« Les arpents verts, les champs, les bois, les chemins creux, c’est fait pour moi : » La firme américaine Beeman Garden Tractor Company et le tracteur de jardin / motoculteur Beeman Junior ou Modèle G
C’est avec une certaine nostalgie que votre humble serviteur cite la première paire de lignes de la chanson titre de la version doublée en français de la populaire comédie de situation américaine Les arpents verts. Je me souviens avoir regardé pas mal d’épisodes de la dite version de cette émission télévisée satirique et surréaliste diffusée à l’origine, en anglais, entre septembre 1965 et avril 1971. Le premier épisode de Les arpents verts, une série doublée en France par des actrices et acteurs françaises, est diffusé au Québec en septembre 1966. Le dernier sort vraisemblablement en avril 1972.
Compte tenu des piètres performances du vétuste tracteur Hoyt-Clagwell utilisé par l’ex riche et éminent avocat de New York, New York, devenu agriculteur Oliver Wendell Douglas, on pourrait suggérer que ce poisson hors de l’eau aux yeux rêveurs et totalement incompétent aurait pu être mieux loti avec un exemple restauré du tracteur de jardin Beeman Junior.
Et vous avez une question, ami(e) lectrice ou lecteur, ce qui est bien. Et non, le tracteur Hoyt-Clagwell n’existe pas et oui, je me rends compte qu’une entreprise américaine bien connue, Ertl Company, produit une réplique de collection en alliage métallique moulé sous pression de ce véhicule fictif, vraisemblablement au cours des années 1960.
Le tracteur utilisé dans le générique d’ouverture de Les arpents verts est un John Deere GP datant des années 1920 ou 1930. Celui qui est utilisé dans des épisodes individuels est apparemment un tracteur Ford Fordson datant des années 1920. Vous ne pensiez pas que je le savais, n’est-ce pas, ô personne de peu de foi?
Incidemment, Douglas, joué avec brio par Eddie Albert, né Edward Albert Heimberger, est un pilote de chasse courageux mais malchanceux des United States Army Air Forces pendant la Seconde Guerre mondiale. Et c’était votre contenu aéronautique du jour. Enfin presque.
Croiriez-vous que Des ailes au-dessus de Hooterville, un épisode initialement diffusé en anglais, en septembre 1966, montre l’infortuné Douglas se faisant porter volontaire pour piloter un biplan d’épandage aérien délabré destiné à protéger les cultures locales d’un insecte redouté, l’insecte bing fictif. Pour paraphraser une certaine personne que je connais et que j’aime bien, les choses se sont mal terminées – mais sans blessure. (Bonjour, EP!) Et oui, je me souviens vaguement d’avoir vu cet épisode de Les arpents verts. Je pense. Votre humble serviteur dis (tape?) cela car il est tout à fait possible pour les vieilles gens comme moi de se « souvenir » de choses qui ne se sont jamais vraiment produites.
Comparé à Douglas, Heimberger est à la fois courageux et chanceux. En 1940 ou 1941, avant que les États-Unis n’entrent officiellement dans la Seconde Guerre mondiale, il interrompt sa carrière cinématographique naissante pour rejoindre un célèbre cirque itinérant mexicano-américain, le Gran Circo Escalante Hermanos. Heimberger utilise cette couverture pour recueillir des informations sur les activités des sous-marins de la Kriegsmarine allemande dans les eaux mexicaines, informations qu’il fournit rapidement à la Military Intelligence Division de la United States Army.
Heimberger met de côté cette dangereuse occupation en 1941 ou 1942, peut-être après la déclaration de guerre du Mexique, en mai 1942, ou après la déclaration de guerre américaine de dé cembre 1941, pour rejoindre la United States Coast Guard avant de passer dans la United States Navy. En novembre 1943, il est responsable d’une petite péniche de débarquement impliquée dans l’assaut sanglant de l’atoll de Tarawa, dans les îles Gilbert. Agissant sous le feu nourri des forces japonaises, Heimberger et son équipage secourent plus de 45 membres du United States Marine Corps. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire, mais revenons à notre histoire.
