientôt. Ces homards déambulants coûtent cependant plus cher, bien plus cher. Ce ne sont plus des cochonneries. Ils constituent désormais un luxe apprécié des millionnaires et de leurs petites amies parées de bijoux.
Bien que votre humble serviteur ne sache pas avec certitude comment ces homards pérambulent, il semble que la première tentative d’expédier du homard vivant du Canada aux États-Unis a lieu en 1872. Une goélette est le moyen de transport utilisé. Elle voyage de la Nouvelle-Écosse à Boston, Massachusetts.
Même si certaines livraisons ont lieu à partir de 1878, le marché d’exportation de homards vivants demeure petit jusqu’à la création, en 1882, d’Arcadia Lobster Company de Yarmouth, Nouvelle-Écosse.
Incidemment, votre humble serviteur est tombé sur une déclaration non référencée selon laquelle la première personne à avoir mis du homard en conserve est un gentilhomme du Nouveau-Brunswick du nom de Noble. Cette personne pieuse veille à ce que des extraits de sermons et de la Bible soient imprimés sur les étiquettes des boîtes. Sauriez-vous par hasard si cette histoire est vraie, ami(e) lectrice ou lecteur?
Quoi qu’il en soit, revenons à l’histoire du homard et à sa nouvelle popularité, ou de l’absence de celle-ci.
Voyez-vous, les choses sont très différentes autrefois. Aux 17ème et 18ème siècles, les pêcheurs de homard sont relativement peu nombreux. Ces crustacés sont en fait si abondants près des côtes de colonies britanniques comme le Massachusetts que les gens aisés ayant des domestiques à nourrir leur disent simplement de récupérer ceux qui échouent sur ces côtes, ou les achètent à des personnes qui les ramassent. Remarquez, les homards sont également au menu des esclaves, prisonniers et… enfants.
Croiriez-vous que ces homards échoués sont parfois utilisés comme… engrais? Je ne plaisante pas.
Incidemment, beaucoup de ces homards sont gros. Je veux dire, certains individus très âgés (100 ans? 120 ans?) peuvent peser jusqu’à 18, voire 20 kilogrammes (environ 40 à 44 livres), mais je digresse et vous ne me croyez pas, maintenant, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur? Soupir… Eh bien, Thomas / Thomasine l’incrédule, régalez vos organes des sens visuels avec ceci…
Un homard de près de 17 kilogrammes (environ 37 livres) capturé au large des côtes du Maine. Anon., « Le plus gros homard du monde. » Le Globe illustré, 19 février 1905, 114.
Le problème avec toute cette nourriture bon marché, voire gratuite, c’est que cuisiner un homard qui a baissé le rideau, cessé d’exister, expiré, perdu la vie, un homard qui n’est plus, est monté au paradis et parti rejoindre son créateur, tout en bouffant les pissenlits par la racine, ne donne pas lieu à un truc savoureux. (Bonjour, Monty!)
Voyez-vous, le chef nord-américain typique n’a pas encore compris qu’un homard savoureux est celui à qui on a volé la vie en le mettant dans de l’eau bouillante. Cette action rapide empêche les enzymes de l’estomac du décapode de s’infiltrer dans le reste de son corps, ce qui fait que la viande se détériore rapidement.
Eh oui, beaucoup de gens comprennent ce fait bien avant le 19ème siècle. Un livre de cuisine rédigé par un ou quelques chefs romains, dès le 1er siècle de l’ère commune, De re culinaria / De re coquinaria, contient des recettes de crustacés qui semblent aller dans ce sens, par exemple.
Comme nous l’avons souligné plus tôt, toutefois, le cœur de ce numéro de notre délectable et délicieux blogue / bulletin / machin ne sera pas Homarus americanus. Nenni. Continuons donc vers ce cœur.
