Un des pionniers de la science agricole au Québec et au Canada: Isidore Joseph Amédée Marsan
En tant que membre de l’espèce Homo sapiens, ou homme sage en français, un oxymore des oxymores s’il en est un, ami(e) lectrice ou lecteur, vous devez manger pour survivre. L’agriculture joue un rôle crucial dans cette survie de l’humanité qui devient au fil du temps une croissance de population quasi-exponentielle qui menace l’équilibre, voire peut-être la survie de l’écosystème terrestre.
J’aimerais partager quelques mots avec vous aujourd’hui sur un des pionniers de la science agricole au Québec et au Canada.
Isidore Joseph Amédée Marsan, dit Lapierre, voit le jour dans une famille d’agriculteurs à Saint-Roch-d’Achigan, l’actuel Saint-Roch-de-l’Achigan, un village près de L’Assomption, Canada-Uni, en juillet 1844. Aux dires d’un biographe / hagiographe, Marsan s’intéresse à l’agriculture avant même d’accéder à l’adolescence. Il commence en effet à interroger des agriculteurs âgés de son voisinage dès les années 1857-58.
Croiriez-vous que ce garçon brillant partage les corridors du Collège de l’Assomption à L’Assomption avec des personnalités québécoises bien connues telles que Henri Charles Wilfrid Laurier, le premier premier ministre francophone du Canada (1896-1911) et un gentilhomme mentionné dans des numéros de juillet 2019, novembre 2020 et mai 2021 de notre blogue / bulletin / machin?
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, votre humble serviteur se demande lui-aussi comment un agriculteur parvient à payer les études d’un de ses fils dans un collège classique.
Un collège classique des années 1860, soit dit en passant, est un établissement d’enseignement de niveau secondaire contrôlé par l’église catholique, apostolique et romaine fréquenté par la descendance masculine des élites québécoises qui permet à la dite descendance d’accéder à l'université pour devenir prêtres ou, plus vraisemblablement, docteurs ou avocats. Le premier collège classique entièrement féminin ouvre ses portes en 1908. À titre de comparaison, le premier collège classique entièrement masculin ouvre ses portes en 1635, et vive le patriarcat. La refonte attendue de longue date du système éducatif québécois dans les années 1960 entraîne la disparition des collèges classiques, mais revenons à notre histoire.
Une fois son cours classique terminé et après une cléricature fort réussie dans le bureau d’un juge de la Cour supérieure, une brillante carrière d’avocat commence pour Marsan et… Et non, cette carrière dans le temple de la chicane ne commence pas. À la surprise de plusieurs de ses amis qui croient qu’il a complètement perdu la boule, Marsan décide de faire carrière en agriculture.
À la demande (?) de la direction du Collège de l’Assomption, sur les conseils du membre de l’Assemblée législative du Canada-Uni pour L’Assomption, le notaire Louis Archambeault, Marsan entreprend des études à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la Pocatière, à Sainte-Anne-de-la Pocatière, Canada-Uni. Il fréquente cette première institution du genre (1859) au Canada-Uni / Canada, et une des premières en Amérique du Nord, pendant un an, soit en 1866-67.
L’École d’agriculture de l’Assomption ayant vu le jour à l’automne 1867, grâce aux efforts du Collège de l’Assomption et d’Archambeault, alors commissaire / ministre de l’Agriculture et des Travaux publics du Québec (juillet 1867-septembre 1874), Marsan y décroche les postes de directeur technique et professeur – un décrochage somme toute fort simple, ces postes lui ayant été pour ainsi dire promis avant qu’il ne mette les pieds dans cette institution où il va enseigner pendant plus de 30 ans en tant que seul et unique professeur d’agriculture.
L’École d’agriculture de l’Assomption est-elle la seconde institution du genre au Canada-Uni / Canada, ami(e) lectrice ou lecteur? Oui, il s’agit bien d’un test. Veuillez répondre à la question? Non, dites-vous? Vous avez répondu au pif, n’est-ce pas? Et bien vous avez raison de répondre non. Deux autres écoles d’agriculture voient le jour dans la partie du Canada-Uni connue aujourd’hui sous le nom de Québec entre 1859 et 1867, soit celles de Varennes (1860-61) et Sainte-Thérèse (1863-65). L’une et l’autre disparaissent pour cause de manque de pognon, une bonne partie du dit pognon provenant de l’état, et / ou de manque d’étudiants.