Alors que le 20ème siècle commence, en 1901 et non en 1900, compte tenu de la nature sensible de leurs cultures, des propriétaires de fermes maraîchères aux États-Unis utilisent principalement de la main-d’œuvre humaine, ainsi que de la main-d’œuvre équine, pour planter et cultiver ces cultures. Et oui, votre humble serviteur avoue volontiers que je n’avais aucune idée de ce qu’était / est une « stock farm, » c’est-à-dire une ferme dédiée à la production de légumes qui sont ensuite vendus au public, en d’autres termes une ferme maraîchère.
Maintenant je vous demande, ami(e) lectrice ou lecteur, pensez-vous que les propriétaires de maraîchages américains laisseraient passer l’opportunité de remplacer leur main d’œuvre humaine et équine par des machines, fiables bien sûr, afin de réduire leurs frais généraux de production et d’élargir leur marge bénéficiaire? Le pape est-il polonais, euh, argentin?
Remarquez que certains propriétaires de petites fermes sont peut-être également disposés à envisager la possibilité de remplacer leur vieux canasson.
Et c’est ainsi qu’en 1917, un brevet américain pour un outil agricole, le tracteur de jardin / motoculteur sur lequel nous (le nous royal) pontifierons aujourd’hui, est délivré à Cornelius A. Peters. Ce gentilhomme, à son tour, cède les 2 moitiés du dit brevet à Patrick J. Lyons et Edwin Ruthven « Ed » Beeman, Junior.
Le premier, homme d’affaires et pionnier dans le développement de tracteurs agricoles, fonde Bull Tractor Company en 1913, en utilisant la grosse somme d’argent qu’il a gagnée grâce à la vente de sa Gas Traction Company, qui fabriquait de sacrés gros tracteurs à essence.
Curieusement, le premier produit de Bull Tractor est le petit Little Bull 5-12, qui est censé être si économique à acheter et utiliser qu’il rend les chevaux trop chers à garder. Pour dire la vérité, cette machine à 3 roues peut bien être le premier petit tracteur à essence à connaître un succès commercial. De fait, le Little Bull 5-12 peut-être être le tracteur le plus vendu aux États-Unis en 1914. Malheureusement, ce tracteur manque de puissance et de fiabilité à long terme.
Croiriez-vous que, en 1914, Lyons fonde Toro Motor Company, en 2021 le fabricant de souffleuses à neige et de tondeuses à gazon de renommée mondiale Toro Company, pour produire les moteurs dont il a besoin pour Bull Tractor? Et bien, c’est vrai mais je digresse.
En effet, le sujet d’aujourd’hui n’est pas le tracteur Little Bull 5-12. Nenni. Notre sujet, je vous le rappelle, ami(e) lectrice ou lecteur distrait(e), est un tracteur de jardin / motoculteur produit par Beeman Garden Tractor Company, une firme apparemment constituée au début de 1916. Beeman est son président et trésorier tandis que Lyons en est le directeur.
Beeman n’est pas non plus le premier venu. Non monsieur. Il naît aux États-Unis, en novembre 1870. Peu de temps après avoir obtenu son diplôme en droit de la University of Minnesota, il devient un des innombrables Homo sapiens mâles qui attrape un grave cas de fièvre de l’or. Avec un groupe d’une vingtaine d’individus mâles tout aussi intoxiqués, Beeman fonde Minnesota-Alaska Development Company en 1898. Il monte rapidement à bord d’un navire en direction des champs aurifères du nord de l’Amérique du Nord.
Et oui, Beeman compte parmi les premiers avocats de ce qui est alors le district de l’Alaska. De fait, il cofonde le cabinet d’avocats Hubbard & Beeman, ou est-ce Hubbard, Beeman & Hume, à ce qui est alors Anvil City, Alaska. Le luxueux bureau de ces jeunes avocats est… une tente.