Notre histoire commence à Baie Verte / Bayvert, une communauté située à l’extrême sud du Nouveau-Brunswick, sur les rives du détroit de Northumberland qui sépare le Nouveau-Brunswick de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est là, fin mai 1875, que Fred (Frederick?) Magee vient au monde.
Les premières années de Magee sont probablement typiques d’une jeune de cette époque. Ceci étant dit (tapé?), il fréquente la University of New Brunswick, à Fredericton,… Nouveau-Brunswick, dans les années 1890. Magee abandonne toutefois apparemment ses études avant de les terminer.
Magee peut, je répète peut, avoir fréquenté une école de commerce dans les années 1890.
Magee se lance en affaires en 1897 en ouvrant un magasin général à Port Elgin, une communauté du Nouveau-Brunswick située sur les rives du détroit de Northumberland, non loin de Baie Verte.
Étant le jeune homme intelligent et ambitieux qu’il est, Magee se rend vite compte qu’il peut gagner du foin en vendant des fruits de mer en conserve.
Au plus tard au printemps 1903, la firme de Magee produit des éperlans de marque Mephisto à la moutarde, aux épices ou à la sauce tomate, et ce, dans une des usines les plus modernes du Canada, du moins le prétend-il, une usine située à Port Elgin. Des expériences en ce sens commencent au plus tard au début de 1902.
Le jeune homme d’affaires prétend avoir des agents dans les plus grandes villes du Canada, Montréal, Québec, et Toronto, Ontario. Il prétend également avoir des agents dans deux grandes villes américaines, Boston et New York, New York..
Magee ajoute le hareng en conserve à sa liste de produits au cours des années 1900.
Au plus tard en mai 1905, la firme de Magee produit du homard de marque Mephisto. Elle emploie à l’époque environ 200 personnes, mais pas 12 mois par an bien sûr, et peut compter sur les services d’une cinquantaine de bateaux de pêche.
Votre humble serviteur n’a malheureusement pas été en mesure de découvrir quand ou si Magee décide de mettre de côté la production d’éperlans et harengs en conserve. De fait, sa firme vend encore de l’éperlan et du hareng en 1920.
Remarquez, c’est peut-être vers 1905 que la publicité que vous avez vue au début de cet article fait son apparition.
Pour paraphraser, en traduction, le chanteur du groupe new wave américain Talking Heads, dans sa chanson à succès de 1981 (!) Once in a lifetime, vous vous demandez peut-être pourquoi Magee choisit le mot Mephisto comme nom de marque. Pour ma part, je me suis posé cette même question. Il n’y a bien sûr rien de mal avec du homard (de marque) Port Elgin ou Magee. Ces marques sont, toutefois, eh bien, fades.
Il se trouve que Magee aime la musique. De fait, il adore l’opéra. Il se trouve encore que, en mars 1859, un opéra du compositeur français Charles François Gounod (musique) ainsi que de Paul Jules Barbier et Michel Antoine Florentin Carré (texte) est vu pour la première fois, à Paris, France. Cet opéra, un des opéras français les plus connus, est, vous l’aurez deviné, Faust.
Un des personnages principaux de Faust, outre le philosophe / métaphysicien éponyme, bien sûr, est un esprit familier de l’enfer connu sous le nom de Méphistophélès, une appellation souvent abrégée en Méphisto.
Bien que votre humble serviteur ne puisse pas voir la convergence entre un démon et des fruits de mer, à moins peut-être qu’on déteste simplement les créatures marines (Bonjour, EG!), Magee voit certainement quelque chose. L’étiquette de marque Mephisto, avec son démon rouge debout à gauche, se fait rapidement connaître partout.
La vérité est que Magee vend également du homard de marque Purity. De fait, les deux marques coexistent pendant quelques années. Malgré cela, c’est le homard de marque Mephisto de Magee qui devient à juste titre célèbre.
