D’un appât à homard et engrais pour pommes de terre à de l’argent d’eau salée : L’humble sardine et Connors Brothers Limited de Black’s Harbour, Nouveau-Brunswick
Aimez-vous les créatures marines, ami(e) lectrice ou lecteur? Les aimez-vous platoniquement ou les aimez-vous une fois qu’elles sont braisées, conservées, cuites, déshydratées, étuvées, fermentées, frites, fumées, grillées, marinées, micro-ondées, mijotées, pochées, rôties, salées ou séchées? À moins bien sûr que vous ne préfériez les sushis ou que vous vous soyez détourné(e) de la viande, une option tout à fait honorable et de loin meilleure pour la planète. (Bonjour, EG, EP et KR!)
Incidemment, la source de l’illustration que vous avez vue il y a quelques instants, en d’autres mots Le Prix courant, est un hebdomadaire de Montréal, Québec, fondé en 1887 et disparu en 1957, qui traite d’assurances, commerce, finance, industrie et propriété foncière.
Commençons ce numéro de notre blogue / bulletin / machin en précisant que ce texte portera principalement sur un clupéiforme, la sardine, laissant de côté le hareng, l’anchois (beurk!), etc.
L’idée de conserver le poisson pour le consommer plus tard, ou l’échanger contre du pognon ou autres choses, n’est en aucun cas nouvelle. Du poisson cuit est mis dans des jarres en grès fermées par un bouchon de liège, avec un peu d’huile d’olive ou de vinaigre, par exemple, depuis un bon bout de temps.
Nicolas Appert joue un rôle important dans cette histoire. En 1795, ce confiseur français a l’idée de mettre des aliments dans des bouteilles en verre remplies à ras bord. Une fois fermées avec un bouchon de liège, ces bouteilles sont mises dans une cuve dont l’eau bouille pendant quelques heures. L’ajout d’un peu de cire et d’une petite cage métallique renforce l’étanchéité. L’usine qu’Appert crée vers 1802-04 est la première conserverie au monde.
Face à un choix de prendre un brevet et gagner du pognon ou faire connaître son procédé à toutes et tous et accepter un prix du gouvernement, Appert choisit la porte numéro 2. De fait, il paye peut-être la publication, en 1810, de Le Livre de tous les ménages ou L’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales ou végétales, avec le dit prix. Appelez-moi avide si vous voulez, mais la porte numéro 1 était probablement la meilleure option.
Au Royaume-Uni, le livre d’Appert est une révélation. Les équipages itinérants des nombreux navires de guerre de la Royal Navy seront les bénéficiaires de son travail. Et oui, le Royaume-Uni est en guerre avec la France depuis 1803. Pis encore, les conserveries britanniques améliorent la durabilité de leurs produits en remplaçant les fragiles bouteilles en verre par des contenants en fer-blanc.
Appert est miséreux lorsqu’il meurt, en juin 1841, à l’âge de 91 ans. Votre humble serviteur résistera à la tentation d’affirmer à ce stade qu’aucune bonne action ne reste impunie, ou que les personnes biens finissent dernières.
Sautons maintenant par-dessus l’abîme du temps, ami(e) lectrice ou lecteur, pour arriver à l’année 1871. En juillet de l’année précédente, l’empereur des Français, Napoléon III, né Charles Louis Napoléon Bonaparte, déclare la guerre à la Prusse – une décision profondément stupide étant donné la supériorité absolue de la Preußische Armee sur son adversaire gallique, qui s’effondre rapidement. En janvier 1871, le gouvernement de la Défense nationale, qui prend le relais en septembre 1870 et proclame le retour d’une forme républicaine de gouvernement, est contraint de signer un armistice.
Le chaos de la guerre affecte dans une certaine mesure l’exportation de sardines en conserve françaises vers les États-Unis. Les conserveries européennes (espagnoles? norvégiennes??), aussi désireuses qu’elles soient de combler le vide, n’y parviennent pas tout à fait. Même si la situation s’améliore progressivement, certains Américains astucieux commencent à envisager sérieusement la possibilité d’exploiter les eaux nord-américaines pour compléter, voire remplacer, le délicat mets importé.