À l’automne 1899, Beeman compte parmi les membres du comité qui prépare et soumet les plans qui conduisent à la transformation de Anvil City en Nome, Alaska.
Plus dramatiquement, Beeman peut, je le répète, peut avoir connaissance d’un complot maintenant oublié mais toujours assez odieux. Vous voyez, en 1900-01, Alexander John « Big Alex » McKenzie, un patron politique du Dakota du Nord né peut-être en Ontario, ou pas… Et oui, l’Ontario, la province canadienne, pas la ville californienne.
McKenzie, dis-je (tape-je?), essaye très fort d’acquérir autant de concessions d’or super productives de la région de Nome qu’il le peut, par tout moyen bien sûr. Et oui, le faiseur de sénateur, comme on l’appelle, et ses acolytes, dont le juge fédéral et le procureur de la région (!), peuvent compter sur les services de Oliver P. Hubbard et de W.T. Hume pour faciliter leurs efforts visant à voler légalement les concessions de divers individus et / ou groupes.
En fin de compte, les principales parties impliquées dans le complot sont jugées et, à une exception près, reconnues coupables. Ces hommes sont soit emprisonnés, soit condamnés à une amende. Grâce à ses relations politiques, cependant, McKenzie, qui prétend être au seuil de la mort, obtient une grâce présidentielle, en mai 1901, après avoir purgé environ 100 jours seulement de sa peine de 12 mois, mais je digresse. De nouveau. Désolé. McKenzie, soit dit en passant, décède en juin… 1922, à l’âge de 72 ans. Et oui, il a encore du pognon qui lui sort par les oreilles, mais retournons au monde de Beeman.
Et oui, le monde de Beeman est un jeu de mots inspiré de l’émission télévisée éducative pour enfants américaine Beakman’s World, diffusée entre septembre 1992 et janvier 1998. Cette émission me manque, soupir, mais assez de billevesées. Retournons au monde de Beeman.
Croiriez-vous que Beeman déterre l’or utilisé pour fabriquer la bague de son épouse, Phosa Davis, qu’il épouse en 1900? Je ne plaisante pas.
Quoiqu’il en soit, le couple quitte l’Alaska en 1901. Peu de temps après, Beeman rejoint le personnel de Monitor Drill Company, une firme appartenant à son beau-père. Il devient finalement vice-président et directeur général de Monitor Drill.
Fait intéressant, Beeman obtient plusieurs brevets liés à des semoir à grains, des « drills » en anglais, au fil des ans. Il invente également la technologie derrière un mécanisme d’activation de porte qui conduit à la création de Beeman Door Control Company.
Les premiers tracteurs de jardin Beeman frappent les sillons au printemps 1916. Et oui, je sais, comme il est dit (tapé?) plus haut, le brevet est délivré en 1917. Comme nous le savons toutes et tous les deux, la délivrance d’un brevet prenait / prend du temps. De fait, il semble que Peters conçoit son tracteur de jardin en 1915, mais revenons à notre histoire.
Beeman Garden Tractor oriente apparemment sa création au moins en partie vers les propriétaires de fermes relativement petites, qui n’ont pas besoin d’un gros tracteur, ni assez de pognon pour en acheter un. Le Garden Tractor, affirme-t-elle, est une machine polyvalente qui se rentabiliserait rapidement. Il peut labourer, ou tondre une pelouse, grâce aux accessoires fabriqués par la firme. Il peut également tirer des outils tirés par des chevaux, si besoin est.
Une simple fixation de poulie à courroie permet aux utilisateurs potentiels d’alimenter leurs barattes, broyeurs d’alimentation, écrémeuses, machines à laver, meules, moulins à ventilateur, pompes à eau et scies circulaires, par exemple. Le moteur facilement détachable peut également être monté sur une lieuse à maïs ou à grains.
