« Un serpent de mer sans affidavit, c’est comme une dinde rôtie sans sauce aux canneberges; » Ou, Comment la famille Larocque a créé la première atocatière du Québec, partie 2
Bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur, et bienvenue dans cette seconde partie de notre article sur la première atocatière / marécage à canneberges / marais à canneberges / tourbière à pommes de pré au Québec. Vous vous souviendrez bien sûr que cette entreprise pionnière est l’œuvre de Jean Baptiste Edgar Larocque, fondateur de Les Producteurs de Québec Limitée de Lemieux, Québec.
Au début de novembre 1940, l’expérience lancée par ce gentilhomme aboutit à l’organisation d’un centre de production de canneberges capable de répondre (en partie?) aux besoins du marché québécois, ou c’est ce que déclare le chef du Service d’horticulture du ministère de l’Agriculture du Québec. Si votre humble serviteur lit bien ce que dit Joseph-Henri Lavoie ce jour-là, une ferme expérimentale / ferme-école en quelque sorte est créée à Lemieux, sous la direction de Larocque. Cette ferme serait exploitée conformément à une entente signée au plus tard en mars 1940 par le gouvernement fédéral et celui du Québec.
Je sais, je sais. Un gouvernement provincial qui coopère avec le gouvernement fédéral. Ça n’est pas dingue, ça? Désolé, désolé.
Il est à noter que le premier ministre du Québec en 1940, Joseph-Adélard Godbout, lui-même agronome, appuie fortement les efforts de Larocque. Incidemment, Godbout est aussi son propre ministre de l’Agriculture, ainsi que son propre ministre de la Colonisation. Un gars occupé…
L’équipe de Lemieux a cependant une petite frayeur au printemps 1942, lorsque les eaux du lac Soulard, la principale source d’H2O de l’atocatière, y transportent des tiges de prêles des champs. L’huile de chauffage et la saumure pulvérisées par les ouvriers anéantissent rapidement les fichues équisétacées. Remarquez, ce traitement anéantit peut-être également bon nombre, sinon la plupart des plants de canneberges.
Et oui, la firme de Larocque récolte sa première récolte en 1943. Cela étant dit (tapé?), cette première récolte, récoltée à la main, n’est pas aussi importante qu’espérée. On pourrait dire que la première récolte satisfaisante est récoltée en 1944.
À ce moment-là, Les Producteurs de Québec a englouti quelque chose comme 100 000 $ dans son atocatière, une somme qui correspond à environ 1 900 000 $ en devise de 2023. Selon certaines sources, la somme engloutie aurait atteint 135 000 $, soit 2 550 000 $ en devises de 2023. Cette seconde somme peut avoir inclus une reconstruction coûteuse du système de gestion de l’eau de l’atocatière.
Larocque reconnaît volontiers l’utilité des conseils fournis en 1944-45 par quelques producteurs de canneberges du Massachusetts.
Aussi profondes qu’elles puissent être, les poches de Larocque ne sont en aucun cas assez profondes pour fournir tout ce pognon. Désireux d’ajouter un nouveau produit agricole à sa corne d’abondance, le gouvernement du Québec lui accorde une importante somme d’argent à un moment donné à la fin des années 1930. Remarquez, cette subvention n’est peut-être pas la seule que Les Producteurs de Québec reçoit au fil des ans.
Remarquez, le gouvernement sait que les Canadiennes et Canadiens achètent de grandes quantités de canneberges américaines. N’acquérir qu’une fraction de ce marché, valant entre 200 000 $ et 300 000 $ au Québec et jusqu’à 700 000 $ pour l’ensemble du Canada vers 1938-39, des sommes qui correspondent à entre 4 050 000 $ et 6 100 000 $ en Québec et jusqu’à 14 200 000 $ pour l’ensemble du Canada en devises de 2023, vaut bien le risque, surtout en temps de guerre. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, le gouvernement du Québec sait que le gouvernement fédéral fait tout ce qu’il peut pour minimiser les importations de produits de consommation intérieure.
Le gouvernement du Québec est d’autant plus disposé à aider Les Producteurs de Québec que la canneberge n’est pas la seule flèche dans le carquois de cette firme. Voyez-vous, Larocque fait quelques promesses afin d’obtenir la subvention du gouvernement – et il tient parole.