Les affaires allant bien, Magee ouvre une seconde usine, à Pictou, Nouvelle-Écosse, en 1906. Et au cas où vous ne me croiriez pas, en voici la preuve…
Une publicité typique de Fred Magee pour le homard des marques Mephisto et Purity. Anonyme, « Fred Magee. » Canadian Grocer, 15 janvier 1909, 62.
Eh oui, je me rends compte que la publicité dit Picton et non Pictou. Picton était et est toujours une communauté située en Ontario, à l’ouest de Kingston, Ontario. Les publicités publiées après celle que vous venez de voir corrigent la faute de frappe. Étant donné que Canadian Grocer est un hebdomadaire publié à Toronto, la dite faute de frappe est peut-être compréhensible.
À première vue, la firme de Magee devient officiellement Fred Magee Limited de Port Elgin en 1912.
Magee peut, je répète peut, avoir exploité une troisième usine à Campbelltown, dans la région la plus septentrionale du Nouveau-Brunswick, sur les rives de la baie des Chaleurs, au plus tard au printemps 1913.
De fait, il semble que sa firme n’exploite pas moins de 4 conserveries par la suite, une seule en Nouvelle-Écosse et 3 au Nouveau-Brunswick, dont une à Caribou. Au plus tard en 1921, Fred Magee, oui, la firme, possède également une installation (éphémère?) à Summerside, Île-du-Prince-Édouard.
Remarquez, Magee installe également une usine à Port Elgin vers 1920 pour fabriquer les caisses et tonneaux en bois nécessaires à ses harengs et éperlans. Les déchets de bois qui sortent de cette usine servent à chauffer la conserverie voisine.
La firme installe une usine pour produire les boîtes de conserve nécessaires à la mise en conserve de son homard au plus tard en 1914.
Fait intéressant, Magee en vient à fournir les boîtes de conserve utilisées par quelques conserveries de homard de petite taille situées au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.
Aimeriez-vous savoir quelle est l’ampleur de l’industrie canadienne du homard en conserve en 1913? Eh oui, c’était effectivement une question rhétorique.
Pour commencer, il y a environ 720 conserveries, situées au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Québec, en 1913. Ces installations emploient des milliers (environ 14 000?) de femmes et hommes. Des milliers de pêcheurs (environ 10 000?) approvisionnent ces ouvrières et ouvriers, grâce à plus de 1 600 000 casiers disséminés dans d’innombrables recoins et criques.
Environ 26 140 tonnes métriques (environ 25 730 tonnes impériales / environ 28 820 tonnes américaines) de homards sont capturées dans les eaux côtières du Canada en 1913-14.
L’industrie du homard de la Nouvelle-Écosse représente 60 % de la valeur marchande totale du homard pêché au Canada vers 1912, une valeur qui oscille, dit-on, autour de 5 000 000 $, une somme qui correspond à environ 135 000 000 $ en devises de 2024. La part du Nouveau-Brunswick dans cette valeur est environ 4 fois inférieure.
Compte tenu de cette valeur marchande totale et du nombre de pêcheurs et d’employé(e)s de conserveries, le salaire moyen de chacune et chacun de ces vaillant(e)s travailleuses et travailleurs est ridiculement faible. Cela signifie bien sûr que ces mêmes personnes doivent disposer d’au moins une autre source de revenus pour joindre les deux bouts.
Incidemment, croiriez-vous que seule une infime fraction de chaque homard se retrouve dans une boîte de conserve? Étant donné un exemple typique de ce décapode pesant une seule unité de poids (kilogramme ou livre, au choix), de 75 à 80 % de cet animal est jeté, selon une autorité contemporaine de l’industrie canadienne du homard, Richard H. Williams. Wah!
Soit dit en passant, environ seulement 40 % d’un bœuf typique finit sous forme de viande, mais revenons à notre histoire.
