Saccager la nature et se constituer une fortune en satisfaisant les envies d’une élite égoïste; Ou, Comment une industrie dominée par T.K. Bellis Turtle Company Limited de Londres, Angleterre, a presque anéanti une véritable merveille de la mer, partie 2
Bonjour à vous, ami(e) lectrice ou lecteur. Étant donné que votre humble serviteur avait encore beaucoup de matériel sur T.K. Bellis Turtle Company Limited de Londres, Angleterre, j’ai pensé qu’il valait mieux mettre ce matériel dans ce second volet. Et le voici. N’êtes-vous pas joyeuse / joyeux? J’aurais facilement pu transformer ce projet en un article en trois parties, vous savez…
Humm, votre démonstration de joie n’est pas exactement renversante, mais elle fera l’affaire.
Comme votre humble serviteur le laisse entendre dans la première partie de cet article, au début des années 1870, Thomas Kerrison Bellis se rend compte que la façon dont le commerce des tortues marines anglais / britanniques est organisé est assez inefficace. Convaincu qu’il peut faire mieux, il se lance en affaires en 1874. Bellis semble avoir un vrai talent pour les affaires. En 1882, par exemple, il remporte une médaille d’argent à la International Fisheries Exhibition qui se tient à Londres. En 1883, il remporte une médaille d’or.
À la fin du 19ème siècle, T.K. Bellis Turtle, la firme dirigée par le Turtle King, ou Roi de la tortue, comme on appelle Bellis, a à peu près le monopole du commerce des tortues marines anglais / britannique (et de l’empire / Commonwealth?). Croiriez-vous que Bellis prétend contrôler 90 % du dit commerce? De fait, T.K. Bellis Turtle est peut-être le plus grand importateur / pourfendeur de tortues vertes en Europe à l’époque.
Une publicité typique de T.K. Bellis Turtle Company Limited. Anon., « T. K. Bellis Turtle Company Limited. » The Canadian Journal of Commerce, 17 octobre 1902, 1622.
Et oui, ami(e) lectrice ou lecteur, des produits de T.K. Bellis Turtle comme les soupe et gelée de tortue sont effectivement disponibles au Canada depuis au moins 1902. La publicité parue en octobre de cette année-là dans l’hebdomadaire The Canadian Journal of Commerce, publié à Montréal, Québec, une publicité que vous avez vue il y a quelques secondes à peine, en est la preuve.
Grâce à la gestion de Bellis, le coût moyen de la soupe de tortue à la fin du 19ème siècle passe de 0.46 £ le litre à 0.22 £ le litre, des sommes qui correspondent à environ 135 $ et 64 $ en devise canadienne de 2023. Et oui, cela signifie que le coût de gallons impérial et américain de soupe peut être passé de l’équivalent d’environ 615 $ à 290 $ et de 510 $ à 240 $ en devise canadienne de 2023. On croit rêver.
Et oui, T.K. Bellis Turtle possède très certainement un mandat royal lui permettant d’indiquer sur ses produits qu’elle approvisionne la maisonnée de la reine Victoria, née Alexandrina Victoria de la maison Hanovre. Votre humble serviteur a le sentiment qu’elle approvisionne également la maisonnée de son fils et successeur, le, très respectueusement, glouton roi Edward VII, né Albert Edward « Bertie » de la maison Saxe-Cobourg et Gotha, mais je digresse.
Capturées dans le golfe du Mexique par de petits équipages évoluant sur des goélettes ou sloops, les tortues vertes destinées au marché britannique sont livrées à Kingston, Jamaïque. Chaque navire peut transporter entre 80 et 150 tortues vertes, quand les temps sont bons, pour les groupes de chasseurs évidemment. Et oui, un certain nombre de tortues capturées dans les filets des chasseurs peuvent bien se noyer avant que ces derniers ne puissent les atteindre.
Placées dans des enclos contenant de l’eau de mer et nourries d’herbes marines, les tortues marines sont bientôt embarquées à bord de navires de Royal Mail Steam Packet Company. Nourries avec de la laitue (et des flocons d’avoine?), les tortues marines sont de nouveau logées dans des bacs. Il est possible qu’elles soient arrosées d’eau de mer (réchauffée?) lors de leur aller simple vers l’Angleterre. À bord du train vers Londres, les tortues marines sont maintenues au chaud par de nombreux chauffe-pieds.
L’utilisation du mot chaud est en effet très importante. Les températures froides s’avèrent inévitablement fatales. À une occasion, dans les années 1890, 45 des 120 tortues marines transportées par un navire postal britannique meurent en cours de route, d’une cause ou d’une autre. Un autre 30 meurent de froid sur le sol anglais avant d’atteindre Londres.