Au plus tard en 1942, sa firme ne teste pas moins de 20 variétés de bleuets pour voir laquelle ou lesquelles poussent le mieux sur ses terres. Elle peut également avoir testé diverses variétés de pommes de terre, oignons et carottes. Mieux encore, Les Producteurs de Québec érige sur sa propriété un entrepôt à la fine pointe de la technologie, un entrepôt où les agriculteurs des environs peuvent entreposer leurs produits gratuitement jusqu’à l’hiver, alors que les légumes peuvent être vendus à un prix plus élevé. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, si les dits agriculteurs le désirent, les produits en question seraient les variétés de fruits et / ou légumes jugées les meilleures par Les Producteurs de Québec.
Le fait que la firme emploie pas mal de personnes (de 40 à 50?) au moment des récoltes dans une région où les revenus de l’agriculture sont insuffisants pour nourrir une famille est la proverbiale cerise sur le gâteau du gouvernement du Québec.
Seriez-vous intéressé(e) à voir un portrait du fondateur de Les Producteurs de Québec, ami(e) lectrice ou lecteur? Oui? Vermouilleux. En voici un…
Page couverture d’un article sur Jean Baptiste Edgar Larocque et son atocatière, qui comprend un portrait de ce gentilhomme. Jean Robitaille, « Les oxycoccos du Québec. » La Revue moderne, décembre 1944, 16.
Oxycoccos, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Si, oxycoccos. Vaccinium oxycoccos est le nom scientifique de la canneberge / myrtille des marais, une espèce que l’on trouve dans les régions du nord de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique. Une espèce très proche de Vaccinium macrocarpon, autrement dit la pomme de pré / mocauque / canneberge à gros fruits / grande canneberge / baie de grue / gros atoca / airelle à gros fruits cultivée par Larocque.
Parlant (tapant?) d’oxycoccos, si votre humble serviteur peut se permettre de faire une digression un instant, seulement un instant, un événement rare vous l’admettrez, vous joindrez-vous à moi pour une brève escapade le long du chemin de la mémoire à un moment donné dans les années 1930, je pense, à Joliette, Québec, je pense, encore? Nous devons rencontrer la direction d’un couvent d’une congrégation catholique, apostolique et romaine, les Filles de la charité, servantes des pauvres, plus connues sous le nom de Sœurs de la Charité de la Providence. Ces dames tiennent alors leur banquet annuel de fin d’année au profit des démuni(e)s.
Un des items au menu est, et je cite, dans le français gastronomique d’origine, de la dinde aux oxycoccos. Celles et ceux parmi les quelque 300 convives, toutes et tous membres des élites laïques et religieuses locales, qui prennent la peine de lire le dit menu sont perplexes, voire quelque peu préoccupé(e)s par cet item. La perplexité et / ou préoccupation grandissent à mesure que de plus en plus de convives entendent parler du plat principal oxycoccien.
Comme vous pouvez bien l’imaginer, il y a beaucoup d’hilarité lorsque les orphelines et orphelins, si, les orphelines er orphelins, qui ont servi l’apéritif, la soupe et l’entrée se présentent avec le dit plat principal, qui est bien sûr de la dinde aux canneberges, mais revenons à notre histoire.
Au plus tard en 1953, Les Producteurs de Québec sont dirigés par un des fils de Larocque, Charles Larocque. De fait, ce dernier aurait obtenu le poste en 1950. Le frère de Charles Larocque, Lucien Larocque, dirige la firme familiale d’importation et distribution de fruits, E. Larocque & Fils (Enregistrée?). Leur père, semi-retraité à l’époque, élève des animaux de ferme à un ou quelques endroits, plus ou moins comme passe-temps.
Le quintette de champs, d’une superficie totale d’environ 16 hectares (environ 40 acres), cultivés en 1953 par Les Producteurs de Québec produit environ 80 000 kilogrammes (environ 180 000 livres) de canneberges. Cette atocatière peut, je répète peut, être la plus grande et la plus productive du Canada.
Et oui, la production de cette atocatière, apparemment unique au Québec, ne représente qu’un faible pourcentage des canneberges consommées dans cette province à l’époque. La plupart de ces fruits proviennent encore de l’Ontario et, peut-être, de la Nouvelle-Écosse et, plus encore, des États-Unis.