Une de ces personnes est propriétaire d’une société de courtage de New York, New York, qui importe des sardines européennes. Julius Wolff fonde Eagle Preserved Fish Company en 1875 ou 1876, sur les rives de la baie de Passamaquoddy, un bras de mer de la baie de Fundy situé entre le Maine et le Nouveau-Brunswick. Il y installe sa firme parce que les sardines nagent dans ces eaux par milliards. Eagle Preserved Fish est la première des plus de 400 (!) conserveries de sardines indépendantes qui fonctionnent au Maine entre cette date et 2000, lorsque la dernière survivante ferme définitivement.
Vers 1885, du côté néo-brunswickois de la baie de Passamaquoddy, deux résidents de Black’s Harbour, un petit hameau d’à peine une demi-douzaine de familles, commencent à pêcher dans leur petit bateau non ponté, le Hummingbird. Lewis et Patrick Connors en viennent à penser qu’eux aussi peuvent conserver des sardines. Ils avancent leurs pions en 1889. Les deux frères utilisent une structure, connue sous le nom de barrages à poissons, bordique, borigue, bourdingue, ou claie, pour diriger le passage des sardines, ou les piéger. Les Connors attrapent le poisson eux-mêmes. Ils le mettent en conserve dans un hangar en bois, en utilisant du matériel fait maison. Ils vendent leurs quelques centaines de boîte de conserves à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, à environ 80 kilomètres (50 milles) de distance, allant de magasin en magasin. Réalisant que les sardines des Connors sont pas mal nutritives, bon marché et savoureuses, des marchands locaux commencent à les vendre. À leur tour, des familles locales commencent à les acheter.
Réalisant qu’il est possible de gagner sa vie en pêchant des sardines, d’autres pêcheurs commencent à se déplacer vers ou près de Black’s Harbour. Eux aussi construisent des barrages à poissons et poursuivent les abondantes sardines. Réalisant qu’il est possible de gagner de l’argent en fournissant à ces nouveaux arrivants les nécessités de la vie, l’astucieux Lewis Connors ouvre un magasin général.
Remarquez, le boulot premier des frères Connors est sans aucun doute leur conserverie. En 1920, Connors Brothers Limited produit un million de boîte de conserves par an, ce qui est sacrément bon. Cependant, les conditions économiques changent et la firme est confrontée à de nombreux concurrents.
Une digression si je peux me le permettre. Aussi impressionnante que soit la production de Connors Brothers, la vérité est qu’elle ne fonctionne que pendant l’été, lorsque les poissons sont présents. Cela signifie bien sûr que ses employés temporaires et transitoires ne travaillent que pendant l’été. Pis encore, la plupart d’entre eux vivent dans des tentes ou cabanes en papier goudronné pendant cette période. Fin de la digression.
Après une trentaine d’années en selle, ni Lewis ni Patrick Connors ne veulent s’occuper de l’inquiétude et de la responsabilité de ce qu’ils savent devoir faire : Connors Brothers a besoin de se développer. Il se trouve que les frères connaissent quelqu’un qui peut être en mesure de reprendre les rênes. Ils aiment même le gars, un homme d’affaires dans la trentaine du nom de Alexander Neil McLean. Les frères Connors lui demandent de reprendre Connors Brothers et de passer au niveau supérieur. McLean accepte. Remarquez, en 1923, il convainc son frère un peu plus jeune, Allan Marcus Atkinson McLean, qui possède une firme de construction à l’époque, ainsi qu’un ou quelques investisseurs, de se lancer en affaires avec lui
Alors que les semaines se transforment en mois et les mois en années, Connors Brothers 2.0 grandit à pas de géant. Une main-d’œuvre temporaire vivant dans des tentes ou cabanes en papier goudronné n’est plus une option. La firme a besoin d’une main-d’œuvre permanente. Les frères McLean savent très bien que la seule façon d’attirer les travailleurs fiables qu’ils veulent est de leur donner des maisons agréables, décentes et modernes. La seule façon pour les maisons de demeurer agréables, décentes et modernes sur le long terme est de créer autour d’elles une petite ville agréable, décente et moderne. Très conscients qu’ils sont les seules personnes ayant accès à l’argent nécessaire pour faire le travail, les pragmatiques frères McLean se mettent au travail. Black’s Harbour est sur le point de changer. Beaucoup.