Même si, comme indiqué dans la première partie de cet article, les tortues vertes adultes peuvent peser jusqu’à 190 kilogrammes (420 livres), la viande de ces individus est jugée trop dure ou manquant de délicatesse pour les pièces buccales des riches élites du Royaume-Uni. En conséquence, dans l’ensemble, seuls les individus pesant entre 45 et 65 kilogrammes (100 à 140 livres) sont saisis.
Alors qu’elle garde initialement dans ses caves les tortues marines survivantes, jusqu’à ce que leur présence en cuisine soit requise… Euh, oui, les tortues sont initialement gardées dans des bacs contenant de l’eau de mer ou sur des nattes de paille peut-être. Euh, recommençons. Alors qu’elle garde initialement dans ses caves les tortues marines survivantes jusqu’à ce que leur présence en cuisine soit requise, à la fin des années 1890, T.K. Bellis Turtle met à mort ces survivantes peu de temps après leur arrivée dans ses installations. Les tortues marines deviennent ainsi de la galantine de tortue, gelée de tortue, herbes de tortue, pâté de tortue, soupe de tortue et tortue en conserve, sans oublier, bonté gracieuse, du savon à l’huile de tortue.
Incidemment, une galantine est un plat composé de morceaux de viande blanche entourés d’un mélange de farce et salpicon, le tout cuit dans un bouillon dont on fait une gelée servant à glacer ou accompagner la galantine.
Dans un tout autre ordre d’idées, la… Soupir… Un salpicon est un mélange de viande, poisson, légumes et / ou fruits coupé en petits dés et lié avec une sauce blanche ou brune de même nature. Puis-je continuer? Merci.
Dans un tout autre ordre d’idées, la traduction de la citation suivante, trouvée dans un numéro de janvier 1900 de The Graphic, un hebdomadaire illustré britannique extrêmement influent, peut être intéressante et quelque peu dérangeante :
Influenza.
Quelques cuillerées de vraie soupe de tortue ou de gelée de tortue Bellis sauveront souvent une vie précieuse.
[…]
À moins que de la soupe de tortue ou de la gelée de tortue n’ait été administrée, on ne peut pas dire que tout a été fait pour la ou le malade.
Ouah… Et non, ni la soupe de tortue ni la gelée de tortue n’ont d’effet prouvé sur l’influenza, mais revenons à notre histoire.
L’épuisement sévère des populations de tortues vertes provoque une légère panique à Londres en octobre 1904. Si. Selon certains, il est impossible de trouver un seul représentant vivant de cette espèce en voie de disparition de plus en plus menacée où que ce soit dans la ville. Des gens sont apparemment prêts à payer plus de 1 £ pour 28 grammes (1 once) de viande de tortue, ce qui correspond à environ 265 $ en devise canadienne de 2023.
Pour 28 grammes (1 once) de viande de tortue. Je ne plaisante pas.
Quel méchant ignoble peut être responsable de cette crise, demandez-vous, ami(e) lectrice ou lecteur? Eh bien, voyez-vous, les chasseurs de tortues marines de diverses colonies britanniques des Caraïbes sont au milieu d’une prise de bec avec des représentants du gouvernement du Nicaragua.
Désireux de puiser dans une nouvelle source de revenus, le gouvernement du Nicaragua, alors dirigé par un despote éclairé, le président José Santos Zelaya López, décide, en avril 1903, d’imposer une taxe sur tout navire impliqué dans le commerce des tortues marines. Il le fait à un moment où il n’a cependant pas les moyens de faire appliquer cette mesure. Le Nicaragua est, après tout, un petit pays avec des ressources navales très limitées. Il fonctionne également dans un environnement en proie à des tensions.
Voyez-vous, encore, le voisin du sud du Nicaragua, la Colombie, est encore en proie à des troubles, à la suite d’une terrible guerre civile de 1 000 jours. Pis encore, un éclatement du pays soutenu / orchestré par les États-Unis conduit à la création d’un nouveau pays, le Panama, en novembre 1903. Et oui, la création du Panama est la conséquence directe de la volonté du gouvernement américain, alors dirigé par le président Théodore « T.R. / Teddy » Roosevelt, Junior, pour contrôler le canal qu’il veut voir construit dans le nouveau pays.
Remarquez, votre humble serviteur se demande si le gouvernement de Zelaya López peut également être un peu agacé par ce qu’il considère comme l’épuisement de ses eaux côtières par des personnes qui, les années précédentes, ont épuisé leurs propres eaux côtières. Je vous dis ça comme ça, moi.
