Il est né avion baladeur, essayant de gagner sa vie et faisant du mieux qu’il pouvait : L’histoire fascinante du Reid / Curtiss-Reid Rambler, le premier avion léger / privé du Canada, partie 2
Bien le bonjour, ami(e) lectrice ou lecteur fasciné(e) par les choses de l’air et, dans le cas qui nous préoccupe, la fascinante histoire du premier avion léger / privé conçu au Canada, le Reid Rambler. Commençons donc sans plus de billevesées la seconde partie de notre exposé.
Le président fondateur de Reid Aircraft Limited de Montréal, Québec, (bureau) et Cartierville, Québec (ateliers), Wilfrid Thomas Reid, entame la conception du Rambler, un tout nouvel aéronef biplace d’entraînement, avant même la fin de l’hiver 1927-28. Il est à noter que le prototype de ce sesquiplan est fabriqué dans le plus grand secret. Aucun représentant de la presse n’obtient la permission de pénétrer dans le hangar / atelier où il prend forme peu à peu.
Le dit prototype est… Euh, vous semblez un tantinet perplexe, ami(e) lectrice ou lecteur. Avez-vous une question? Qu’est-ce qu’un sesquiplan? Ahh… Un sesquiplan est un aéronef similaire à un biplan, dont une des ailes, l’aile inférieure pour ainsi dire exclusivement, est environ 2 fois plus petites que l’autre, mais reprenons le cours de notre vol.
Le dit prototype est un tantinet inhabituel pour l’époque. Voyez-vous, la structure de son fuselage et de ses ailes est entièrement métallique : en acier pour ce qui est du fuselage et en alliage d’aluminium pour ce qui est des ailes. Le revêtement des dites ailes et fuselage, en tissu, est on ne peut plus conventionnel, toutefois.
Un autre aspect inhabituel du Rambler est la présence de certains éléments structurels interchangeables pouvant être utilisés aussi bien sur son côté gauche que sur son côté droit.
Il est également à noter que les ailes de l’aéronef conçu par Reid sont repliables en moins d’une minute. L’espace qu’il occupe dans un hangar est par conséquent fort limité, ce qui constitue un avantage non négligeable pour un aéroclub qui ne roule pas sur l’or. Peu, sinon aucun d’entre eux ne le font, en fait.
Une brève digression si vous me le permettez. Reid n’a aucun lien de parenté avec Percival Hall “Percy” Reid, un pionnier de l’aviation québécoise / canadienne mentionné dans un numéro d’octobre 2022 de notre encyclopédique blogue / bulletin / machin, un pionnier qui vole souvent à partir de… Cartierville. Le monde est petit, n’est-ce pas?
Quoi qu’il en soit, l’avenir de Reid Aircraft semble prometteur. La direction affirme en effet avoir non moins de 60 commandes en poche avant même la fin juin 1928. Elle prévoit alors produire avant longtemps 1, 2, voire même 3 aéronefs par semaine.
Mieux encore, Reid et sa petite équipe prépare alors les plans d’un aéronef de plus grande taille. Ce biplan capable de transporter 6 personnes, le Reid Lark, doit effectuer son premier vol vers décembre 1928. Votre humble serviteur a l’impression que cet aéronef est un avion de brousse mais je n’en ai évidemment pas la preuve. De fait, ce projet ne dépassera pas l’étape de la table à dessin.
Consciente de l’importance de la publicité, Reid Aircraft participe à la première exposition aéronautique qui se tient à Montréal, du 7 au 15 juillet 1928, au manège militaire de la rue Craig. Comme vous pouvez l’imaginer, des avionneurs canadiens tels que de Havilland Aircraft of Canada Limited de Downsview, Ontario, et Canadian Vickers Limited de Montréal sont également de la fête, tout comme l’Aviation royale du Canada (ARC) d’ailleurs.
Incidemment, cette exposition aéronautique est parrainée par le Montreal Light Airplane Club Incorporated, un aéroclub mentionné quelques fois dans notre incroyaaable blogue / bulletin / machin depuis janvier 2018.
