« Il roule au sol avec toute l’aisance d’une cigogne arthritique, » Ou, Un bref regard sur la brève présence au spectacle aérien du Centenaire de la Colombie-Britannique d’un avion de ligne à réaction Tupolev Tu-104 d’Aeroflot, partie 1
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur assidu(e). Alors que la moitié nord de la planète Terre émerge lentement d’un autre long hiver, et se submerge dans un autre été infernalement long et brûlant, votre humble serviteur a pensé qu’un regard sur un aspect longtemps oublié de la Guerre froide (Bonjour, EG et VW!) pourrait être un bon sujet à ajouter à une liste toujours plus longue de sujets examinés dans notre alléchant blogue / bulletin / machin.
De fait, vous êtes-vous déjà demandé(e) si, comme le célèbre capitaine Jack Sparrow, un gentilhomme (?) mentionné dans plusieurs numéros du dit blogue / bulletin / machin depuis septembre 2018, votre humble serviteur écrit un plan à l’avance, ou improvise au fur et à mesure? Pour répondre à votre question, pour paraphraser Peter Jason « Star-Lord » Quill, un des principaux personnages du très populaire film de science-fiction / super-héros américain de 2014 Les Gardiens de la Galaxie, parfois planifié, parfois improvisé. Un peu des deux.
Le numéro de cette semaine de notre vous savez quoi est un cas d’espèce. Vous vous souviendrez bien sûr qu’un numéro d’avril 2023 évoquait les célébrations du Centenaire entourant la création de la création de la colonie de la couronne de la Colombie-Britannique à partir de deux districts de traite des fourrures, la New Caledonia et le Columbia Department, qui forment la partie continentale de la province de la Colombie-Britannique, en août 1858.
Vous ne serez bien sûr pas surpris(e) d’apprendre (lire?) qu’un spectacle aérien est un des moments forts de cet événement.
Votre humble serviteur a d’abord pensé à utiliser l’expression événement de bon augure jusqu’à ce qu’une pensée me traverse l’esprit : les Premières Nations de la Colombie-Britannique pensent-elles que le dit centenaire est une occasion de bon augure? Poser cette question, c’est y répondre. Les colons blancs les ont dépossédés de leurs terres et miné leur souveraineté en tant que nations. Et ne me parlez pas du tristement célèbre système de pensionnats indiens du Canada, un réseau obligatoire de pensionnats financé par le gouvernement fédéral mais géré par diverses églises chrétiennes, dont surtout l’église catholique, apostolique et romaine. On sait que des milliers d’enfants sont morts dans ces enfers.
Remarquez, les Canadiennes et Canadiens d’origine japonaise tout à fait innocent(e)s qui sont interné(e)s de force pendant la Seconde Guerre mondiale et interdits de retour en Colombie-Britannique jusqu’en avril 1949 peuvent aussi se demander si le Centenaire de 1958 est une occasion de bon augure.
On peut dire la même chose des Canadiennes et Canadiens d’origine chinoise, qui sont forcé(e)s de payer une énorme taxe d’entrée pour entrer au Canada, entre 1885 et 1923, l’année où il leur devient pratiquement impossible d’entrer au pays, par le biais de l’euphémistique Loi de l’immigration chinoise de 1923, une loi abrogée seulement en mai 1947, mais revenons à notre spectacle aérien.
La première mention publique du spectacle aérien du Centenaire paraît dans la presse de la Colombie-Britannique quelques jours avant la mi-avril 1958. Le dit spectacle aérien doit avoir lieu les 13, 14 et 15 juin, à l’Aéroport international de Vancouver, à Richmond, Colombie-Britannique. Et oui, le 14 juin est la Journée de la Force aérienne, un événement annuel dédié, vous l’aurez deviné, à l’Aviation royale du Canada (ARC). Début mai, le spectacle aérien passe de 3 jours à 2, soit les 14 et 15 juin. Le seul événement organisé le 13 juin serait une opération de sauvetage mise en scène par des équipages de l’ARC.