Et si vous pensez que la production à l’hectare (environ 5 000 kilogrammes) de Les Producteurs de Québec, qui correspond à environ 4 500 livres par acre, est impressionnante, permettez-moi de préciser que la production moyenne, si, moyenne, d’une atocatière américaine gravite autour d’environ 5 550 kilogrammes par hectare (environ 5 000 livres par acre).
Au fur et à mesure que les canneberges poussent dans les champs, le personnel de Les Producteurs de Québec vérifie fréquemment la température et l’humidité à l’aide de thermomètres et hygromètres. Il utilise également des filets à papillons pour voir si de méchantes pestes sont présentes. Si tel est le cas, des pesticides sont utilisés.
Les quelque 80 000 kilogrammes (environ 180 000 livres) de canneberges présentes dans les champs de Les Producteurs de Québec ne sont pas cueillies à la main. Nenni. Un outil spécial, connu sous le nom de récolteuse à dents / peigne soucoupe / écope à manche court, est utilisé à cette fin. Un tel outil peut être vu sur la photo de gauche au début de la première partie de cet article, et… Oui, ami(e) lectrice ou lecteur, il y a plus d’un outil utilisé.
Chacun des outils utilisés par les 40 à 50 hommes embauchés par Les Producteurs de Québec au plus fort de la récolte peut transporter jusqu’à environ 6.8 kilogrammes (environ 15 livres) de canneberges. Un de ces travailleurs temporaires peut facilement récolter près d’environ 23 kilogrammes (environ 50 livres) de fruits en une seule heure. Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur, l’outil en question ressemble un tantinet au bac d’une pelle mécanique / pelleteuse miniature.
Il va sans dire qu’un certain nombre de canneberges tombent des plants lors du passage des travailleurs dans les champs. Pour ramasser ces fruits tombés, les champs sont inondés. Si, si, inondés. Voyez-vous, les canneberges contiennent de grands espaces vides qui leur permettent de flotter. Ces canneberges flottantes sont doucement ratissées dans un coin du champ où elles sont ramassées à l’aide d’un autre outil spécial. Si, ami(e) lectrice ou lecteur observatrice / observateur, celui de la photo de droite au début de la première partie de cet article. Remarquez, une sorte d’outil flambant neuf, un véhicule peut-être, est apparemment introduit au plus tard en 1959.
Incidemment, la version originale de l’un ou l’autre de ces outils, sinon les deux, peut-être, peuvent, je répète peuvent, être développée au 19ème siècle, je pense, par un ou quelques employés de A.D. Makepeace Company, une firme américaine mentionnée dans le 1ère partie de cet article étonnamment long.
Quoi qu’il en soit, les fruits ramassés par les employés de Les Producteurs de Québec sont ensuite mis en caisses, lavés et tamisés afin d’être emballés selon leur taille.
À première vue, les champs de Les Producteurs de Québec contiennent 3 variétés distinctes de canneberges en 1953-54 :
- une variété précoce, la Early Black, développée vers 1852 à Harwich, Massachusetts, par Cyrus Cahoon,
- une variété régulière, la Searles Jumbo, développée vers 1893 à Grand Rapids, Wisconsin, par Andrew Searles, et
- une variété tardive, la Howes, développée vers 1843 à East Dennis, Massachusetts, par Eli Howes et, peut-être, son fils, James Paine Howes.
La présence de ce trio de variétés permet à Les Producteurs de Québec de livrer des canneberges aussi tôt et aussi tard dans la saison qu’on peut l’imaginer.
Une brève digression si je peux me le permettre. La canneberge Early Black peut, je répète peut, être découverte par l’épouse de Cahoon, Lettice Cahoon, sur un terrain appartenant à un capitaine au long cours du nom de Nathaniel Robbins. Incidemment, Cahoon est lui capitaine au long cours, mais revenons à notre histoire.
Les plants de canneberge cultivés par Les Producteurs de Québec sont implantés mécaniquement dans le sol, après avoir été placés à la surface de ce sol, peut-être manuellement.
Qu’est-ce que Les Producteurs de Québec fait de ses canneberges en 1953, me demanderez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur gourmet? Eh bien, les fruits frais vont à Montréal, Québec, Québec, Québec, et Ottawa, Ontario. Et oui, elles y vont en camion. Les fruits qui doivent être mis en conserve voyagent probablement aussi par camion. Ils vont dans une usine appartenant à Lucien Beaudin, à Saint-Jean-d’Iberville, Québec, et sont commercialisés sous la marque Elbée. Une partie de la production va apparemment aux États-Unis. Sous quelle forme, votre humble serviteur ne peut le dire.