Le prototype du Rambler n’étant pas encore prêt, la direction de Reid Aircraft met en exposition un Sopwith F.1 Camel, un avion de chasse britannique largement utilisé pendant la Première Guerre mondiale. L’aéronef en question est selon toute vraisemblance une machine expédiée aux États-Unis en 1918 pour être utilisée par des pilotes associés à la British Aviation Mission dont le siège est à Washington, District de Columbia. Il arrive au Canada à un moment donné, vraisemblablement au début des années 1920. L’ARC l’utilise vraisemblablement comme cellule d’instruction. Reid Aircraft peut, je répète peut, avoir emprunté ce Camel afin d’avoir quelque chose à exposer à l’exposition aéronautique. Vraisemblablement.
Cela étant dit (tapé?), je m’en voudrais de ne pas vous indiquer qu’un Sopwith 2F.1 Ship Camel fait partie de l’inoubliable collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, à Ottawa, Ontario.
Le Rambler effectue son premier vol en septembre 1928, à Cartierville. Un blocage des ailerons place son pilote dans une situation périlleuse dès qu’il quitte le sol. Martin J. Berlyn parvient toutefois à compléter un circuit autour de la piste et se poser sans encombre. Il n’est pas un heureux campeur mais ne signale le problème à Reid que lorsque personne d’autre n’est aux alentours. Le système de commandes du Rambler est évidemment aussitôt modifié.
Le prototype du Reid Rambler et quelques-unes des personnes qui assistent à son premier vol en public, Cartierville, Québec, septembre 1928. De gauche à droite, Charles Barclay DeTollie Drummond, William Wilkes Schuyler Lighthall, Camillien Houde et son épouse, Georgiana / Georgette Houde, née Falardeau, Wilfrid Thomas Reid et son épouse, Grace Reid, née Lotan, Thomas Charles Lamb, Martin J. Berlyn et Ernest Frederick Woodham Peacock. Anon., « Un nouvel ‘oiseau’ mécanique à Cartierville. » La Presse, 1er octobre 1928, 3.
Le dévoilement du Rambler, moins d’une semaine après le premier vol, à la fin septembre 1928, à Cartierville, est un événement de marque qui comprend un déjeuner officiel auquel participe le maire de Montréal, Camillien Houde. Le dit déjeuner se déroule au Mount Royal Hotel de Montréal, un établissement très chic qui appartient à une firme américaine.
Les quelques centaines de personnes présentes à l’aéroport de Cartierville applaudissent lorsque l’épouse de Reid, Grace Reid, née Lotan, fracasse une bouteille de champagne sur le moyeu de l’hélice du Rambler, je pense. Cette dame effectue par la suite une brève envolée avec Berlyn. Quelques autres personnes font de même par la suite.
Ayant dévoré avec passion la première partie de cet article de notre blogue / bulletin / machin, ami(e) lectrice ou lecteur, vous savez qui sont Charles Barclay « Boochus » DeTollie Drummond, William Wilkes Schuyler « Billy » Lighthall et Ernest Frederick Woodham « Ted » Peacock. Cela étant dit (tapé?), Berlyn est un ingénieur d’origine anglaise et assistant de Reid qui avait œuvré avec lui à Canadian Vickers – et l’avait rejoint chez Reid Aircraft. Le Québécois Thomas Charles « Tom » Lamb, quant à lui, est un membre du conseil d’administration de Reid Aircraft, mais revenons au fil conducteur de notre histoire.
L’avenir de Reid Aircraft semble toujours aussi prometteur. La firme prévoit initialement produire 2 Rambler par semaine. Une fois les travaux d’agrandissement de ses ateliers terminés, la firme serait en mesure de produire 7 aéronefs par semaine.
Intéressée par la structure métallique du Rambler et, plus encore, soucieuse d’acquérir un pied-à-terre au Canada afin de contourner les tarifs imposés aux aéronefs non-britanniques importés au pays, le géant aéronautique américain Curtiss Aeroplane & Motor Company Incorporated prend le contrôle de Reid Aircraft à la fin de 1928. Curtiss-Reid Aircraft Company Limited voit le jour en décembre.