Remarquez, ce n’est pas tout le monde qui est satisfait de ce qui est prévu et fait dans la nouvelle ville industrielle des frères McLean. Ne peuvent-ils pas régimenter leur fief, surnommé, en traduction, « Petite Russie » par certains, comme des dictateurs de pacotille? Après tout, il semble que les employés de Connors Brothers ne sont pas propriétaires des maisons dans lesquelles ils vivent; ils les louent. Bien qu’il y ait certainement une liste des choses à faire et ne pas faire que les nouveaux arrivants doivent respecter, ils ne semblent pas trop s’en soucier, et…
Je reconnais une question de l’éther. Parlez (tapez?) maintenant, ami(e) lectrice ou lecteur, ou taisez-vous à jamais. Une main-d’œuvre permanente vivant dans des maisons agréables, décentes et modernes, c’est très bien, mais les poissons ne sont présents que pendant les mois d’été, dites-vous? Un point valable.
Un des volets du plan de création d’emplois d’hiver lancé par Connors Brothers concerne l’acquisition de machines de fabrication de boîtes de conserves pour le poisson et de machines de fabrication de caisses pour les boîtes de conserves.
Un autre aspect du plan implique l’embauche du Dr J. P. Berry, un chercheur chimiste, et la création d’un laboratoire / centre de recherche. Voyez-vous, bien qu’il n’y ait pas de sardines près de la baie de Passamaquoddy pendant les mois d’hiver, il y a beaucoup d’autres créatures marines là-bas, à savoir des palourdes, de la morue et de l’aiglefin. Berry et sa petite équipe développent rapidement des formules pour la mise en conserve des dits fruits de mer, créant ainsi de nouvelles gammes de produits comme l’aiglefin fumé, en anglais finnan haddy, le bouillon de palourdes, la chaudrée de palourdes, les croquettes de poisson, les miettes de gades, en anglais chicken haddies, chicken voulant bien sûr dire poulet, et les palourdes.
Une précision si je peux me permettre. Les miettes de gades ne contiennent pas une seule molécule de Gallus gallus domesticus. Il s’agit en fait d’un mélange désossé de poisson blanc, et…
Un finnan est-il un type de poisson avec de très grandes nageoires, en anglais fins, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur facétieuse / facétieux? Eh bien, non, il n’y a pas de poisson appelé finnan. Les termes anglais finny haddock / finnan haddock / finnan haddie / finnan / findrum speldings font référence à un type d’aiglefin fumé à froid trouvé en Écosse, mais revenons à Berry et sa progéniture.
La production de boîtes de conserves et de caisses, alliée à la mise en conserve des nouvelles gammes de produits développées par Berry et son équipe, contribuent largement à résoudre le problème de sous-emploi hivernal de Connors Brothers.
Puis la Grande Dépression frappe.
Alors que le monde semble sur le point de s’effondrer, Connors Brothers fait bon usage des importantes réserves d’argent dont elle dispose. Les frères McLean indiquent également à leurs employés qu’ils sont ensemble dans ce merdier et qu’ils s’en sortiraient ensemble. Cela, ou ils couleraient ensemble.
Connors Brothers agrandit sa conserverie et remplit ses entrepôts de boîtes de conserves de poisson invendues jusqu’à ce que leurs murs se bombent. Elle construit des maisons supplémentaires, en utilisant le bois de ses terres coupé dans sa scierie, jusqu’à ce qu’il soit difficile d’y loger des familles. Croiriez-vous que Connors Brothers crée son propre chantier naval, où elle construit des bateaux vraisemblablement utilisés par les pêcheurs locaux?
Au moment où l’économie canadienne se redresse, ce qui peut bien être au moment où la Seconde Guerre mondiale est sur le point de commencer, Connors Brothers a épuisé la plupart de ses réserves financières. Elle l’a échappé belle. Pourtant, la firme peut honnêtement se vanter, comme l’indique, en traduction, le panneau sur la conserverie, qu’elle dirige « La plus grande conserverie de sardines de l’Empire britannique ». Plus important encore, il semble que peu ou pas de familles comprenant un ou quelques employés de Connors Brothers manquent un repas pendant une des périodes les plus sombres de l’histoire du Canada.
Comme vous pouvez l’imaginer, Connors Brothers est très occupée tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, Alexander Neal McLean passe une bonne partie de la guerre à Ottawa, en tant qu’administrateur adjoint du poisson et des produits du poisson. Et non, il n’y a pas d’administrateur en chef pour cette unité de la Commission des prix et du commerce en temps de guerre.