Les Producteurs de Québec est vraisemblablement un des rares membres canadiens d’une coopérative appartenant à des producteurs de canneberges nord-américains. Plusieurs / la plupart des membres de cette organisation, le American Cranberry Exchange, devenu Eatmor Cranberries Incorporated en avril 1953, vendent vraisemblablement leurs canneberges sous la marque Eatmor. Incidemment, Les Producteurs de Québec se joint au American Cranberry Exchange en août 1946.
Incidemment, encore, elle rejoint la National Cranberry Association en 1954. Le nom de cette organisation ne vous dit peut-être rien, ami(e) lectrice ou lecteur, à moins que vous ne sachiez qu’elle devient Ocean Spray Cranberries Incorporated en août 1959. Si, si, cette Ocean Spray-là.
Remarquez, il est également possible que l’association à laquelle Les Producteurs de Québec se joint en 1954 soit en fait Ocean Spray Canada Limited, une coopérative qui peut, je répète peut, être basée à… Saint-Jean-d’Iberville. Ocean Spray Canada, une filiale de Ocean Spray Cranberries, qui est également une coopérative, existe au moins jusqu’en 2006, mais peut être basée alors à Langley, Colombie-Britannique, ce qui est très logique étant donné que la grande majorité des canneberges produites au Canada à l’époque provient de cette province.
Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur, Harwich et East Dennis sont situées dans la région du cap Cod.
Compte tenu de la présence fortuite et fréquente de cette région du Massachusetts dans les numéros cannebergiens de notre glorieux blogue / bulletin / machin, vous vous demandez sans doute si, comme le célèbre capitaine Jack Sparrow, un gentilhomme (?) mentionné dans plusieurs numéros du dit blogue / bulletin / machin depuis septembre 2018, votre humble serviteur écrit un plan à l’avance, ou improvise au fur et à mesure. Un gentilhomme ne dit jamais rien, dit-on, et le non gentilhomme qu’est votre humble serviteur fera de même aujourd’hui.
Cela étant dit (tapé?), l’adoption par la direction de Les Producteurs de Québec des méthodes de culture utilisées par les producteurs de canneberges de la région du cap Cod se révèle finalement être une erreur. Le sol et le climat des atocatières du Wisconsin s’avèrent beaucoup plus similaires à ceux de Lemieux qu’à ceux du Massachusetts. Le changement est apparemment en cours en 1953. Et oui, la rentabilité de la firme s’améliore grandement à partir de 1955.
Incidemment, un gentilhomme du nom d’Edward Sackett est le pionnier de la culture des canneberges au Wisconsin. Il le fait vers 1860, près de Berlin, Wisconsin, et…
Vous savez quoi, ami(e) lectrice ou lecteur, votre humble serviteur se sent un peu plus paresseux que d’habitude. Pourquoi ne pas transformer ce qui se dirigeait vers une division en 2 parties en une division en 3 parties? Avons-nous un accord? Vermouilleux!
À plus, afin de parcourir la partie 3. Et toutes mes excuses pour avoir concocté un texte aussi long et verbeux.
Bazinga.
Incidemment, saviez-vous qu’une espèce d’abeille brésilienne mal identifiée en 1874 par le célèbre entomologiste anglais Frederick Smith de ce qui est alors le British Museum de Londres, Angleterre, est identifiée comme une espèce distincte par un professeur de zoologie brésilien et un de ses étudiants de maîtrise, qui la baptisent Euglossa bazinga en 2012? Je ne plaisante pas.
Fait intéressant, le studio américain de cinéma et divertissement à l’origine de la très populaire série télévisée américaine The Big Bang Theory, en d’autres mots Warner Brothers Entertainment Incorporated, envoie les documents requis pour déposer le célèbre maître-mot sheldonien en janvier 2011. Cette marque déposée entre en vigueur en avril 2012. Non, pas le 1er avril.
Ironie du sort, Sheldon Lee « Shelly » Cooper est allergique aux piqûres d’abeilles.
Et oui, ce personnage inoubliable et à peine supportable est mentionné à plusieurs reprises dans notre tout aussi inoubliable mais très supportable blogue / bulletin / machin depuis janvier 2019.