À première vue, les consommatrices et consommateurs de 4 pays européens consomment environ les ⅔ des homards en conserve exportés par le Canada vers 1913, soit environ ⅓ pour les consommateurs du Royaume-Uni et environ ⅓ pour les consommatrices et consommateurs de l’Empire allemand, de la Belgique et de France. Les consommatrices et consommateurs américains consomment environ ¼ de la production, la majeure partie du 1/12 restant étant destinée à 4 pays européens (Danemark, Norvège, Pays-Bas et Suède).
Halifax, Nouvelle-Écosse, est le plus grand port d’exportation de homard de la planète Terre.
Il y a pourtant quelque chose de pourri au royaume du Canada. Voyez-vous, on s’inquiète de l’avenir du homard. La taille des captures diminue par exemple. De fait, la capture de 1913 est beaucoup plus petite (3 fois plus petite?) que celle de 1904. La taille moyenne des homards capturés diminue également au fil des ans. Les stocks apparemment inépuisables de homard dans les eaux canadiennes sont menacés.
Eh oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur avisé(e). La valeur d’une unité de poids (kilogramme ou livre, au choix) de homard canadien est multipliée par 4 (!) entre 1880 et 1914. Wah!
Il va sans dire que les revenus du pêcheur et employé(e) de conserverie typiques ne sont pas multipliés par 4 entre 1880 et 1914. Oserai-je suggérer que les gens aux échelons supérieurs de la chaîne alimentaire s’emparent de la majeure partie du pognon, comme d’habitude. Trop controversé? Très bien, je n’oserai pas.
Comme on peut s’y attendre, le début de la Première Guerre mondiale change tout. Les livraisons vers l’Europe s’arrêtent brutalement en août 1914, alors que seulement la moitié de la production de l’année est en route ou déjà livrée. Les entrepôts se remplissent de boîtes de conserve pour lesquelles aucun acheteur ne peut être trouvé.
La Royal Navy empêche naturellement toute livraison à l’Empire allemand.
Au Canada, on craint que les gouvernements des pays européens importants vers lesquels les homards canadiens peuvent encore être expédiés, notamment la France et le Royaume-Uni, ne soient pas très enthousiastes à l’idée de permettre l’importation sans restriction d’un produit de luxe comme le homard au beau milieu d’un conflit majeur.
Alors que la fin des combats n’est pas en vue, des représentants des conserveries du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard se réunissent à Halifax à la fin de 1914 pour déterminer leur prochaine action. Cette action s’avère être une décision de garder leurs conserveries fermées en 1915 et d’envoyer des délégués à Ottawa, Ontario, pour faire approuver cette décision. Le marché nord-américain est tout simplement trop petit pour justifier l’ouverture des conserveries.
Les pêcheurs et employé(e)s des conserveries sont naturellement préoccupé(e)s par cette annonce.
Ceci étant dit (tapé?), certains observateurs soulignent que les pêcheurs pourraient se tourner vers d’autres types de captures, notamment le poisson. Ils soulignent également que les stocks de homard pourraient bénéficier d’une année de repos. De toute façon, si les pêcheurs triment aussi dur en 1915 que l’année précédente, les conserveries seraient inondées de homards, ce qui pourrait finir par encombrer davantage leurs entrepôts, ce qui pourrait faire baisser les prix et réduire encore davantage les revenus déjà ridicules des pêcheurs et employé(e)s des conserveries.
Ce qui s’est réellement passé n’est pas clair, mais il semble que la fermeture exigée par les conserveries ne reçoit pas l’approbation du gouvernement fédéral.
Il semble également que les pêcheurs de Nouvelle-Écosse gagnent autant d’argent en 1915 que les années précédentes, ce qui est pour eux une agréable surprise. Les marchés français et britanniques ne se sont apparemment pas effondrés comme prévu. Aucune information n’a pu être trouvée concernant les sommes d’argent gagnées par les pêcheurs du Nouveau-Brunswick.
Cependant, à la mi-mai 1916, le gouvernement français décrète que le homard est un aliment qui ne serait plus autorisé en France. Après tout, il y a une guerre. D’un seul coup, l’industrie canadienne du homard perd environ 25 % de son marché d’exportation.