Le premier ministre canadien, William Lyon Mackenzie « Rex » King, est tellement satisfait du travail accompli par McLean, à l’instar de son frère un ami de longue date du parti au pouvoir, qu’il le nomme au Sénat du Canada en avril 1945. Et oui, King est mentionné à quelques / plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis avril 2018.
Il convient de noter que la Seconde Guerre mondiale est directement responsable de l’ajout d’un autre pays à la longue liste de clients de Connors Brothers. Ce pays est le Royaume-Uni. Voyez-vous, différents pays européens du pourtour méditerranéen qui exportent des conserves de sardines réussissent à obtenir dans ce pays une décision selon laquelle eux seuls peuvent étiqueter leurs sardines comme sardines. Une décision qui empêche Connors Brother de vendre ses marchandises au Royaume-Uni. Naturellement, les gouvernements de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud emboîtent bientôt le pas, ce qui empêche Connors Brother d’y vendre également ses marchandises.
Naturellement contrariée par la décision britannique, Connors Brothers fait valoir que la sardine européenne et la sardine canadienne sont à peu près le même poisson. Si les sardines canadiennes ne peuvent pas être appelées sardines sur le sol britannique parce qu’elles ne proviennent pas du bassin de la mer Méditerranée, pourquoi le gouvernement britannique permet-il à la porcelaine britannique, en anglais British china, d’être appelée « British china? » Après tout, la porcelaine n’est pas originaire du Royaume-Uni. Elle est originaire de, euh, Chine.
Les gouvernements de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud voient la logique dans l’argument de Connors Brothers et permettent à la firme canadienne de vendre ses sardines sur leur sol. Pour une raison ou une autre, le gouvernement britannique refuse de changer de ton.
Maintenant, sous peine de paraître impertinent, votre humble serviteur trouve intéressant que le gouvernement britannique ait été et était toujours désireux de maximiser le commerce au sein du Commonwealth britannique. Toutes mes excuses, mais le mot Empire me reste dans la gorge. Après tout, le gouvernement britannique et ceux des Dominions adoptent un système de réduction tarifaire mutuelle connu sous le nom de Imperial Preference, ou préférence impériale, à la suite de la British Empire Economic Conference tenue à Ottawa, Ontario, en juillet et août 1932.
Maintenant, étant donné un tel engagement, ami(e) lectrice ou lecteur naïve / naïf, vous pouvez vous demander pourquoi le gouvernement britannique choisit des sardines européennes plutôt que canadiennes. Votre humble serviteur ne peut pas tout à fait accepter son « une décision a été prise et nous nous y tenons. » Nenni. J’ai l’impression que les sardines européennes sont moins chères. Si cela est vrai, et voici la partie impertinente de cette déclaration, la préférence impériale est une bonne chose tant que le Royaume-Uni ne peut pas trouver de produits moins chers en dehors du, euh, Commonwealth. Même ainsi, le gouvernement britannique semble s’attendre à ce que chaque Dominion sacrifie la vie de ses jeunes hommes si le dit gouvernement se creuse dans un trou dont il ne peut pas sortir.
C’est d’ailleurs précisément ce qui se passe en septembre 1922 lorsque le premier ministre pro-grec du Royaume-Uni, David Lloyd George, souhaite déclarer la guerre au gouvernement provisoire turc qui souhaite bouter hors de son territoires les troupes britanniques, françaises, italiennes et grecques qui s’y trouvent, un souhait Lloyd Georgien exprimé sans consulter les Dominions et malgré l’opposition de la France, de l’Italie et d’autres pays alliés, sans parler de l’opposition de l’opinion publique britannique – et de la British Army, y compris celle du commandant britannique des forces alliées qui occupent la capitale de l’ancien empire ottoman, Constantinople, l’actuelle Istanbul.
Heurté par un télégramme impérieux envoyé le 15 septembre par le belliciste Secretary of State for War britannique, Winston Leonard Spencer « Winnie » Churchill, demandant l’envoi de troupes canadiennes dans les plus brefs délais, le susmentionné King répond que la décision d’entrer en guerre, ou pas, relève de la compétence canadienne. Son parti et le parti qui appuie son gouvernement minoritaire étant opposé à toute guerre contre les Turcs, King refuse à toute fin utile d’appuyer le Royaume-Uni – une première canadienne qui fait aller les babines des impérialistes anglo-canadiens et de l’opposition officielle, alors dirigée par Arthur Meighen, qui ne semblent pas réaliser l’importance d’appuyer le gouvernement national du Canada en période de crise.
