« À travers les nuages, je vois voler mon ombre: » Quelques mots sur Gertrude Dugal, la première Québécoise francophone ayant obtenu une licence de pilote – à moins que ce ne soit quelqu’un d’autre
Aimez-vous Pink Floyd, ami(e) lectrice ou lecteur? Je dois avouer beaucoup aimer leur musique, y compris la très populaire chanson Learning to Fly de 1987. Cette œuvre est on ne peut appropriée vu le sujet que votre humble serviteur souhaite aborder aujourd’hui.
Et oui, je serai bref. Très bref. Promis juré.
Notre histoire commence à Montréal, Québec, à une date malheureusement indéterminée, pendant la Première Guerre mondiale peut-être, avec la naissance de Gertrude Dugal. Au cours des années 1930, la jeune fille suit un cours commercial à Villa Maria, une institution privée pour jeunes filles de bonnes familles située à Montréal. En 1939, Dugal complète un baccalauréat en journalisme à l’Université de Montréal. Souhaitant travailler pour une maison de commerce, elle suit par la suite un cours (par correspondance?) de sténotypie offert par La Salle Extension University de Chicago, Illinois. L’éducation de Dugal est-elle quelque peu atypique pour une Québécoise francophone de l’époque? Oui, elle l’est.
Dugal décroche son premier emploi, en tant que sténotypiste et traductrice, pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle travaille alors pour la Commission des prix et du commerce en temps de guerre – un organisme pour lequel son père, Armand Joseph Dugal, œuvre gratuitement pendant environ 4 ans (1941-45).
Pendant ses temps libres, Dugal travaille pour le Corps de la Croix-Rouge canadienne – un bénévolat qui se poursuit pendant plusieurs années après la fin du conflit.
En 1945, elle se joint au personnel du Consulado General de la República Bolivariana de Venezuela en Montréal, en tant que secrétaire. La santé défaillante de sa mère, Diana Dugal, née Lecours, la force à quitter ce poste.
Dugal se découvre une passion pour le vol vers cette époque, peut-être à la suite d’un vol à bord d’un avion de ligne en 1946. Elle contacte une école de pilotage fondée au plus tard en avril 1946 à Cartierville, Québec, Laurentide Flying School (Incorporated?), devenue Laurentide Aviation Limited en mars 1949. Dugal entame sa formation au cours de l’été 1946. Elle est fort probablement une des premières personnes et la première dame formée par les instructeurs de cette firme formée par un trio d’Anglo-Canadiens, des frères en fait, Jack, Robert et Donald Scholefield, venus au Québec vers 1925-26, avec leurs parents, alors qu’ils sont enfants.
Croiriez-vous que l’aîné du trio, Jack Scholefield, pilote dans l’Aviation royale du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale, tout comme son frère Robert d’ailleurs, est le président du Montreal Council for the Golden Anniversary of Flight in Canada, un conseil créé en juin 1958 pour coordonner les activités montréalaises entourant le 50ème anniversaire du premier vol soutenu et contrôlé d’un aéroplane à moteur en sol canadien, réalisé en février 1909 par le AEA Aerodrome No 4 Silver Dart? Cette coordination s’effectue en collaboration avec le National Co-ordinating Council for the Golden Anniversary of Flight in Canada.
Avant que je ne l’oublie, Donald Scholefield sert dans la Marine royale du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et oui, vous avez bien raison, ami(e) lectrice ou lecteur, la réplique du Silver Dart qui vole en février 1959 pour commémorer le dit 50ème anniversaire se trouve au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario. Le monde est petit, n’est-ce pas? Revenons donc à notre histoire et à l’année 1947, mais pas tout de suite.
En effet, croiriez-vous que Laurentide Flying School compte parmi son personnel une des cinq instructrices active en territoire canadien et la seule en sol québécois? Alors âgée de 23 ans, Gloria Kathleen « Sally » Large est peut-être une vétérane de la seconde Guerre mondiale. Si, si, une vétérane. Cette jeune femme originaire de Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard, est une rares Canadiennes qui s’enrôle en tant que pilote au sein du Air Transport Auxiliary (ATA), une organisation civile créée en 1939 pour transporter du courrier, du personnel, des fournitures, etc. destinées aux forces armées britanniques dans les îles britanniques. Le ATA est bientôt chargé du convoyage des aéronefs neufs, réparés et endommagés de la Royal Air Force (RAF) et de la Fleet Air Arm de la Royal Navy entre les diverses usines, unités de maintenance et bases. Le ATA s’avère pour ainsi dire indispensable tout au long de la Seconde Guerre mondiale, mais je digresse. Encore.