Une variété d’aéronefs, à la fois civils et militaires, seraient présente au spectacle aérien. Parmi les machines civiles, il y aurait des avions de brousse anciens comme les Junkers W 34 et Fairchild Modèle 71 ainsi que des avions de ligne modernes comme les Vickers Viscount, Lockheed Constellation et Bristol Britannia. Les visiteuses et visiteurs pourraient également entrevoir l’avenir du transport aérien, un avenir incarné par un avion de ligne à réaction Boeing Modèle 707. Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur fana d’aviation, cette visite d’un Modèle 707 serait la première visite d’un aéronef de ce type au Canada. Mieux encore, cette machine devait voler à quelques reprises pendant son séjour au Canada.
Incidemment, le Modèle 707 ne serait pas encore en service en juin 1958. Pan American World Airways Incorporated, une des grandes et importantes compagnies aériennes des États-Unis, une compagnie aérienne mentionnée à quelques reprises dans notre alléchant blogue / bulletin / machin depuis novembre 2017, donne le coup d’envoi à la carrière commerciale de cet avion de ligne mondialement connu en octobre de cette année-là. Si, 1958, pas 2017.
Votre humble serviteur a-t-il besoin de mentionner que la magnifique et glorieuse collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario, comprend un Viscount, sans oublier un W 34 et un FC-2W-2, une machine très similaire au Modèle 71? De fait, je me suis demandé si le W 34 qui peut être exposé à Vancouver en 1958 n’est pas celui exposé au musée en 2023. Cela ne peut malheureusement pas être prouvé. Voyez-vous, Pacific Western Airlines Limited de Vancouver exploite trois W 34 en 1958, et…
Qu’en est-il du Modèle 71, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur zélé(e)? Cette machine est-elle également exploitée par Pacific Western Airlines? Nenni, elle ne l’est pas. Le Modèle 71 qui peut être exposé à Vancouver en 1958 appartient à William B. « Bill » Sylvester de Victoria, Colombie-Britannique, l’ancien président de B.C. Air Lines Limited de Vancouver.
Les types d’aéronefs militaires qui devraient être présents ne sont pas mentionnés dans la presse, mais des machines de l’ARC et de la United States Air Force (USAF) seraient présentes.
Remarquez, une réplique / reproduction d’un avion de chasse SPAD S.VII de conception française mais de fabrication britannique datant de la Première Guerre mondiale serait également exposé. Et non, cet aéronef appartenant à James B. Petty de Gastonia, Caroline du Nord, n’est apparemment pas celui qui appartenait au très bon Musée de l’aviation et de l’espace du Canada entre décembre 1965 et octobre 2015. La machine du musée et celle exposée à Vancouver aurait cependant pu inclure des composants du même SPAD S.VII, une machine achevée en 1916 en Angleterre par Mann, Egerton & Company Limited.
Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur avisé(e). L’ARC profite bel et bien de l’occasion offerte par le spectacle aérien pour montrer ses capacités de sauvetage. Les équipages d’un hélicoptère Vertol H-21 et d’un amphibie Consolidated Canso simuleraient une opération de sauvetage en collaboration avec une embarcation de sauvetage à grande vitesse de l’ARC. Si, si, une embarcation de sauvetage. L’ARC a exploité pas mal d’embarcations de sauvetage le long des côtes ouest et est du Canada entre les années 1920 et les années 1960, et à notre histoire nous revenons, mais seulement après un bref rappel à l’effet que la collection du musée national du Canada mentionnée dans le paragraphe précédent comprend un Canso.