Vous vous souviendrez bien sûr que Churchill est mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis mai 2019.
Le « non » informel du Canada lors de cette crise dite de Tchanak / Çanakkale, du nom d’une ville portuaire turque du côté asiatique du détroit des Dardanelles, se voit appuyé par une absence éloquente de réponse de la part des gouvernements de l’Afrique du Sud et de l’Australie aux télégrammes britanniques qu’ils ont reçus. Seules Terre-Neuve et la Nouvelle-Zélande acceptent d’offrir leur jeunesse pour satisfaire la folle demande de Lloyd George.
Un gouvernement britannique quelque peu surpris et très isolé entame rapidement des négociations avec le gouvernement provisoire turc pour régler la question. Les grands perdants dans ce qui suit sont les civils grecs, et les soldats grecs, qui se retrouvent seuls face aux Turcs – une situation des plus malvenue compte tenu de la combattivité du soldat turc moyen.
La crise de Tchanak, conjuguée à des efforts effrontés pour obtenir de l’argent en échange d’honneurs / titres et à la création d’un état libre irlandais, un geste libérateur qui indigne des éléments puissants au sein du gouvernement de coalition dirigé par Lloyd George, conduit à la démission du sorcier gallois, comme on l’appelle souvent, en traduction, en octobre 1922.
Si je peux me permettre de paraphraser, en traduction, le titre d’une excellente série télévisée documentaire britannique, The Day the Universe Changed: A Personal View by James Burke (mars-mai 1985), le 15 septembre 1922 est un jour où l’univers a changé.
Sur une note tragique, au cours des semaines et mois suivantes, le gouvernement provisoire turc a carte blanche pour vaincre et expulser de son territoire les troupes grecques qui s’y trouvent et obtenir le départ des troupes britanniques, françaises et italiennes, ce qui conduit à une expulsion massive de population des deux côtés. En 1923, au moins 1.6 million de personnes, dont environ 1.2 million de Grecs, doivent quitter les régions où leurs ancêtres ont vécu, dans plusieurs cas, depuis plus de 2 500 ans.
Environ 260 000 civils grecs sont tués par les Turcs avant qu’ils ne puissent s’échapper. Ces morts concluent une période de nettoyage ethnique et de génocide allant de 1915 à 1923 au cours de laquelle 2 millions ou plus de civils arméniens, assyriens et grecs périssent aux mains de l’empire ottoman et du gouvernement provisoire turc.
Si votre humble serviteur peut se permettre un commentaire à ce stade, l’humanité est loin d’être humaine. Un retour au sujet du jour serait une bonne idée.
Le gouvernement britannique reste fidèle à ses armes, en matière de sardines, jusqu’en septembre 1939, lorsque l’Allemagne nationale-socialiste ouvre le feu sur la Pologne, une alliée pour laquelle la France et le Royaume-Uni ne font strictement rien tout au long de ce mois de septembre. Et bien, en fait, on suppose que le gouvernement reste fidèle à ses armes jusqu’à ce que le gros de la British Army s’enfuie du champ de bataille, au milieu d’une bataille, en mai 1940, abandonnant son alliée française et toutes ses armes lourdes dans le processus, et déguerpit outre-Manche.
Une fois traduite, une phrase trouvée sur le site du National Army Museum apporte un sourire désabusé à mon visage ridé : « Après la défaite de la France et l’expulsion [sic] de l’armée d’Europe occidentale, les Britanniques se sont retrouvés sans alliés et menacés d’invasion. » Je me demande si les bonnes gens de cette institution britannique pensent que l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, l’Inde, la Nouvelle-Zélande et le reste du Commonwealth sont du côté de l’Allemagne nationale-socialiste en 1940. Je vous dis ça comme ça, moi.
Quoiqu’il en soit, maintenant qu’il ne peut plus obtenir de sardines bon marché d’Europe continentale, le gouvernement britannique vient frapper à la porte de Connors Brothers, suppliant presque la firme canadienne d’expédier son produit au Royaume-Uni.