Pour paraphraser Beeman Garden Tractor, en traduction, il n’y a aucune difficulté à travailler, en anglais no irk to work, avec son tracteur de jardin, du moins en théorie. Vous voyez, les premiers modèles du dit tracteur produits en 1916-17 peuvent connaître certaines difficultés mécaniques.
Au début de 1919, la firme développe le tracteur de jardin Beeman Junior, ou Modèle G, très amélioré. Les moteurs de cet outil sont apparemment produits par une autre firme, Gilson Manufacturing Company.
Une fois la Première Guerre mondiale terminée, Beeman Garden Tractor espère vendre de nombreux tracteurs, dans de nombreux endroits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis. Après tout, celui qu’elle propose aux agriculteurs est étonnamment économique. En 1920, aux États-Unis, un bon cheval de trait ou mulet coûte entre 100 et 200 $, et les fermiers doivent payer 100 $ de plus pour le garder. En comparaison, un tracteur de jardin coûte 285 $ et n’a besoin d’aucune alimentation lorsqu’il ne travaille pas. À cet égard, il est à noter que ce tracteur ne consomme pas beaucoup de carburant : 1.67 litre/heure (0.37 gallon impérial/heure / 0.44 gal gallon américain/heure).
Celles et ceux d’entre vous qui pourraient être intéressé(e)s à savoir combien vaut un bon cheval de trait ou mulet, ou un Garden Tractor, veuillez noter qu'un seul dollar de 1920 vaut environ 13.70 $ en devise de 2021. Donc,
- un bon cheval de trait ou mulet, de 1 370 à 2 745 $ environ, et
- un Garden Tractor, environ 3 910 $.
Malheureusement, le début des années 1920 n’est pas une période heureuse pour les agriculteurs américains. Une conjoncture défavorable causée par la récession de 1919 et la dépression de 1920-21 cause des ravages dans tout le pays. La concurrence féroce qui prévaut pendant la guerre des tracteurs de 1921-22 ne fait qu’empirer les choses pour les fabricants, en particulier les plus petits – des firmes comme Beeman Garden Tractor.
En 1925, l’entreprise est dans les cordes. De nouveaux investisseurs la reprennent et forment New Beeman Tractor Company. Avec Beeman hors du tableau, volontairement ou pas, la nouvelle entité se maintient à flot en vendant des tracteurs fabriqués avant 1925, ainsi que des pièces détachées. New Beeman Tractor cesse peut-être ses activités vers 1945.
Au total, Beeman Garden Tractor peut, je le répète, avoir produit environ 25 000 tracteurs de jardin, toutes versions confondues. Ces outils sont vendus en Amérique, en Europe et en Océanie. Votre humble serviteur ne serait pas surpris d’apprendre qu’ils sont également vendus en Afrique et en Asie.
Le Beeman Junior peut, je le répète peut, être présenté pour la première fois à un public québécois en février 1920, lors d’une exposition agricole tenue dans un garage de Québec, Québec, propriété de J. Edmond Poulin. Ceci, bien sûr, ne veut pas dire que ces tracteurs maniables ne sont pas déjà présents dans La Belle province.
En comparaison, les tracteurs de jardin Beeman peuvent être vus, sur rendez-vous seulement, semble-t-il, à Victoria, Colombie-Britannique, dès avril 1918.
En ce qui concerne l’Europe, il est à noter que les premiers Garden Tractor arrivent en France au plus tard en décembre 1918. Ces véhicules américains sont importés par La traction et le matériel agricole Société anonyme, une firme dont vous avez vu l’annonce au début de ce numéro de notre blogue / bulletin / machin.
En ce qui concerne la lointaine Océanie, la présence de tracteurs Beeman peut être datée au plus tard d’octobre 1919, en Australie.
Malheureusement, Beeman décède en avril 1935. Il n’a que 64 ans.
Prenez bien soin de vous, ami(e) lectrice ou lecteur, car l’hiver vient. Cela étant dit (tapé?), ne perdez pas la tête. Désolé.
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