La dite collection comprend également un avion de chasse tous temps Avro Canada CF-100, un avion de patrouille maritime Canadair Argus, un avion d’entraînement avancé Lockheed / Canadair Silver Star, trois avions d’entraînement North American Harvard et un avion de chasse de jour North American / Canadair Sabre, sans oublier le nez d’un avion de transport à réaction de Havilland Comet. Pourquoi votre humble serviteur vous casse-t-il les pieds avec cette liste d’épicerie aérienne, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? Parce qu’un ou quelques exemplaires de ces aéronefs sont présents au spectacle aérien, soit au sol, soit dans les airs, soit les deux, voilà pourquoi.
Le comité qui organise le spectacle aérien du Centenaire de 1958 comprend certains des poids lourds de la communauté aéronautique de la Colombie-Britannique. Frederick Maurice McGregor, président et copropriétaire de B.C. Air Lines, préside la section de l’aviation civile du spectacle aérien, tandis que Francis Philip « Frank / Franco » Bernard, propriétaire d’hôtel et président du Aero Club of B.C., préside sa section des événements spéciaux.
Parlant (tapant?) de Bernard, vous n’imaginerez jamais quelle pensée traverse son esprit au printemps 1958? Si, vous l’avez deviné.
Quelques jours avant la mi-mai, la presse de la Colombie-Britannique annonce que les organisateurs du spectacle aérien sont en contact avec quelqu’un quelque part pour voir si un avion de ligne à réaction Tupolev Tu-104 exploité par le transporteur aérien soviétique Aeroflot pourrait être en mesure de prendre part au dit spectacle aérien.
Initialement, votre humble serviteur pensait que les dits organisateurs étaient en contact avec des représentants du gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) basés à l’ambassade de ce pays, à Ottawa. Je n’en suis plus si sûr. Voyez-vous, je me demande si les gens qui bavardent avec les gens de l’ambassade ne sont pas en fait des gens du ministère des Affaires extérieures.
Quoi qu’il en soit, Bernard peut compter sur le plein appui d’un député fédéral local, du côté du gouvernement, qui se trouve être membre du comité du Centenaire, John Russell Taylor, et… Est-ce une lueur d’inquiétude que je vois dans votre yeux, ami(e) lectrice ou lecteur? Ne craignez point. La digression suivante sera brève.
La conception du Tu-104 commence au début des années 1950 au bureau d’expérimentation et conception Tupolev, à la demande d’Aeroflot et / ou de la direction principale de la flotte aérienne civile. Voyez-vous, la direction d’Aeroflot voit clairement la nécessité de mettre en service des aéronefs supérieurs à ceux qu’elle exploite à l’époque, des aéronefs qui seraient comparables à ceux des compagnies aériennes occidentales.
N’oublions pas que les premiers avions de ligne à réaction au monde volent en 1949, le quadriréacté de conception britannique de Havilland Comet en juillet et le quadriréacté de conception canadienne Avro Canada Jetliner, en août. Si ce dernier n’entre jamais en service, le premier le fait, en mai 1952. En janvier et avril 1954, cependant, deux Comet se désintègrent dans les airs en raison d’une fatigue du métal causée par divers facteurs. Tous les Comet sont cloués au sol. Les vols de transport de passagers ne reprennent qu’en octobre 1958, avec une version complètement modifiée de l’aéronef.
Et oui, vous avez tout à fait raison, ami(e) lectrice ou lecteur. Lorsque le Tu-104 entre en service, en septembre 1956, cette prunelle des yeux de l’URSS est le seul avion de ligne à réaction opérationnel sur la planète Terre, mais revenons à l’histoire d’origine de cette machine.
Afin de gagner temps et pognon, les ingénieurs du bureau d’expérimentation et conception Tupolev combine les ailes, moteurs et empennages du Tupolev Tu-16, un bombardier stratégique bimoteur testé en avril 1952, avec un tout nouveau fuselage capable de pouvant accueillir 50 passagères et passagers – un nombre qui atteint 70 dans une version introduite en 1957 et jusqu’à 115 dans une autre version encore. Et oui, un des objectifs du Tu-16 est d’incinérer diverses cibles d’Europe occidentale avec des armes (thermo)nucléaires.