Maintenant, je vous le demande, ami(e) lectrice ou lecteur, que pensez-vous qu’il se passe après la fin de la Seconde Guerre mondiale? Ouais, vous l’avez deviné. Le gouvernement du pays d’où sont issus les ancêtres des frères McLean leur claque la porte au nez. Actuellement, il déclare qu’il accueillerait les sardines de Connors Brothers si les étiquettes sur les boîte de conserves indiquent hareng, ou petit poisson conservé dans l’huile. Les frères McLean disent très, très, très poliment au gouvernement britannique d’aller se faire f**tr*.
Serait-il indélicat à ce stade de souligner que plus de 43 000 Canadiennes et Canadiens en uniforme meurent pendant la Seconde Guerre mondiale?
Votre humble serviteur ne peut pas dire quand exactement le gouvernement britannique sort… Une déclaration trop offensante, dites-vous (tapez-vous?), ami(e) lectrice ou lecteur? Vous avez probablement raison. Quoiqu’il en soit, les exportations vers le Royaume-Uni commencent au plus tard en 1961.
Sur une note plus positive, à un moment donné dans la seconde moitié des années 1940, après une nouvelle expansion de sa conserverie suivie de quelques recherches pour confirmer ses soupçons, Connors Brothers retire son enseigne « La plus grande conserverie de sardines de l’Empire britannique » et l’a remplacé par une qui dit, en traduction, « Les plus grands conditionneurs de sardines du monde. »
En 1951, Black’s Harbour est la demeure agréable, moderne, propre et paternaliste de quelque 2 000 Homo sapiens qui y vivent dans quelque 300 maisons, situées sur des rues pavées, avec eau courante, électricité et jardin. Et pas de taxes municipales à craindre. Et oui, la plupart des familles ont une automobile.
Un maquereau, églefin ou flet, ramassé frais au quai de Connors Brothers, bien sûr, peut être ramené à la maison gratuitement pour être utilisé comme plat principal du souper de toutes les familles, à condition qu’elles comprennent une personne qui travaille pour Connors Brothers bien sûr.
Croiriez-vous que la famille typique d’un employé typique vivant dans une maison de 6 pièces paye 14 $ par mois en loyer, soit un peu plus de 145 $ en monnaie de 2022. Wow…
Étant donné que presque tout ce dont notre famille typique a besoin peut être loué ou acheté pour moins cher que presque partout ailleurs en Amérique du Nord, il n’est pas surprenant que de nombreux commentateurs pro-affaires de l’époque qualifient Black’s Harbour de paradis des travailleurs.
Les commentateurs qui ne sont pas pro-affaires ne sont peut-être pas d’accord. Après tout, Connors Brothers possède et exploite le chantier naval, le cinéma, l’épicerie, la flotte de pêche, le garage, l’hôpital, l’hôtel, le journal, la laiterie, le magasin à rayons, le restaurant, la salle de quilles, la scierie et l’usine de menuiserie de Black’s Harbour. Et oui, les policiers, pompiers et éboueurs de Black’s Harbour travaillent pour Connors Brothers. Les seules personnes que la firme n’emploie pas sont les enseignants de l’école, les ecclésiastiques des trois églises et le personnel de la banque.
Même là, Connors Brothers fournit un soutien financier substantiel à l’école et aux églises.
Qu’en est-il d’un conseil municipal avec des échevins et un maire, demandez-vous? Vous plaisantez, ami(e) lectrice ou lecteur un peu naïve / naïf? Cela dit, une question spécifique peut être soulevée lors d’une réunion municipale. Les résident(e)s obtiennent gain de cause dans quelques (plusieurs?) cas.
Pourtant, quiconque se heurte à Connors Brothers, ou aux frères McLean, pour une raison ou une autre, peut se retrouver « dewor » avant de pouvoir dire « Mais, monsieur, laissez-moi… » Ce quiconque peut fort bien comprendre les enseignants, les ecclésiastiques et le personnel de la banque. Et non, votre humble serviteur doute fortement que les employés de la conserverie soient syndiqués.
Les seules personnes riches liées à Connors Brothers sont les frères McLean. L’aîné et président de la firme vit à Saint-Jean tandis que son jeune frère, directeur général de la firme, vit à Black’s Harbour.