Et oui, Curtiss Aeroplane & Motor est bel et bien mentionnée à quelques reprises dans notre brillant blogue / bulletin / machin depuis avril 2018.
Soit dit en passant, le conseil d’administration de Curtiss-Reid Aircraft comprend quelques représentants de sa maison mère américaine, dont le Canado Américain Clement Melville Keys, le président de la dite maison mère.
Des rumeurs concernant une fusion de Curtiss-Reid Aircraft avec Canadian Vickers commencent à circuler quelques jours après la prise de contrôle de la firme québécoise. Elles sont aussitôt niées par un des membres du conseil d’administration de cette dernière firme, Victor Montague Drury.
En janvier 1929, la direction de Curtiss-Reid Aircraft annonce la signature d’un contrat avec un pays non identifié d’Amérique du Sud, pour quelques Rambler. Ce pays, c’est peut-être l’Argentine. En fin de compte, un seul et unique aéronef arrive dans ce pays. Cela étant dit (tapé?), l’avenir de la firme semble toujours prometteur. Elle espère produire environ 300 Rambler par an avant trop, trop longtemps.
À cette époque, toutefois, le de Havilland Moth est bien implanté dans les aéroclubs canadiens. Pis encore, certains problèmes techniques retardent les livraisons de Rambler jusqu’au moment où la Grande Dépression commence à cogner dur.
Les projets de vente d’aéronefs à l’étranger (États-Unis et Amérique du Sud) ne se concrétisent pas. Même l’ARC n’apporte qu’un appui limité à Curtiss-Reid Aircraft. Jugeant supérieurs le susmentionné Moth et le Fleet Fawn, une machine américaine fabriquée sous licence en Ontario, le ministère de la Défense nationale commande tout juste 8 des 43 Rambler fabriqués entre 1928 et 1936 (?). Deux de ces aéronefs sont portés aux livres en octobre 1929. Les 6 autres le sont en mars et avril 1930. Quatre de ces 8 machines sont d’ailleurs transférées à des aéroclubs en 1933-34.
On peut se demander si la perte de 3 Rambler militaires lors d’accidents survenus entre mai et août 1930 refroidit encore davantage l’intérêt de l’ARC pour cette machine. De fait, une dizaine de Rambler sont détruits lors d’accidents survenus entre janvier 1930 et août 1931, un total un tant soit peu élevé il faut l’admettre, et ce même si le Rambler est un aéronef utilisé pour la formation initiale des pilotes. Enfin, passons.
Et oui, la plupart des Rambler, près d’une trentaine en fait, sont livrés tout neuf à des aéroclubs, écoles de pilotage ou pilotes privés canadiens. C’est à bord d’une des machines opérées par Curtiss-Reid Flying School (Limited?) de Cartierville que le plus grand pilote de chasse canadien de la Seconde Guerre mondiale, le Montréalais / Verdunois George Frederick « Buzz / Buzzy / Screwball » Beurling, prend ses premières leçons de pilotage au cours des années 1930.
Il en va de même pour le conservateur fondateur du Musée national de l’aviation, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, le regretté Kenneth Meredith « Ken » Molson, un gentilhomme mentionné à plusieurs reprises dans notre blogue / bulletin / machin depuis juillet 2018.
Un jeune Kenneth Meredith Molson effectuant son premier vol en solo à bord d’un Curtiss-Reid Rambler exploité par Curtiss-Reid Flying School (Limited?) de Cartierville, Québec, près de Cartierville, été 1934. MAEC, 2008.0109.
Soit dit en passant, Beurling est mentionné dans un numéro d’avril 2022 de notre très excellent vous savez quoi.
Avant que je ne l’oublie, son premier instructeur semble être un des rares pilotes francophones québécois ayant servi au sein du Royal Flying Corps de la British Army et de la Royal Air Force (RAF) pendant la Première Guerre mondiale. Édouard Octave « Fizz » Champagne se joint au personnel de Curtiss-Reid Flying School vers novembre 1934 lorsque celle-ci absorbe l’École d’aviation de Montréal Enregistrée de Cartierville, la seule école de pilotage bilingue d’Amérique du Nord.