Fin juillet, ce même gouvernement français revient sur sa position. Votre humble serviteur a le sentiment que des représentants de l’industrie ont fait pression sur le gouvernement canadien pour que celui-ci fasse à son tour pression sur son homologue britannique pour que celui-ci fasse à son tour pression sur son homologue français.
Remarquez, le gouvernement français avait apparemment conclu que la réduction des importations de homard canadien en conserve pourrait forcer les familles qui envoient ces produits à leurs proches combattant au front à se tourner vers d’autres types de viande, de la viande française en fait, ce qui aurait pu entraîner des augmentations de prix en raison de la rareté ainsi créée.
Curieusement, même si le homard continue à affluer vers la France, peu de familles canadiennes en achètent réellement. À 55, voire 60 cents la boîte de conserve, une boîte de conserve d’environ 455 grammes (1 livre), une somme qui correspond à environ 13.50 $ et 14.75 $ en devises de 2024, cette bestiole est jugée trop luxueuse.
Le fait qu’une proportion importante des captures de homard et d’autres aliments produits au Canada sert à nourrir des populations d’outremers ne convient pas très bien à certaines, voire à plusieurs personnes au Canada. Pour citer, en traduction, un numéro de juillet 1916 du The Daily Standard de Kingston, qui mentionne un article d’un quotidien montréalais bien connu, The Gazette,
Le pire dans tout cela est que cette exportation de nourriture ne s’applique pas uniquement aux homards, si tel était le cas, il n’y aurait peut-être pas de raison de s’en plaindre, mais les rapports sont fréquents, quant à d’importantes exportations d’autres aliments, dont les prix ont augmenté et augmentent encore. C’est une question à considérer par le gouvernement.
Votre humble serviteur a-t-il mentionné qu’une boîte de homard d’environ 455 grammes (1 livre) exportée vers la France peut, je répète peut, y être vendue 50 cents, soit environ 12.30 $ en devises de 2024? Si, si, le homard canadien peut, je répète peut, être moins cher à Paris qu’à Montréal ou Toronto. On croit rêver, mais j’ai mes doutes. Enfin, passons.
Dans l’ensemble, l’industrie du homard va bien en 1916. Les prises sont 60 % plus importantes qu’en 1915 et vendues à des prix supérieurs à la moyenne.
Incidemment, croiriez-vous que la valeur des exportations de homard du Canada vers le Royaume-Uni en 1916 soit 60 % plus élevée qu’en 1915?
L’industrie canadienne du homard ne va pas aussi bien en 1917. Voyez-vous, à la fin du mois de février de la même année, le gouvernement britannique décrète que le homard est un des nombreux produits qui ne seraient plus autorisés au Royaume-Uni, à moins que de telles importations ne soient approuvées par le Controller of Import Restrictions. Il n’y a pas assez de navires marchands pour transporter les innombrables articles nécessaires à l’effort de guerre, et le homard n’est guère une priorité. D’un seul coup, l’industrie canadienne du homard perd un pourcentage important de son marché d’exportation.
Des représentants de l’industrie de la conserve organisent rapidement une réunion à Halifax pour élaborer un plan d’action. Une délégation se rend bientôt à Ottawa pour rencontrer le ministre du Commerce, le professeur de lettres classiques / conférencier en tempérance sir George Eulas Foster. Des télégrammes sont également envoyés au premier ministre, un avocat, sir Robert Laird Borden, et au ministre de la Marine et des Pêcheries, l’homme politique professionnel John Douglas Hazen.
Eh oui, vous avez raison, ami(e) lectrice ou lecteur assidu(e), Borden est mentionné quelques, voire plusieurs fois dans notre époustouflant blogue / bulletin / machin, et ce depuis septembre 2017.