Incidemment, le moteur à réaction qui propulse les Tu-16 et Tu-104 est sans doute le moteur d’aéronef opérationnel dépourvu de post-combustion / réchauffe le plus puissant au monde à l’époque. Les experts de l’aviation occidentale, tant civils que militaires, sont sans doute conscients de cet état de chose quelque peu inquiétant.
Vous vous souviendrez qu’une post-combustion est un machin tubulaire monté à l’arrière d’un moteur à réaction. Le carburant injecté dans ce tube est enflammé par les gaz d’échappement très chauds sortant du moteur, augmentant considérablement la poussée – et la consommation de carburant.
Le premier Tu-104 vole pour la première fois en juin 1955.
Des yeux occidentaux peuvent, je répète peuvent, apercevoir un Tu-104 pour la première fois, de loin remarquez, en juillet ou août 1955 lors du salon de l’aéronautique / journée de l’aviation qui se tient à Touchino, près de Moscou. D’autres yeux occidentaux voient une de ces machines en mars 1956, avant sa mise en service, lorsque l’une d’entre elles atterrit à London Airport, à Heathrow, Angleterre, pas très loin de… Londres, Angleterre. Un autre Tu-104 atterrit aux États-Unis, sur une base de la USAF pour être plus précis, en septembre 1957. Incidemment, cet aéronef est le premier Tu-104 à poser le pied, euh, la roue en sol canadien. La grosse machine fait un bref arrêt à la base de l’ARC de Goose Bay, Terre-Neuve. D’accord, d’accord, Goose Bay, Labrador. Chillez, ami(e) lectrice ou lecteur agité(e), chillez.
Soit dit en passant, l’accès aux Tu-104 qui atterrissent au Royaume-Uni et aux États-Unis en mars 1956 et septembre 1957 est apparemment assez limité. Remarquez, l’accès accordé à l’équipage du Tu-104 qui atterrit à la base de l’ARC de Goose Bay est également assez limité. Voyez-vous, il y a une zone d’entreposage d’armes (thermo)nucléaires sur cette base, pour les bombardiers stratégiques de la USAF qui arrivent et repartent fréquemment / constamment.
Si, si, des armes (thermo)nucléaires. La Terre grelottait sous l’emprise de la Guerre froide en 1958, ne l’oubliez pas, ami(e) lectrice ou lecteur. (Bonjour, EG et VW!) Si votre humble serviteur peut être autorisé à paraphraser, hors contexte, le nain Thorin II, mieux connu sous le nom de Thorin Écu-de-chêne, roi du peuple de Durin, les Longues-barbes, si un plus grand nombre d’entre nous avait préféré la nourriture, la gaieté et les chansons à la domination du monde, le monde aurait été plus rempli de joie.
Pour répondre à la question qui se forme dans votre caboche, le Tu-104 se pose sur une base de la USAF car le rugissement de ses moteurs écorche apparemment les oreilles sensibles du personnel et / ou des voisins et voisines du New York International Airport. De fait, peu de temps après, le Tu-104 est banni de tous les aéroports situés près de New York, New York.
Au risque de paraître impertinent, les descendant(e)s de ces personnes se montrent tout aussi intolérant(e)s lorsque l’Aérospatiale / British Aircraft Concorde est interdit d’opérer à proximité de cette ville pendant quelques mois en 1977, et ce même qu’il ne fait pas plus de bruit qu’au moins un type d’aéronefs en usage à l’époque, mais ce type d’aéronef est américain, pas européen.
Par souci d’équité, votre humble serviteur se doit de souligner que London Airport bannit également le Tu-104. L’avion de ligne soviétique est tout simplement trop bruyant, mais je digresse.
Une note officielle demandant au gouvernement de l’URSS d’envoyer un Tu-104 à Vancouver est envoyée le vendredi 6 juin 1958, je crois. Cette note est signée par le lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, le chef d’état symbolique de la province, Frank Mackenzie Ross.