Large est de retour au Canada en juin 1943. L’ampleur de ses activités au sein du ATA est pour ainsi dire inconnue.
Seriez-vous intéressé(e) de lire que le père de Large, Heber Rowan Large, est pilote de chasse dans le Royal Flying Corps et la RAF pendant la Première Guerre mondiale? Il accepte, peut-être sans trop d’enthousiasme, que sa fille parte en Californie vers 1939-40, alors qu’elle n’a que 15 ou 16 ans (!), pour poursuivre ses études. Là-bas, Large commence à prendre des cours de pilotage. Large s’avère très douée. Elle aurait terminé sa formation de pilote en Ontario en 1942 et obtenu sa licence, mais revenons à Cartierville.
Dugal passe en vol solo après 18 heures d’apprentissage. Elle passe haut la main l’examen écrit et les épreuves aériennes du ministère des Transports. Dugal obtient sa licence de pilote en mars 1947. Comme il est dit (tapé?) au début de ce texte, elle est la première Québécoise francophone à obtenir une telle licence – ou pas.
Voyez-vous, Dugal n’est pas la première Québécoise francophone à obtenir une licence de pilote. Nenni. Cet honneur appartient apparemment à Rose-Alma Gilbert, née Gaudreau. Cette dame voit le jour en mars 1895, à Saint-Mathieu-de-Rioux, Québec. Ne voulant pas passer sa vie dans un quelconque village isolé, Gaudreau déménage aux États-Unis pendant son adolescence, pour apprendre l’anglais et vivre un peu. Elle revient au Canada en 1921.
Peu de temps après, Gaudreau épouse un employé d’une société de chemin de fer qui devient gérant d’une gare isolée en Ontario. De plus en plus frustrée par l’isolement, elle apprend à opérer le télégraphe de la gare. Et non, les opératrices de télégraphe ne courent pas les rues à l’époque. Ses années de vie en pleine forêt finissent toutefois par ruiner l’esprit de l’époux de Gaudreau. Le couple divorce.
Gaudreau déménage à Vancouver, Colombie-Britannique, en 1927. Elle y rencontre un pilote, Frank W. Gilbert. L’ordre dans lequel se succèdent les événements subséquents dans la vie de de Gaudreau est pour le moins confus, du moins pour moi. Elle épouse Gilbert en 1928 ou 1930 par exemple. En 1930 peut-être, le couple ouvre une petite école de pilotage à l’aéroport de Sea Island, près de Vancouver. Cela étant dit (tapé?), Gilbert Flying Service Limited n’est incorporée qu’en juillet 1941, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage. De fait, la petite firme forme un certain nombre de pilotes qui s’enrôlent par la suite dans l’Aviation royale du Canada, mais revenons au tout début des années 1930.
Initialement responsable de la tenue des livres de la petite école de pilotage, Gaudreau / Gilbert est vite touchée par la fièvre du vol. Elle veut apprendre à piloter. Son époux n’est initialement pas d’accord. Gaudreau / Gilbert n’obtient sa licence de pilote qu’en avril 1934. De plus en plus fascinée par le vol, elle souhaite obtenir une licence de pilote commercial. Son époux ne veut pas en entendre parler.
Au cours de l’automne 1936, Gaudreau / Gilbert s’allie avec un sextuor d’aviatrices de Colombie-Britannique pour fonder un aéroclub féminin – une première canadienne, voire nord-américaine, voire mondiale. Ce groupe ne tarde à être baptisé les Flying Seven. Gaudreau / Gilbert est sa première présidente. Encouragée par ses nouvelles amies, elle défie son époux et obtient sa licence de pilote commercial, en septembre 1941. Des mesures de rationnement de l’essence mises en place en avril 1942 par le gouvernement fédéral mettent fin au rêve de Gaudreau / Gilbert d’obtenir sa licence d’instructrice. Ces mesures, couplées à la désapprobation de son époux à l’égard de ses activités de vol, peuvent bien l’avoir clouée au sol.
Gilbert vend Gilbert Flying Service en 1945. Acheté, renommé et fusionné à moult reprises au fil des ans, ce petit transporteur aérien compte parmi les firmes qui donnent éventuellement naissance à Jazz Aviation Limited Partnerships de Halifax Nouvelle-Écosse, une filiale de Chorus Aviation Incorporated de Dartmouth, Nouvelle-Écosse.