Et non, le stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada n’a pas de Fawn. Sa collection de classe internationale comprend toutefois un Fleet Finch, une machine fort similaire.
Soit dit en passant, Geoffrey Ronald Beck, l’instructeur en chef d’origine anglaise de Curtiss-Reid Flying Service Limited de Cartierville, un service aérien contrôlé par Curtiss Aeroplane & Motor ou une de ses filiales, est aux commandes d’un des Rambler qui vole de Cartierville à la base de l’ARC de Camp Borden, Ontario, en mars 1930, pour leur vol de livraison.
Ce vétéran de la Première Guerre mondiale a en poche une lettre du susmentionné Houde qu’il livre en cours de route au maire de Toronto, Bert Sterling Wemp. Ce dernier, journaliste recyclé en politicaillerie, est un ancien pilote de bombardement du Royal Naval Air Service (RNAS) de la Royal Navy et de la RAF qui a servi pendant la Première Guerre mondiale.
Et oui, il y a effectivement de nombreux vétérans de la Première Guerre mondiale dans la communauté aéronautique canadienne des années 1920 et 1930.
Vous serez sans doute ravi(e) de voir (lire?) que le ministère de la Défense nationale donne son aval au vol entrepris en janvier 1930 à l’aéroport de Saint-Hubert par le capitaine d’aviation Neill Charles Ogilvie-Forbes de la Royal Air Force et son navigateur, un employé de Curtiss-Reid Aircraft, l’Anglais Carlos Gerald Hugh Edward Lumsden. Le Rambler que pilote l’officier écossais se pose à Ciudad de México, Mexique, à la toute fin du mois. Et oui, il s’agit là du premier vol entre le Canada et le Mexique à être réalisé par un aéronef portant une immatriculation canadienne.
Ce vol est somme toute sans histoire, à l’exception d’un atterrissage d’urgence causé par un manque d’essence à plusieurs dizaines de kilomètres (quelques dizaines de milles) au nord de Ciudad de México. Des villageois armés à dos de cheval entourent bientôt l’aéronef. Convaincus qu’ils sont que le Mexique est fait seulement de bandidos, revolucións et revólvers, Ogilvie-Forbes et Lumsden craignent pour leur vie.
Le mot gasoline / gasolina prononcé par ces deux unilingues anglophones a un effet immédiat, ce qui n’a rien de surprenant quand vous y réfléchissez. Un des villageois offre son cheval à Ogilvie-Forbes qui fonce vers le village, présumément avec au moins un guide. Il en revient avec de l’essence de mauvaise qualité. Remerciant leurs hôtes / sauveurs, j’espère, Ogilvie-Forbes et Lumsden ne tardent pas à décoller et atteignent Ciudad de México en toute sécurité.
Ogilvie-Forbes et Lumsden se posent à Cartierville vers la mi-février après un vol de retour sans histoire, et après avoir complété un périple d’environ 12 000 kilomètres (environ 7 500 milles) – sans aucun doute le plus long périple jamais accompli par un Rambler.
Le président de Curtiss-Reid Aircraft félicite évidemment les deux aviateurs. Cette personne est nulle autre que John Alexander Douglas McCurdy, un gentilhomme mentionné à plusieurs reprises depuis septembre 2017 dans notre incomparable et inoubliable blogue / bulletin / machin. Un gentilhomme qui, en février 1909, a réalisé le premier vol soutenu et contrôlé d’un aeroplane motorisé en sol canadien.
McCurdy n’est toutefois plus de si bonne humeur lorsque vient l’été 1930. L’absence de commandes le force en effet à mettre à pied plus de la moitié, puis plus des trois quarts du personnel de Curtiss-Reid Aircraft.