Croiriez-vous que le Cabinet du Canada, alors présidé par le premier ministre John George Diefenbaker, un gentilhomme mentionné quelques / plusieurs fois dans notre blogue / bulletin / machin depuis octobre 2020, doit ou juge bon d’approuver la note avant qu’elle ne soit envoyée en URSS?
Le lundi 9 juin (!), un représentant de l’ambassade de l’URSS à Ottawa indique, bien qu’officieusement semble-t-il, qu’un Tu-104 assisterait au spectacle aérien du Centenaire, à condition qu’une quantité suffisante du carburant brûlé par le Tu -104 soit disponible en sol canadien et tant que des assurances seraient données que les signaux de reconnaissance seraient partagés avec l’ARC pour éviter tout incident malheureux / désastre. Et oui, votre humble serviteur suppose qu’une assurance similaire doit être donnée pour l’ensemble du voyage Moscou-Vancouver étant donné la nécessité de traverser le ciel de divers pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
Maintenant, je vous demande si des membres du gouvernement soviétique se sont réunis au cours de la fin de semaine pour trouver une réponse à une question aussi mineure, ou une réponse positive était-elle déjà dans la poche arrière de l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS en poste au Canada, Dmitri Stepanovitch Tchouvakhine? Les esprits curieux et curieuses veulent savoir. Incidemment, Tchouvakhine est mentionné dans un numéro de mars 2021 de notre blogue / bulletin / machin non communiste / non dictatorial / non odieux.
Et oui, l’Aéroport international de Vancouver serait le premier endroit sur la planète Terre où un avion de ligne à réaction américain et un avion de ligne à réaction soviétique seraient affichés côte à côte. De fait, cet aéroport serait le premier endroit sur notre planète où un Tu-104 participerait à un spectacle aérien nord-américain ou ouest-européen.
Pour une raison ou une autre, la brève escale prévue à Winnipeg, Manitoba, soulève des questions qui nécessitent l’assistance de représentants de pas moins de 3 ministères fédéraux : le ministère des Transports, le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires extérieures. Les responsables du ministère des Transports s’assureraient que le carburant requis par l’aéronef soviétique serait disponible en cas de besoin, par exemple.
Les représentants de l’ARC, quant à eux, ne sont pas nécessairement ravis à l’idée d’avoir un équipage soviétique près d’une de leurs bases, sans parler de sa proximité à la ligne Mid-Canada, un des trois réseaux de détection créés à travers l’Amérique du Nord pour détecter l’arrivée de bombardiers stratégiques soviétiques dont le but est d’incinérer diverses cibles nord-américaines avec des armes (thermo)nucléaires.
Entièrement financée par le ministère de la Défense nationale, la ligne Mid-Canada de conception canadienne est un réseau relativement peu coûteux capable de détecter le passage d’aéronefs mais pas leur emplacement précis. Malheureusement, une volée d’oiseaux volant près d’une des quelque 105 stations de détection dispersées entre la Colombie-Britannique et Terre-Neuve, d’accord, d’accord, entre la Colombie-Britannique et le Labrador, déroute constamment l’équipement – et augmente considérablement la tension artérielle du personnel de l’ARC et de la USAF qui surveille l’espace aérien nord-américain. Déclarée opérationnelle en 1957-58, la ligne Mid-Canada est mise hors service en 1964-65, mais revenons à notre histoire.
Croiriez-vous que l’escale prévue à Winnipeg du Tu-104 est annulée? Et non, les braves gens de l’ARC n’ont apparemment rien à voir avec cette décision.
Des journaux rapportent que l’aéronef soviétique atterrirait à Saskatoon, Saskatchewan, et non à Winnipeg, car le gouvernement fédéral craint que des manifestations antisoviétiques n’aient lieu. Chose intéressante, cette raison particulière du changement est rapidement niée par le dit gouvernement. Tout en reconnaissant la possibilité que des manifestations puissent avoir lieu, un représentant du gouvernement ajoute que la principale raison du changement de lieu d’atterrissage est de faciliter le ravitaillement et l’entretien du Tu-104. Bien sûr.
