Amour, délices et cie
Alors que j’amorçais la rédaction de cet article d’importance capitale pour l’avenir du génome humain, si, si, capitale, absolument, quelques notes du thème musical de Amour, délices et cie me sont revenues à l’esprit, après plus de 50 ans. Et le plus fou, c’est que cette émission n’offrait aucun intérêt pour le jeune bollé que j’étais à l’époque – et que je suis encore, en moins jeune bien sûr. La mémoire est une faculté bien étrange, n’est-ce pas. Enfin, passons.
Or donc, bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur. Est-ce que je vous ai manqué? Un peu? Beaucoup? Pas du tout? Je vois. Si c’est comme ça, commençons sans plus attendre notre examen, bien court malheureusement, d’un téléroman aujourd’hui bien oublié, le susmentionné Amour, délices et cie. J’ai trouvé la photo qui orne cet article, par exemple, dans le numéro couvrant la semaine du 18 au 25 juin 1969 de Le Petit Journal, un hebdomadaire de Montréal, Québec, disparu depuis bien des années.
Amour, délices et cie tire son origine du souhait de Télé Métropole Incorporée, un télédiffuseur basé à Montréal, d’offrir à ses téléspectatrices et téléspectateurs une émission légère pour la saison estivale de 1969. Joseph Louis Réal Giguère, un scénariste, comédien et animateur à la radio et à la télévision bien connu, conçoit l’intrigue d’un téléroman musical, selon toute vraisemblance la seconde œuvre de fiction télévisée pour adultes produite au Canada qui touche à l’aviation. Comme nous le savons toutes et tous, la première œuvre de ce type est CF-RCK, une série télévisée mentionnée dans un numéro de novembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin.
L’intrigue de Amour, délices et cie tourne autour du beau roman, de la belle histoire qui lie un pilote de ligne et une agente de bord / hôtesse de l’air à l’emploi d’un transporter aérien canadien fictif, Ouest-Air. Rejetant du revers de la main le règlement qui interdit aux agentes de bord de se marier, les 2 tourtereaux convolent en justes noces dans le plus grand secret. Même leurs meilleurs ami(e)s et collègues ignorent tout de ce mariage. Il va sans dire que le dit secret suscite de nombreux quiproquos.
Le premier épisode de 30 minutes de Amour, délices et cie passe à l’antenne début juin 1969. Si les critiques reconnaissent volontiers que les chansons interprétées par les principaux interprètes, les couleurs de la série, le jeu des acteurs et le son sont agréables, le fait est que l’intrigue et les textes sont fortement parfumés à l’eau de rose. Ces critiques semblent se maintenir au fil des semaines.
Cela étant dit (tapé?), les cotes d’écoute s’avèrent suffisamment importantes pour amener la direction de Télé Métropole à prolonger Amour, délices et cie jusqu’en 1970. De fait, ce téléroman musical se classe au 4e rang parmi les émissions les plus populaires au Québec, avec 700 000 téléspectatrices et téléspectateurs dit-on. Cette bonne nouvelle ne tarde toutefois pas à être suivie par un retrait de l’horaire annoncé avant la fin août 1969. En effet, les 2 personnages principaux du téléroman informent la direction de Télé Métropole qu’elle et ils ont des projets ailleurs qui les intéressent davantage. Fort occupé par des projets divers, Giguère ne proteste pas bien fort.
Dans la plus belle tradition du téléroman, un coup de théâtre vient changer la donne vers la mi-septembre, alors que le 13e et dernier épisode de Amour, délices et cie passe à l’antenne. De nouveaux épisodes de ce téléroman musical seront diffusés au cours de l’été 1970, affirme un représentant de Télé Métropole. Alors que débute la nouvelle année, la situation évolue encore. La société montréalaise ne présenterait en fait que les épisodes filmés en 1969.
Comme nous le savons tous les deux, les émissions canadiennes de type téléroman touchant à l’aviation ne courent pas les rues. Un réseau de télévision américain diffuse les 13 épisodes de Attachez vos ceintures entre avril et juillet 1991, par exemple. Cette coproduction canado-franco-américaine raconte les aventures et mésaventures en sol canadien et en Europe du personnel de Slick Air, une petite société aérienne fictive de Vancouver, Colombie-Britannique. La comédienne ou comédien la plus connue de cette série bien oubliée est nulle autre que Shannon Lee Tweed Simmons, une personnalité canadienne mieux connue pour ses rôles dans un certain nombre de films érotiques et pour sa vie de couple avec la bassiste israélo américain du groupe rock Kiss, Gene Simmons, né Chaim Witz.
Qu’entends-je, ami(e) lectrice ou lecteur? Un soupir de soulagement lié au fait que ce numéro de notre blogue / bulletin / machin est bien court? Détrompez-vous. Je n’en ai pas encore fini avec vous.
Souhaitant voir grandir l’intérêt entourant Amour, délices et cie, Télé Métropole organise un coup fumant en collaboration avec un transporteur aérien régional, Québecair Incorporée. Vers la mi-mai 1969, 3 des principaux interprètes se pointent à l’Aéroport international de Montréal-Dorval. Un d’entre eux, Serge Laprade, prend brièvement les commandes d’un avion de ligne à réaction à court rayon d’action British Aircraft Corporation BAC-111 qui vole vers Québec, Québec, sous la supervision d’un pilote expérimenté bien sûr. Un journaliste recueille sa réaction un peu plus tard.
C’est un thrill tout à fait extraordinaire. Jamais je n’aurais cru que ça m’arriverait. J’avais l’intention de prendre des cours de pilotage. Alors maintenant, plus aucune hésitation. Je meurs d’anxiété. Je me suis découvert une nouvelle passion : les avions! Je sens que cette émission de T.V. sera des plus fantastiques, à mon sens!