Vers la fin mai 1931, un Rambler piloté par John Doxey « Parky » Parkinson atteint de peine et de misère une altitude d’environ 6 700 mètres (environ 22 000 pieds). L’encre du barographe placé à bord pour confirmer l’altitude atteinte ayant gelé aux environs de 5 500 mètres (environ 18 000 pieds), ce pilote d’essais d’origine anglais de Curtiss-Reid Aircraft ayant servi dans le RNAS et la RAF pendant la Première Guerre mondiale ne sait pas précisément quelle altitude il atteint. Du coup, le record d’altitude canadien établi ce jour-là ne peut pas être officialisé.
Le Rambler amélioré et plus puissant piloté par Parkinson tire son origine d’une suggestion faite un employé respecté de Curtiss-Reid Aircraft, le pilote et mécanicien québécois Irénée « Pete » Vachon, un des 4 fameux frères Vachon qui jouent un rôle fort important dans l’histoire de l’aviation au Canada. (Bonjour, AT!)
Curtiss-Reid Aircraft entend bien tirer parti des performances de ce Rambler dans une compétition prestigieuse, la King’s Cup Race, créée en 1922 par le roi George V pour encourager le développement de meilleurs avions légers / privés. La course de 1931 doit se tenir vers la fin juillet. Il est à noter que la dite compétition n’est ouverte qu’aux sujets britanniques pilotant des aéronefs britanniques.
Et oui, les Canadiennes et Canadiens sont des sujets britanniques à cette époque et… Qu’y a-t-il, ami(e) lectrice ou lecteur? Vous êtes intrigué(e) par ma déclaration concernant l’absence de citoyenneté canadienne en 1931? Eh bien, c’est la triste vérité. La Loi sur la citoyenneté canadienne ne devient une chose qu’en janvier 1947. Les homologues néo-zélandais, australien et britannique de cette loi acquièrent force de loi en 1948.
John Clarence Webster, Junior, avec le Curtiss-Reid Rambler qu’il pilote lors de l’édition 1931 de la King’s Cup Race, aéroport de Saint-Hubert, Saint-Hubert, Québec. MAEC, 1371.
Curtiss-Reid Aircraft et le pilote qui doit participer à la compétition, John Clarence « Johnny » Webster, Junior, un membre du conseil d’administration du Montreal Light Aeroplane Club Incorporated, complètent, dit-on, les procédures d’inscription à la toute dernière minute. Le « dit-on » en question peut être approprié ici. En effet, Webster et son équipe semblent avoir eu tout le temps dont ils avaient besoin. Remarquez, l’obtention du certificat de navigabilité sans lequel aucune admission ne peut être acceptée peut avoir retardé les choses.
Et oui, vous avez parfaitement raison, ami(e) lectrice ou lecteur aérophile. Le dit certificatif est octroyé par la Division de l’aviation civile du ministère de la Défense nationale.
Le rédacteur en chef fondateur du célèbre hebdomadaire britannique The Aeroplane, Charles Grey « C.G. » Grey, ne réagit pas avec un enthousiasme délirant à cette première inscription à la King’s Cup Race d’un aéronef qui ne porte pas une immatriculation à 100% britannique. Croiriez-vous que cet individu contradictoire qui peut être à la fois suprêmement généreux et suprêmement offensant exprime l’espoir que le Rambler de Webster serait soigneusement examinée pour s’assurer qu’il est fait de matériaux britanniques jusqu’aux derniers écrou et boulon? Enfin, passons.
Ais-je par ailleurs besoin de vous rappeler, ami(e) lectrice ou lecteur, que George V, né George Frederick Ernest Albert de la maison Saxe-Coburg and Gotha, est mentionné dans des numéros de décembre 2018, octobre 2021 et août 2023 de notre renversant blogue / bulletin / machin? C’est bien ce que je pensais. Mais revenons à notre histoire.
Le Curtiss-Reid Rambler piloté par John Clarence Webster, Junior, lors de l’édition de 1931 de la King’s Cup Race, en Angleterre, en juillet 1931. Le de Havilland Moth qui s’éloigne pour éviter une collision est piloté par un aviateur anglais, Charles Frederick Howard Gough. MAEC, 1967.0898.