Des protestations, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur perplexe? L’URSS est-elle vraiment si impopulaire à Winnipeg? Eh bien, voyez-vous, fin août 1955, une délégation de dirigeants agricoles soviétiques dirigée par le premier sous-ministre de l’agriculture de l’URSS, Vladimir Vladimirovitch Matskevitch, arrive à l’aéroport de Montréal (Dorval), à… Dorval, Québec, après avoir passé plusieurs semaines en tournée aux États-Unis. Bien que chaleureusement accueillie par diverses personnalités représentant diverses organisations, du maire de Montréal, Québec, Jean Drapeau, au sous-ministre fédéral de l’Agriculture, James Gordon Taggart, la délégation se retrouve en butte à de copieuses insultes proférées par un petit nombre (50?) de Canadiens et Canadiennes d’origine ukrainienne indigné(e)s présent(e)s à l’aéroport.
À Winnipeg, Manitoba, une ville avec un nombre important d’Ukraino-Canadiennes et Canadiens présent(e)s dans ses limites, les choses empirent. Un certain nombre (300?) de personnes outrées accueillent la délégation soviétique avec des pancartes et de copieuses insultes. Alors que la délégation sort par une sortie latérale, dans des taxis accompagnés d’une importante escorte policière, quatre hommes, apparemment des membres en civil de la Gendarmerie royale du Canada, espérons-le non envoyés comme leurres, se retrouvent encerclés. Ils montent rapidement dans une automobile mais, alors qu’ils s’éloignent prudemment, une des vitres de leur véhicule est fracassée.
La délégation soviétique se trouve également confrontée à un accueil hostile à London, Ontario.
Pourquoi les Ukraino-Canadiennes et Canadiens sont-ils si en colère, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Eh bien, voyez-vous, en 1932-33, la collectivisation de l’agriculture soviétique et, peut-être, le désir d’écraser une fois pour toutes tout projet d’indépendance, conduisent à une famine artificielle, connue sous le nom d’Holodomor, qui tue une fraction importante des quelque 30 à 33 millions d’Ukrainiennes et Ukrainiens vivant en URSS.
En 2023, plus de 10 pays, dont le Canada et les États-Unis, ainsi que les 27 membres de l’Union européenne, reconnaissent l’Holodomor comme un acte de génocide commis par le gouvernement soviétique contre le peuple ukrainien. Compte tenu de l’attitude négationniste de l’URSS et de la Russie post-URSS, le nombre total de victimes (4 millions? 5.5 millions? 7 millions? 10 millions?) ne sera probablement jamais connu.
Maintenant, s’il vous plaît, ne me parlez pas de l’invasion non provoquée de l’Ukraine lancée en février 2002 par un certain dictateur russe qui restera anonyme. Si, si, celui qui porte le nom d’un plat de frites et fromage en grains nappé d’une sauce brune élaboré au Québec à la fin des années 1950. Revenons donc à la délégation venue du paradis du prolétariat. Слава Україні!
Visiblement embarrassé par les protestations, le gouvernement fédéral présente officiellement ses excuses à Matskevitch, par l’intermédiaire d’un sous-ministre adjoint de l’Agriculture, Stanislas Joseph Chagnon, qui accompagne la délégation soviétique. La situation est d’autant plus embarrassante que la dite délégation n’a apparemment rencontré aucune protestation durant son séjour aux États-Unis. Oui, je sais, moi aussi j’ai du mal à y croire.