Pendant que Laprade fait l’expérience du pilotage, ses camarades de plateau, Francine Moran et Suzanne Valéry, remplacent temporairement les véritables agentes de bord du BAC-111. Elles servent ainsi du café aux 89 passagères et passagers de l’aéronef, complètement ébahi(e)s par leur présence à bord.
Aimeriez-vous lire une péroration sur le BAC-111, courtoisie de votre humble serviteur? Il s’agit d’une question purement rhétorique, bien sûr. Vous allez y goûter que vous le vouliez ou non. Cela étant dit (tapé?), je serai bref.
Le BAC-111, ou BAC 1-11 / One Eleven, doit son origine à un souhait exprimé en 1956 par British European Airways Corporation, une société d’état britannique mentionnée dans des numéros d’août 2017, avril 2018 et février 2019 de notre blogue / bulletin / machin. Celle-ci veut acquérir un avion de ligne à réaction pour complémenter ses avions de ligne turbopropulsés Vickers Viscount, un aéronef mentionné dans le susmentionné numéro d’avril 2018 de notre blogue / bulletin / machin. Hunting Aircraft Limited, une division du Hunting Group, prépare les plans d’un petit biréacteur.
En 1960, soumise à de fortes pressions du gouvernement britannique, Hunting Aircraft se joint à 3 autres avionneurs pour donner naissance à British Aircraft Corporation Limited (BAC). Son projet d’avion de ligne, jugé trop petit, est fortement agrandi. Jugé encore une fois trop petit, ce second jet est agrandi à son tour, donnant naissance au BAC-111. Contrairement à d’autres avions de lignes britanniques de cette époque, cet aéronef n’est pas conçu pour répondre avant tout aux besoins des seuls transporteurs aériens nationaux, ce qui est une bien bonne idée.
Un prototype vole an août 1963. Il s’écrase en octobre avec son équipage. BAC ayant immédiatement modifié l’aéronef, les acheteurs potentiels, tant britanniques qu’étrangers, maintiennent leurs commandes. Le premier vol commercial d’un BAC-111 se déroule en avril 1965. BAC, qui devient British Aerospace Public Limited Company en 1980, fabrique environ 235 exemplaires de cette excellente machine entre 1963 et 1982 – un nombre relativement peu élevé, si je peux me le permettre.
La société d’état roumaine Întreprinderea de Avioane Bucureşti achète les droits de production du BAC-111 en 1979. Vus les sérieux problèmes économiques, politiques et sociaux qui secouent la Roumanie au cours des années 1980, sans parler de l’absence de clients potentiels, elle ne livre que 9 Rombac 1-11 entre 1982 et 1989.
Vous serez intrigué(e), ou pas, ami(e) lectrice ou lecteur, d’apprendre que le BAC-111 est impliqué dans la controverse qui entoure l’acquisition de l’avion de ligne biréacteur à court / moyen rayon d’action américain Douglas DC-9 par les Lignes aériennes Trans-Canada / Air Canada.
Au début des années 1960, cette société d’état canadienne commence à songer au remplacement de ses Viscount par un avion à réaction. BAC, alors dirigée par sir George Robert Freeman Edwards, un ami du président des Lignes aériennes Trans-Canada, l’anglophile et anglophone Gordon Roy McGregor, espère décrocher ce contrat. Des membres de l’équipe technique de la société d’état canadienne qui évaluent les aéronefs disponibles craignent que, tout comme le Viscount avant lui, le BAC-111 ne soit utilisable en Amérique du Nord qu’après de nombreuses modifications.
Une importance société française, Sud-Aviation Société nationale de constructions aéronautiques, espère quant à elle que son biréacteur SE-210 Caravelle, un peu plus ancien, sera choisi. Le président Charles André Joseph Marie de Gaulle, un personnage plus grand que nature mentionné dans des numéros de mars et septembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin, exerce des pressions à cet effet sur le premier ministre canadien, Lester Bowles Pearson. Le premier ministre du Québec, Jean Lesage, un autre important personnage, mentionné dans des numéros de juillet et septembre 2018 de notre blogue / bulletin / machin, affirme en public que le transporteur aérien canadien ne devrait pas rejeter la Caravelle simplement parce qu’elle est française.
Alors qu’il participe à une audience parlementaire sur le nouvel avion de ligne, McGregor met le feu aux poudres. Ne réalisant pas que son micro est encore allumé, il dit que la Caravelle n’est pas bonne pour sa société, ajoutant que cet aéronef n’est pas très bon, point à la ligne. Bon nombre de Québécoises et Québécois francophones sont furieux. Des étudiant(e)s de l’Université de Montréal font du piquetage devant les bureaux montréalais des Lignes aériennes Trans-Canada. Des policiers à cheval se présentent pour les disperser. Réalisant qu’il a gaffé, McGregor laisse entrer un petit groupe d’étudiant(e)s. Faisant appel aux données accumulées par son équipe technique, il leur explique pourquoi la Caravelle ne répond pas aux besoins des Lignes aériennes Trans-Canada.
Comme il a été dit (tapé?) plus haut, en fin de compte, c’est un avionneur américain, Douglas Aircraft Company Incorporated, qui décroche le contrat canadien avec son tout nouveau DC-9, un des avions de ligne à réaction à court / moyen rayon d’action les plus réussis du 20ème siècle. Et oui, vous avez bien raison, ami(e) lectrice ou lecteur, l’incomparable, si, si, incomparable, collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, comprend bel et bien un DC-9.
Bon prince et magnanime comme je le suis, je consens sans plus attendre à vous laisser vaquer à vos occupations. À la revoyure.