En effet, plusieurs paters familias canadiens-unis ne veulent pas perdre l’usage des bras vigoureux d’un de leurs fils aînés assis sur un banc d’école. Pis encore, ils ne croient pas qu’on ait besoin d’user ses fonds de culottes sur ce même banc pour labourer un champ ou pelleter du fumier – un dédain de l’éducation partagé par plusieurs paters familias qui travaillent en usine, mais je digresse.
Certains étudiants des écoles d’agriculture finissent par ailleurs à en avoir ras le pompon de subir les regards condescendants des étudiants aux mains non-calleuses et habits propres des collèges classiques de Sainte-Anne-de-la Pocatière, Varennes, Sainte-Thérèse et L’Assomption, situés à 2 pas des dites écoles.
Croiriez-vous que le nombre d’étudiants des écoles d’agriculture de Sainte-Anne-de-la Pocatière ou de L’Assomption se compte sur les doigts de 3, 2 ou 1 main(s) au cours des années 1860 et 1870? Mais revenons à notre histoire.
En mars 1868, la Chambre d’agriculture du Bas-Canada, un organisme créé en 1852 pour assister le commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics, octroie à Marsan un brevet lui permettant d’enseigner l’agriculture. Du coup, cet ingénieur agricole devient membre d’office de la dite chambre. Marsan participe aux activités de la Chambre d’agriculture du Bas-Canada et de l’organisme qui la remplace, le Conseil d’agriculture de Québec, jusqu’en 1896.
Il est à noter que l’agriculture n’est pas la seule matière que Marsan enseigne à l’École d’agriculture de l’Assomption. Il donne en effet des cours de géométrie et d’arithmétique.
Veuillez évidemment noter que Marsan n’est pas le seul membre du corps professoral de l’École d’agriculture de l’Assomption. Nenni. Il y a aussi des professeurs d’anglais, d’art vétérinaire et de droit rural.
La formation offerte aux adolescents de 15 ans et plus, avant tout des fils d’agriculteurs, dure 2 ans. De retour chez eux, ces jeunes gens mettent à profit les connaissances acquises et, du moins l’espèrent-on, transmettent peu à peu les dites connaissances à leurs voisins.
En 1876, Marsan se voit confier le poste de régisseur d’une ferme attaché à l’École d’agriculture de l’Assomption. Le gouvernement du Québec dans sa grande sagesse ne juge pas nécessaire de payer le salaire d’un tel régisseur. Marsan occupe ce second poste jusque vers octobre 1895.
Le Collège de L’Assomption commence à acquérir des terres agricoles vers 1854. Cette Ferme du Portage devient vite une ferme modèle.
Avant que je ne l’oublie, Marsan compte parmi ses nombreux amis nul autre que le « roi du Nord, » le prêtre catholique québécois François Xavier Antoine Labelle, un personnage clé dans l’histoire de la région des Laurentides, au nord du fleuve Saint-Laurent.
Marsan compte par ailleurs parmi les personnages influents qui appuient la création d’un réseau de fermes expérimentales un peu partout au Canada, soit
- la Ferme expérimentale centrale, près de Ottawa, Ontario, fondée en 1886 – là où se trouve aujourd’hui, en 2021, le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada (Bonjour, WK!), une institution sœur du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, et
- 4 fermes expérimentales régionales, fondées en 1887-88 : Nappan, Nouvelle-Écosse, Indian Head, Territoires du Nord-Ouest (Saskatchewan en 2021), Brandon, Manitoba et Agassiz, Colombie-Britannique.
Marsan est nommé conférencier en matière d’agriculture en 1892. En 1900, on lui accorde également le poste (rémunéré?) de secrétaire-rapporteur de la commission des juges du concours de l’Ordre du Mérite agricole. De fait, Marsan compte évidemment parmi les juges de cet ordre honorifique québécois institué en 1889 par le premier ministre Honoré Mercier et directement inspiré par l’Ordre du mérite agricole institué en France en juillet 1883.
De par les fonctions qu’il cumule et accumule au fil des décennies, sans grand avantage financier semble-t-il, Marsan visite des centaines d’agriculteurs dans pour ainsi dire toutes les régions du Québec de l’époque.