Soit dit en passant, la peinture que vous venez de voir est une œuvre du regretté Robert William « Bob » Bradford, un gentilhomme parmi les gentilhommes, un des grands peintres de l’air canadiens du 20ème siècle et un ancien directeur du Musée national de l’aviation, l’actuel Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. M. Bradford est décédé en mai 2023, à l’âge de 99 ans. Il nous manquera beaucoup.
Et oui, la peinture qui montre un jeune Kenneth Meredith Molson effectuant son premier vol en solo à bord d’un Rambler est également une œuvre de M. Bradford. Merci de me l’avoir rappelé.
Votre humble serviteur serait ravi de vous indiquer que Webster remporte la King’s Cup Race de 1931, une éreintante compétition à handicap d’environ 1 580 kilomètres (environ 980 milles) qui se déroule par très mauvais temps. Ce n’est malheureusement pas le cas. Le jeune pilote privé montréalais, bien connu au sein de la communauté aéronautique canadienne, arrive en 13ème place, une performance digne de mention compte tenu du fait que la moitié des 42 aéronefs inscrits ne traverse pas la ligne d’arrivée. De plus, Webster n’était pas du tout familier avec les régions survolées.
Webster rentre rapidement au pays. Il entend en effet participer aux activités entourant le passage, dans la région montréalaise, en août, des aéronefs qui participent au Trans-Canada Air Pageant, la plus importante activité aéronautique ayant lieu au Canada pendant la période de l’entre-deux-guerres.
Veuillez noter que ce qui suit est profondément triste.
Webster meurt en août 1931, à Saint-Hubert, Québec, suite à l’écrasement d’un Rambler du Montreal Light Aeroplane Club, alors qu’il pratique des manœuvres de voltige aérienne quelques jours à peine avant la venue des aéronefs de la fête de l’air. Il a à peine 30 ans.
Dévasté par le décès de son fils, John Clarence Webster, Senior, lance la John C. Webster Memorial Trophy Competition. Le trophée Webster est accordé annuellement (1932-39 + 1947-54 + 1980-2019 + 2022---) au meilleur pilote amateur / privé canadien. Le célèbre sculpteur canadien Robert Tait MacKenzie imagine pour ce trophée une figure en bronze du personnage mythologique grec Íkaros / Icare représentant la jeunesse et le vol.
Le trophée Webster est exposé au stupéfiant Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, mais revenons encore une fois à notre histoire.
Croiriez-vous que la version du Rambler lancée par le biais de l’aéronef piloté par Parkinson et Webster peut être livrée sous forme de monoplan à aile en parasol? Je ne plaisante pas. Les essais réalisés au cours des été et automne 1931 ne démontrant aucune amélioration notable des performances, cette version n’est pas produite.
Au fur et à mesure que s’égrènent les semaines de l’été et de l’automne 1931, la situation économique du Canada et du reste du monde occidental s’aggrave. La Grande Dépression cogne en effet de plus en plus fort. La situation économique de Curtiss-Reid Aircraft s’aggrave elle aussi considérablement.
Espérant décrocher au moins une commande, le susmentionné McCurdy s’embarque pour la Chine fin février 1932. Il arrive dans ce pays en mars 1932. Pour comprendre cet intérêt soudain, il faut retourner quelques mois en arrière.
En septembre 1931, le gouvernement japonais blâme son vis-à-vis chinois suite à l’explosion d’une bombe le long d’une voie ferrée japonaise en territoire chinois – une bombe posée en fait par des agents du gouvernement japonais pour justifier une invasion de la Mandchourie, une vaste région du nord-est de la Chine riche en ressources naturelles. De fait, après avoir quitté leurs bases de Corée, alors colonie japonaise, des unités de la Dai-Nippon Teikoku Rikugun, en d’autres termes de l’armée impériale japonaise, occupent l’ensemble de la Mandchourie. Le gouvernement chinois proteste, et commence à réarmer.
Croiriez-vous que ce coup bas japonais, le tristement célèbre incident de Moukden / Shěnyáng, est présenté dans Les Aventures de Tintin reporter en Extrême-Orient, une des plus célèbres aventures du héros de bande dessinée belge Tintin, publiée en 1934-35 dans Le Petit Vingtième, le supplément hebdomadaire illustré pour enfants du quotidien belge catholique, apostolique et romain / de droite Le Vingtième Siècle? Cette aventure paraît sous forme d’album, intitulé Les Aventures de Tintin reporter en Extrême-Orient – Le Lotus Bleu, en octobre 1936, mais je digresse.