Selon un haut fonctionnaire fédéral, apparemment du ministère des ministère de l’Agriculture, et je cite, en traduction : « Il est inexcusable qu’une petite minorité qui n’a manifestement pas à cœur les intérêts du Canada se soit comportée de la sorte. » Si votre humble serviteur peut être autorisé à paraphraser, hors contexte et en traduction, une ligne ou deux d’une chanson de 1994 interprétée par la compositrice / chanteuse / auteure / actrice canadienne Jann Arden Anne Richards, ce fonctionnaire aurait peut-être eu des conseils à donner sur la façon d’être insensible.
Et oui, vous avez raison, ami(e) lectrice ou lecteur cultivé(e), le ministère de l’Agriculture doit organiser la tournée de la délégation soviétique parce que le ministère des Affaires extérieures ne veut apparemment pas traiter de cette question potentiellement délicate, mais je digresse.
Une autre brève digression si vous me le permettez. Si Winnipeg abrite une importante population d’origine ukrainienne, le fait est que la Saskatchewan abrite également une importante population d’origine ukrainienne. Plusieurs / la plupart de ces personnes vivent dans des villes relativement petites, toutefois, pas à Saskatoon. Le détournement du Tu-104 vers cette ville à la dernière minute donne peu de temps aux dirigeants communautaires pour organiser une manifestation. Je vous dis ça comme ça, moi.
Les articles de journaux contenant des informations sur la visite prochaine d’un Tu-104 mentionnent également que le gouvernement britannique accepte d’envoyer une paire de bombardiers stratégiques à réaction Avro Vulcan à Vancouver, sans parler d’un avion de transport transportant l’équipe au sol et l’équipement nécessaires. Et oui, l’objectif principal des Vulcan est d’incinérer diverses cibles d’Europe de l’Est avec des armes (thermo)nucléaires.
Sur une note pacifique, des articles de journaux confirment qu’un avion de ligne Bristol Britannia récemment livré serait sur place. Croiriez-vous que cette même machine entre officiellement en service début juin 1958? Malgré son origine britannique, cette grosse machine long courrier turbopropulsée n’appartient pas à un transporteur aérien britannique. Nenni. Elle appartient à Canadian Pacific Airlines Limited de Vancouver, Colombie-Britannique, une filiale de Canadian Pacific Railway Company Limited de Montréal, un géant canadien du transport mentionné dans de nombreux numéros de notre blogue / bulletin / machin depuis avril 2018.
Votre humble serviteur a-t-il besoin de mentionner que Canadian Pacific Airlines est mentionné moult fois dans notre interstellaire blogue / bulletin / machin depuis mai 2019? Je ne pensais pas.
Fait intéressant, les mêmes articles de journaux mentionnent que, et je cite, en traduction, « il a fallu tirer des ficelles à Ottawa pour obtenir un permis de vol canadien » afin qu’une réplique / reproduction volante de 1947 d’un biplan Curtiss de 1912 puisse voyager de Seattle, Washington, à Vancouver et participez au spectacle aérien.
Votre humble serviteur se demande si cet aéroplane en particulier est approuvé simplement parce qu’il est disponible ou parce que les membres de l’équipe du spectacle aérien savent qu’un exemplaire d’une version antérieure de ce biplan Curtiss est impliqué dans le premier vol d’aéroplane en Colombie-Britannique, à Richmond si vous devez le savoir, en mars 1910. Le pilote impliqué dans cette première britanno-colombienne est un aviateur américain.
Le jour suivant ce premier vol, le « the crazy man of the air, » ou fou des airs, comme on appelait / appelle parfois / souvent Charles Keeney Hamilton, vole de Richmond à New Westminster, en Colombie-Britannique, et y retourne, parcourant ainsi une distance d’environ 30 kilomètres (presque 20 milles) en 30 environ quelques minutes, mais revenons à notre histoire. Encore. Désolé.
Votre humble serviteur est également désolé de mettre fin à la narration de cette histoire à ce stade particulier. Il reste en effet beaucoup à dire mais il va falloir être patient(e), ami(e) lectrice ou lecteur. Uvidimsya na nedele.