Quoi qu’il en soit, les chasseurs de tortues marines des colonies britanniques situées dans les Caraïbes sont naturellement alarmés. De fait, ils demandent au Colonial Office, le ministère des colonies britannique, que les gouvernements des dites colonies britanniques louent les droits de chasse requis en leur nom et s’abstiennent de prendre des mesures concernant l’application de la taxe jusqu’à l’arrivée d’un document de clarification préparé par le gouvernement nicaraguayen.
Les importateurs britanniques de tortues marines sont également naturellement alarmés, et ce malgré le fait qu’ils sont plutôt satisfaits de voir à quel point il est difficile pour le Nicaragua de faire appliquer sa nouvelle taxe. Ils ont tous de sacrées bonnes raisons d’être satisfaits. Voyez-vous, selon Bellis, l’imposition de la dite taxe pourrait augmenter le prix de la soupe de tortue vendue au Royaume-Uni de jusqu’à 35 %.
Un seul litre de ce délicieux plat pourrait donc voir son prix grimper jusqu’à 1.3 £, une somme qui correspond à un époustouflant 380 $ en devise canadienne de 2023. Et oui, cela signifie que des gallons impérial et américain de soupe coûteraient respectivement l’équivalent d’environ 1 725 $ et 1 440 $ en devise canadienne de 2023. On croit rêver.
Si la loi nicaraguayenne est appliquée, déclare Bellis, le commerce des tortues marines s’effondrerait brutalement.
À la fin de 1903 ou au début de 1904, les autorités nicaraguayennes tentent de faire appliquer la taxe, menaçant de saisir les tortues marines à bord des goélettes et sloops des îles Caïmans si le paiement est refusé. Le commodore de la flotte de chasse refuse poliment de payer, ajoutant que les autorités coloniales britanniques en Jamaïque, le gouverneur même de cette colonie peut-être, sir Augustus William Lawson Hemming, l’a informé que, tant que les navires britanniques resteraient hors des eaux nicaraguayennes, c’est-à-dire en dehors de la limite des 3 milles nautiques (5.5 kilomètres), aucun paiement d’aucune taxe ne pourra être exigé.
Mieux encore, le commodore peut avoir informé les autorités nicaraguayennes que la Royal Navy est prête à escorter les navires impliqués dans le commerce des tortues marines si besoin est. Le gouvernement de Zelaya López sait qu’il n’a pas d’autre choix que de reculer.
À première vue, la situation ne s’améliore pas beaucoup au cours des mois suivants. De fait, les choses empirent. Fin mars 1904, invoquant un empiètement de leurs eaux territoriales, ce que les groupes de chasseurs nient, les autorités nicaraguayennes saisissent 6 goélettes en provenance des îles Caïmans, emprisonnent leurs équipages, détruisent leurs filets et relâchent (ou vendent?) les tortues vertes qu’elles ont capturées.
Le gouvernement britannique envoie un petit croiseur de la Royal Navy pour calmer les esprits et veiller à ce que les équipages des goélettes et les navires eux-mêmes soient libérés et qu’une compensation plutôt salée soit payée pour la saisie des goélettes et de leurs prises. Mieux encore, le capitaine du croiseur exige que des stations de chasse aux tortues marines situées sur de petites îles dans les eaux internationales au large des côtes du Nicaragua, détruites sur ordre du gouvernement nicaraguayen, soient reconstruites au plus vite.
Si la plupart des chasseurs de tortues marines sont en effet relâchés avant trop, trop longtemps, en mai, je pense, ces individus et, peut-être, les équipages d’autres navires sont tellement secoués qu’ils refusent de chasser n’importe où près du Nicaragua. En conséquence, affirme Bellis, le croiseur peut avoir escorté des groupes de chasseurs. Que cela soit vrai ou non et / ou que la question soit réglée ou non avant l’édition de 1904 de l’énorme banquet annuel organisé en novembre par le Right Honourable Lord Mayor of London n’est pas clair. Votre humble serviteur est d’avis qu’une fois de plus, le gouvernement de Zelaya López sait qu’il n’a d’autre choix que de reculer.
Croiriez-vous qu’une autre situation similaire éclate au printemps 1905? Ouais. Un petit croiseur de la Royal Navy, tout neuf d’ailleurs, est envoyé au Nicaragua pour calmer le jeu. Le gouvernement de Zelaya López indique qu’il n’agresserait pas les goélettes et sloops britanniques impliqués dans le commerce des tortues marines dans les eaux internationales. Il n’a pas vraiment le choix.