Quoi qu’il en soit, c’est dans ce contexte que Curtiss-Reid Aircraft prépare les plans d’un avion de chasse monoplace biplan qui ne dépasse pas l’étape de la table à dessin.
Comme vous pouvez l’imaginer, McCurdy espère vendre quelques / plusieurs Rambler, voire même quelques avions de chasse, à la Zhōnghuá mínguó kōngjūn, en d’autres termes de l’armée de l’air chinoise. Curtiss-Reid Aircraft joue cependant de malchance. Le gouvernement chinois s’intéresse bien davantage à des machines américaines aisément disponibles.
Cela étant dit (tapé?), le fait est qu’un Rambler accompagne McCurdy en Chine, plus précisément dans la colonie britannique de Hong Kong / Xiāng Gǎng. L’aéronef était adressé au représentant de Curtiss-Reid Aircraft en Chine, Lam Wing-Yan & Company de Hong Kong.
Une brève digression si vous me le permettez. Pour une raison ou une autre, McCurdy passe quelques jours au Japon avant de passer en Chine. À sa grande surprise, il croit être constamment suivi. La redoutable et redoutée police militaire / agence de contre-espionnage / agence d’espionnage japonaise, la Kenpei-tai, aurait peut-être eu vent de la mission de McCurdy en Chine.
Curtiss-Reid Aircraft ayant fait faillite au printemps de 1932, Montreal Aircraft Industries Limited, une société créée à cet effet, acquiert formellement ses actifs en juin. Cette firme assemble les (3?) derniers Rambler livrés à des utilisateurs civils.
Et oui, McCurdy est le président de Montreal Aircraft Industries. Eh bien, il l’est jusqu’en novembre 1939, lorsqu’il quitte son poste pour devenir directeur adjoint de la branche aéronautique de la Commission des approvisionnements de guerre, l’organisation responsable de tous les achats militaires du gouvernement fédéral créé en novembre 1939. McCurdy est directeur de la division des achats de la Direction de la production aéronautique du ministère des Munitions et des Approvisionnements à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Avant que je ne l’oublie, Montreal Aircraft Industries est impliquée dans un projet des plus intéressants et inorthodoxes en avril 1940 : des essais au sol d’un moteur d’aéronef électrique puissant (un peu moins de 885 kilowatts (environ 1 200 chevaux vapeurs impériaux / un peu plus de 1 215 chevaux vapeurs métriques)). Le concepteur non identifié du dit moteur et de sa batterie, un ingénieur électricien de Toronto, Ontario, a contacté McCurdy en début d’année. Les essais n’ayant pas donné les résultats escomptés / espérés, le projet est vite abandonné.
Montreal Aircraft Industries peut, je répète, peut, avoir mis fin à ses activités en 1943.
Le susmentionné Reid, quant à lui, semble être à l’emploi de Crude Oil Engine & Engineering Company Limited de Montréal au plus tard en février 1932. Il s’agit d’une firme, officiellement fondée en mai 1924 mais mentionnée dans la presse dès avril 1923, sur laquelle votre humble serviteur ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’elle représente quelques / plusieurs firmes d’ingénierie civile britanniques et produit des petits moteurs diesels destinés à diverses fonctions.
Reid devient en fait président (et propriétaire?) de Crude Oil Engine & Engineering au plus tard en 1934.
Reid rentre en Angleterre à une date indéterminée, possiblement vers 1956-57. Il y décède en avril 1968, à l’âge de 81 ans.
L’effondrement de Curtiss-Reid Aircraft ne diminue en rien la contribution de Wilfrid Thomas Reid au développement de l’industrie aéronautique canadienne pendant la période de l’entre-deux-guerres. Cet ingénieur aéronautique est le plus productif au Canada à cette époque.
À la revoyure.