Et oui, la superficie totale du Québec en 1901, la première année du 20ème siècle, si, si, la première, est passablement inférieure à sa superficie en 2021. Pour ainsi dire tout le territoire au nord du 53ème parallèle, autrement dit le Labrador et le district d’Ungava, font en effet partie de la colonie britannique de Terre-Neuve ou des Territoires du Nord-Ouest, un territoire (colonial ?) canadien. C’est en 1912 que le gouvernement fédéral transfère le dit district au Québec, à l’exception des îles situées le long des côtes.
En 1927, comme vous le savez, un des plus hauts tribunaux britanniques, le Judicial Committee of the Privy Council, transfère une partie du territoire labradorien québécois à Terre-Neuve, qui est alors un dominion – une décision rejetée par tous les gouvernements du Québec depuis cette date, mais revenons à notre histoire.
De par les fonctions qu’il cumule et accumule au fil des décennies, sans grand avantage financier semble-t-il, Marsan visite la plupart des régions du Québec. Il acquiert ainsi une connaissance des sols et de l’agriculture québécoise tout à fait inégalée.
Préoccupé par le nombre élevé de fermes écoles aux ressources limitées en sol québécois, le gouvernement dirigé par le susmentionné Mercier réduit les sommes allouées à l’École d’agriculture de l’Assomption à la fin des années 1880 ou au début des années 1890. Impliqué dans un scandale financier, une activité fort peu libérale, le dit gouvernement perd le pouvoir. Ses successeurs du parti d’opposition rétablissent le financement dont l’école a besoin. Le retour au pouvoir du parti de Mercier, décédé en octobre 1894, vient toutefois changer la donne.
Soucieux de centraliser l’enseignement agricole à Sainte-Anne-de-la Pocatière et à Oka, Québec, où une école d’agriculture éponyme ouvre ses portes en 1893, le gouvernement du Québec décrète la fermeture de l’École d’agriculture de l’Assomption en 1899. D’aucuns voient dans cette fermeture une décision politique.
En 32 ans d’existence, l’École d’agriculture de l’Assomption offre des cours à environ 625 étudiants.
Marsan se joint au personnel enseignant de l’École d’agriculture d’Oka vers septembre 1903. Initialement conférencier, il devient directeur des études agricoles et professeur attitré avant d’accéder au poste de directeur scientifique, en 1908. Marsan obtient cette promotion au moment où l’école se voit affiliée à l’Université Laval à Montréal, l’annexe montréalaise de l’Université Laval de Québec, Québec, créée en 1878 avec la bénédiction du pape Pius IX, né Giovanni Maria Mastai Ferretti, auquel nous devons le dogme de l’infaillibilité papale (1870). Du coup, l’École d’agriculture d’Oka devient l’Institut agricole d’Oka – un changement de statut qui ne change en rien les piètres conditions de travail du personnel. Enfin, passons.
Le professeur et directeur Marsan et ses collègues forment la première génération d’agronomes québécois.
En 1916, l’Université Laval (à Montréal ?) remet à Marsan le premier doctorat en sciences agricoles au Québec.
Marsan prend sa retraite en 1921, l’année où il reçoit le diplôme de très grand mérite spécial de l’Ordre du Mérite agricole.
Reconnu pour ses talents de pédagogue et de conférencier, Marsan fait largement appel aux connaissances acquises lors de ses nombreux voyages un peu partout au Québec dans ses cours et conférences. Soucieux de donner à ses étudiants des exemples concrets de ce qu’il enseigne en classe, il les entraîne sur le terrain, et ce tant à Oka même que dans les environs.
Aussi favorable qu’il soit à la science, Marsan demeure néanmoins un Homo sapiens de son temps. Sa conception de l’agriculture et de l’agriculteur est tout à fait traditionnelle, par exemple. Il préfère l’autarcie des familles agricoles à l’achat de produits en magasins. Marsan préfère aussi voir ses compatriotes œuvrer en agriculture à la campagne plutôt qu’en usine en ville.
Marsan décède en avril 1924, à l’âge de 79 ans. Aux dires de plusieurs, il meurt pauvre. Près de 55 ans de dévouement ne semblent pas compter pour grand-chose à Québec et au Québec à l’époque. Désolé. Désolé.
À plus.