Au moment où la Seconde Guerre mondiale prend fin, en 1945, Gaudreau / Gilbert et son époux ne sont pas en bons termes. Ils finissent par divorcer. Forcée de se débrouiller seule, Gaudreau œuvre initialement dans le secteur immobilier avant de joindre le personnel d’un magasin de fourrures. Elle décède en juillet 1994 à l’âge de 99 ans, mais revenons à notre histoire.
Est-ce que Dugal a Large comme instructrice, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? C’est fort possible. Large a en effet quelques élèves pilotes féminines au plus tard en août 1947, mais je digresse.
Comme vous pouvez l’imaginer, le succès de Dugal ne passe pas inaperçu. L’hebdomadaire montréalais Photo-Journal place une assez grande photographie de Dugal avec un aéronef de Laurentide Flying School en première page d’une édition de mars 1947. Une grande actrice américaine, Myrna Loy, née Myrna Adele Williams, a toutefois droit à une photographie pas mal plus grande.
La Patrie fait mieux encore. Une photographie de Dugal avec un aéronef de Laurentide Flying School occupe en effet l’entièreté de la première page de la section magazine illustré d’une de ses éditions du dimanche parue en mai 1947. Une semaine plus tard, ce grand quotidien montréalais publie un long article consacrée à Dugal. En décembre, La Patrie s’offre le luxe de souligner le retour au pays de Dugal, après un séjour de plus de 2 semaines à Cuba. Une grande photographie la montre avec son père. Dugal était l’invitée du ministre équatorien à Cuba et ex-consul général de l’Équateur à Montréal.
Pour ainsi dire tous les articles de 1947 qui soulignent le succès de Dugal soulignent qu’elle est la fille du vice-président et gérant général d’un magasin à rayons montréalais bien connu, Dupuis Frères Limitée. De fait, c’est en compagnie de son père que Dugal voit sa photographie publiée par l’autre grande quotidien montréalais, La Presse, en février 1948. Dugal père compte parmi les nombreuses personnes qui reçoivent les décorations britanniques accordées environ 19 mois auparavant, en juillet 1946. Il devient ainsi Commander of the Order of the British Empire.
Croiriez-vous que la première Canadienne ayant obtenu une licence de pilote reçoît la dite licence en mars… 1928? Si, si, 1928. Votre humble serviteur ne saurait dire s’il s’agit là d’un exemple de l’arriération de la société québécoise francophone de l’époque mais on est en droit de se poser des questions. Soit dit en passant, c’est le très conservateur Parti libéral du Québec qui se trouve alors au pouvoir. Ce parti contrôle en fait les destinées de la Belle province depuis mai 1897 et va continuer dans ce rôle jusqu’en août 1936.
Avant que je n’oublie de le dire (taper?), la première pilote féminine canadienne est Mary Eileen Vene Vollick, née Riley, le nom de son père biologique. Elle n’a pas encore 20 ans en mars 1928, mais revenons à notre histoire.
Dugal affirme souhaiter faire carrière en aviation en tant qu’instructrice. Elle doit toutefois renoncer à ce rêve plus ou moins rapidement. On peut se demander si elle se voir plus ou moins forcée de prendre soin de sa mère, qui décède en juin 1953, et de son père.
La susmentionnée Large se retrouve dans une situation similaire, quoique pour des raisons différentes. Elle retourne à l’Île-du-Prince-Édouard vers 1948-49 où elle tente de gagner sa vie par divers moyens (vols nolisés, vols forains, épandage des cultures, etc.). Cela ne fonctionne pas trop bien. Les tentatives de Large pour obtenir un emploi auprès de certaines sociétés aériennes canadiennes connaissent encore moins de succès. Tout comme de nombreuses aviatrices canadiennes et étrangères, elle abandonne le vol au début des années 1950. Les écoles de pilotage et transporteurs aériens, dirigés par des Homo sapiens mâles, ne voient pas l’utilité d’engager des femmes, aussi compétentes soient-elles, mais revenons à notre sujet de cette semaine.
Dugal semble devenir agent d’immeubles au plus tard vers la fin des années 1950. On peut se demander si son besoin d’emploi est lié au fait que son père, alors vice-président honoraire de Dupuis Frères, décède en mai 1956. En 1968, Dugal fonde Script Service Enregistrée de Montréal, une firme minuscule (1 employée : Dugal) spécialisée dans la rédaction de textes en français et en anglais. Remarquez, Script Service offre par la suite des services de traduction. Cette petite firme existe encore en 1981.
Dugal demeure indépendante tout au long de sa vie. Elle décède en octobre 1993. Cette dame enjouée aux multiples talents mérite qu’on se souvienne d’elle.
À plus.
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