Pourtant, une autre mini crise éclate à l’automne 1905. Je ne plaisante pas. Des chasseurs de tortues marines des îles Caïmans entrent accidentellement dans les eaux territoriales du Nicaragua parce qu’ils ne savent pas où ces eaux se terminent. Le capitaine du tout nouveau croiseur de la Royal Navy s’entretient avec les chasseurs britanniques et autorités nicaraguayennes. La mini crise se résorbe. Que l’affaire ait été réglée ou non avant l’édition de 1905 de l’énorme banquet annuel organisé en novembre par le Right Honourable Lord Mayor of London n’est encore une fois pas clair.
Une brève digression si je peux me permettre. La flotte de chasse aux tortues marines des îles Caïmans se compose de près de 35 goélettes et sloops au début de 1907. Les deux tiers de cette flotte opèrent dans les eaux côtières du Nicaragua. Et oui, vous avez bien raison ami(e) lectrice ou lecteur, le commerce des tortues marines est bien la principale industrie des îles Caïmans à l’époque.
Et oui, encore une fois, les actions firmes par la Royal Navy en 1904-05 constituent un exemple classique de diplomatie de la canonnière, la poursuite de divers objectifs de politique étrangère à l’aide de la présence ostensible de navires de guerre et d’une menace implicite / explicite de violence si le pouvoir le plus faible ne rampe pas à la satisfaction du pouvoir le plus fort.
Une pensée potentiellement controversée si je puis me permettre. Les équipages des colonies britanniques antillaises / caribéennes impliqués dans le commerce des tortues marines et / ou les importateurs britanniques de tortues marines eux-mêmes, y compris Bellis, savent qu’ils peuvent compter sur la Royal Navy si les choses se gâtent. Certains de ces chasseurs et importateurs peuvent avoir décidé de profiter de ce fait. Si je peux me permettre de citer en traduction le susmentionné Roosevelt, « Parlez doucement et portez un gros bâton, vous irez loin. »
Le problème avec une telle attitude est que le pouvoir et l’influence des grandes puissances augmentent et diminuent. La Chine subit de nombreuses intimidations et humiliations aux 19ème et 20ème siècles, courtoisie des empires russe, japonais, français, britannique, américain, allemand, etc., par exemple. Faut-il s’étonner que, maintenant qu’elle a beaucoup de puissance à sa disposition, la direction du Zhōngguó Gòngchǎndǎng utilise sa nouvelle force retrouvée pour bousculer / intimider des pays proches et lointains? La Chine et le Parti communiste chinois pourraient n’agir que comme les grandes puissances ont tendance à agir à travers les âges. Encore une fois, je vous dis ça comme ça, moi. Fin de la pensée controversée.
T.K. Bellis Turtle est liquidée au plus tard en septembre 1912. Les liens éventuels entre cette firme et une autre entité, celle-là constituée en janvier 1911, T.K. Bellis Turtle Company (1911) Limited, ne sont pas clairs. Quoi qu’il en soit, Bellis est un des directeurs de cette dernière.
Comme vous pouvez l’imaginer, le début de la Première Guerre mondiale, en 1914, met un holà au commerce des tortues marines. Outre le danger posé par les sous-marins allemands, les compagnies maritimes doivent également transporter des articles de première nécessité plutôt que des articles de luxe.
T.K. Bellis Turtle Co. (1911) est liquidée au plus tard en janvier 1922. Bellis lui-même quitte ce monde en avril 1929, à l’âge vénérable de 88 ans.
Même si Bellis et ses firmes ne sont plus là, les populations de tortues vertes ne rebondissent jamais. Dans les années 1960, l’espèce est sans doute en voie d’extinction. Pour autant, croiriez-vous que les touristes américains et canadiens de plus en plus nombreux qui affluent en Floride en hiver, après la Seconde Guerre mondiale, peuvent laper ou engloutir de la soupe de tortue et / ou des steaks de tortues marines, sans parler de hambourgeois de tortues marines, et ce jusqu’aux années 1960, sinon le début des années 1970?
Heureusement, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction entre en vigueur en juillet 1975. En mars 1973, les représentants d’environ 80 pays, dont le Canada et les États-Unis, s’étaient mis d’accord sur le texte de cet effort international juridiquement contraignant, je pense, pour protéger la flore et la faune du monde. Le Canada signe la convention en juillet 1974 et la ratifie en avril 1975.
Même si la rédaction de cet article n’a pas fait / ne fera pas de moi un végétarien ou végétalien, à toutes fins utiles, votre humble serviteur s’est transformé ces dernières années en un… pescétarien pratiquant, autrement dit un végétarien dont le régime alimentaire comprend du poisson – et d’autres types de créatures marines. (Bonjour, EG!) De plus, ce pescétarien aime aussi les œufs et le fromage. (Bonjour, Wallace et Gromit!)
À plus.