La source de leur richesse était, bien sûr, le poisson – en 1950, près de 500 000 000 de sardines entassées comme des, euh, sardines, désolé, je n’ai pas pu résister, dans plus de 70 millions de boîte de conserves que Connors Brothers expédie aux quatre coins de la sphère que nous appelons notre chez nous. Et si vous pouvez trouver un coin sur une sphère, ami(e) lectrice ou lecteur, vous êtes plus intelligent(e) que moi.
Les frères McLean prennent progressivement leur retraite mais laissent l’entreprise entre les mains de membres de la famille. Alexander Neil McLean et Allan Marcus Atkinson McLean décèdent en mars 1967 et avril 1969, à l’âge de 81 et 77 ans.
George Weston Limited de Toronto, Ontario, reprend Connors Brothers à l’automne 1967. Quelques années plus tôt, ce géant canadien de la transformation et de la distribution alimentaire reprend un autre géant canadien de la conserve, British Columbia Packers Limited de Vancouver, Colombie-Britannique. L’acquisition de Connors Brothers fait de George Weston le plus grand acteur de l’industrie canadienne de la conserve.
Au cours des années et décennies suivantes, presque toutes les petites conserveries du Nouveau-Brunswick et du Maine sont forcées de fermer leurs portes, incapables qu’elles sont de rivaliser avec des géants comme Connors Brothers. De fait, cette dernière achète la dernière paire de conserveries de sardines du Maine en 2000. Elles ferment rapidement, une décision qui provoque la colère de nombreuses personnes dans la région.
En 2004, Connors Brothers Income Fund, une nouvelle raison sociale adoptée quelques années auparavant, s’associe à une conserverie de thon américaine, Bumble Bee Holdings Limited Liability Company, sans oublier Clover Leaf Seafoods Company de Markham, Ontario, devenant ainsi la plus grande entreprise de fruits de mer de marque (Beech Cliff, Bumble Bee, Brunswick, Clover Leaf, Snows) en Amérique du Nord.
À l’automne 2008, Connors Brothers Income Fund se vend à une société intermédiaire américaine de capital-investissement du marché, Center Partners Management Limited Liability Company.
En novembre 2019, Bumble Bee Foods Limited Liability Company dépose son bilan. Voyez-vous, en 2017, ce géant des fruits de mer est reconnu coupable d’un complot impliquant deux géants américains des fruits de mer, Starkist Company, une filiale du géant sud-coréen de la pêche Dong-Wonsan-Eob, en d’autres mots Dongwon Industries Limited, et Chicken of the Sea Incorporated, une filiale du géant thaïlandais des fruits de mer Bris̄ʹạth Thịy Yū Neī̀yn Krúp Cảkạd (Mh̄āchn), en d’autres mots Thai Union Group Public Limited Company. Le terrible trio a conspiré pour arranger et augmenter les prix de leurs produits aux États-Unis.
Est-ce que Connors Brothers Clover Leaf Seafoods Company, comme on l’appelle alors, de Blacks Harbour, Nouveau-Brunswick, Blacks sans l’apostrophe, vous remarquerez, est au courant de ce que fait son affilée américaine, vous demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur patinant sur de la glace mince? Vous me pardonnerez si je choisis de ne pas toucher à cette question avec une tige de 3.048 mètres (10 pieds). Bonjour, Monsieur l’avocat en diffamation, rien à voir ici, rien à voir! (Bonjour, EP!)
Quoiqu’il en soit, Connors Brothers Clover Leaf Seafoods doit apparemment se réorganiser en vertu de la loi canadienne sur l’insolvabilité.
La firme est toujours en activité en 2022. Son site Web semble indiquer qu’elle vend des produits de marque Brunswick, Bumble Bee et Clover Leaf, ce qui est un peu étrange étant donné que Bumble Bee Foods fait également des affaires en 2022, tout comme Chicken of the Sea. Alors, Bumble Bee Foods est-elle contrôlée par Connors Brothers Clover Leaf Seafoods? Une bonne question. N’hésitez pas à la poser, ami(e) lectrice ou lecteur. Mais pas à moi.
En date de 2022, la conserverie exploitée à Blacks Harbour par Connors Brothers Clover Leaf Seafoods est apparemment la dernière usine de ce type dans la région de la baie de Fundy.
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