Les dirigeants de l’industrie sont apparemment informés début mars que les homards canadiens ne seraient pas empêchés d’entrer au Royaume-Uni. Nenni. Les quantités importées seraient cependant réduites de moitié.
Votre humble serviteur ne sait pas si ce changement, s’il se produit, est provoqué par des pressions canadiennes ou si les mesures restrictives avaient été mal interprétées.
Incidemment, une des perles de sagesse avancées par le Ministry of Food britannique vers mai 1917, peut-être dans une sorte de manuel, dit ceci en traduction : « Les riches qui préparent leur dîner avec une salade de homard sont de bons patriotes. L’homme riche qui mange du cou de mouton et du pain n’en n’est pas un. » L’idée étant que les gens aisés devraient laisser les aliments moins chers aux pauvres.
J’aurais pensé que rendre l’alimentation accessible à toutes et tous aurait été plus juste, mais de quoi je me mêle?
D’autres perles de sagesse, possiblement collées sur les murs sous forme d’affiches, se lisent comme suit en traduction :
« Mangez lentement et vous pourrez manger moins. Cinq personnes sur dix creusent leur tombe avec leurs dents. »
« La femme qui gaspille une croûte de pain gaspille une balle. »
« La poubelle engloutit la nourriture de millions de personnes. »
Cette dernière citation sonne familière, n’est-ce pas, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez sans aucun doute entendu parler du rapport publié par l’Organisation des Nations Unies en mars 2024, selon lequel environ 19 % de la nourriture produite sur notre grosse bille bleue en 2022 a été gaspillée. Plutôt épouvantable, n’est-ce pas? Surtout que, en 2024, de 700 à 800 millions de personnes souffrent de sous-alimentation.
Dans un autre ordre d’idée, le gouvernement français peut avoir encore une fois décrété que le homard fasse partie des nombreux produits qui ne seraient plus autorisés en France.
Compte tenu de tout cela, et au risque de répéter ce qui a été dit (tapé?) ci-dessus, l’industrie canadienne du homard ne va pas bien en 1917. Pour une raison ou une autre, ses prises diminuent de 55 % par rapport à celles de 1916.
Malgré cela, d’innombrables boîtes de conserve de homard accumulent la poussière dans les entrepôts tandis que des acheteurs nerveux restent à l’écart des conserveries jusqu’à ce qu’ils soient certains que leurs achats parviendraient réellement à des acheteurs étrangers.
Au printemps 1917, un certain nombre de conserveries sont vendues aux enchères, les sites, bâtiments et contenus allant pour une fraction de leur valeur d’avant-guerre.
Pour couronner le tout, des responsables de la Commission on Fisheries and Game of Massachusetts achètent des milliers de petits homards pêchés légalement par des pêcheurs de la Nouvelle-Écosse, et ce, afin de reconstituer les stocks qui ont été pratiquement anéantis au cours des dernières années.
Comme vous pouvez l’imaginer, cet effort de contrebande ne passe pas inaperçu. La Commission de Conservation du ministère de la Marine et des Pêcheries est informée de la situation. Ce que font ses membres, le cas échéant, n’est pas clair.
Remarquez, l’instabilité des marchés n’est pas la seule source d’inquiétude pour Magee et d’autres hommes d’affaires canadiens. Des sous-marins allemands rôdent dans les eaux de l’océan Atlantique.
Vous voudrez peut-être noter que ce qui suit est tragique.
Il suffit de mentionner la destruction du cargo britannique SS Rappahannock, à environ 130 kilomètres (environ 80 milles) au large des îles Scilly / Sorlingues / Enesow Syllan, Angleterre, en octobre 1916. Même si les autorités allemandes affirment que l’équipage a le temps de manœuvrer les canots de sauvetage du navire avant que ce dernier ne soit coulé, aucun de ces 37 hommes n’atteint le rivage.
Avec votre permission, votre serviteur va maintenant clôturer cette première partie de notre article sur Magee. À plus tard.